Correspondance avec Omar Wisyam


 

19) L'OT à Omar Wisyam

Les divers problèmes théoriques que vous abordez
07-04-01

 

La problématique de l'organisation nous paraît hors de propos aujourd'hui. Elle commençait déjà à l'être lorsque la Bibliothèque des Emeutes avait répondu à un correspondant par le texte sur les conseils, en 1994. Elle n'a véritablement de sens que dans un moment insurrectionnel, où une organisation est inexistante et devient nécessaire pour les tâches défensives et, éventuellement (c'est là toute la difficulté), pour penser et préparer un dépassement.

Nous savons bien entendu que la « question de l'organisation » a été le cimetière des éléphants de l'IS. Mais c'était probablement une feuille de vigne pour un certain nombre d'autres contradictions qui se sont posées à ce petit groupe : l'IS était l'un des grands gagnants d'un mouvement battu ; la célébrité commençait à faire un spectacle de l'IS ; les idées situationnistes étaient nées avant la révolte et se sont éteintes en elle, ce qui a créé une situation cruelle après la révolte : l'IS, qui a été la meilleure critique du monde paisible entre 1945 et 1968, du monde de Saint-Germain-des-Prés, n'avait plus d'idées.

En période de paix sociale, une organisation peut difficilement avoir d'autres principes que ceux qui sont tolérés par les gestionnaires de cette paix sociale. On pourrait par exemple stipuler qu'il faille au moins avoir tué un ennemi pour faire partie d'une organisation qui veut renverser la société ennemie ; mais les priorités seraient alors rapidement et exagérément déterminées par cette précondition. L'idéologue d'extrême droite Maurras défendait l'idée que l'organisation était en contradiction avec la démocratie comprise comme égalité de tous les individus, puisqu'elle servait d'abord à compenser les inégalités entre les individus et, donc, qu'elle était avant tout une correction volontariste de l'inégalité réelle entre les individus. Ce cheval de bataille anti-égalitaire est facile à attaquer, mais il montre que l'on peut dire à peu près ce que l'on veut des organisations égalitaires ou égalitaristes dans une situation où l'égalité n'est pas un enjeu pratique.

La Bibliothèque des Emeutes avait construit son point de vue sur le constat que le monde devenait de plus en plus visiblement monde. L'intérêt des révoltes locales est dans ce qu'elles ont de mondial. L'information dominante a essayé, par tous les moyens à sa disposition, de maintenir ce vieux mensonge sur la révolte : les révoltes locales sont trop différentes des nôtres pour pouvoir concerner les pauvres d'ici ; pour se révolter ici, il ne faut pas prendre appui sur le monde, mais sur la particularité d'ici. C'est pourquoi deux des plus grandes révoltes depuis la révolution en Iran, les insurrections en Irak et en Somalie, ont été occultées et méconnues des pauvres de la vieille Europe et par conséquent isolées des pauvres du reste du monde. C'est la fonction de l'information dominante de nier l'universalité et de séparer les pauvres, et c'est une fonction paradoxale puisqu'elle est, en elle-même, la preuve de cette universalité et que cette fonction est cette non-séparation. Ce paradoxe est un de ceux qui sont en discussion avec Faustroll, actuellement.

Les insurrections en Irak et en Somalie ont été essentiellement des insurrections contre l'Etat (et pas seulement contre une forme d'Etat en particulier), beaucoup moins contre la marchandise et l'information dominante, donc contre la forme d'organisation dominante de la société. Nous pensons, après la BE, que les particularités de ces révoltes sont soit circonstancielles, soit ce qui désigne un retard, non chez ces gueux-là, mais chez nous, les gueux d'ici. Des révoltes comme celles-là sont sorties du tiers-monde, sont une critique du tiers-monde, au contraire de la façon dominante de les voir ici, où même les ennemis de l'idéologie tiers-mondiste, quand ils ne les ignorent pas tout simplement, tendent à les reléguer dans une sorte de tiers-monde de la révolte pittoresque et sans portée véritable possible (notez par exemple qu'aussi bien en Irak qu'en Somalie les insurgés ont dû affronter, tour à tour et simultanément, des milices étatistes, l'armée de leur Etat, et l'armée américano-onusienne, soit le plus large éventail des défenseurs armés de ce monde). La vieille Europe (qui comprend l'Amérique du Nord et le Japon) n'est plus l'épicentre de la révolte mondiale, comme en 1917 ou encore en 1968. C'est l'une des nouveautés que nous a montrées la révolution en Iran.

Le duc de Saint-Simon fait observer quelque part le grand mépris qu'ont toujours eu les princes pour l'héritage écrit des rois, même les plus absolus comme Louis XIV. C'est tout à fait vérifiable pour les particuliers : laissez trois pages sur ce que vous voulez qu'il advienne de votre pensée après votre mort et vous verrez (ou plutôt, vous ne verrez pas) que ne sera pris en compte que ce qui ne gêne personne. Une nouvelle vague d'assaut contre le monde ignore toujours la précédente, heureusement d'ailleurs. Raconter et comprendre la défaite n'a pas pour but de servir de leçon, mais « de dire ce qui est juste ». La vérité de la défaite n'est pas dans la défaite, mais dans son contraire, la victoire. Laisser en héritage la défaite est la confirmation et la résignation à la défaite, même s'il est probable que nous y soyons réduits, parce que nos vies ne pourront pas être des victoires sans la victoire de notre parti.

Il nous semble que lorsque vous trouvez qu'il y a quelque chose de religieux dans la théorie (parce qu'il y aurait quelque chose de religieux dans LA théorie), vous employez la théorie à nouveau dans le sens de LA théorie. Qu'y aurait-il de religieux dans la théorie de la défense Caro-Kann, par exemple ? Ou dans celle du moteur à compression ? Ou encore dans la théorie des conseils ? Nous dirions plutôt qu'il y a une fétichisation de la théorie à partir du moment où l'on oublie son objet et où elle devient son propre objet, absolu et se suffisant à soi-même. Mais il en va de même pour de nombreux objets de la pensée fétichisés dans notre société : le cinéma dans un milieu cinéphile, par exemple ; l'amour des bêtes en Angleterre ; et d'une manière générale tout moyen qui s'est suffisamment affranchi de son but pour apparaître comme son propre but.

La religion, au contraire, est une tentative de gestion de l'infini du croire et du croire en l'infini, qui se veut universelle.


Voyer, Hegel, Obertopp

Ce que vous dites avoir lu de Voyer correspondrait, dans un ouvrage, aux dix pages d'introduction et aux vingt pages de notes rajoutées par l'auteur quinze ans plus tard. Il nous paraît étonnant et pour le moins léger que là-dessus vous jugiez de la totalité.

J'ai à côté de mon lit un ouvrage de Schopenhauer intitulé 'Métaphysique de l'amour, métaphysique de la mort'. Quel ennui : je n'arrive pas à le terminer. J'ai à nouveau depuis quelques mois, sur moi, 'la Science de la logique' de Hegel. Je n'arrive pas non plus à le terminer (c'est le comble pour un téléologue) mais pour des raisons inverses. C'est en avion, malgré l'inconfort de ce genre de lieu pour la lecture, que je l'apprécie le plus : au-dessus des nuages, à grande vitesse, avec une perspective sur le monde. Depuis Hegel il n'y a pas eu d'autres dialecticiens, malgré de nombreuses bonnes volontés. Il a montré ce qu'est la dialectique et que nous sommes d'accord avec vous pour rejeter : un système.

Obertopp est très fâchée qu'il se soit passé quelque chose, dans le monde et dans la réflexion sur le monde, depuis vingt cinq ans. Elle est très fâchée parce qu'elle n'a rien vu. Elle voudrait que la seule chose qui reste de cette période qu'elle a laissé passer soit son petit essai, fort médiocre, sur le théorisme. C'est pourquoi elle pense pouvoir effacer Voyer en une page après l'avoir récité trop maladroitement pour pouvoir faire illusion, jusqu'à peu.

Malheureusement pour elle, et parfois pour nous, nous sommes tous la preuve vivante de ce qu'elle voudrait effacer. Le véritable problème qu'a toute la droite debordiste avec Voyer, c'est qu'elle n'est pas capable de le critiquer ; et elle est donc obligée de l'effacer. On trouve dans cette petitesse obtuse beaucoup de choses qui auraient probablement fait frémir Orwell.

Vous dites sur le forum que vous êtes entièrement d'accord avec 'A fructibus eorum conoscetis eos' [*]. Vous n'êtes pas sans savoir que lorsque Obertopp dit « Et nous raffirmons par le même coup notre mépris pour tous les sous-voyeristes attardés qui ont essaié de le calomnier pour de basses raisons de vanité et d'arrivisme », c'est de l'OT qu'elle parle. Pouvez-vous nous répéter qu'à cela vous voulez ajouter votre signature ?

 


 

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