L'effondrement de l'idéologie marxiste et l'aménagement du terrain vague qu'il crée par l'idéologie de l'information dominante ne sont que réaménagement du parti qui veut empêcher le débat sur la fin de l'humanité. Et c'est sur la mouvante négativité des pauvres que ce réaménagement a lieu, à cause d'elle et contre elle. Aussi, si la Bibliothèque des Emeutes, depuis qu'elle fonctionne, observe que cette réorganisation ennemie a empêché toute révolte de devenir révolution, elle constate aussi que cela n'a pas suffi à endiguer un accroissement quantitatif des révoltes. Depuis l'été 1988 jusqu'à la fin de 1989, on peut ainsi distinguer trois grandes phases :
A- Des insurrections majeures, spontanées, se succèdent en ne bénéficiant que d'une publicité réduite, l'information n'est pas encore à la contre-attaque. Celle de Birmanie [14] en est l'archétype, de loin la révolte la plus durement matée depuis un an et demi ; elle est suivie, comme son ombre, par la révolte d'Algérie [15], qui n'eut qu'en France un écho plus important, cette importance étant davantage un vestige colonial qu'une intelligence de l'événement ; puis par celle du Venezuela [16], coup de tonnerre, parce que dans un Etat réputé « démocratique », prolongée presque aussitôt par des pillages en Argentine [17]. A noter dans ces événements en série qu'ils n'ont pas été mis en série, et que la passion qui les portait a été escamotée dans leur analyse économiste ; et que l'information y a prêté une oreille plus que complaisante à des gouvernements aussi différents selon ses propres critères que ceux de Birmanie, Algérie, Venezuela et Argentine.
B- Avec la Chine [5], le ton change et le bruyant fanatisme « démocratique » se confirme en URSS [2, 3, 23] pendant l'été 1989 où se généralisent les émeutes dites « interethniques », en grande partie grâce à l'information occidentale, qui les présente ainsi, si bien qu'elles le deviennent effectivement. Telle est devenue la puissance de l'information, qui avait expérimenté ce prétexte avec succès au Kosovo [8], et sur une échelle déjà plus grande, entre le Sénégal et la Mauritanie [18]. Fournir leur prétexte de révolte aux pauvres a pour objet de leur interdire de le découvrir. Depuis qu'ils ne sont plus organisés en classes (selon le besoin alimentaire, selon l'économie), les ennemis de leur débat cherchent à récupérer leur négativité en les organisant en ethnies, en nations (selon la consanguinité, le besoin de reproduction). A noter aussi qu'au cours des émeutes variées d'URSS, cet été-là, il fallait aussi pour cette information-là soutenir partout Gorbatchev, exercice de contorsion apparemment impossible mais réussi. Profitant de cette alliance, Gorbatchev réussit à noyer chaque émeute dans la suivante, les maintenant toutes séparées, fournissant ainsi toujours à l'information une matière neuve et égale en quantité, et liquidant dans l'obscurité qu'elle lui octroyait ce qui prenait trop d'ampleur : le jour où sera connue la répression en Abkhazie [3], Gorbatchev sera étranglé par son auréole.
C- Des tumultes de l'Asie soviétique [2, 23, 3], qui contenaient décidément plus de dangers que de profits pour la perestroïka, l'attention publique (qui ignore plusieurs dizaines de petites émeutes qui sans cette ignorance ne seraient pas si petites) se reporta par l'interface des pays baltes (qui sont la bonne révolte, sage et polie, contrairement aux violentes émeutes des Républiques musulmanes) sur l'Europe de l'Est. Ainsi, de la Hongrie à la Roumanie [13], en passant géographiquement par tous les autres Etats staliniens d'Europe, le pauvre spectateur, y compris dans ces Etats, est promené dans le labyrinthe confus de son ignorance, à une vitesse telle que sa compréhension y est remplacée par sa crédulité, et que sa maîtrise du temps y est un point minuscule au milieu de son amnésie généralisée.
La conclusion ressemble à l'Intifada [1], qui en 1989 a confirmé être devenue la première insurrection permanente, mystérieusement bloquée dans son avance, mais tout aussi impossible à vaincre. Ainsi est l'état de la révolte dans le monde : bloquée à une certaine profondeur, mais ne refluant pas. C'est que sa vérité n'est encore qu'en projet, dont l'émeute moderne est l'étincelle.
(Extrait du bulletin n° 1 de la Bibliothèque des Emeutes, texte de 1990.)
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La Naissance d’une idée Tome I : Un assaut contre la société |
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