Notes


 

1. Intifada

L'Intifada, appelée aussi « guerre des pierres », parce que ses émeutiers ont toujours refusé de se servir d'armes à feu, commence le 9 décembre 1987, après vingt ans d'occupation de Gaza et de la Cisjordanie par l'armée israélienne. Cette colère sans concertation connue éclate à la suite de l'enterrement, dans le camp de Jabalya à Gaza, de 4 Palestiniens, victimes d'un accident de la route provoqué par un Israélien soupçonné d'avoir voulu venger ainsi un attentat palestinien. Cette première émeute a été suivie par une autre le lendemain, puis une autre le lendemain, puis une autre le lendemain, etc.

Une chronologie de l'Intifada serait composée de deux séries d'événements principaux. D'abord les stimuli qui ont relancé l'émeute ou l'ont poussée au paroxysme, c'est-à-dire tous les événements où l'émeute quitte sa quotidienneté : mort du proto-stalinien Abou Djihad, le 16 avril 1988 ; anniversaires de cet événement, anniversaires de la naissance de l'Intifada, anniversaires de la proclamation d'indépendance de la Palestine, Eyd-e Fetr, Kippour ; assassinat par un Israélien de 7 Palestiniens à Rishon-le-Zion, le 20 mai 1990, où l'émeute déborde à la fois à l'intérieur d'Israël et en Jordanie ; fusillade de l'esplanade des Mosquées, le 8 octobre 1990, où 22 Palestiniens sont assassinés par un Israélien ; déclenchement d'un mouvement de solidarité, le 7 octobre 1992, avec des prisonniers palestiniens en grève de la faim ; bannissement par l'Etat d'Israël de 415 présumés militants de Hamas, le 18 décembre 1992.

Ensuite et surtout, une telle chronologie raconterait les actes des ennemis de l'Intifada, et des progrès pour y remédier : confiscation de la direction de l'insurrection aux émeutiers par la création, début 1988, d'un Commandement national unifié de l'Intifada, où l'on a pris soin d'insérer un « national » ; reconnaissance par l'OLP, en novembre 1988, du principe de deux Etats (Israël et Palestine), au contraire de l'émeute, qui est le principe vivant de zéro Etat ; assassinats de collaborateurs, qui transforment rapidement, sous couvert d'anonymat, la vengeance initiale contre les mouchards en revanche contre tous les révoltés indépendants, non seulement tués mais calomniés, non seulement par les différents partis palestiniens, mais par l'Etat israélien ; ballets des représentants autoproclamés, bons libéraux de l'intérieur, exilés de l'OLP, Hamas, Djihad islamique ; préparation de la guerre du Golfe et guerre du Golfe, où le soutien des récupérateurs palestiniens à Saddam Hussein à la fois permet à Israël d'instaurer le plus étouffant des couvre-feux et interdit aux insurgés de soutenir la grande insurrection anti-Saddam qui commence en mars 1991 ; changements de gouvernement israélien, en particulier en juin 1990, lorsque les travaillistes laissent leur allié Likoud réprimer seul, et en juin 1992, lorsque les travaillistes reviennent réprimer seuls ; ballets diplomatiques destinés à intercaler une police autochtone, en dessous de l'armée israélienne, et au-dessus de l'Intifada, avec pour points culminants la conférence de Madrid, le 30 octobre 1991, et l'accord d'Oslo, le 13 septembre 1994 ; liste des attentats anti-israéliens commis par des militants palestiniens ou des particuliers et qui, en augmentant, vont banaliser l'émeute ; litanie des bilans de tués, de blessés, d'arrestations, de bannissements, de maisons détruites, de bouclages, de couvre-feux, de punitions collectives, de cultures arrachées, de brimades diverses (comme l'interdiction de marcher sur le bord des routes), de tortures, de bavures, de jugements (israéliens) iniques, jusqu'à la nausée, jusqu'à l'habitude, qui marquent la lente adaptation d'une bureaucratie moderne de la répression dans un laboratoire grandeur nature.

A travers ces chronologies, on ne voit donc que les progrès des ennemis de l'insurrection, et cette antinomie qu'est une insurrection quotidienne (partout ailleurs, l'insurrection nie immédiatement le quotidien) s'avère ainsi opposée à une chronologie. Mais ce constat, intéressant du point de vue méthodologique, doit être nuancé : c'est d'abord profondément méconnaître la part de nouveauté dans chaque émeute de chaque jour – qui n'est semblable qu'à l'observateur extérieur, mais beaucoup moins dans le vécu sur le terrain – ; c'est aussi oublier que l'Intifada, qui redécouvrait à chaque barricade de pneus sa propre offensive, installait cette offensive même dans la défensive – la durée de l'insurrection n'a pas finalement ouvert de perspectives, et la répétition de l'acte de révolte, même si elle mettait, à chaque représentation, le parterre en danger, s'est avérée peu à peu une régression – ; enfin, habitués à mesurer des émeutes de quelques heures, les observateurs ont peiné à percevoir que l'érosion de l'Intifada s'est produite sur quelque quatre années – après la guerre du Golfe, elle n'existe plus que dans des soubresauts, encore fréquents cependant, et en puissance, comme une menace mystérieuse et permanente, dont les ressorts sont ignorés, et que la rhétorique et la mystification habillent volontiers d'arguments conjoncturels. En effet, comme de nombreux dirigeants de ce monde, l'Intifada a été maintenue en vie artificiellement par ses ennemis, qui l'exploitaient (notamment comme menace de l'écœurant « processus de paix ») ou la magnifiaient dans des oraisons funèbres qui la dénaturaient.

Contrairement à l'assaut contre le monde dont elle est l'événement avant-coureur et le fil rouge, son plus beau jour aura finalement été le premier, le 9 décembre 1987.
 

(Texte de 1998.)


Editions Belles Emotions
La Naissance d’une idée – Tome I : Un assaut contre la société Précédent   Table des matières   Suivant