Posted by observatoire de téléologie on October 03, 1999 at 03:02:59 PM EDT:
Depuis deux mois, l'observatoire de téléologie s'est investi davantage que souhaité dans des disputes polémiques sur l'Internet. En partie par goût pour la dispute, en partie parce que nous avons été entraînés dans des séries de répliques, en partie parce que, malgré leur bas niveau général, ces étranges polémiques ne sont pas opposées à nos projets.
L'observatoire de téléologie a pour but de tout finir : le monde, l'humanité, l'esprit. Entre ici et maintenant et un objectif aussi démesuré (question : quel objectif pourrait être plus grand ?), nous pensons que nos courtes vies ne nous permettront peut-être même pas d'établir toutes les étapes nécessaires. Mais nous avons adopté, autant par circonstance que par projection, la très simple démarche suivante. Pour tout finir, il faut d'abord réunir l'assemblée qui débattra de quelle fin il doit s'agir. Il va de soi que ce débat ne se conduira pas sur l'Internet, qui au mieux en serait une sorte d'appendice. Il va également de soi que le mode de convocation d'une telle assemblée n'existe pas même encore dans les imaginations.
Nous sommes bien placés pour savoir qu'il est encore prématuré d'appeler à un tel débat qui, s'il faut le qualifier, trouve sa meilleure épithète dans l'adjectif anglais aujourd'hui galvaudé « ultimate » - sommet et fin, c'est-à-dire fin indépassable. Nous n'en sommes encore qu'aux premiers balbutiements de sa préparation. C'est ainsi que nous posons d'abord en préalable : tout a une fin. Car l'ordre du jour chronique du débat ultimate est « quelle fin ? », et il aura lieu entre des adversaires, voire des ennemis, mais qui n'en seront plus à se demander si tout a une fin parce qu'il n'y aura plus parmi eux de religieux pour soutenir l'infini. Croire en l'infini, en effet, est la seule substance, invérifiable, de toute religion.
METHODES
Ces buts, et la théorie qui y est liée ne proviennent pas du calme de la réflexion, mais bien davantage de la plus violente agitation dans le monde depuis vingt ans, dont nous nous sentons les héritiers. Les téléologues modernes sont donc entrés sur l'Internet en ennemis, et à notre connaissance nous sommes les seuls : son organisation et sa structuration, sa distribution et son usage, ses propriétaires et ses francs-tireurs, constituent en particulier et ensemble la fraction enthousiaste de la middle class, c'est-à-dire l'épicentre du conservatisme, et par conservatisme nous entendons toute pensée qui ne va pas dans le sens de la négation de l'infini, qui donc voudrait perpétuer quelque chose au-delà de tout. Il n'est donc pas étonnant que, sur l'Internet, les téléologues modernes aient été en butte à chacun et à tous ; nous n'y cherchons pas des amis, même s'il y en a, nous ne sommes pas encore en train de sonder des alliés, s'il y en a. Mais nous sommes à notre connaissance les seuls à parler dans une conception qui contient l'au-delà de l'Internet. Nous ne concevons donc pas l'Internet comme une liberté, mais comme une contrainte.
Propositions de thèmes du débat
Il est cependant faux de dire que nous ne nous exprimons que par l'insulte. Nous pratiquons trois types d'interventions. Le premier est le plus important. Nous présentons au public la genèse et les premières déclinaisons de la théorie de la finalité. C'est sur ce terrain que le gros des internautes s'est montré le moins fringant. C'est pourtant sur la révolte des Albanais ('Méthode infaillible [a] [b] [c]') et sur 'Croire' qu'il est crucial de s'exprimer, parce que c'est dans le fondement de ces thèmes que se jouent nos vies d'individus de l'an 2000. Mais pour l'instant, soit que les digestions soient lentes, soit que les peurs activent les incapacités, nous attendons toujours ceux qui voudront s'y frotter, et s'y piquer. En dehors de leur vérité immanente, et de leur cohérence par rapport à la finalité, ils sont des essais des thèmes du débat sur « quelle fin ? ». En même temps qu'ils paraissent aujourd'hui tout à fait incritiquables, ils sont destinés à n'être bientôt considérés que comme des ébauches très rudimentaires. La critique, lorsqu'il y en aura une dans le monde, y pourvoira vite. Les théories vieillissent très mal en ce siècle finissant, et c'est peut-être ce qu'il a eu de plus heureux.
Insulte
Un deuxième mode d'expression a en effet été l'insulte. L'insulte a plusieurs fonctions dans notre discours. La plus importante est de délimiter notre frontière, de signaler la ligne de partage sur laquelle nous positionnons la barricade. Les situationnistes avaient bien montré qu'il est plus urgent de se démarquer des gens qui vous ressemblent que des gens qui, ne vous ressemblant pas, ne risquent pas d'être confondus avec vous. Et, en effet, nous n'avons jamais encore utilisé l'insulte comme arme offensive ; nous n'avons jamais insulté bille en tête ; ce sont toujours ceux qui nous ont eux-mêmes insultés, par le verbe ou l'attitude, qui ont eu à subir nos injures, que nous avons toujours trouvées prudentes et méritées. Nous sommes trop attentifs aux conséquences de l'insulte pour ne pas soigner le calibrage des nôtres.
Une autre fonction de la réponse courte qui vire rapidement à la violence verbale est de fonder les règles du jeu. Les téléologues modernes, mais tous les autres aussi, voudraient que les règles du jeu qu'ils pensent les meilleures s'installent et soient reconnues par tous. Dans un endroit comme l'Internet, où les règles de la discussion sont peu fixées, les pauvres qui y accourent confondent « on peut tout dire » et « on peut dire n'importe quoi ». Des déjections du vieillard Voyer qui voudrait mettre une œuvre à l'abri (c'est donc pour cela qu'elle était faite !) aux jurons désordonnés des autres quand ils sont débordés, nous n'avons encore croisé que du n'importe quoi. Il n'y a là que des démunis qui se croient riches et libres parce que, confrontés à un champ d'exploration qu'ils supposent infini et dans l'impunité de leurs grossièretés, ils confondent ce sac de pacotilles avec un trésor. Nous sommes apparemment les seuls à plusieurs forums alentour à peser nos interventions en fonction d'une construction qui va au-delà de ces interventions. Nos règles du jeu ne dépendent pas d'une morale au sens traditionnel du terme, d'atavismes, de sympathies ni du moment, elles dépendent du débat sur la finalité que nous tentons de préparer. Et ce débat nécessite beaucoup de soin, de cohérence, de fond, de vigueur, de clarté et de respect du sens.
Nos règles provisoires - toutes les règles sont provisoires - viennent de l'avenir, elle sont le dessin du contour du plus exigeant des débats. L'insulte des téléologues modernes n'est rien d'autre que de signaler en quoi l'insulté est en dessous du niveau d'exigence minimum du débat en préparation. C'est une insulte didactique, qui s'adresse davantage aux silencieux qu'à ceux qui font preuve de leur incapacité, que ce soit malhonnêteté intellectuelle ou quelque autre forme de faiblesse. Cette démarche peut s'illustrer à travers la typologie suivante.
1. Le premier type de personnes en dessous du débat est incarné par Voyer. Voyer a sans doute eu jadis la capacité à un tel débat, quoique ce ne soit pas sûr. En tout cas il ne l'a plus. Il a falsifié une fois un téléologue moderne, mais il l'a fait sciemment, consciemment, un peu selon le précepte de Commynes, qui expliquait qu'on ne pouvait trahir qu'une seule fois, parce qu'à la seconde trahison on n'avait plus de crédit nulle part, et qu'il fallait donc bien choisir, et quoi qu'il arrive se tenir à sa trahison. Commynes a d'abord retiré des bénéfices immenses lorsqu'il est passé à Louis XI, mais il s'est quand même retrouvé ensuite pendant plusieurs années dans une petite cage en fer, dont il est sorti cassé. Voyer est devenu falsificateur parce qu'il ne veut pas que le débat ait lieu. Il préfère l'étouffer que d'y engager sa théorie. Comme avant lui Debord, Voyer n'espère plus maintenant qu'éterniser son œuvre. Voilà pourquoi il est venu sur l'Internet. Voilà pourquoi il a mérité la pire insulte.
2. La deuxième catégorie de personnes en dessous du débat est quantitativement plus fournie. L'animateur de l'Agora Philo, Laurent le raté comme diraient les descendants des Ciompi, ou Prout-Prout pour décrire le contenu de son discours, en est l'archétype. Son but est le débat, mais n'importe quel débat, le débat pour le débat. Il est indifférent aux contenus. Il répond à tout et à n'importe quoi. En ce moment il n'y a que son interlocuteur Chasqui qui croit que ce qu'il dit sur le bien et le mal a le moindre intérêt pour ce manipulateur. Lorsqu'il ne peut plus répondre, il bidonne un peu : trichant sur une citation ou une signature, un peu comme von Nichts, le ouistiti de Voyer. Comme il n'y a pas de règles, il voudrait que ce qu'il fait devienne règle, quoi qu'il fasse. Les ruines de son site sont un exemple éloquent de ce qu'un site a la qualité de son animateur, s'il a le malheur d'en avoir un. Sur Agora Philo, la parole n'a plus de sens, les contrefaçons y pullulent sans raison et, des débats d'adolescents, comme celui sur le bien et le mal, on a régressé vers des déjections plus enfantines qui, en ne visant d'ailleurs que les téléologues, nous font sourire, parce qu'elles achèvent, sans que nous y soyons mêlés, notre début de sabotage dans la pourriture. Ce site où plus personne ne vient est maintenant polarisé sur les téléologues, négativement ; mais pas sur la téléologie, bien sûr. Le peu qui s'y dit encore, dans une puérile impuissance, y compris par son manipulateur, ne vise qu'à nous provoquer ; et y parvient en partie.
Ce personnage qui a donc triché parce qu'il n'a pas d'autre horizon que les jeux formels de son site poubelle, et qui ne pensait pas tricher puisqu'il croyait, en animateur dominant tout, donner la loi, nous a cependant appris une chose : le débat que nous préparons ne devra pas avoir d'animateur, improvisé ou non, il faudra même prendre les mesures les plus rigoureuses contre ceux qui ambitionnent ce rôle. Nous avons bien compris avec l'exemple miniature de l'Agora Philo comment un animateur cherche inévitablement à influer, puis à mener le débat, à vouloir être juge et partie, à se vouloir à la fois arbitre et joueur ; et comment il refuse toute mise en cause, comment il se dérobe à toute responsabilité en allant se réfugier derrière une pseudo-neutralité. Si nous refusons la justice, c'est parce que nous pensons qu'elle ne peut être neutre, si nous refusons des arbitres quand nous jouons, c'est parce que nous pensons qu'ils s'emparent du jeu au détriment des joueurs. Qu'il y ait quelqu'un de neutre dans une dispute ne sert pas la dispute, mais uniquement sa décompression comme aurait dit Vaneigem, qui utilisait ce concept comme antithèse du dépassement. L'animateur cherche à pérenniser la dispute, parce qu'il en vit, et non à la résoudre. Il a le même rôle que l'information dans une émeute : il s'interpose, comme s'il était neutre, et ensuite il transpose la dispute dont il n'a pas endossé la passion dans son langage ; et pour la police, derrière laquelle l'informateur finit quand même par se mettre à l'abri, et davantage donc pour les émeutiers, mais pas pour les mêmes raisons, l'informateur passe, à juste titre, du fait de son point d'observation, pour un falsificateur.
3. Le troisième groupe d'insuffisants est le plus peuplé. Ce sont les pauvres modernes, parmi lesquels chacun se croit personnellement très riche, et qui voudraient imposer les règles qui leur suffisent. Ce sont les F., les Ben Aziz. Ce Ben Aziz, par exemple, est intervenu pour la première fois sur le debord of directors en prétendant que Voyer n'était plus crédible parce qu'il avait fréquenté Edern-Hallier (si Voyer n'est plus crédible, c'est parce qu'il est un falsificateur et non parce qu'il a fréquenté telle ou telle semi-célébrité ; il a bien aussi fréquenté Debord). Mais Voyer a très nettement démenti avoir fréquenté Hallier. De deux choses l'une : soit ce Ben Aziz, qui écrit que les téléologues modernes sont des bolcheviques dans la même phrase où lui-même parle au nom des jeunes de banlieue (parler au nom des révoltés sans leur mandat est précisément une crapulerie distinctive des bolcheviques), fait maintenant la preuve que Voyer fréquentait Hallier et est donc un menteur en plus d'un falsificateur, soit il se rétracte en faisant amende honorable de sa malveillance précipitée. En attendant, Ben Aziz est un approximatif calomniateur. Nous sommes d'ailleurs surpris d'être les seuls à ne pas vouloir laisser passer d'aussi piteux dérapages. Et ce n'est pas par sympathie pour le falsificateur Voyer ! De même, nous avions sommé F. de faire la lumière sur ses signatures qu'il ne veut pas endosser. Il ne l'a pas fait. Ce sont donc les siennes ; ou alors il est d'une négligence qui n'est pas tolérable dans la perspective d'un débat de fond. Nos insultes à cet égard sont donc à comprendre ainsi : une telle immaturité, un tel manque de respect de la parole, ne permettent pas d'accéder au fondement des concepts pratiques ou des bastons d'orientation. L'ennemi, le parti conservateur, aura taillé en pièces ou retourné les F. et les Ben Aziz bien avant qu'ils n'arrivent en vue du terrain de bataille. Car le débat sur « quelle fin ? » sera une guerre où Clausewitz n'aura plus cours.
4. Le dernier groupe est composé d'intervenants sur lesquels nous réservons notre opinion. Ils sont très peu nombreux. Parmi eux, Le Manach et « Break the rules » : ce qu'ils disent ne nous plaît pas, et nous sommes prêts à en disputer, mais la façon dont ils l'expriment ne nous offense pas, c'est-à-dire n'offense pas les règles minimums que nous, téléologues modernes, exigeons pour un débat sur la finalité.
Analyses
Si d'autres que l'observatoire de téléologie publient des textes théoriques sur les sites où nous sommes venus, et si d'autres que nous s'expriment par l'insulte, nous semblons les seuls à tenter d'analyser, certes à chaud, ce que signifient ces disputes où nous sommes mêlées et à les replacer dans des perspectives plus larges, comme dans ce texte même. La pauvreté, que nous relevons si souvent qu'on ne l'entend plus, ne ressort peut-être nulle part davantage que dans cette absence d'analyses. L'analyse est ce qui permet le lien entre la théorie et l'insulte. L'analyse est le recul nécessaire de la lucidité qui fait si piètrement défaut autour de nous. Nous avons ici l'impression que l'insulte est maniée comme la ruse dans une échappée de peloton cycliste où chacun espère remporter l'étape au détriment des autres. On suce le pneu, puis on déboîte, on est rattrapé, alors on resuce un peu, en attendant à nouveau de profiter de l'aspiration. Malheureusement pour tous les fieffés rusés de l'Internet, qui ont la tête dans le guidon, l'arrivée est à l'infini, c'est-à-dire qu'elle n'existe pas. Leur sprint se termine dans le ravin ou dans la voiture-balai.
Tout a une fin ? ou non ? (nouveau bilan)
Enfin pour sortir des habitudes non dénuées de passivité, malgré les apparences, des présentations de textes théoriques, et du ronron des insultes, nous avons tenté de poser clairement la question préalable au débat sur quelle fin : tout a une fin ? ou non ? L'insuccès immédiat de cette tentative reste encore à analyser. Certes, cette question a beaucoup dérangé, ému. Mais elle paraît trop simple et elle est trop compliquée. Nous ne savons donc pas encore si l'échantillon qui y était exposé était particulièrement faible ; si la déroute pratique de ceux qui y ont répondu avant de pouvoir en mesurer les implications n'est que le signe avant-coureur du contraire parmi ceux qui y réfléchissent ; ou s'il était réellement prématuré de lancer une question aussi grave à un public aussi mal préparé. Si cette dernière hypothèse se vérifiait, il conviendrait de construire des préalables à cette question préalable.
SUR L'INTERNET
C'est ce que l'observatoire de téléologie propose de continuer d'explorer sur l'Internet.