t u r n   o v e r

 

 
         

 

 

 

   
Notes de lecture

 
         
Diatribe d’un fanatique Jean-Pierre Voussa  
 
 
         
         
         
           

 

 

Je viens d’essayer de lire le texte intitulé ‘Diatribe d’un fanatique’, de Jean-Pierre Voyer. Je suis assez fier d’avoir tenu jusqu’à la moitié, avant de glisser en diagonales impatientes jusqu’à la conclusion.

La seule chose que j’ai toujours défendue chez Jean-Pierre Voyer, c’est son style. Voilà un macaque qui sait écrire, qui a un don pour ça. Il a du talent. Il aurait pu faire un honnête écrivain, s’il avait été honnête.

Il avait en particulier une qualité que j’admire toujours : en prenant de la vitesse, comme dans un manège qui s’emballe, cet auteur transportait le lecteur dans son vertige. Et dans ce vertige, à partir d’associations de mots et d’idées, naissaient de nouvelles idées, inattendues, et des contre-champs, si audacieux et parfois si drôles, que le tout semblait prendre une altitude et une allégresse qu’on avait seulement envie d’imiter, de rejoindre.

Dans la ‘Diatribe’ tout cela est bien loin. Il y a la recherche de cet étourdissement, mais la vieille cervelle n’arrive plus à pousser le manège, qui s’arrête sans arrêt. Chaque phrase sent le retravaillé, le rallongé, le gommé, l’effort, la rature. Sur chaque idée, il y a dix-huit couches de gouache, et même dix-neuf ou vingt, si on compte les ultimes passages pour atténuer cette impression par un gommage pas toujours fin. Tout le texte est surchargé, l’auteur surjoue en permanence, il contemple d’abord sa phrase, puis son personnage, puis force les traits, peu sûr qu’ils passeront la rampe. Les phrases sont pleines de sous-entendus, d’allusions, de trompe-l’œil, de clins d’œil, d’oreilles bouchées, il y a plein de cérumen sur le clavier, il y a des guillemets, des parenthèses à n’en plus finir, ça joue avec la couleur du caractère, le gras, l’italique, la taille du caractère, il y a trop de citations pour un véritable érudit, il y a du m’as-tu-vu à tel point que les redites foisonnent, que le fil est constamment perdu, que des paragraphes entiers sont des bouillies de stuc, et que le sens, pourtant simple, s’égare sans arrêt. A un lycéen en terminale, ou à un stagiaire en pub, on dirait « t’en fais trop petit, décrispe-toi, oublie le style, pense au fond, fais des fautes, ça te fera du bien, t’en es à ce stade-là ». Et si on pense que dans son désarroi prétentieux cet apprenti peut entendre un conseil, on ajouterait : « Dans l’idée que tu sembles vouloir exprimer, dans ton espèce de vomi décoré, il faut que tu apprennes à ménager du repos à ton lecteur ; il faut laisser respirer, il faut savoir attirer par la noblesse de la voix, par la sobriété qui mettra en valeur ton lyrisme. Soit tu écris tout d’un trait et tu violes ton lecteur et il peut aimer ça, soit tu repioches, mais dans ce cas, tu dois séduire ton lecteur, pas le matraquer, ou le mépriser, ou lui dégobiller sur les genoux. »

On sent des tas de petits artifices techniques. Par exemple, quand il ne sait pas, ou pas bien, Voyer se réfugie dans une sorte de comique. Si on le reprend sur ce point, il pourra dire « bécile, c’était pour rire », et si on en rit, et de lui par la même occasion, il vous traitera de « malcomprenant ». Ce sont là des ruses peu honnêtes, qui ne cherchent surtout pas à avoir le cœur net ; il s’agit toujours de se montrer supérieur, de compenser la profonde infériorité que Voyer a passé une vie de valet émancipé sur le tard à dissimuler.

Car ce qui manque dans cette débauche de vanité qui dégouline comme du gras de cochon et qui sue comme les aisselles d’un déménageur débutant, c’est qu’on n’est jamais pris par l’idée. Comment lirait-on Kant ou Hegel, s’il n’y avait pas la grandeur du propos ? Mais on ne les lirait pas. Avec Voyer, c’est tellement laborieux sur la phrase qu’au bout d’un moment on remarque qu’il n’y a pas de fond, ou tellement peu qu’on a compris depuis longtemps, quand viennent les détours et les détours des détours qui retrouvent, avec une pirouette qui deviendra un leitmotiv, le premier détour, au secours. ‘Diatribe d’un fanatique’ est un mauvais texte, mal écrit et pauvre en idée, ennuyeux.

C’est parce qu’il y a si peu de fond que j’ai longtemps parlé de la forme. Je vais quand même essayer de commenter le fond, qui est à ciel ouvert.

L’idée semble être que les attentats du 11 septembre 2001 sont commis par des Arabes qui défendent la dignité humaine contre le nihilisme du libéralisme, ou du capitalisme, ou de l’économisme, ou du bushisme, ou du manchestérisme dominant.

Comme « économie », « Arabes » est une division que l’ennemi attribue au monde. Les « Arabes » ne constituent aucune division du monde, ils sont seulement une désignation par un principe, qui est celui de la reproduction, du sang. Cette division en races a été réprouvée par le courant de pensée dominant au cours du siècle dernier. Voyer, en bon gauchiste repenti, n’utilise la division « arabe » que parce qu’il espère ainsi choquer son auditoire de gauche et de gauchistes moins repentis que lui. Mais ce petit provocateur qui pose contribue avec cette adhésion au terme choc à construire cette division « arabe » que cherchent à installer les gestionnaires actuels de notre société.

Le développement sur tout ce vilain monde dominant, pour montrer que c’est un nihilisme, c’est du blabla. N’importe quoi peut être démontré comme du nihilisme, la pensée de Voyer, celle de Voussa, celle de Ben Laden (boutique en allemand), celle de Bush et celle de sa grand-mère. Le nihilisme est un gros mot creux qui, selon les dictionnaires, propose des sens différents de celui, vaguement nietzschéen, que tente laborieusement d’imposer le bricolo théoricien Voyer. Le nihilisme n’est qu’un isme qui vient d’une époque historique particulière. On pourrait dire la même chose du fascisme. Voyer, qui gémit dès qu’il a peur, avait ainsi traité de « fasciste » et de « provocateur » quelqu’un qui avait usurpé sa signature. Et cette accusation de fascisme, ce n’était pas pour rire. Mais là, si l’auteur fait l’effort de développer pourquoi le nihilisme est du côté des attaqués par les attentats, c’est uniquement pour se targuer d’un paradoxe, parce que l’information dominante prête plus volontiers le nihilisme aux vilains Arabes. Voyer est de plus en plus visiblement un sophiste, un poseur.

Défendre la dignité humaine, je veux bien. Mais que ce ne soit pas Voyer qui en parle, avec des trémolos exaltés. Moi, Jean-Pierre Voussa, je réaffirme ici que Jean-Pierre Voyer est un falsificateur, donc un enculé. Depuis dix ans, cet enculé a vu sa théorie démolie de fond en comble, et je vais résumer très brièvement en quoi : il n’y a pas de « communication infinie » comme principe du monde, parce que l’infini est une projection sans réalité possible ; il n’y a pas de « communication directe », que ce plouc frimeur prétend, sans jamais donner d’exemple, avoir vécue en mai 68 ; la « division infinie du travail » n’est pas la richesse, et ne peut pas être infinie pour la même raison, et le terme «  division du travail » est employé abusivement pour attirer le gogo, pour faire provoc post-marxiste, puisque l’enculé a reconnu que ce qu’il appelle ici « travail » était en fait l’activité en général ; enfin l’économie existe, contrairement à ce que prétend l’enculé, par le seul sens de ce qu’est l’existence. Depuis dix ans donc, Jean-Pierre Voyer est incapable de répondre à la critique. Il a seulement tenté de la dissimuler en la falsifiant, et en fuyant toujours, lâche et minable, en tout ce qu’il dit et en tout ce qu’il fait. Même sur le terrain de l’insulte, il a été enculé, mes yeux droit dans son regard dérapé, lui gémissant de haine, de bassesse, de honte, là aussi détalant comme l’ignoble petit intellectuel raté qu’il est. Voilà quelqu’un dont la dignité est tellement au fond du cul, que n’importe qui préférerait sans hésiter la pire indignité que la dignité décernée par un orifice bourré comme l’est Jean-Pierre Voyer. Alors, quand un déchet pareil parle de dignité, il insulte ceux à qui il l’attribue.

Par ailleurs, que les kamikazes du 11 septembre aient eu de la dignité, et se soient battus pour la dignité, je n’en sais rien. Ils ne l’ont pas dit, et je ne parle pas à leur place. En Iran, les révolutionnaires se battaient pour la dignité, on peut même le déduire de leur haine du cinéma et de la musique par exemple, mais les terroristes du 11 septembre n’ont rien dit, eux. Ils sont morts. Quant à ceux qui ne sont pas morts ce jour-là, et qui ont aidé à l’attentat, ils n’ont pas parlé, à ma connaissance, de dignité. Et ils sont évidemment mal placés, les commanditaires : ils ne sont pas morts en martyrs, eux. Ils ont envoyé des jeunes gens plus ou moins sains se faire tuer. Puisque c’est la mort en martyr qui donne la dignité, j’aimerais bien savoir pourquoi « Ben Laden » (boutique en allemand) ou « Jean-Pierre Voyer » (enculé en français) ne sont pas morts en martyrs, et qu’est-ce qui leur reste de « dignité » à côté de celle des martyrs qui n’ont rien dit, quand ils parlent à leur place, et en leur nom.

D’ailleurs, je ne vois pas pourquoi les martyrs seraient admirables et dignes. Il reste en effet le doute qu’ils sont des pigeons, le doute que ce soient seulement des chômeurs suicidaires qui ont trouvé là un emploi une fois pour toutes, le doute qu’on leur a fait miroiter une postérité mensongère, le doute qu’on les a fait chanter, qu’on a mis le couteau sur la gorge de leur bien-aimée, ou une bombe à retardement sur le compte bancaire de leurs parents. Je n’en sais rien.

Comme dans tout fait divers, par rapport au 11 septembre je ne sais rien d’autre que ce que dit l’information dominante, et Jean-Pierre Voyer non plus, ou alors qu’il indique ses sources. Lui et moi ne savons pas qui a commis ces attentats, pourquoi, dans quel but. Et tant qu’on ne connaît pas le but, on ne connaît pas le sens. Le but et le sens de cet attentat ne se déduisent pas non plus du résultat, puisque le résultat est justement une absence de but, donc de sens, un éventail ouvert de suppositions variées. Donc, quand Jean-Pierre Voyer dit que le message est clair, que le sens des attentats est de dire « mécréant », il nous vend son interprétation, fort mal étayée, de ce qu’il a vu à la télévision, il pratique la méthode Coué des phénoménologues. Les présumés kamikazes n’ont pas dit « mécréant », et si j’avais essayé, pour ma part, de synthétiser cette même émission télévisuelle en un mot, ce n’est pas celui-là que mon cerveau sériant, réduisant et concevant aurait choisi, en tentant de concilier mes intérêts et mon imagination, mes scories idéologiques et ce que mes ennemis me représentent. J’encourage vivement les derniers Mohicans du parti de la vérité à répudier, à coups de pompe s’il le faut, la vieille illumination de toutes les autorités usurpées : Evidenz.

Pourquoi ces attentats ont-ils été commis ? Il y a la thèse officielle, d’un réseau islamique, et d’une petite équipe qui a longuement préparé le coup. Et il y a la thèse officieuse, qui pense que ce sont des services secrets, probablement américains, qui ont seulement mis en scène une telle petite équipe, et peut-être même le réseau islamique. Je ne vois pas comment on peut raisonnablement trancher entre ces deux thèses de complot, dans l’état des connaissances du public. Mais je trouve grotesque qu’un auteur qui s’exprime publiquement sur ce gros fait divers n’ait même pas l’honnêteté d’évoquer le doute, ou de réfléchir à la thèse opposée. Cette espèce d’extrapolation précipitée, j’ai été le premier, monsieur, j’ai tranché en moins d’une seconde, je suis trop intelligent, non pardon, je suis trop furieux, ah oui, il faut soutenir, ou ah non, il faut que ça cesse, c’est tout l’engagement de l’intellectuel français raté, depuis Sartre et Aron.

Le cui prodest ne nous aide pas : il est légèrement en faveur des «  Américains », des Etats et des polices qui ont grassement et durablement installé leurs petits états d’urgence démocratiques partout après les avoir si bien testés dans leur laboratoire privé, l’Etat d’Israël ; mais l’attentat a aussi beaucoup profité à la nouvelle idéologie d’opposition officielle, qui est néo-islamique, « arabe », et qui n’aurait pas existé sans avoir été magnifiée dans l’étalage de la pseudo-horreur. Où l’on voit d’ailleurs que l’horreur ne dépend pas du fait, mais du volume sonore. Depuis quinze ans avant l’attentat, les médias s’étaient aperçus progressivement que ce qui est important dans leur monde dépend de leur propre volume sonore. C’est pourquoi le fait divers s’est fait DIVERS.

Le passé du terrorisme me ferait aussi pencher en faveur de la thèse d’un attentat commis par l’Etat. En effet, la question centrale que se posent des terroristes est celle de qui ils vont tuer. Les terroristes des années 60 et 70, depuis les Tupamaros jusqu’à Action directe, se posaient cette question, et y répondaient, publiquement, en expliquant et en analysant leurs attentats, en démontrant qu’ils ne tuaient que des ennemis désignés. Les attentats commis par les Etats, comme celui de la Piazza Fontana en 1969, au contraire, se sont distingués dès ce moment-là par le fait de ne pas expliquer, et de frapper au hasard, c’est-à-dire de risquer de tuer des alliés potentiels des terroristes affichés, en refusant la question de savoir qui allait mourir. Comme je me suis moi-même posé, il y a longtemps, la question d’utiliser cette façon de se battre, j’avoue que je n’aurais pas bombardé le World Trade Center parce que je pouvais moi-même, pour une raison ou pour une autre m’y trouver un jour comme ce 11 septembre, et par conséquent, quelques-uns de mes alliés ; et j’aurais eu plus de regret et de honte de voir disparaître le moindre de ceux-là que de joie à massacrer tous mes ennemis anonymes ; et pour les martyrs du 11 septembre, s’ils avaient tué par accident un de leurs amis, ou un de leurs frères, il n’est pas douteux qu’ils auraient pensé que celui-ci serait mort hors de la dignité – si la dignité était bien ce qu’ils visaient –, et même apparemment comme ennemi de la dignité ; mais nous avons de bonnes raisons de croire, quelle que soit la thèse retenue, que ce ne sont pas les martyrs qui ont décidé qui allait mourir ; et si les martyrs n’ont pas décidé, ce n’est en aucun cas leur dignité qui était en jeu, mais au mieux l’image de leur dignité, ce qui est bien différent. C’est parce qu’il me semble que les commanditaires ne craignaient pas d’avoir de comptes à rendre à leurs frères et amis qu’il pourrait plutôt s’agir d’un Etat. Mais j’avoue que la zone grise entre ces deux filières terroristes des dernières années s’est épaissie, et qu’il ne s’agit pas là d’une preuve.

Ce que je sais par contre, c’est que les commanditaires de l’attentat se sont adressés à l’information dominante. C’était elle la destinataire du coup, pour la simple raison qu’un coup terroriste aujourd’hui, quels que soient sa raison et son but, son commanditaire et son exécuteur, son lieu dans le monde, et son moment dans le quotidien, ne vaut qu’en proportion du volume de sa médiatisation. Je suis même prêt à soutenir que ce serait une grave faute de ne pas préparer les médias, pour bien s’assurer et du volume et de la pertinence du contenu de ce qui en est rendu public ; c’est là une question au moins aussi importante, et qui semble aujourd’hui encore plus impérative que la question de qui doit mourir. Les seuls à ne pas se demander avant comment on en parle après sont les spectateurs ; et généralement, ils supposent que les terroristes n’ont même pas pensé, comme eux, aux conséquences, et n’ont donc pas agi en tentant de calculer les conséquences, ce qui est la moindre des choses. C’est donc une absurdité de penser aujourd’hui que l’on viserait un Etat, ou une forme de société, par un attentat terroriste. On vise une place sur la tribune. Et quand on vise une place dans les médias, on fait l’inverse d’une critique de ces médias, on les soutient, non, on les courtise, on les dope pour qu’ils soient plus forts. On bouffe littéralement des parts de « une », et ce sont donc avec les autres usufruitiers des unes que les terroristes sont en concurrence. Le péril pour le terrorisme est là : il prend la place de quelqu’un d’autre, qui a aussi beaucoup investi et qui s’est beaucoup battu pour cette place. Voir dans un attentat terroriste autre chose qu’une participation à la société en place, par un moyen seulement différent, comme aurait dit Clausewitz, c’est vivre encore au siècle dernier. Si quelqu’un voulait me convaincre, entre la thèse des terroristes de la dignité et celle du coup monté par l’Etat, d’un attentat préparé et exécuté par l’information, c’est de ce côté-là que je prêterais le plus volontiers mon oreille.

Je révise donc ma thèse du cui prodest. Oui, c’est l’information dominante qui a le plus profité du coup du 11 septembre. Et il me paraît donc peu probable que le discours qui devait être tenu, sur un coup aussi gros, se soit seulement improvisé post festum, et qu’il se soit unifié universellement aussi vite, sans avoir été préparé au préalable, avec les professionnels de ce poste de commande de la middleclass. Je n’ai aucune preuve, mais la seule logique me fait penser qu’il y avait donc des initiés, et pas seulement islamiques, et pas seulement hommes d’Etat, et pas seulement policiers au sens services secrets.

En tout cas, ce qui est ridicule avec Voyer, c’est qu’à aucun moment il ne s’interroge sur l’intégrité de l’information sur ce coup. Voyer, il est vrai, n’a jamais su ce qu’est un événement. Comme la plupart des gauchistes et des prositus, les événements pour lui se sont arrêtés quelque part entre 1968 et 1975. Depuis, tout ce qu’il sait du monde, c’est ce qu’il gobe au hasard de sa télé, ou des coups de fil de Nabe. C’est-à-dire qu’il partage du monde dans lequel nous vivons la vision dominante, spectaculaire, pour dire comme Debord. Il est comme l’écrasante majorité des pauvres dépourvu du sens de l’histoire. Ce qui différencie d’ailleurs Debord de ses suivistes, comme Voyer, c’est le sens de l’histoire. Pour expliquer cette déficience assez crasse, il faut rappeler que Voyer, doué pour l’envolée, a toujours été très faible dans la critique. On l’a vu avec Hegel, Debord et les téléologues. Il pique une phrase, parfois il la truque à sa convenance, en tout cas il l’isole de tout contexte, et la décortique jusqu’à l’affabulation. La bouillie qui en sort est inepte. Et par rapport aux critiques qu’il avait lui-même méritées dans sa jeunesse quadra aux envolées vertigineuses, il n’est pas seulement très faible, il est nul. Il leur oppose un silence de mort, son long cou gracile enfoncé dans le sable, son cul plumé tendu vers l’impatience.

Mais cette attitude de gober en bloc le spectacle du 11 septembre n’est pas seulement une grosse connerie de naïf vieillard émerveillé par des images. C’est une nécessité pour la thèse de Voyer dont l’ambitieux horizon est de vouloir outrer, à peu de frais, son public gauchiste, par exemple en soutenant que les contestataires d’aujourd’hui ne sont plus les gauchistes, mais des religieux roulés dans un archaïsme saupoudré du courage panurgien pour le sacrifice. Il n’est pas question pour lui de commencer à balbutier des « je ne sais pas », des « j’hésite », des « examinons de manière critique notre seule source, la télé ». Non, il balaye tout ça d’un coup de Nabe, qu’il cite : « Cet événement est sans doute le seul qui n’aura pas été truqué, de par le monde. » Malheureusement, ni Nabe ni Voyer n’apporte aucune preuve à cette thèse. Mais de donner dans une telle extrémité qui singe la limpidité est un vieux truc de bonimenteur pour mettre hors de question le point le plus faible, parce que celui qui conditionne les autres, du boniment. En affirmant que la chose la plus invraisemblable est la seule chose sûre, on espère la mettre à l’abri de la vérification.

Une petite parenthèse sur Nabe, dont j’ai également échoué à lire en entier (deux tiers, ouf, je suis un redoutable champion d’endurance) le premier livre de lui qui m’est tombé d’entre les mains : ‘J’enfonce le clou’, dit ce vantard limité. Nabe a exactement la même position sur le fait divers que Voyer, mais lui fait le polémiste, le journaliste antijournaliste, le publiciste du XIXe siècle (qui prend soin de payer tribut à tous les petits gadgets d’aujourd’hui pour prouver qu’il est moderne) alors que Voyer voudrait passer pour le néophilosophe qui scandalise. Leur but est là, scandaliser. Nabe, cependant, écrit mieux que Voyer, au moins c’est fluide, et les petites trouvailles littéraires sont balancées en passant, pas avec trois spots de couleurs différentes sous lesquelles elles fondent en puant chez Voyer. Mais si Voyer est un prétentieux ennuyeux, Nabe est un littérateur chiant. Vulgaire, tout le temps au bord de l’exclamation, il se vautre dans ce qu’il rejette, tout comme Voyer, et il approuve tout ce dont l’information dominante feint de se scandaliser, tout comme Voyer. Mais l’un et l’autre se situent bien à l’intérieur de ce spectre. Ils obéissent sagement à l’ordre et au volume des faits divers, ils n’ont pas assez de caractère, et pas assez de méthode, pour comprendre les faits et pour faire la part des choses entre le spectacle des faits, merci Debord, et les faits eux-mêmes. Donc ils plongent, comme tous les gogos.

A l’intérieur de Gogoland, leur vraie patrie – parce qu’ils sont non seulement eux-mêmes de gros gogos, mais surtout ils sont constamment à la pêche au gogo, ce sont des bonimenteurs, ils tapent le client, et si Nabe en survit, Voyer en espère la gloire –, à l’intérieur de ce pays si développé de nos jours donc, ces deux tours jumelles décident qu’elles prendront le contre-pied de tous les autres gogos. Car sinon on ne les verrait pas. Ils mettent la lumière le jour et éteignent la nuit. Ils applaudissent tout ce qui est honni par les braves gens, et mettent les restes d’une verve bien usée, en tout cas pour Voyer, à épater par de simples écarts verbeux, radicaux pour le territoire intérieur de Gogoland. Ils sont le Gogoland d’opposition, la bonne pensée officieuse, la secte des bien-comprenants, le néosophisme criard et démuni.

Que le 11 septembre ait été commandité par un réseau islamiste, ou par un service secret, ce sont là, pour moi Jean-Pierre Voussa, mes ennemis en compétition, qui tuent sans respecter la vie de leurs propres alliés ou des miens. Il y a une division dans le camp ennemi. Elle a pour but de nous diviser. Ce n’est pas une stratégie très nouvelle. La division entre sunnites et chiites a pérennisé l’islam, la division entre catholiques et protestants avait sauvé le christianisme, et la division entre capitalisme et léninisme avait sauvé le monde de la gestion. Pour ces deux premières divisions, je l’ignore, mais pour la division spectaculaire entre capitalisme et marxisme-léninisme, puis stalinisme, j’ai une théorie sur la façon dont elle s’est constituée : ce sont les deux ailes d’une contre-révolution qui se sont déployées ainsi, la contre-révolution russe, et il s’agissait de diviser les pauvres à travers une dispute qui ne leur appartenait pas. Depuis, il y a eu la révolution iranienne. Au cours de son passage rapide, elle avait dissous cette division issue de la contre-révolution russe, droite contre gauche ; dans le Gogoland actuel, on a même oublié que c’est la révolte qui a fait tomber le « Mur », et pour comprendre on s’interroge sur la personnalité de Urbi et Gorby comme Naby s’interroge sur la personnalité de Dutroux, de Duchemin et de Dieudonné. C’est parce que la révolte fait tomber leurs murs – événement ! – que les gestionnaires actuels ressentent, eux, à défaut de savoir ce qu’est un événement, qu’ils ont besoin d’un monde divisé. La division qu’ils nous fabriquent est celle entre la gestion occidentale, capitalisme ayant intégré le lénino-stalinisme d’un côté, j’ai nommé l’US defender vieil-européen, et la contre-révolution iranienne de l’autre, j’ai nommé le challenger néo-islamique. Même à l’époque où la révolution iranienne avait lieu en Iran, Voyer n’avait pas compris que la religion, dont il s’émerveillait qu’elle revienne, était le parti de la contre-révolution, l’équivalent du parti bolchevique pour l’Iran, non pas le parti traditionnel et ultra-conservateur de la contre-révolution, mais le parti ultra-moderniste, chic et choc de la contre-révolution. Ce parti est aujourd’hui benladenisé (laden veut dire charger en allemand) par, d’un côté Bush, Blair, et les intellectuels français qui ont réussi une carrière, et de l’autre Al-Qaida, et les intellectuels français qui n’ont pas réussi et qui sont revanchards, Voyer aimerait bien trouver là un petit trône, mais il n’est pas le seul. Voyer rejoignant la cause des terroristes islamiques, c’est comme ces intellectuels de gauche rejoignant Staline après 1945. On prend parti dans les disputes des gestionnaires, on accepte leur ligne de partage, alors que rien ne nous y oblige, et comme on est dans le rôle du challenger sur son marché d’intellectuel raté, du néophilosophe, du théoricien de la résignation, on prend simplement le parti de l’opposition officielle.

Sautons maintenant à la conclusion de Voyer, elle est courte, heureusement :

« Conclusion. Le soir du 11 septembre, j’ai pensé : le monde est attaqué et non l’Amérique est attaquée. Voilà pourquoi, ce 11 septembre au soir, j’ai débouché le champagne (c’est la seule chose que j’apprécie dans l’épicerie). Cela je le savais dès le 11 septembre. Cependant ça n’a pas été facile de le dire, c’est-à-dire de le savoir effectivement. Il y a loin de la coupe au lèvres. Il y a loin du sentiment à l’idée. C’est pourquoi je dis : bien que tout ce qui est dit ne soit pas idée (loin de là hélas), seul est idée ce qui peut être dit ; et, bien que tout ce qui est dit ne soit pas savoir, seul est su ce qui peut être dit. »

Il est remarquable que ce Voyer juge toujours tout le monde, et chacun, mais sans jamais se situer lui-même par rapport à ces jugements à la louche. Il ne dit pas s’il est lui-même mécréant, ou croyant, ou autre chose. Trop prudent. Tout le monde est esclave sauf quelques riches, mais il ne reconnaît pas lui-même qu’il est esclave ou riche. Trop lâche. Cette pose d’être au-dessus, ce fat qui adore donner des « leçons », il l’a seulement imitée, sans le savoir, du professorat d’un autre âge où le « maître » était personnage de Molière. Mais quand il nous livre les confidences de ce qu’il a pensé, alors nous pouvons situer un pareil débris ampoulé, sans difficulté.

Ce qui a été attaqué, et ce que Voyer a tout de suite compris devant sa télé, ce n’est pas le monde, mais le monde de Voyer. Le 11 septembre est un fait divers, pas un événement historique qui est débat de l’humanité sur l’humanité. Mais c’est un événement de l’histoire de la gestion ou, si l’on veut, c’est dans le petit monde de la gestion que le 11 septembre est un événement. L’ennemi a intérêt à vouloir faire croire que ce qui est un événement historique pour lui est un événement historique pour tous. Mais l’histoire n’est pas l’histoire de l’ennemi, le monde n’est pas le monde de la gestion. Le mien de monde n’a pas été attaqué le 11 septembre : c’est seulement le monde de la gestion qui a mené une opération de police préventive, une division spectaculaire pour recruter du gogo, toi comme GI en Iraq, toi comme kamikaze en Iraq aussi, en conséquence toi comme votant dans les élections de ton Bush, toi comme claque dans la secte voyériste, il a réussi un show paralysant pour les pauvres, sommés de choisir un camp, qui n’est pas le leur. Le monde de Voyer est le monde de l’ennemi, dans lequel Voyer rêve d’être enfin reconnu. C’est pourquoi il choisit son camp avec cette espèce de frétillement faux et d’affectation provoc qui caractérise tous les trouducs. En un clin d’œil, l’arriviste empêché a calculé que la division du monde ennemi pouvait lui offrir sa carrière au-delà : entre le néo-islam et l’extrême droite il y a encore quelques places libres. Cette liberté, cependant, ne les rend pas moins honteuses. Mais pour faire mousser, pour dissimuler la honte de cette opposition, il faut que le monde ennemi soit élargi au monde, devienne le monde, que tout le monde se rallie à ses thèmes avariés et à ses disputes de gestionnaires.

Pour ce qui suit l’italique de la conclusion, on voit tout le mal que s’est donné Voyer et à quel point il n’est que formel : petits hyurk hyurk prétentieux dans une parenthèse qui doit dédramatiser la conclusion, et longue digression stupide, triviale et m’as-tu-vu pour faire néophilosophe. Le dernier bout de phrase en particulier signe le pédant et le sophiste : « seul est su ce qui peut être dit ». Non. Voyer ne sait pas ce qu’est le savoir, de Vico à Gadamer. Dans la ‘Diatribe’, il montre aussi qu’il ne sait pas non plus ce qu’est l’aliénation. Il ne sait pas ce qu’est un esclave. Il ne sait pas ce qu’est un événement. Il ne sait pas ce qu’est la réalité. Il ne sait pas ce qu’est une croyance, un miracle, le monde actuel, le spectacle, la foi, la confiance. Il ne sait pas ce qu’est la communication, dont la notion a quelque peu changé depuis vingt-cinq ans qu’il est vieux. Mais il parle de tout cela du haut d’un ricanement aigu et uniquement moral, vive la dignité à bas le nihilisme, à bas l’argent, comme s’il savait. Initialement, je voulais montrer sur ces points qu’il ne s’agit que d’un cabotin, que d’un faiseur, que d’une espèce de rédacteur concepteur uniquement à la recherche de l’épate, zéro sincérité. Mais poser ces thèmes dans leur décor, ne serait-ce que pour éclairer leur sens, est un hommage que cet auteur si bidon n’a pas su mériter. Laissons donc à cet idéologue de l’opposition officielle, gauchiste mal repenti, la pose de l’intellectuel rallié. Il l’a méritée.

La diatribe de Voyer est bien la diatribe d’un fanatoc.

 



 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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