l e  l a s e r  a z u r é  

 

 

 
         
         

 

    S

                2008

             
             
             
             
             
      Note   16      
     

Bile

     
             
             
             
             
             
             
             
     

Quel est le sens de la tendresse dont tu ornais tous les messages déjà si brefs de la semaine dernière ? N’est-ce pas comme tes « je t’aime » il y a vingt cinq ans ?

Que signifie quand tu me dis le 20 octobre, « je pense à toi. Vraiment », et que le 25 tu dis

Je ne partirais jamais avec toi
Je n’aurais jamais de projet avec toi
Ta présence me coûte
Noli me tangere

Comment associer que le jeudi tu m’écris « je t’embrasse fort », alors que le vendredi, sans qu’aucun incident se soit produit entre ces deux événements, tu refuses même le baiser du salut ?

Où est le fil que tu disais tenir ?

Quand tu m’enjoins d’écouter le silence, et de taire mon anxiété, pourquoi ai-je raison de suivre ton conseil ?

Ta courtoisie ne vaut que lorsque tu vas vers l’autre. Mais dès que tu te retires, tu retires la politesse, l’estime, le respect : tu n’accuses même plus réception de mes messages, alors qu’un Patrick, qu’un Hans (pourtant traître et lâche celui-là), recueille toutes les marques dont je suis privé. Quand je suis venu chez toi, tu n’avais plus rien fait, plus rien préparé, contrairement à toutes les fois précédentes, signe que je connais d’autrefois.

Ta générosité ne vaut pareillement que dans le sens ascendant. Mais elle se dément complètement dans le sens descendant. Sauvernier t’as retiré tous les cadeaux matériels qu’il t’avait fait. Tu as fait mieux que l’imiter : tu as retiré, la douceur, la complicité, la faveur, et surtout l’espoir. Tout cela tu me l’avais donné, tout cela tu l’as repris.

Ta sensibilité est aussi restée dans la montée de notre relation, ou évadée vers d’autres destinataires, qui subiront le même revers. Qu’importe ma souffrance au moment où tu te détournes de moi. Là, la souffrance d’une vieille tante qui a poussé jusqu’à cette inévitable sanction du corps, une vie qui t’agrée dans son intermittence, t’intéresse bien davantage que celle que tu causes de ta propre cruauté actuelle, jour après jour. Cruauté, non, car cruauté est consciente ; brutalité, est mieux adaptée, parce que là où tu fais mal, c’est là où tu ne regardes pas, refusant de regarder, insensibilisée par le déplacement de ton caprice.

Ton courage ne se soutient pas non plus dans ces abandons. Car tu n’oses plus regarder l’autre en face, spectacle dont tu es le metteur en scène, mais dont le malheur ne peut se conjuguer avec ton cœur quand il est devenu dur et lisse. Quand tu fuis ainsi le malheur que tu laisses sur ta trace, tu veux fuir aussi la responsabilité de ce malheur.

L’absence de courage que tu m’as reproché quand je n’ai pas pris un appartement, seul, pour t’y attendre est aussi une sorte d’exigence superficielle et irresponsable. Car au moment même où je t’en parlais, je savais bien que, si j’avais pris un appartement ainsi, tu me l’aurais reproché comme étant un poids, et une attaque contre toi : pression, chantage intolérable, « tu m’éééétouououffffffe », auraient été ta sanction de cet acte.

Ce n’est pas ton intelligence qui a le plus progressé en un quart de siècle. Tes jugements sont presque toujours faux. Certaines de tes conceptions sont si courtes, que j’en suis gêné : ta prise de position sur l’hygiène par exemple n’a évité le débat que parce qu’elle était consternante ; et je passe sur l’indigence de tes opinions quant au meurtre, ou au viol. Tes raisonnements sont peu étayés d’arguments, et ceux-ci sont souvent lourds, et grossiers. Tu peines visiblement à former des idées. Ton écoute ne dure que jusqu’à ce que tu formes un début de réponse ; mais quand tu formes un début de réponse, tu n’écoutes plus la suite. Ce qui fait que ta réponse est souvent à côté, et ne vit que de la véhémence et de l’assurance, mais non du fond de la question. Du reste, les questions abstraites t’embarrassent, et les idées, surtout celles que tu entends pour la première fois, ne sont que perçues, et alors, en général comme un corps étranger que tu es incapable de digérer. Tu les vomis. C’est dans la colère que tu exprimes la grossièreté de ton intelligence : amalgames, procès d’intention, extrapolations délirantes. La tentative de dresser un parallèle entre ce qui se passe entre Agnès et moi, et entre moi et toi concentre ces approximations, cet oubli de sa propre ignorance, et cette véhémence qui seule semble pouvoir suppléer à autant de lacunes.

     
             
             
             
             
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