l e  l a s e r  a z u r é  

 

 

 
         
         

 

    S

                2008

             
             
             
             
             
      Note   17      
     

Sexe

     
             
             
             
             
             
             
             
     

Ton petit cul épicé me manque. Tes fesses si douces et si sensibles, surtout, si pleines et si désirantes, comme si elles avaient une réflexion propre.

Tes seins sont les seuls seins qui m’attirent prodigieusement. L’image la plus forte que j’en ai est la forme abrupte qu’elles laissent transparaître à travers un vêtement très collé qui épouse la concavité merveilleuse de ton ventre. Leur vie est un horizon dont je ne vois pas l’étendue. La fournaise voluptueuse du sein gauche, triomphant, éclaboussant d’ardeur sous tes soubresauts, orgueilleux, vivace qui crie et commande, aux têtes les plus hautes. La tristesse feutrée de ton sein droit, étale, palpitant qui murmure presque ses longues jouissances parfumées.

Je connais si peu ton corps : je n’ai pas encore vraiment joué avec tes orifices, je n’ai pas encore cerné, dans le plaisir, les variations intenses et si multiples de ton clitoris, et je n’ai pas encore exploré les vagues et les ondes, l’halètement et les convulsions de ton vagin. Je n’ai pas donné encore à la sensibilité de ton anus, les vivacités palpitantes et les soubresauts de tendresse que tu mérites. Seule ta bouche, je la connais déjà un peu. J’ai entamé un jeu au long terme avec ton corps majestueux, et nous voilà interrompus, aux prémices.

Je ne suis pas accro à toi parce que j’ai été dans ton lit. J’ai été dans ton lit parce que je suis accro à toi.

Pour moi le sexe n’est pas très important, c’est vrai. Il est contenu dans quelque chose d’autre. En 1982, c’était le voyage vertigineux dans lequel tu m’avais convié sans le savoir ; il en était la palpitation. Brusques détentes, arrêts sur les hauts plateaux, gémissements de montagnes russes. En 2008, il est une des grandes îles, escarpées et compliquées de l’océan de tendresse qui déferle en moi.

Entre ta capacité hors norme à jouir, et mon impuissance, il y avait une balance invraisemblable, aussi étrange que toute notre rencontre, depuis trente cinq ans.

Dans ton plaisir, il y avait deux choses qui me ravissaient : d’abord c’était quelque chose de nouveau, que tu ne portais en toi en 1982, une superbe extension de ta magnificence. Ensuite, c’est l’expression la plus aboutie de ta personne, de ta personnalité, de cette immense prodigalité qui t’habille si serrée que tu oublies quelle beauté et quelle ardeur tu transpires, à tout moment. Mais dans le sexe, tu sais exprimer de la démesure, qui reste pourtant harmonieuse, et ta violence tant teintée de douceur, s’épanouit autant que le jeu le permet.

Il reste, pour moi, que si cette capacité-là, immense, pouvait se transposer dans quelque chose qui ne s’évanouisse pas dans une satisfaction immédiate et partielle, tu donnerais toute la mesure de ce que je continue à croire être du génie.

Mon but est de te donner du plaisir, à toi. Mon plaisir est fort peu important. Je veux te donner du plaisir parce que ma tendresse passe par là ; et parce que, dans le passé, je t’ai fait du mal, et que le plaisir que je veux te donner, ma culpabilité te le doit, à une hauteur que je ne pourrais jamais atteindre. Singulièrement, cette priorité absolue de ton plaisir, entre nous, a permis un équilibre de circonstance.

Cet équilibre est lui-même paradoxal. Plus notre jeu avance, plus c’est moi qui contrôlais tout, parce que tu ne faisais rien que prendre, et te perdre dans la jouissance. Je faisais tout, non sans réfléchir, dans ce que ma tendresse permettait. La dernière nuit, puis journée où nous nous sommes touchés, en particulier, a accentué un rapport de domination, dans le sexe, que tu as si bien su résumer : dans le sexe, la liberté est que les hiérarchies extérieures n’ont plus cours. Notre hiérarchie, où tu domines si complètement notre relation, s’était inversée, paradoxalement, dans le sexe.

Le non qui dit oui, le viol consenti, le fait de t’attacher, j’étais contre. Mais je crois que cette vague de fantasmes est profonde en toi, bien au-delà du personnage trouble que j’endosse difficilement, et que par elle tu m’ouvrais à des profondeurs qui étaient une grande marque de confiance. C’est pourquoi j’ai agréé à ce jeu. Contrairement à ce que j’ai pensé au départ, il peut ne pas entrer en conflit avec ma tendresse si grande pour toi.

Je ne sais pas quelle est l’importance pour toi de la pénétration. Est-ce que c’est quelque chose de nécessaire, physiquement pour toi, ou, finalement, comme j’ai cru le sentir, quelque chose d’essentiellement conventionnel, un plaisir parmi d’autres. Car j’ai l’impression que dans ton plaisir, tu te détaches de l’autre, oui, j’ai l’impression même que ce décollage te permet d’atteindre le plaisir. Il m’a semblé que c’était un acte que tu retranchais de l’autre, et ce retranchement même, l’exclusivité que tu atteignais alors, contribuait fortement à propulser ton plaisir, comme si c’était une libération par rapport à l’autre, un cachet majuscule de ton indépendance tout au fond de la dépendance.

Mais cette ouverture t’engageait, ma chérie. La peur de l’addiction par le sexe ne vaut pas pour moi, mais bien pour toi. C’est toi qui étais en danger d’addiction, pas moi qui suis accro à toi depuis si longtemps. L’addiction par le sexe tu l’as connue, et tu la crains. Sur ce point si essentiel pour toi, tu es si faible. Et je comprends ton inquiétude, surtout avec quelqu’un comme moi, que tu ne désires pas.

Avec moi, l’addiction devenait d’autant plus périlleuse, que c’est moi qui contrôlais, de plus en plus, ce territoire commun. C’est moi, qui n’étais pas accro à ce jeu, mais qui l’approuvais comme forme particulière et extrême de la tendresse, qui avais les clés des menottes qui sont sous ton lit. Toi, tu n’avais qu’une seule possibilité dans ce jeu, où tu as laissé ta passivité gouverner, quoique même cette passivité commençait à se démentir, la dernière fois. C’était le non, la négation, le refus. Comme dans notre relation en général, tu restais derrière la guérite, avec ton droit de veto absolu, ton droit est absolu, ton veto aussi. C’est pourquoi je déteste et méprise le droit : il instaure des absolus.

Ton plaisir m’enchante toujours. Pourtant, il est égoïste, frappé, heurté, parfois même sec et dur, arraché, étouffé. Mais il y a aussi autre chose : c’est un plaisir qui est noble, souple, glissé, ondoyant, inépuisable, c’est un plaisir intelligent, qui connaît et goûte sans retenue sa saveur. Le plaisir que j’ai connu de toi, le grand cadeau que tu m’as fait de permettre que je t’y assiste, m’a aussi convaincu que je n’étais qu’au début d’une découverte immense. Car je n’avais pas encore commencé à former, à sculpter ce plaisir, et je pense qu’il est très bien disposé à se mouvoir vers d’autres horizons, dans des jeux de l’esprit, par exemple, ou dans des constructions en dur, pourvu que tu aies confiance. Je voulais te voir pleurer de plaisir, rire de plaisir, vibrer longtemps, lentement, installer des couleurs, moudre des torpeurs, éclaircir ton cri, gicler, inonder, hypnotiser, faire durer, ouvrir des refuges, mixer des parfums, t’initier à des goûts, briser des barrières, te couvrir de rosées, jusqu’à ce que mon supplice rejoigne le tien.

Mais déjà, j’ai vu ton regard lorsqu’il revient de ce lointain territoire qui n’appartient qu’à toi, au carrefour où il m’avait quitté. Et ce regard, ma Sophie, j’ai su en me lovant dans cette immensité chavirée, qu’on ne peut mieux trouver. L’empire que tu ouvres est tout ce qui vaut d’être vécu.

     
             
             
             
             
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