l e  l a s e r  a z u r é  

 

 

 
         
         

 

Sophie

    1982 - Trois mois

             
             
             
             
             
      I Printemps 1982      
             
             
             
             
             
             
             
             
      11. Mai
 

L’impression qui résume le deuxième tiers de mai, est celle d’une toupie : le mouvement centrifuge s’agrandit dans l’augmentation de la vitesse circulaire, ce qui permet de se tenir raide et droit et c’est la perte de contrôle de l’introspection. Avec Sophie, nos rencontres étaient dominées par le rire, bien que j’ai été très vite incapable de dire de quoi nous riions, et ce rire de toupie, sifflant et cascadant, jouait dans cette courte période le rôle de vestige ou de poste avancé, de décalage en tout cas, parce qu’aucun moment que j’aie connu avec elle ne me paraît plus contraire au rire que celui dont je me suis aperçu, post festum, que nous riions tout le temps. La tension éclatait ainsi dans ces soubresauts ventraux, dans ces défigurations irrépressibles du visage qui se terminaient parfois dans les larmes ; que le rire occupait tant de place dans nos dialogues et nos embarras, dans nos découvertes et dans nos retours en nous, dans l’aménagement de l’aliénation par la destruction impitoyable et les reconstructions sauvages, je m’en étais fait la réflexion très peu de temps après, heureusement, parce que comme le rire était une pause, une façon de différer, je ne me serais jamais souvenu de la présence de cette joie sèche, qui allait du dégorgé le plus bruyant au relâchement calculé du plus fin sourire à peine élargi dans un son.

Ah si, une fois, nous étions partis d’un cinéma avant la fin, c’était un film muet, je ne me rappelle plus lequel, qui était si mauvais, que nous persiflions en brusques moqueries de plus en plus désobligeantes, si bien que nos voisins s’énervèrent, ce que nous aggravions en leur demandant en quoi nous les privions de quoi que ce soit, puisque le film était muet ; nous sommes peut-être sortis, complices dans nos secousses, avant d’avoir à nous défendre. En riant moins, nous étions également aller voir un autre film au Grand Rex, boulevard Poissonnière, mais le ridicule était là aussi, dans cette salle immense et déserte, ou défilait un Maigret, pas des meilleurs. Et plus qu’au cinéma nous allions dans des restaurants, et plus qu’au restaurant dans d’innombrables bistrots, si bien que quelques années plus tard, je songeai à écrire un guide des cafés que nous avions fréquentés. Mais nous marchions aussi pour nous parler côte à côte, pour varier les décors, pour espérer des découvertes urbaines, qui appartenaient aux illusions de notre âge et de cette époque. Ainsi, un longue promenade nous avait fait visiter le quartier Popincourt, que je ne connaissais pas, mais l’errance de nos paroles, je crois, nous avait fait demander, chacun à part soi, pourquoi l’autre l’avait entraîné dans cette dérive sans ligne de flottaison ; et j’ai dû regretter, sans trop l’avouer, l’occasion passée d’être dans un jeu plus vibrant, sur la couche défoncée que de toutes les literies de ma vie, j’ai préféré de très loin.

Notre sérieux l’était d’autant plus qu’il était invisible dans nos gestes et dans nos actes apparents. Pourtant, de petites touches venues de gouffres innommables alourdissaient nos regards, ralentissaient la caresse d’une cuisse, apposaient un soupçon de solennité au désir matinal. Tout incapable que je demeurais de construire une perspective au-delà de l’intervalle (Rome était alors un nuage en feu au-dessus d’un horizon perdu, une sublimation fantasmagorique, la vérité terrible quand elle ne tient sa substance que d’une croyance intimidée), tout immodérés qu’étaient mes jugements injustes et mes emportements solitaires dans la cruauté des absences de Sophie, et tout inconsidérés qu’étaient ces rugissements épuisants et entiers vers elle, je sentais une fine ligne se tracer inexorablement entre nous, noire dans le gris, et transcendant toutes les expériences du temps que je connaissais, moi au goût si prononcé pour les mesures qui commencent dans la tourbe du quotidien et percent la fine couche qui se constitue en histoire.

Cette perception contrastée de l’invariance et de la mobilité extrême, d’une lenteur inexorable, de la menace invisible, me venait évidemment de Sophie. Je la sentais, elle, distinctement dans un mouvement de balancier d’une violence bien plus grande que celle qui jaillissait des doutes, des terreurs, des attaques acides de mes intervalles qui étaient les siens, comme proportionnés à la dimension extraordinaire que je me figurais être celle de son cœur. Le mouvement de la toupie en était au moment où, tour à tour, les deux bords de la jupe touchent le plan où tourne la pointe, juste avant la décision, moment de crise où le goût du jeu et la griserie peuvent retrouver à nouveau une rotation unie autour d’un nouvel axe, à nouveau vertical, ou bien le jeu cesse dans un glissement puissant, qui propulse la toupie, parfois au-delà du plan. Je ne pouvais pas m’empêcher d’être ravi par sa façon singulière d’envisager le choix, comme par tout ce que je découvrais de nouveau en elle : il y avait à la fois de la fermeté et de l’hésitation, de la douceur et de l’acier et, dans le cours de la réflexion silencieuse qui émanait d’elle sans indice, une grande justesse, comme dans les rares décisions dans la vie où l’on sait confusément qu’il faut abdiquer tous les artifices, non seulement pour élever cette décision au-delà de la futilité habituelle, mais aussi parce que nos indulgences avec nous-mêmes sont à ce moment-là devenues des obstacles, conspirant à nous tromper ; et ses lourds mouvements d’un extrême à l’autre n’étaient que l’écho du rythme puissant de son cœur indécis, et la ligne noire qui se dessinait sans fioriture dans le gris argenté était une ombre soucieuse qui tranchait son univers de décor en trompe-l’œil, avec la conviction irrémédiable que seul a l’irréversible, cet ennemi du possible, ce principe de la réalité.

Je m’étonne encore de la calme certitude avec laquelle ma lucidité observait cette progression dissimulée de la décision la plus importante de toute ma vie et de toute ma pensée, dont le plan même allait bien au-delà des limites si courtes que mon imagination débridée imposait à ma pratique, particulièrement tremblotante et retenue à cette époque ; et ceci d’autant plus que je suis bien convaincu que nous n’avons jamais parlé de ce paroxysme. Mais je connaissais partiellement les décisions que Sophie avait à prendre. Il devait y en avoir une par rapport à moi, maintenant. Mais même mon sort, comme on dit, ce choix-là, dépendait d’abord d’un autre, plus essentiel, par rapport à elle. L’ampleur de ce que j’éprouvais pour elle, qu’elle respirait par les jalousies entrouvertes de son être, avait produit ce sérieux qui nous avait gagné au point que rien n’était plus commun entre nous que le rire qui nettoyait les jalousies, et l’avait amenée, à son tour, au bord du précipice où j’avais plongé. Maintenant je peux assurer que ce précipice n’est pas celui des risques calculés, car on n’en connaît toujours pas le fond, ce qui rend le plongeon irréversible, et interdit toutes les perspectives au profit de fantasmes d’incendies néroniens, de triomphes symboliques, de sanctuaires divins, comme Rome, qui procurent au moins aux pérégrinations furieuses de la pensée trompée par l’obscurité sans fond des butoirs illusoires. Je reste persuadé que Sophie sentait, sinon savait, l’étendue de l’exigence, même si elle ne l’a jamais formulée. Mais, n’était-ce pas là tout ce qu’elle désirait ? Si, sans doute, le grand saut, mystique chez certains, entrée dans la guerre ou suicide chez les autres, ruée dans le marigot qu’on appelle ensuite l’amour pour la plupart, constitue la lumière du projet de vie, semi-officiel. Et Sophie, davantage que la plupart des autres, cherchait l’entrée de ce qui est à la fois considéré comme un paradis promis et un enfer garanti. Seulement, pour la plupart d’entre ceux, finalement assez peu nombreux, auxquels le choix se pose vraiment, les circonstances de ce choix le rendent méconnaissable. L’imagination, dans son alliance contre nature avec la volonté, nous avait promis un lit de fleurs, une apesanteur, et voilà qu’on est au bord d’une falaise, coupante, le ciel est gris, le ciel est gris, seulement coupé de cette impitoyable ligne noire en mouvement, aucun oiseau ne chante, et l’abîme où l’on doit s’abandonner dans une chute effrayante commence par le plus épais brouillard, épais brouillard. De même le guide, qui nous accompagne toujours dans ces rêves de joyeuse élévation, n’était plus visible à Sophie, elle ne voyait que ma main agitée qui dépassait de ce brouillard, car j’avais déjà sauté. Bien entendu, le fait que j’avais sauté, avant elle, devant elle, pour elle, était une invitation. Mais cette main, qui en attestait, était-elle davantage douce et protectrice, ou brûlante de fièvre, douloureuse de manque et avide d’un désir torturant ? Ma main, si chargée du grand projet qu’elle avait perdu toute dissimulation, allait-elle saisir Sophie avec la ferme autorité de la certitude et du savoir, ou l’arracher dans la violence de la gravité, qui m’entraînait vers le fond ?

Sophie sentait l’importance de la décision. Je pense même que le danger, si palpable, l’enhardissait. Les questions étaient faites pour être résolues. Mais il manquait la claire désignation des alternatives dans cette simplicité du choix. Il n’y avait pas une charpente concrète de mots entre le frisson de l’abîme et la chaleur dynamique du possible. De quoi était-il question, véritablement ? Quel était l’enjeu d’une tension aussi crue et pourtant aussi enveloppée ? Aussi, la dialectique depuis longtemps mise en place chez elle entre la gravité et la futilité, entre la décision rapide et sûre et l’arabesque dans son épuisement de formes, dans ses séductions glissées auxquelles elle s’abandonnait, reprit son empire et constitua son hésitation. Au bord du choix, elle s’imagina avec une autre toilette. Quand on a, comme elle, une grande malle de rêves et de désirs, et qu’on se trouve soudain devant le départ (qui peut être l’ultime départ : est-ce qu’il y a quelque chose après Rome ?) sans le moindre collier de perles, sans sa plus jolie robe, et sans cette fière clarté, depuis longtemps prévue pour la circonstance, d’annoncer au parterre ébloui « adieu, je saute », l’idée s’insinue que l’occasion se représentera, et que le bord de la falaise ne se dérobera pas, puisqu’on en connaît désormais l’adresse. Oui s’est-elle sans doute demandé, au moment où son goût du plaisir et de la vie avaient saisi la hache qui trancherait l’amarre du côté connu de la falaise, qu’est-ce que ce brouillard dont aucune projection, même les plus romantiques, n’avait averti, qu’en est-il de mes projets à moi, et pourquoi cette main qui dépasse tremble-t-elle tant ? Dans ce fond sans visibilité, peut-on devenir une star de cinéma ? Y avoir un enfant ? Et la perplexité et la difficulté de son choix augmentait encore lorsque, tournant à demi vers moi son visage à la beauté encore rehaussée par le sérieux et la grandeur de l’objet de son évaluation, elle ne voyait que l’éclat de rire de la rupture, nette comme une cassure de marbre.

Jamais Sophie ne m’a dit qu’elle m’aimait. Une seule fois elle s’en est approchée, et c’était dans cette période. Nous parlions de Rome où je projetais toujours tout ce que nous serions, non sans tenter d’en atténuer l’effrayant contenu en riant d’un fusible factice que j’y installais : « … et tels que je nous connais, nous ne dépasserons pas Mâcon ». Ainsi, quand les limites de ce qui est en jeu sont hors du prévisible, une prudence comme Mâcon est devenue par la suite entre nous un mot dangereux, un symbole chargé de déclinaisons orageuses et perfides, comme Charlotte l’avait été juste avant ; cette ville que je n’ai pas connue est devenue le symbole de l’inachevé, le contraste grotesque entre la petitesse de nos gestes quotidiens et l’immensité de nos projets, et ses syllabes mêmes se prêtaient à toutes les exégèses de mauvaise foi. Sophie comprenait mieux que personne que j’ai connu ces échelons dans la construction de pensée, et si parfois elle prétendait être réfractaire à ces détours, c’était souvent avec la coquetterie de montrer combien elle les maîtrisait, et combien son intelligence savait aussitôt leur accorder non seulement leur sens, mais aussi leur juste place. C’est pourquoi sa voix grave, retenue par le sérieux profond du moment, et accélérée par la brillance de son esprit, pleine d’une douceur suave mais fraîche énonça quelque prudent oracle, méprisant mon prudent détour mâconnais : « Si nous allons à Rome parce que je te l’ai promis, c’est que je t’aime » ou bien « Si je ne t’aimais pas, est-ce que tu ne le saurais pas déjà ? » ou encore « Si je te disais je t’aime, est-ce que tu pourrais l’entendre ? ». J’ai par la suite tellement voulu qu’elle eût dégagé ce mot de tout conditionnel que j’ai perdu le contexte véritable dans lequel elle l’avait glissé sous les restaurations et les éclairages obliques qui étaient si nécessaires à soutenir mes autres suppositions. Cette prudence à se déclarer était en même temps un effet caractéristique du champ de force entre nous, qui nous attirait et nous séparait, et que nous ne savions résoudre que dans l’étreinte ou le rire : elle, qui donnait à l’amour une signification large qui le transformait en ouverture, en socialité ample, en jeu tout en douceurs pétillantes et en dilatations faciles, elle qui « aimait » ses amants par définition et avec une sorte de volontariat élancé comme je l’ai su par la suite, avait avec moi, sur ce terrain si central de sa vie et de son imagination paresseuse et valseuse, une retenue et une prudence qui élevait ce verbe mythique au rang de promesse, d’exigence à la limite du visible, du respirable ; et moi, qui étais convaincu que l’amour est un vide habillé d’un mot, je lui ai affirmé à plusieurs reprises que je l’aimais, mais en utilisant le mot comme une convention, une phrase d’amant pour assouplir un matin ou pour exprimer une gratitude ou pour accompagner une caresse quand les yeux sont clos par l’enivrement du désir qui grimpe. Ainsi, chacun, maladroitement, tendait vers la conception de l’amour de l’autre, sans le savoir, et dans cette inversion de position qui était recherche et échec du cercle intime, passait cette énorme tension, cette somme de puissance conjuguée entre la vivacité si riche de Sophie et le désir incontrôlable qui déferlait sans répit sur les ruines de mes défenses.

Si le mot regret a un sens, c’est à ces dix jours de ma vie qu’il faudrait l’appliquer. Car au milieu de cette perte complète de nos repères, de mon équilibre physique ballotté entre les gouffres vertigineux des intervalles et les spirales exponentielles des rencontres, overdoses d’oxygène, le seul éclair de lucidité retentit encore en moi comme l’écho assourdi d’une cloche illuminant jadis, durablement, le terne orgueil des catholiques mystiques. J’avais soudain perçu qu’elle choisissait pour ou contre moi, au sens plein du terme. Et j’avais senti la douleur profonde de ce dilemme, parce qu’il était sincère chez cette femme chez qui la sincérité s’était tant rétractée en feintes et en dissimulations. Je la sentais buter à grands coups dans les parois de son avenir, si opaque, si intéressant. Je me souviens de la précision froide et douce avec laquelle ma tendresse un peu rigide s’est emparée de la considération que cette personne si capitale souffrait de ce croisement simple, de ce rétrécissement du jeu en obligation de choix et de la sensation partagée que ce choix était crucial. Et je me souviens que cette tendresse se répudiant, ou plutôt se grandissant dans une sorte de sacrifice me fit décider que je n’interviendrais pas, que je laisserais Sophie seule décider seule, que si elle venait me prendre la main, sauter enfin, elle le ferait comme je l’avais fait, un choix pesé, décisif, mais libre. Ce n’est pas cette chevalerie tout à fait vaine et ignorée surtout de Sophie que je regrette, car c’était la meilleure cangue à cette tendresse dont les débordements me faisaient si peur, et cette droiture simple et juste était aussi un moment exquis, retenant derrière une ligne blanche tous les frissons de l’abandon attendri, en un silence tellement plein de crainte et de respect, d’amitié et de compassion, qu’il avait même rabaissé tout l’orgueil de la solennité, un sommet de calme et de sang-froid, une maîtrise instantanée de l’anarchie de cette marée, non pas une pose dans un miroir, mais une halte dans une chute, qui oblige à s’observer ; ce que je regrette ici, c’est d’avoir projeté un parallélisme entre cet héroïsme forcé et l’attitude de Sophie. Je la voyais bien partir dans un isoloir, mais j’imaginais que ce recueillement serait pur, sans pollution, sans influences, sans tentations opposées, sans autres mains que la mienne qui, pendant cet instant de crainte profonde et d’espoir intense avait cessé de trembler.
 

Dans l’étrange mélange de banalités et de sincérité auquel me contraignent les limites de ma langue – pâte molle et imprécise, que mes mâchoires, sans renoncer jamais, ne parviennent pas à tailler en une expression fidèle et précise des flèches vertigineuses et des abattements colossaux, des idées grandioses ébréchées de rires pitoyables, et de cette sensation d’être tout près de tout, mi-chaleur dévorante, mi-froid moite – je vais aussi devoir parler du temps, si capricieux dans la durée, de ce mois de mai. Il y avait là des ralentissements de drogue, exprimant ces embouteillages de pensée, ses enchevêtrements de fils conducteurs, étouffant dans ces nœuds de désespoir qui font qu’on est étonné, dix-huit secondes après avoir regardé sa montre, de constater que non seulement on n’a toujours pas changé d’heure, mais pas même de minute ; il y avait aussi ces célèbres sauts, qu’on prête au qualitatif, aux quanta et à l’histoire : d’un coup violent, sans source déterminée, c’était une autre époque, des plateaux de complétude se succédaient, et la conscience dans sa bousculade pour rattraper un vase Qing puis un cendrier plein qui tombaient les uns après les autres au sortir de longs tremblements comme des tremblements de terre, la conscience, toujours en retard, prenait note affolée de ces étapes fermes et claires qui lui étaient imposées, incapable de les aligner dans la temporalité habituelle, cette sorte de jardin français qu’on embrasse d’un coup d’œil altier en sortant, le matin, du château de la certitude, et qui est notre maîtrise de l’habitude et du quotidien. S’il y a un rapport entre le temps et l’être, comme le veut Heidegger, le mois de mai 1982 affirmait que le temps dépend de l’être, si l’être est bien tout ce qui est pensée. Car, depuis que j’observe la marche du temps, je n’ai jamais vu un mois aussi décousu dans ses rythmes, comme si cette musicalité particulière dépendait des événements que je vivais, alors même que le monde décélérait, en fournissant les gros contreforts de la répression dans ce que j’ai appelé par la suite le cœur de la révolution en Iran, et qui avait lieu sur tous les continents, avec des fronts principaux en Iran même, en Amérique centrale, en Pologne et dans les banlieues anglaises.

Mais comme la recherche de ce moment, où j’avais perdu non l’esprit, mais la conscience, m’entraîne à évaluer des sommets et des souterrains, des rythmes qui nient la conscience, des constructions subjectives où je ne sais pas distinguer entre la subjectivité circonscrite dans ce lointain temps passé, et dans celui, plus allongé et plus appliqué, qui se laisse entraîner lors de l’observation actuelle, comme ma probité est à l’épreuve de l’éclatement que je tente de reconstituer, je ne peux pas faire mieux que de recourir à ces notes, que j’avais heureusement alors utilisées comme exutoires à ma fièvre, et malheureusement beaucoup trop peu. Elles m’ont permis de reconstruire une chronologie, qui mérite une confiance disons mesurée.

C’est donc le 7 mai, à 19 heures, que j’étais rentré, champagne, de ce long périple salarial dans le nord de la France. Comme si souvent, les épais duvets de la volupté, nuage opaque, respiration dense, ont siphonné la mémoire des petites aspérités de ces retrouvailles prolongées. Puisque le temps m’étonne, l’écart plein, enroulé, capiteux de ce vendredi soir à ce lundi 10 mai au matin, mérite d’être mentionné pour une seule particularité extraordinaire que je n’ai décelée que bien plus tard, bien sûr : ces soixante-deux heures sont la durée la plus longue, en temps consécutif, que j’ai passée avec Sophie de toute ma vie. Et encore : le seul moment certain de ce non-intervalle était un moment sans elle, où sans doute quelque part le samedi après-midi nous avions convenu de régler quelques urgences. Je me vois, comme dans un rêve absurde, à Montmartre, dans l’immeuble où habite Agnès et remplir sa boîte aux lettres jusqu’au bord, de Bêtises de Cambrai, que j’avais rapportées de là-bas. Je n’ai pas vu Agnès ces jours-là, j’en suis sûr. Mais la façon dont Sophie et moi avons peuplé ce moment record s’est éparpillé dans tous les autres moments, s’est fondu dans les galeries qui relient tout ce chapitre si particulier de l’intellect humain. Ainsi, ce moment si long ensemble, a été le plus court de tout ce mois si coriace, si désespérant, si intensément vécu que la durée, sans intérêt ni importance, me rappelait seulement que j’étais alourdi aussi d’une montre qui elle aussi frissonnait et se déformait, mais bien différemment que chez Dalí. Les soixante heures avec Sophie, moins celles des Bêtises, ont donc été une sorte de sommeil, aussi réparateur par le vide que je leur prête là, que destructeurs par le contenu que j’ai occulté, mais dont les traces sont tout ce qui suit, et une grande lampée de ce qui précède. Le lendemain, 11 mai, je notais ceci :
 

Conjectures. Rien n’est sûr. Je suis fatigué. Je ne veux pas admettre que tout ça est pour rien.

Chaque fois il devient plus dur de la dissuader de rompre. Mais chaque fois cela paraît aussi insensé. Situation neuve pour moi. Il y a longtemps que je n’ai plus d’amour-propre qu’une volonté tenace (fervente ?) d’arriver à un but incommunicable, auquel elle s’est fermée. Nos séparations s’allongent, elle le veut, elle n’a pas tort. Elle n’est plus une énigme, mais elle est incompréhensible, trop changeante une sorte de mobile avec un équilibre défensif. La souffrance commence à dominer, mais je n’ose pas envisager son amplification en cas de rupture, sans parler du regret.

Elle est fine, c’est sûr, elle est capable de distinguer, elle fait des différences partout, même là où ne se trouvaient que des nuances, mais est-elle intelligente ? J’en doute de plus en plus, sa capacité à abstraire n’est pas si grande et elle fuit (comme tant de gens) la compréhension pour y substituer la sensation. Elle tolère ses contradictions, ce qui est une grande cause d’immobilité. Moni est morte et Sophie est assez commune. Mais Sophie me tient, et pourquoi, et comment.

Elle refuse que je la change, alors que, comment lui refuserai-je de me changer puisque c’est ce que je veux. Quand la fatigue la déconcentre, elle perd sa finesse, elle se raccroche à la rupture avec une obstination irrationnelle. Elle m’aime, qu’est-ce que ça veut dire pour elle ? Si ça ne veut rien dire, elle ne l’avouera jamais sinon pourquoi veut-elle rompre ? Aimer peut-il être une débauche d’impuissance, comme la sienne ?

Je n’ai pas abandonné ma confiance en elle, mais elle l’ébranle beaucoup.
 

Je me souviens d’une soirée singulière, qui devait être celle de ce 11 mai. Après un intervalle court, depuis la veille au matin, je suis venu, le soir, à sa porte. Elle était fermée ! J’ai sonné, elle a aussitôt ouvert. Son regard oblique de bas en haut était direct, et plein d’une réflexion et d’une observation de mon état du moment, mais comme quelqu’un d’extérieur, sans hostilité, mais éloigné, peut-être même las. « Pas ce soir » me dit-elle. « Pourquoi ? » répondis-je avant même la jalousie. Elle hésita, ou réitéra, ou argumenta, et la jalousie était là. Elle ne me laissait pas entrer. Elle sentit comment mon désir allait libérer sa part de véhémence, mon hésitation, elle vit mon regard au-dessus de sa tête dans la profondeur du vestibule, elle avait posé, avec douceur, fraîcheur et rondeur du bras, sa main sur ma poitrine, geste ô combien défensif, mais qui pouvait être interprété comme une familiarité apaisante, non, complice. Le moment d’hésitation fut court, et vibrant. C’est elle qui le rompit : « Attends », me dit elle ; d’un geste coulé, elle se glissa en arrière, dans l’embrasure de la porte, et attrapa une veste, puis dans la continuité fluide de ces nouveaux arrondis amples, elle était entièrement sur le palier, et claquait sa propre porte, me prit par la main et murmura « viens, allons-nous-en ». Elle avait laissé allumé, et j’interprétai le murmure, sur le coup, pour ne pas rompre la stabilité précaire de l’inévitable amant que je soupçonnais dans la lumière. Nous sommes partis dans le noir, vers le Marais, pour nous arrêter dans un petit square désert, rue des Blancs-Manteaux, au milieu du bac à sable. Elle commença par me dire que ce n’était plus possible, qu’il fallait arrêter. Je voyais des masses noires à l’intérieur de mon cerveau qui s’abattaient sur moi. Mais peu à peu, ce qu’il fallait arrêter étaient nos rencontres habituelles et convenues, elle me raconta cet amant précédent qui ne voulait la voir que dans les hôtels, je ne sus pas pourquoi, elle supposait que c’était pour l’impersonnalité et la neutralité, je lui proposais d’aller dans un hôtel, elle rit, elle me regarda au milieu du bac à sable, « tu es un enfant », ce qui me fit peur comme à un enfant, je me mis à parler, ma voix monta dans un monologue qu’elle écouta, il y avait de l’attention, de la tendresse, puis quelque chose, ou quelqu’un nous fit rire tous les deux, nous nous sommes embrassés, elle se dégagea lentement, nous nous sommes regardés, puis j’ai recommencé à essayer de la retenir avec la voix, mais elle goûtait cette séduction cimentée par la peur, et entre-temps, je regardais le temps, et il y avait beaucoup de temps qui était venu de mon côté, lui offrir une caresse, du temps que l’amant dans la lumière ne devait pas comprendre, me traversa l’esprit dans le noir du square, écartant le noir du cerveau et son sourire en fit un mauve plein de tristesse et de la plus solitaire matité. Le sable nous coulait entre les doigts, je crois bien qu’elle demanda à ce que je vienne chez elle moins souvent, ce moins souvent était une horrible perspective d’intervalle, mais l’intervalle était la garantie de sa fin, donc bienvenu intervalle cruel. Je la raccompagnai devant chez elle, elle semblait contente, nous avions retrouvé notre nous, si difficile à rétablir à chaque tentative, je me souviens de sa douceur un peu triste et un peu enjouée, je l’avais encore fait rire, puis sourire, et aucun n’osa proposer à l’autre le reste de la nuit.

Je ne me souviens pas, au bout de la profonde émotion de ce soir-là qu’elle n’ait jamais prétendu m’aimer, je crois que ma subjectivité galopait peut-être devant mon désir, en écrivant les lignes qui consignaient cette éventualité.

Quant à son intelligence, qui était l’une des qualités de l’énigme qu’elle est restée, bien sûr, comme l’atteste la même phrase qui nie qui affirme qu’elle a cessé d’être une énigme, je n’en ai jamais rien su. En effet, le discours de cette brève note dans mon carnet jaune est typique de ces monologues où l’interrogation sur l’autre n’est que projetée sur l’autre ; c’est de moi que je parle, évidemment. J’ai remarqué par la suite que ce type de transfert, cette inversion du sujet et de l’objet, est très fréquente dès que la pensée s’accélère sous l’effet d’une émotion. Mais moi, qui commets pourtant assez peu cette inversion, je m’en excuse ici parce que la sphère commune que j’avais en moi, et qui était Sophie et moi, rendait souvent indistincte dans la réflexion immédiate la différence entre elle et moi. Aussi, voici comment j’interprète ce passage sur l’intelligence et la sensation : c’est moi qui, à son contact, n’étais plus capable d’intelligence, parce qu’elle me transformait trop en sensation. Et c’est moi qui tolérais là des contradictions, c’est moi encore qui faisais les différences là où il y avait des nuances, et qui trouvais qu’elle m’avait affinée. Nous étions donc dans ces singulières bascules du temps, et de la pensée. Le mois de mai était comme une spirale ascendante dont les bords s’élargissent en cône. C’est une figure classique d’une sorte d’élévation et d’érection, mais c’est aussi, je crois, l’image du canon qui explose, et dont le long phallus de bronze s’est scindé en quatre ou cinq lamelles évasées vers l’extérieur.

De nos rencontres suivantes, je n’ai que des images fugitives, et je crains me tromper dans la chronologie. Pourtant l’une d’entre elles m’est restée profondément marquée comme l’étonnant bon côté de ce mois de mai, qui s’étirait sans mourir et qui espérait sans vivre. D’où je revenais, je ne me souviens plus, mais au-delà de toutes les précautions habituelles, dans une fièvre ombrageuse, j’arrivais en voiture, je me suis garé tout près, je suis allé droit chez Sepia, et Sophie me dit alors « je croyais que je ne te reverrais plus », puis elle ajouta quelque chose sur mon regard que je pensais du sien. Ainsi, elle était à ce moment-là pleine de signes que je croyais miens. Elle était d’ailleurs habillée d’une négligence que je ne lui avais pas encore vue, et qui ressemblait à la mienne : tee-shirt jaune, un peu taché, jean, pas de maquillage. Sans un mot, j’attrapai sa taille céleste par-dessus le comptoir, la tirai à moi, et lui fis partager un long baiser heurté, mais plein d’une chaleur vorace et qui ne s’apaisa de si tôt. Puis relâchant l’étreinte qu’elle n’avait pas fait que tenir, je lui pris la main et dis, « viens, on s’en va ». Elle fit le tour du comptoir, son patron s’interposa : « Où tu vas ? J’ai besoin de toi, tu sais. – Je reviens tout à l’heure », lui dit-elle. « Tout à l’heure aussi j’aurais besoin de toi. » Son bleu était d’une épaisseur de volupté et de regret qui lui montait de partout. Et elle me dit « viens à la maison tout à l’heure ». Il y avait ainsi des moments pleins de fortune, de verve, de vie et où peut-être, à moins que je ne me trompe, j’exerçais également une sorte de mimétisme sur elle. Mai était plein de revirements et d’incertitudes, nos déchirements avaient de grandes amplitudes, nos indécisions pouvaient être détrompées par ce que nous savions mettre dans les regards, dans le toucher.

Les coups de vent du temps ont effacé le sable de nos jeux complexes, mais j’ai retrouvé le prochain message, vieille bouée régulatrice du temps, et exemple du transpercement, de la désunification qui commençait à traverser à vive allure les individus de nos Etats du vieux monde, vers cette époque.
 

Le début de ce mois a été polonais. C’est à Bialystok, après Szczecin, et à Cracovie dans la semaine qu’on apprend que la révolte se poursuit avec passion, avec détermination, avec humour (les concerts de klaxon du 13 Mai, ZOMOSA, etc.)

Des gorges chaudes se sont faites au début de l’offensive iranienne au Khouzistan et les imbéciles qui ne comprennent la guerre que du point de vue du compte-rendu quotidien, au mieux soutenu par un sous-humanitarisme déplacé, se sont maintenant tus, alors que du côté de Khorramchar, rien de neuf ne vient étayer leurs pronostics vite renversés.

Le Kurdistan irakien commence à se révolter, enfin, et à l’intérieur de l’Iran, la guerre civile garde son âpreté, même si les seuls communiqués de victoire (mais qui sont autant d’aveux de défaites) sont ceux du pouvoir.

La pacification par la guerre se poursuit en Amérique centrale, la brutalité ennemie se nourrit du silence du spectacle également propice aux germes de la révolte.

Les purges roumaines soudaines, lancées à corps perdu par Ceausescu ont inquiété les créanciers de plus en plus nombreux de cet Etat où le mensonge et l’étroitesse de la dictature commencent à être plus mal tolérés que partout ailleurs, si ce n’est en Pologne.

La vallée de la Manta (?) où l’hélicoptère du 1er secrétaire a été lapidé l’an dernier est toujours fermée, apprend-on laconiquement à l’occasion. Sanctuaire.

Des secousses telluriques ne vont pas tarder à se produire. Et je serais bien surpris d’avoir 35 ans avant que l’une d’elle n’ébranle le monde entier (Malheur, désolation et destruction probablement, et alors ?) tant les fissures qui se font commencent à se recouper les unes les autres sur toute la surface du globe.
 

Dans cette préoccupation qui avait pour objet l’histoire, où le temps par conséquent était élevé au rang de thématique, et où son irrégularité même (je suis toujours convaincu qu’un des propres de l’histoire, c’est d’imposer sa figure et sa mesure du temps) exigeait une attention ancrée dans le ressenti, dans le tracé de lignes imaginaires les plus fines dont j’étais capable, je cherchais la même lumière folle et cachée que j’avais aperçue chez Sophie. Mais les innombrables médiations entre ces deux grandeurs ne me permettaient pas encore de formuler leur identité. Mon implication, du reste, était fort différente : alors qu’avec la vague de révolte qui refluait, et que mon optimisme voyait encore grandir (il est vrai que Ceausescu a été renversé et tué deux semaines avant mes trente-six ans ; et quoique la chute de ce dictateur s’est située au milieu d’un nouvel assaut contre la société, les secousses telluriques auxquelles je songeais sept ans plus tôt étaient encore un cran au-dessus) je voyais en spectateur ma conception de l’histoire, mon point de vue particulier me permettre de transcender tous ceux qui s’exprimaient ouvertement, avec Sophie, j’étais acteur sans distance entre les ruines fumantes de nos entrelacements, et la perspective était d’autant plus longue qu’elle me coulait entre les doigts comme le sable du square rue des Blancs-Manteaux. C’est d’ailleurs la perspective commune de cette même flamme, en elle et dans le négatif du monde, que je n’arrivais pas à communiquer à Sophie, et qui était la teneur véritable de mon projet. Si bien que, plutôt que de paraître ampoulé, militant pétri de convictions politiques impératives, tant que je ne savais pas comment articuler et concilier ces deux dimensions qui ouvraient des empires, j’exprimais seulement, en tentant de mettre en exergue leur authenticité, les soubresauts de fulgurantes réflexions baignées d’humeurs qui les décrédibilisaient.

Nous avons dû passer ensemble la nuit du 20 au 21. Je n’en ai que le souvenir de notre séparation, qui avait été à nouveau marquée par la distance de nos rythmes et de nos conceptions. Il y avait une discorde entre nous, de celles qui sont malheureuses parce que les deux participants veulent l’éviter, mais tout ce qu’ils font pour l’éviter la confirme, et les replonge dans cette espèce d’électricité fourbe qui les salit de gris et les fait lutter contre l’agacement à coups de feutrages de paroles agaçants. Je me souviens seulement de l’apogée, qui a été la fin de cette scène cauteleuse comme une vague incertaine. Nous devions partir, nous étions habillés pour sortir, il était midi environ, et je revois Sophie qui, avec un orgueil plein d’hostile provocation revient au milieu de la pièce et s’assied soudain par terre, dans un renfoncement de la fenêtre. « D’accord, dit-elle, si c’est comme ça… j’ai compris », elle enlève sa veste, défait son pantalon. C’était une façon de dire « réglons ce problème, il y a toujours cette solution-là ». Dans son ton, il y avait du défi, dans cette petite touche de vulgarité feinte il y avait un reproche « regarde ce que tu m’obliges à faire, à devenir, pour qu’enfin tu t’arrêtes, tu te taises, et que tu aies raison sans me donner tort ». En dessous, il y avait, je crois, une petite lueur jaune mais étouffée, de désir, et tout en dessous encore, une terrible menace, dont je ne savais pas distinguer si c’était du mépris, une distance imperturbable que je ne lui avais encore jamais vue ou de la colère, ou une fois encore, du jeu, rien que du jeu. Pourtant rassasié par la nuit, j’ai hésité, parce que je n’étais jamais véritablement rassasié par la nuit. J’ai hésité aussi pour faire disparaître le mauvais goût de notre désaccord, pour la rejoindre et la tenir, pour les bouffées si subtiles de sa peau, qui parfois parlait aussi bien que le laser azuré, aujourd’hui absent d’un regard éteint, ou lointain, ou trop étincelant pour être à la profondeur admirable. Je me laissais tomber et nous nous sommes embrassés, peut-être avec une fougue factice, mêlant nos membres, malgré le flottement défiant, malgré le trop-plein accumulé pendant toute la nuit, malgré nous, mauvais acteurs enlacés dans les jeux de l’autre. « Non, lui dis-je, c’est idiot, et puis nous n’avons pas le temps. » Je ne sais plus, et je le regrette intensément, comment elle a réagi. En tout cas il y avait une vivacité. Mais était-ce la vivacité d’une certaine déception, mêlée d’un dédain ? Ou bien la vivacité d’un soulagement complice, et nous sommes sortis légers, silencieux, comme si sa dévaluation délibérée de notre désir avait réussi, effectivement, à clore le désaccord ? Je le regrette parce que, par la suite, je me suis demandé quelle incidence cette seule fois de ma vie où j’ai refusé son avance avait eue sur ma vie. Je me suis demandé, peut-être avec la partialité éperdue de ma vanité, si ce refus ne lui avait pas paru un avertissement brutal dans la compétition des amants : si je le refusais, si j’avais la force, moi, l’homme, de la refuser, alors est-ce que le pendule de la rupture, qui était devenue cette épée de Damoclès pour moi, mais comme je l’ai pensé plus tard, peut-être pour elle aussi, ne penchait pas en ma faveur ? Je voudrais aussi, ici, situer notre peu de maîtrise de ce temps qui passait ses rafales inégales sur nos ignorances, et que j’ai synthétisé dans la réplique vraisemblable « c’est idiot, et puis nous n’avons pas le temps ». Combien de fois, et avec combien de regret, j’ai pensé à cet instant, à ce « temps », où, ce qui était si justifiable, mais si idiot, c’était moi, mes façons de parler, mon désir retenu. Car jamais plus elle ne m’a fait l’offre de son corps. Pour rien au monde je n’avais plus de temps. Jamais.

Dans la note que j’écrivis le 21 mai, sous le titre de « J1 – Tout va bien », il me semble assez facile de reconnaître le début de l’intervalle, dans tout ce qu’il tient ensemble, ce qui précède et ce qui suit :
 

La vie se déroule comme une euphorie un peu imbécile en laquelle je n’ai pas confiance, mais ma foi, mon emphatisme optimiste supplée assez volontiers aux doutes que mon expérience essaye d’introduire assez frauduleusement dans mon cerveau. Ta peau, ton odeur, ce genre de choses sont encore attachées aux miennes (bien que le « encore » de la phrase passe déjà pour un bien gris nuage). Je me sens un peu comme ces personnages de bande dessinée qui, soudain, s’aperçoivent qu’ils sont en train de courir au dessus d’un précipice et que leurs pieds ne touchent plus même le rebord de la falaise. Les récriminations ne vont évidemment pas tarder.

Une courte allégresse occupe sans grande raison ma déconcentration. Je pense peu à Sophie W. – quoique plus qu’à quiconque d’autre – mais avec tempérance et sans phobie. D’autres individus, certaines abstractions même chassent de ma pensée toute la gamme de profondes angoisses individuelles au sujet desquelles, en vertu de la cause du moment, je décrète qu’il n’y a pas là de quoi fouetter un chat.
 

Quand la tension se relâche, la phase de l’autodérision, même retenue ici, sans doute par les douloureuses expériences subies en la matière, fête une courte apparition en tant que vedette américaine ; et la lucidité prudente dont elle fait son pudique étalage lui est nécessaire pour vaincre la terreur et la souffrance dont elle est l’avant-coureur bouffon. Le 22 mai, la note était intitulée « Légère incision au scalpel ».
 

Carmen de Bizet et moi nous renvoyons de désespérées tirades d’amour, sur le même air, sur le même ton. Jaloux, j’ai rêvé à nouveau que – surprise ! – tu avais un sexe masculin dont je n’arrivais pas à savoir si c’était celui de ton amant que tu tenais à la main ou le tien propre, comme il me semblait. Mademoiselle de Bizet me soufflait des réponses qui m’ont réveillé, l’esprit asséché par l’alcool de la veille.

Soit, du cinéma on peut encore en faire, soit plus. Mais ça n’est pas les 2. Si on peut faire, dans quel but, pour quelle raison. Tout cela est ridicule et mon parti-pris est tellement évidemment le seul envisageable, que seules les circonstances assez particulières auxquelles mon esprit est aujourd’hui forcé de s’agripper avec cette insuffisance tenace, permettent d’en excuser momentanément la perte d’élévation. Je crains de plus en plus que tu ne sois inintelligente.

Tu te reposes sur l’absence de spontanéité pour excuser ta distance. Comme si la spontanéité était, en la matière, un critère absolu, même suffisant. Moi-même n’ai permis à ma spontanéité de se développer qu’après le travail de ma volonté et de ma « bonne foi ». Je persiste à penser que c’est davantage une sorte de défensive systématique (un peu comme un poulpe jette son encre) que tu secrètes sans raison avouable, à mon égard, et celles qui le sont moins (avouables), doivent être assez en liaison avec des peurs d’être dominée, de perdre une indépendance que rien ne menace, de tous les risques qu’entraîne la chute du voile. J’ai plus d’amertume que de haine en pensant cela, parce que j’ai l’impression qu’après t’avoir ébranlée, je ne parviens plus à ébrécher ton système de défense, reconstruit, renforcé ; que tu ne vacilles plus, alors que je chavire ; que tu as trouvé maintenant le moyen d’ignorer ce que je dis, écris ou fais. Trouver ce moyen a été, pour les raisons plus haut citées, le seul objet de ta volonté, pas si peu développée que tu as toujours voulu le présenter. Mais toujours et uniquement dirigée, non pas dans le même sens que moi, mais dans le sens contraire. Alors que Moni se jetait tête baissée dans des dangers inconsidérés, Sophie se défend griffes et ongles même quand il n’y a pas de danger. En ce sens, oui, elle sape ce qui se construit, non seulement je ne vois pas ce que je peux faire avec toi, mais ton attitude, qui rêve des bonnes volontés prêtes à t’enlever d’un coup comme si, étant ce que tu es, cela présentait encore un intérêt, ton attitude donc, tend à détruire toute proposition, toute possibilité de faire avec toi quoi que ce soit. Et je ne pense pas dire cela en mon seul nom, c’est à mon avis vrai pour toi avec quiconque d’autre aussi. Que te proposer que tu puisses accepter ? Marrakech, Barcelone, une analyse, un petit rôle par népotisme, rien de plus. Dès qu’on parle de plus, tu te fermes.

« Elle était belle comme la révolte. Nous l’avions dans nos yeux, dans nos bras, dans nos futals. Elle s’appelait l’Imagination. » Un mur avec les paroles de 73. « Il n’y a plus rien. » Quand mademoiselle de Bizet s’est tue sur le découragement amer de ma fatigue, je te contemple avec des yeux tristes, baissés, j’imagine une fine ride s’enrouler autour, pas à vue d’œil probablement. En ton absence il m’est impossible d’oublier aussi ce vers quoi tend ma vie, ce qui est mon objectif avec toi, et que tu cherches si peu à comprendre que à ce point il me semble impossible qu’il s’agisse uniquement d’une absence de curiosité. La lassitude se prolonge, sorte d’insensible renversement, en violente idée de rupture, et je me rappelle soudain le reste, qui m’en empêche. L’impasse et la conscience de vouloir, de pouvoir la bousculer. Quelque chose détourne mon attention, c’est la Pologne, que je traverse avec un convoi, et vite en imagination, je trace le terrain de la guerre de Pologne, j’ai une sensibilité toute particulière de l’équilibre instable de la situation dans son ensemble, il n’y a que le temps que je n’y sens pas, et tout de suite je suis en même temps en Iran, c’est à Téhéran qu’est la solution cherchée à Gdansk, comment l’expliquer ? et si je parviens à faire comprendre que les Malouines ont leur détonateur à Toxteth et Brixton, ce qui est hors de doute, alors comment W. ne comprendrait pas immédiatement combien peu fugitif et quelle gravité contient ce dont je lui parle et à quoi elle croit pouvoir se suffire d’accoler l’oreille distraite que son existence clôturée prête à ses amants.

Je passe en revue la galerie de ces amants que je rencontre partout dans la rue, et à ce moment me déchire, puis dont je souris avec l’indulgence du mépris, avant de me rappeler qu’elle me met dans la galerie, et pour la 20 000e fois, je me demande si mes propos ne sont pas irrémédiablement incommunicables avec elle, et pour la 20 000e dernière fois je tranche que non, tout n’a pas été tenté, l’occasion est trop importante, rien n’est totalement perdu, même si, d’accord, les chances sont minces, ont peut-être encore minci. (Ma fatuité, mon absence de toi, d’Imagination, me font trouver des réponses à beaucoup d’objections que tu ne fais pas.) Comment expliquer le Jeu à quelqu’un qui en est encore au cinéma ? Comment expliquer la guerre de Pologne à un ancien combattant de 14-18 ? Comment mettre le doigt d’un épicier sur le point névralgique par lequel passe tout l’or du monde ? Comment sortir du siècle avec quelqu’un qui a aussi peur de sortir de soi ?

Le paradoxe qui maintient la relation de mon côté est que je me sens si supérieur à toi, mais que j’ai l’impression que sur les mêmes matières tu as un talent bien supérieur au mien. Mais qui s’effrite dans ta dérive, et dont seul luit le noyau, et pour moi seul, qui le cherche avec insistance. Tout cela sonne comme un délire, mais je ris de me voir écrire que quelqu’un puisse penser qu’il s’agit d’un délire. Ton talent est si beau et si rare qu’il faut être un homme soit immensément riche par soi-même, soit immensément aveugle (et c’est à la seconde catégorie qu’appartiennent tous les hommes, sans exception, dont tu m’as parlé, voilà l’origine de mon mépris pour ta galerie ; on ne peut pas être n’importe qui dans ce monde et être riche au-delà de cette époque) pour ne pas vouloir passionnément le promouvoir tant que demeure l’ombre d’un espoir de le fertiliser. Et tu peux manquer d’intelligence, et de beauté, et de jeunesse, à la rigueur, parce que tu as la clé de leur source. Manifeste.

Mais comment expliquer cette certitude. Comment, pauvre Carmen, chanter la vérité, sur un ton encore inconnu, avec des dissonances qui choqueront ton esprit fait à des sons qui n’ont plus cours que pour le monde du spectacle. Si, au moins, tu cherchais une solution. Mais tu ne penses, non tu ne te doutes même pas qu’il en faut une ! Comment décrire, sous cet éclairage, la futilité de ton système de défense qui me blesse comme le mauvais goût blesse le tact, la futilité des quelques petites gens et petites activités qui semblent vaguement préoccuper les interstices de ton désœuvrement, comment ne pas paraître injuste, présomptueux, infatué, alors que ces saillies me sont si distantes, surtout avec toi.
 

J’hésite à étaler ce brut, mais il est à la fois explicatif et constitutif. Ecrit difforme, intime, où les éclairs de pensée alternent avec les ruminations des vagues houleuses de sensation, emphase et jets nets, c’est d’abord une alternance assez significative entre des pensées conscientes et des interférences qui me semblent bien refléter l’effet de l’explosion qui continuait alors sur le mode du dramatique qui ne veut pas encore complètement se reconnaître. Il est aussi tout à fait remarquable que ces notes n’avaient aucune destination. D’ailleurs Sophie y est adressée à la deuxième et à la troisième personne, elle est aussi Carmen, mais parfois Carmen est plutôt Charlotte, ou Piaf. Je n’ai jamais envisagé de lui faire parvenir ce flot instable de souffrance évacuée et recouverte ; je n’avais pas non plus pris pour habitude, ni avant ni après, de tenir un « journal ». Il n’y avait aucune intention de relire ces lignes, il y avait seulement le besoin de gicler un trop-plein, de vider des résidus douloureux, qui commençaient à basculer dans l’insupportable.

Le premier paragraphe, celui du rêve, me paraît une introduction qui à elle seule justifie l’ensemble de l’écrit : je cherche là à scinder la sphère, à séparer ce qui est de Sophie et ce qui est de moi. Cette grande difficulté non consciente aboutit à une évidence déjà discutée, le cinéma, pour permettre de mettre en lumière une dispute probablement issue de la veille, la spontanéité, dont je ne me souviens pas cependant que Sophie m’ait accusé de manquer, et peut-être justement parce qu’en l’écrivant, pour moi, je m’étais débarrassé de ce reproche dont je n’arrive toujours pas à cerner la véritable pertinence. Puis par le jugement, j’arrive à la hantise de la rupture, qui nous habitait alors davantage que nous ne le savions. Mais la supériorité de Sophie est pleinement reconnue, et par conséquent, la rupture ne peut pas venir de moi, parce que l’aboutissement de la relation, qui impliquerait que je sois arrivé au bout de mon amie, que j’aie épuisé son possible, n’est pas seulement en vue. Je suis tout près ici pourtant de tracer le carrefour des deux lignes que je suis : elle, Sophie, et par la Pologne, le monde. Si justement les interférences n’étaient pas si impératives et turbulentes, j’aurais alors probablement su formuler la perspective ; mais je pense que je n’aurais pas été capable de la voir. D’autre part, que je sache me formuler une perspective, et au galop joyeux de Bizet avec le sérieux de 73 en sous-titre s’il vous plaît, n’impliquait pas que je sois capable de reproduire un tel phrasé allègre et prometteur auprès de Sophie. Car, dans la proximité de son haleine et dans les courbures insensées de ses regards, l’air et le volume changeaient, elle aspirait l’espace autour d’elle de sorte à ce qu’il devienne riemannien, et, simultanément, elle peuplait le négligeable de l’atmosphère des multiples agencements et des particules cristallines de son foisonnement altier et doux. Et à cette température, dans son intérieur, les phrases dont mon carnet avaient repris l’écume ne sonnaient plus, l’avenir était soudain peuplé d’horizons majestueux que je n’avais jamais vus, et de rythmes alanguis qui me faisaient trébucher sur mes propres évidences.

J’allègue ici contre les interférences textuelles de mon carnet jaune qu’elles sont à la fois trop longues et redondantes et surtout qu’elles perdent la clarté de l’exposé. Il me semble cependant que le doute trouve toujours son creux dans les explications d’idées qui ne sont pas simples, et qui sont hors des formats commerciaux traditionnels. Dans Etre et Temps, par exemple, Heidegger perd ainsi un moment son Dasein. Mais c’est une caractéristique du Dasein apprend-on dès que l’auteur s’est repris ; et la chute, l’effondrement même du propos, le Zerfall n’était donc que feint, renforcement du Dasein. Chez Hegel, la négation de la position, conduit presque systématiquement à ces déprimes radicales, qui sont des grands témoins de maîtrise. Mais ici, il n’y a pas de telle rédemption de la conscience en vue. De la lutte, certes, il y en eut, de l’extraction d’idée, de la compréhension et de la découverte, la suite est riche, mais cette richesse justement provient de cette perte, de ce fouillis qui s’exprime dans ces notes, de cette grande variété de sensations, rage, amertume, mépris, soumission, révolte, honte, rire, tendresse, il est même question de haine, d’impuissance, et le bruissement éclatant du monde, comme une pluie picotante et chaude sur une vitre rebondie, sensations qui atteignent, en pointe ou en creux d’autres sensations, des actes, des idées, de farouches tensions, des effondrements sibyllins. Les idées, dans ce propos-ci, seraient trahies si elles étaient présentées dans leur dégagement par rapport à ces foules de sensations impérieuses qui les suscitent. Honneur à cette anarchie, elle-même emportée par la confrontation si profonde des deux êtres qui craignaient tant leur sphère commune sans savoir la nommer. Nous étions submergés par ce que l’autre défaisait en nous, et je dis nous, parce que le recul me laisse plutôt supposer que Sophie aussi subissait ces rasades puissantes de l’esprit, qui font qu’on titube et qu’on tombe, qu’on avale de travers, qu’on « boit la tasse » et qu’on crache en toussant, en vomissant ce qu’on ne supporte pas, et pourtant, aussitôt qu’on a récupéré d’une telle violence, on retourne à la source du mal, pour en savoir plus.

Du jeu, je trouve ici que l’incompréhension réciproque apparaît à son comble. Le jeu était alors pour moi dans une élaboration théorique avec des certitudes comme piliers. Ma conception n’était nullement une conception courante – ce que j’ignorais alors. Ce jeu, au sens le plus général du terme, qui lui permettait son application la plus élevée, celle où jeu et histoire se confondent, celle où le travail, et la société construite sur le travail, ne sont que des parenthèses formelles de ce jeu considéré comme activité générique de l’humanité, se mouvait sur des piloris principiels qui devaient bien entendu ne pas être mis en cause : le non-jeu, justement, autour de cette poignée de piliers garantissait la grandeur de ce qui était construit dessus. Ainsi, la vérité, la franchise, la critique, le respect de la parole étaient des intouchables : si on ébréchait ces blancs piliers, on trahissait le jeu.

A cette conception complexe, Sophie opposait un goût du jeu que je ne pouvais donc pas voir. Le jeu, qu’elle ne nommait pas jeu – pour elle, ce qu’on appelle jeu semblait devoir se définir par un ustensile, comme les cartes ou les dés, et cet intermédiaire nécessaire était, à ce que je crois, ce qui lui permettait de s’affirmer comme parfaitement étrangère au jeu –, était pour elle souverain comme le plaisir pour Sade, tout devait s’y plier ; déjà, le jeu commençait pour elle à tout moment, justement dans la spontanéité, et mon interdit de jouer dans la zone des piloris lui paraissait entièrement contraire au jeu lui-même. Comme son jeu était permanent, renouvelé, varié et s’exerçait littéralement sur tout et chacun comme je m’en aperçus que beaucoup plus tard, il intégrait aussi les règles et les principes. Au fond de sa personnalité ludique, il y avait cette ondulation qui permettait son rayonnement magique, ses hésitations et son cran. Elle jouissait du doute et de la crainte que donnait cette amplitude permanente de son rapport à tout ce qu’elle identifiait, mais aussi du renversement dialectique et de la certitude, comme si c’étaient des plaisirs charnels, qui alimentaient par oscillation ses innombrables expressions de la vague de plaisir : électricité, torpeur, duvet, grâce, jeu de respiration, palette de regards, échéanciers d’associations subtiles, raffinement de la gestuelle, colère, douceur, noblesse, fermeté, feu.

Nos deux conceptions du jeu étaient assez représentatives de ce que nous étions, l’un par rapport à l’autre : elle qui jouait sans arrêt sans même nommer jeu ce jeu, et moi qui théorisais entièrement le jeu pour le mettre en jeu. Je crois bien que nous avions perçu qu’au fond nous parlions de la même activité, en enfants de la même époque, et je crois même que cette profonde dévotion non avouée pour le jeu – mais qui n’était pas le jeu dans son résidu officiellement accepté, le jeu décrit par un Caillois par exemple, et même par un Huizinga – était un élément pivotal de notre hypnose réciproque. Toute la distance de nos êtres, toute la distance de nos réflexions, toute l’incapacité à communiquer alors que nous ne faisions rien d’autre, avec les regards, avec les lettres, avec les lèvres, avec les sexes, s’exprime entièrement dans ces invitations incomprises : que nous puissions avoir ces activités comme centre d’intérêt majeur, et que nous n’ayons plus les moyens de les comprendre et de les exprimer est une accusation directe contre une société qui a supprimé les codes de reconnaissance de ses activités principales, en permettant à la pensée sans conscience de s’infiltrer et même de s’imposer dans les paradigmes individuels, mais sans mode d’emploi. Notre distance dans la mise en œuvre et dans la réflexion de ce phénomène était telle que même le langage de l’autre nous paraissait, par ailleurs, un refus de cette activité, dans laquelle pourtant, à juste titre, nous nous sentions si proches.

La note du lendemain, 22 mai 1982, est intitulée : « J3 Pas de Bentley blanche à la Défense ».
 

Il n’y a pas de Bentley blanche à la Défense. Il y a des Rolls grises, des Jaguar vertes et des jouets cassés, des regards qui traînent de la misère. Il y a, en haut, l’exposition des malades mentaux, le modélisme, il y a, en bas, la folie collective, la mode, des culs poudrés qui croient en l’Art. Mode, photo (et cinéma) modernes sont à la prostitution ce que l’érotisme est à la pornographie, pour ce qu’on appelle « modèle », « actrice » mais qu’il conviendrait mieux d’appeler « mutilée » ou « gâchis ».

Rire. Il fait gris sur le temps présent. On ne peut pas trouver de Bentley blanche dans Paris. Le luxe a des limites dont il faut rire avec légèreté. Il fait trop gris sur le temps futur, pour que je rie, avec légèreté. Carmen me poursuit avec autant de minutie que ça.

Je pense à l’impensable forteresse dans laquelle tu es venue te réfugier, sans grâce, avec application. J’ai une enfantine impression, celle d’être victime d’une injustice et d’une incompréhension démesurées. J’étais venu faire quelques brèches dans ton mur de Berlin, mais pas pour te nuire, pour te libérer, et encore, ne les avais-je point faites intentionnellement, pour la plupart. Maintenant, il y a des champs de mine partout, et sans exagération, j’aperçois déjà quelques miradors qui fonctionnent. Ce ne sont pas mes graffitis sur la face approchable du mur qui vont ralentir ton désintérêt, maintenant que tu respires dans cette absurde tranquillité retrouvée.

Ce qui pourrait te surprendre chez moi, et je trouve que c’est quelque chose de surprenant, c’est ce que je te propose, et que tu n’entends pas, que tu ne veux pas entendre. Sinon, en effet, les petites particularités de mon caractère, mes quelques qualités ou défauts, et la petite survie que je mène, n’ont rien de surprenant, pas davantage que chez toi, qui les dissimule pourtant tant. Mais quel individu est une énigme, alors que le monde, dont il est issu, a cessé d’en être une ? Chez chacun on peut découvrir un nouveau détail, mais il faut bien un jour cesser de se nourrir de détails, toi non plus tu ne m’as jamais surpris, et c’est tant mieux, parce que je ne te l’ai jamais demandé.

Ce que je t’ai demandé, tu me le refuses sans raison, si ce n’est que tu ne l’as pas entendu. Mais je suis âcre, il y a du découragement dans mon propos. Je ne sais pas comment provoquer ton ouverture, dont j’ai tant envie, d’autant plus que je ne veux pas utiliser de trucs. Je ne veux pas admettre que ce soit impossible.

La magie c’est cette chimie qui de ton corps au mien, à moins que ce ne soit l’inverse, fait que quand tu me manques je le sens dans mes épaules et dans mes doigts, dans les regards affamés que je plonge dans le possible, ou alors, je ne vois rien (ce n’est plus Carmen, c’est l’Arlésienne). La magie, c’est que la mémoire de ton toucher m’a rappelé la danse des Hollandais, il y a 23 ans, et le nom, que je cherchais depuis plusieurs années, de ma partenaire, dont la taille m’avait tant ému et que j’entourais avec d’autant plus de gêne que de délices, et d’autant plus de délices que de gêne. Elle s’appelait Dolorès (qui ressemble à Laurence) et qui signifie douleur. La magie c’est que la violence, et la sauvagerie que je peux avoir, c’est en fait toujours celle que tu avais quand je t’ai d’abord connue, mais que je ne t’ai jamais vue, ni alors ni maintenant. Ce n’est pas toi qui est magique à mes yeux ; c’est ma rencontre avec toi.

Je dis tout cela qui a peut-être peu d’intérêt. Non, c’est faux. Je dis tout cela dans l’espoir que tu ne serait-ce qu’entrevois, parce que c’est juste derrière, la sombre et minuscule lueur, d’une chaleur et d’une intensité qui ne tolèrent aucune limite et vers laquelle toute ma vie a toujours tendu. Et j’ai toujours pensé que cette lueur n’était pas la mienne en propre, mais qu’elle était celle du genre. Ce n’est pas du mysticisme, ni vraiment du symbolisme de dire, en plus, que peu d’individus la voient, et c’est une grande chance pour moi (en partie due au point d’observation excellent que je me suis toujours ménagé sur le monde), mais beaucoup d’individus en sont plus près que moi, et je pense que c’est à un degré rare ton cas.

Après la pluie, après les humeurs morbides qu’aucun Bizet n’atténue, après les myriades de coïncidences dont chaque jour est fait (une boulangerie où la patronne explique avec insistance que untel va chez W.), après la haine, le mépris et la honte, après l’impuissance, après la colère, après la tristesse, arrive une soudaine exubérance à l’air humide des pensées conscientes absentes alentour, une crétine euphorie, quoique douce, qui alterne avec une bonne petite gravité proprette. Cette alternance entre deux extrêmes si proches se fait d’ailleurs parfois si vivement qu’elle se fige dans une chair de poule, qui n’a rien de ridicule.

De même, le balancier de ma pensée va de la rupture à son impossibilité et pour les 2 il y a plus de raisons que de raisons de balancer. Je me fous de ma propre gueule, et ma foi, rien ne me permet de déterminer ce qui pourrait renverser l’ironie quand elle s’empare de moi. Pas même W. Elle dévore tout, tout devient ridicule, y compris W., y compris le ridicule, l’ironie elle-même, à laquelle j’aurais dû mettre une majuscule, pour la circonstance.

Aujourd’hui, j’ai vu des gens très différents qui m’ont peu permis d’avancer, des foules, que c’est bon ! (je me sens propre après la foule, je sais où j’en suis contre le monde), des vivants et des morts, j’ai lu dans plusieurs livres et beaucoup de journaux, j’ai su m’effacer, me mettre en valeur, sourire, froncer des sourcils, rire, poser des questions intéressées. Assez banalement dirais-je, si durement ne convenait pas mieux, je n’ai pensé qu’à toi. Pas de Bentley blanche à la Défense.
 

Il m’en coûte d’étaler la complaisance de ces surplus intimes d’un désespoir qui se défend. J’y lis tellement d’immaturité et de découragement. Je me défends par des tentatives de rictus, mais non seulement elles sont vaines, mais je me demande comment elles ont pu me tromper moi-même. Comment est-ce que « W. » pourrait devenir ridicule à mes yeux ? C’est seulement en outrant l’importance de ce refuge, en essayant ainsi d’aller au-delà de l’idée de Sophie qui m’oppresse, que j’essaye de lui trouver du ridicule ; mais le mouvement lui-même emporte ce lèse-majesté puisque, comme le fou du roi qui se moque du roi, il se moque aussitôt après du fait de se moquer. L’allégeance finale « je n’ai pensé qu’à toi » rétablit contre les petites distorsions que je tente la tragique oppression.

Sophie m’avait dit peu avant dans une charmante lubie de luxe, que la voiture qu’elle désirait, était une Bentley blanche avec un chauffeur, puisqu’elle ne savait pas conduire : le nom de la marque, sa discrétion élégante par rapport à la Rolls Royce, dont elle était la petite sœur, le blanc qui contrastait quelque part avec l’uniforme noir des chauffeurs, avaient rendu malicieux et dense le bleu oblique et alangui de son œil, coulé par en dessous. J’avais lu que ce dimanche il y avait une grande exposition de collectionneurs de voitures miniatures, dans le grand hall de la Défense, à Nanterre, et c’était ma seule chance de lui offrir ce cadeau clin d’œil. Voilà pour le contexte de ce dimanche de petites pluies intermittentes et de grisaille sale.

On est déjà plus loin que le scalpel, le manque est là. La progression des trois journées, J1, J2, J3, est féroce. Quand la souffrance physique du manque, ici, est évoquée par écrit, c’est qu’elle est déjà bien enfoncée, qu’on peut déjà la retenir et qu’il ne suffit plus de la faire ricocher sur soi en courant comme dans le reste de la cavalcade des idées. Mais tandis que le manque est intimement imprimé dans ma chair, qu’il ne m’a pas quitté en s’atténuant avec le temps, et que je le restitue d’un claquement de paupière même si j’ai beaucoup œuvré à le déformer – à le tordre – depuis qu’il est ma nourriture raréfiée, d’autres sensations vives ont complètement disparu. Ainsi le reproche oublié de « ne pas surprendre » me surprend aujourd’hui. C’est typiquement l’un des gouffres dans lesquels je tombai, et qui étaient redoutables parce que le sens même du reproche est multiforme, et interprétable selon le degré où on le conçoit, c’est l’idée salvatrice que j’essaye de retrouver en reprochant à Sophie, devant laquelle je n’étais que stupeur à peine animée, qu’elle ne me surprenait pas non plus. Aujourd’hui je ferais l’analyse suivante : Sophie ne voulait pas du tout être surprise par moi. Sa valorisation, peut-être éphémère, de la surprise en tant que qualité intrinsèque, en tant que bien présupposé, était d’ailleurs entrée en conflit avec mes apparitions inopinées chez elle, où je la surprenais bien sûr, et ces surprises, qui entaillaient son intimité, lui étaient peu agréables, sans qu’elle sache véritablement le formuler. Quand elle me reprochait de ne jamais la surprendre – ce qui, de toute évidence, m’avait bien surpris même à cette époque –, elle s’exprimait au moyen de la confusion de la sphère commune entre nous. Ce qu’elle essayait de dire, à mon avis, était à inverser : ce n’est pas de moi qu’elle parlait en tant que sujet mais d’elle ; et ce n’est pas d’un non-surprendre qu’il était question, mais d’un non-honorer le surprendre. En d’autres termes : elle me reprochait de ne pas exprimer ma surprise devant ses imprévus ingénieux. Quand elle disait « tu ne me surprends pas », elle voulait dire « tu ne reconnais même pas que je te surprends ».

Ce que la note ci-dessus essayait de répondre n’aboutit pas. Je reconnais bien là comment la piste de l’explication avait été effleurée, et perdue dans le cours de ma réflexion, parce qu’elle était trop embuée de la folle cavalcade, et les autres changements de rythme constants, que l’idée de Sophie imprimait en moi. Dans son jeu déroutant et troublant, Sophie bien entendu m’éblouissait. Mais tout ce que sa volonté, son art aurait-on dit à l’époque où l’art n’était pas encore la fadeur officielle mais juste le diminutif d’artifice, mettait à modifier les décors de notre terrain de jeu, quand par exemple elle m’emmenait dans le bac à sable de la rue des Blancs-Manteaux pour me parler d’un amant qui l’emmenait toujours dans un hôtel différent, ne me paraissait pas suffisamment rendre compte de l’essentiel pour que je l’honore à la hauteur de l’engagement d’imagination et de subtilité mis en jeu par mon amie. Ce n’étaient pas ses dribbles, techniquement et esthétiquement réussis, qui m’impressionnaient. La vraie surprise que j’avais devant son existence miraculeuse était telle que les petites surprises qu’elle me ménageait en étaient dévaluées. J’essayais donc, en ramassant en vain mes idées sur le papier, de dire qu’il y a une autre capacité de surprendre que celle qui était ici en jeu, et que c’est cette capacité de surprendre qu’elle avait au plus haut point. Sur l’ensemble du jeu, où nous étions si différents et si proches, je crois même que nous nous sommes surpris l’un l’autre. J’étais certainement beaucoup plus stupéfait qu’elle, mais elle aussi sentait, à travers les différences profondes de nos principes affichés, une grande proximité, et son attirance, dont je n’aime pas parler, était sans doute aussi guidée par cette curiosité et ce contraste : un être humain si proche et si différent.
 

Le dernier tiers de ce mois, j’avais donc décidé de manger du manque, pour lui laisser la latitude de son choix de vie, face à la perspective sans contenu concret que j’avais esquissée. Mais j’étais à un comble de la transposition de ce qu’on est soi-même sur les autres : cette vision d’une décision solitaire, pour soi, dans un recul ménagé, était ma façon d’aborder ces situations. Sophie ne résolvait pas ses réflexions à ma manière. Alors que je plaçais notre sphère commune sur le plus haut piédestal qu’il m’était donné d’imaginer, Sophie tendait à la propulser comme une balle au milieu de la foule des autres balles. Sophie avait besoin des autres, respirait de leurs avis, de leurs influences, beau carrefour de l’esprit. Aussi, ma retenue ne pouvait-elle être que retournée contre moi : d’abord en tant que désaffection, déclin véritable de l’inclinaison, renforcé par le refus de son corps offert à notre dernière rencontre et donc danger dans la concurrence des amants ; ensuite et surtout, parce que la place de mon influence, même si elle aurait été de toutes façons contrecarrée par la méfiance face à ma persuasion supposée, allait être occupée par d’autres influences. Elle allait demander conseil et avis à son entourage. Et avant même cet abandon vers les autres, ces autres, ces proches, ces amis, la solliciteraient dans cet espace-temps laissé inexplicablement vacant, lui demandant de les éclairer sur les causes et les conséquences d’une telle anomalie, ou cherchant simplement, selon l’étoffe ordinaire des conversations entre particuliers qui veulent se montrer un peu plus que des simples connaissances, ce qu’il en était de cet amant qu’elles ne voyaient jamais. Si Sophie parvenait à exposer la grandeur du choix dans la simplicité qui le rendait si urgent – sauter ou non – alors, tous ses amis lui diraient « non ». Et ils l’argumenteraient avec des vibratos et des contrebasses, avec des raisonnements et des transports d’amitié, avec chaleur et douceur. Car « sauter » signifiait choisir entre moi tout seul et tous ceux-là. Ce choix devenait, dans cette perspective, l’ultimatum entre un individu rébarbatif au point qu’il avait refusé de rencontrer toutes les relations de Sophie, et ces relations justement, qui pouvaient librement exprimer un avis que l’autre parti ne pouvait pas contredire. L’étendue du risque, l’exécution même de ce basculement de soi du « sauter » qui n’était pas évidente, la place et la garantie que je lui offrais, moi, n’étaient pas même en jeu dans ces consultations dont je suis persuadé que Sophie les menait, à sa manière prudente et feutrée. Car la nature même du choix remettait en cause le consulté ! Comment celui-ci pouvait-il faire autrement que d’essayer de convaincre Sophie de ne pas rompre avec lui, mais avec moi ?

Parmi ces conseillers à intensité limitée, j’ai compris par la suite que Christian Nuy a dû être le plus important et le plus présent. Il est même possible que, avant même qu’elle ne le consulte, ce soit lui qui l’a sondée pour résoudre ce qu’il avait ressenti et qui était que Sophie avait une décision à prendre, décision qui lui pesait plus qu’elle ne voulait le laisser paraître, parce que l’intensité de mon offre palliait en partie l’imprécision du projet. Cet homme, qui était son ex-amant et son patron, qu’elle voyait tous les jours au travail, et avec qui elle avait un grand territoire commun, a probablement été la personne qui m’a le plus nui au monde. Je le pense assez rusé et cauteleux pour savoir manœuvrer Sophie, surtout quand elle était dans l’indécision, et qu’elle se confiait : il avait disposé, depuis le Chambon-sur-Lignon, des balises tout autour d’elle, et il devait au moins sentir qu’elle en sortait, ou plus exactement qu’elle hésitait à en sortir ; mais elle voulait s’assurer de cette sortie, et il allait bien sûr lui montrer toute la vanité, toute l’inadéquation, toute la folie de ce projet d’évasion. Il allait lui prouver qu’elle s’apprêtait à faire une erreur grave en faisant miroiter la contrepartie, pour prouver combien il était soucieux d’équité, même s’il avait certainement l’habileté de faire paraître cette contrepartie, à la fin, et sans le dire, comme de la verroterie. Je ne connais pas l’étendue de son activité pendant cette période, mais j’ai compris par la suite que c’était une grande faute d’avoir laissé un champ si libre à quelqu’un d’aussi fourbe et d’aussi petit que ce personnage l’a été, dans un moment aussi crucial. Shakespeare et Molière ont mis en scène de multiples Christian Nuy pour exprimer cette interférence d’une bassesse mésestimée, qui sait faire illusion. Mais je pense que mieux que ses arguments, qui ne devaient pas être mauvais, c’est sa tonalité qu’il a réussi à imposer à Sophie dans le moment de son choix.

Parmi tous les autres amis de Sophie, depuis sa famille à ses amies et ses amants, qui pouvait être l’allié du « sauter » ? Aucun. Et même, si l’un ou l’autre, par excès d’alcool ou par provocation avaient hasardé cette proposition, n’aurait-il pas paru indifférent, éloigné de Sophie ? Ne lui aurait-il pas dit d’une autre manière : disparais de ma vue ? Les réseaux misérables de l’affectivité ne supportent pas les choix de vie, parce qu’ils en sont les premiers radiés. Pour cette seule raison, on ne doit pas consulter ses amis sur ses choix de vie, ou alors à égalité avec ses ennemis. Entendre la haine et le mépris nous souffler des vérités est plus salutaire que les apaisements mielleux des semi-indifférents. Ni madame Patre, ni Geneviève, ni Pascal Bruckner, ni Sophie cousine de Sophie, ni Coutel sœur et frère ne pouvaient l’aider à contrebalancer les avis d’un Nuy et à évaluer si j’étais en mesure d’arracher cette femme qui oubliait sa grandeur à leur morne boue. Au mieux, je crois, ils ne comprenaient pas quel pôle je représentais, mais dans tous les cas, ils savaient avant même que Sophie ne leur parle, que ce n’était pas le leur.

Parce que Sophie m’avait dissimulé l’importance relative de Christian Nuy, c’est sur lui que j’ai focalisé mon regret, et ma colère d’avoir abandonné Sophie au choix des autres. Il me semble qu’il était capable de fédérer tous les avis de l’entourage de Sophie, sauf le mien, et de lui les présenter dans un jeu de lumière cohérent, qui caricaturait le mien. Quant à l’auguste générosité, qui consistait à m’effacer pendant le temps de la décision, je sais qu’elle n’a même pas été constatée.

Mais aujourd’hui, tant d’années plus tard, je pense avoir eu tort, non pas envers Nuy, qui a toujours été une crapule, mais envers Sophie elle-même. Autant je la sentais cabrée dans l’inflexibilité par rapport à moi, autant je l’avais vu ployée et manipulée entièrement par les autres. Elle était certainement moins inflexible envers moi que l’imaginait mon défaitisme croissant, et moins convaincue des arguments qu’elle entendait contre moi. J’ai manqué alors d’aller vers elle, et de l’assurer des fondements de ce qui se passait entre nous : la profonde et inéluctable admiration que j’avais pour elle ; l’immense tendresse qu’elle m’inspirait et ma terreur de cette tendresse ; la hauteur du désir qui ne pouvait pas se démentir ; l’engagement complet dont je voulais l’honorer ; la grandeur dont je la croyais capable, et dont je pensais qu’elle méritait, par-dessus tout, d’être maintenant vérifiée.

Je ne pense pas que j’aurais été capable d’expliquer, avec tout le respect qu’elle méritait, ce programme minimum ; mais l’essayer aurait porté le drame sur le plan plus altier et plus clair qui pouvait valoir le différend.

     
             
             
             
             
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