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Moni
1973 - Trois semaines
1973 | ||||||
5. Pénétration et aliénation Moni avait quinze ans, et à chacune de ses inspirations j’avais l’impression que tout s’accroissait en elle, esprit, expérience, vitalité. Il m’est presque impossible de reconstituer le jugement que j’avais d’elle à ce moment-là. Mon mode d’appréhension des objets n’était pas encore buriné par la connaissance que j’ai acquise dans la lecture et par l’expérience que m’ont enseignées les disputes et les contraintes d’une existence responsable. En regardant en arrière, je suis stupéfait à quel point les grilles de la conscience, telle qu’elle s’est développée dans le monde occidental, ont pu me modifier, et sans doute aussi me normer depuis cette époque. Je pense même que j’avais à un degré rare une déficience du jugement social traditionnel, c’est-à-dire que j’étais incapable de situer les individus dans leur contexte socioculturel propre et d’en évaluer la distance au mien, et je crois toujours que c’était une chance. Je parle donc peu de Moni, parce que non seulement son physique était une évanescence perpétuelle pour l’adolescent qui slalomait entre ses paniques, ses colères et ses abattements, mais je ne faisais aucune hypothèse non plus sur ce qu’elle pensait de moi, sur la nature véritable de son goût pour moi, sur le sens de notre liaison, et encore moins sur ses stratagèmes si elle en utilisait, sur ses craintes, sur ses propres faiblesses, moi qui n’en voyais aucune ; je craignais bien trop de me surestimer, en lui prêtant pour moi quelque estime ou affection, et par là de perdre, de manière inattendue, son intense saveur que je ne goûtais que du bout des incisives. Aussi Moni m’apparaissait comme une somme étonnante de couches flexibles, à la fois dures et insaisissables qui avaient le don de me traverser et de venir s’apposer sur les propres tranches sans lien de la cavalcade de ma conscience, ou alors comme un bloc, un halo, une cloche de brouillard, une lourde chevelure qui donne la personne qui la porte tout ensemble, mais qui tout ensemble aussi la cache. Moni était pour moi la différenciation même, car tout ce qu’elle touchait perdait son indépendance, changeait. Mais mon évaluation et mes goûts allaient, non au différencié, mais à l’extrême, j’avais presque comme un pli la propension d’essayer d’attraper au vol le mot, l’impression, l’idée la plus vive, la plus choquante, la plus radicale, la lumière la plus éblouissante, le son le plus syncopé, le plus saturé, pour renchérir et radicaliser encore l’impression. Jouant sans cesse de l’agilité de ma pensée, partout reconnue (et même officiellement reconnue, puisque lorsque j’avais formulé le projet de partir avec Christie aux Etats-Unis un an et demi plus tôt, mon père effrayé et désemparé avait payé fort cher les services d’un psychologue afin de récupérer et de contrôler cette tentative ; la première chose que fit cet habile médiateur fut de me faire passer les tests de QI : je crois qu’il avait fort bien compris que mon score de 139, vrai ou faux, serait assez élevé pour lui servir à flatter mon père qui était son client, mais surtout moi, prescripteur décisif, qui gardait le pouvoir d’interrompre l’amusante expérience ; et je crois qu’il n’y a pas eu dans cette période de jugement plus nocif à mon égard que celui-ci qui me fabriqua une intelligence objective et inaltérable, où sont venus habiter, comme dans une citadelle, tous mes complexes et mes grandes déficiences), je me cramponnais aussi à cette facilité qui prenait sur elle de dissimuler toutes mes difficultés. Dans cette virtuosité abstraite de tout fond vivant, je ne souffrais pas d’être démenti, et j’ignorais encore les intolérables désagréments que présentent certaines manifestations stériles de l’intelligence adolescente : agaçante, prétentieuse, sans goût ni sensibilité, odieuse, artificielle et artificieuse, bornée même puisque généralement ceux qui jouent ainsi son prisonniers de leur jeu, en ce sens surtout qu’ils n’arrivent plus à l’évaluer correctement dans l’ensemble des jeux possibles et pratiqués. Absolument à l’opposé de ce suremploi de ma conscience sans mémoire, un autre mode de perception était une représentation des choses, des mots et des sons, en lumières, et en images abstraites, principalement des sortes de câbles lumineux, non sans ressemblance avec les trames mouvantes qu’on voit en fermant les yeux et en appuyant sur les prunelles. Là aussi j’allais au plus vif et au plus rapide, aux secousses et aux alternances, à l’aveuglant et au scintillant, pourvu qu’il y ait jaillissement, quitte à ce qu’il y ait cassure. Je pense aujourd’hui que cette imagerie était intimement en rapport avec ma sexualité urgente et latente, et je reconnais dans l’évolution de la musique que j’écoutais alors, principalement le hard rock naissant, qui provoquait au plus haut degré ces flashs visuels internes, des mises en scène qui reproduisent avec beaucoup de ressemblance, la vulgarité en plus, ces effets que je croyais alors si exclusivement miens qu’ils me semblaient impossibles à communiquer. Le goût de cette expérience de la violence intérieure s’est d’ailleurs progressivement quoique rapidement éteint, au fur et à mesure, j’en ai l’impression, de son appropriation par le monde marchand ; mais j’ai l’impression de bien comprendre l’identification d’adolescents venus après moi à ce même reflet de la rage intérieure impuissante. Et j’ai observé pour ces générations suivantes que cette identification ne durait pas non plus très longtemps, ou alors se transformait en cette sorte de fidélité singulière que nous avons presque tous pour les expériences les plus fortes de nos dix-huit ans. Je pense par exemple à mon ami Philippe qui revendique toujours le « no future » de sa punkité, même si cet informaticien a atterri dans un pavillon de banlieue avec deux enfants de deux mères différentes. Moni n’était donc pas pour moi perceptible en détail, aussi peu pour son corps que pour sa pensée ou sa place dans le monde, et j’y pensais davantage en terme de lumière et d’impression vive. D’abord, si je pensais beaucoup à elle, trop à mon goût – et j’étais fâché de ce que je considérais être une faiblesse ridicule et sans objet – je n’y pensais pas sans arrêt. A Lakanal par exemple, où elle n’est jamais venue, son souffle revenait de temps en temps me strier un jeu mental dans lequel j’épuisais mes ressources en réparties plus sophistes que senties, et me donnait comme une sorte de chaud réconfort au fond de l’urgence de mes cogitations, ou bien en écoutant une musique, son être s’imposait avec une étrange force sans contrainte, s’associant au bien-être des sonorités. Pour moi elle était avant tout du noir scintillant légèrement mais très fort et du bleu très profond qui donnait envie d’aller au bout de cette profondeur. Le tout me paraissait d’une violence retenue à grand-peine, mais une violence comme je n’en connaissais pas, parce que tout y était paradoxalement rond, doux, lisse, tendre et subtil, et non comme les violences de ma propre perception qui était en tranchants, en pointes, en foudroiements. Ce qui lui donnait cette puissance presque illimitée était qu’aucun détail en elle n’était outrance, au contraire, tout semblait retenu, freiné, maîtrisé et ainsi, il y avait un tout beaucoup plus fort que ne l’étaient mes excès isolés et sans cohérence. Moni était un excès en entier. Elle me paraissait comme une boule sombre lancée à toute vitesse, mais en même temps tout, dans cette avalanche était incomparablement fin, comme si un orfèvre y avait ciselé des arabesques d’or et d’argent, invisibles à l’œil nu, comme si sur toute l’étendue de cet ample et chaud tissu étaient brodées d’incroyables fresques, qui racontaient la vérité cachée de l’humanité et qu’il fallait décrypter dans l’énigme de ses sourires. Il y avait aussi en elle une flamme qui dansait avec rage et que je ne pouvais pas non plus m’empêcher d’admirer et de craindre. Car si je connaissais les flammes blanches qui contractent certaines prunelles avant la colère, ou les jaunes qui illuminent les triomphes, ou encore celles variant entre l’orange et le violet du désir, c’était toujours des feux follets, intermittents, ponctuels, compréhensibles et prévisibles à l’observateur attentionné ; mais la flamme de Moni était d’un carmin si sombre que la plupart du temps je la voyais noire, et c’était un foyer de chaleur, de vie, de négativité et de violence qui ne reposait jamais, même pas quand elle dormait. Cette lumière irréelle qui fondait l’exceptionnelle intensité de ses regards ne dépendait pas d’un extérieur, c’est Moni elle-même qui l’allumait et l’alimentait, sans repos. Mais alors que ce feu était là, brut et innocent, sans autre usage que de me ravir et de m’intimider, et qu’elle l’ignorait elle-même, j’ignorais comment son miroir lui parlait, et aussi comment elle me représentait, dans quel univers de pensée et de sensations. Elle était fière et droite, mais avec de la souplesse et de la grâce, il lui échappait de la vivacité auquel elle donnait toujours un long écho ondulé, qui rappelait son équilibre, sa maîtrise. Elle faisait tout sans affectation ni prétention. Elle avait alors le rythme. Une grande confiance semblait l’habiter mais sans jamais tourner en arrogance, et par rapport à moi, elle était toujours prudente et attentive, singulièrement à l’écoute. Tout en elle cependant respirait l’offensive, mais retenue, parce qu’elle n’avait pas encore conscience de ses pouvoirs immenses, auxquels elle ne cherchait pas encore un but, pas même un terrain d’expériences. Son ton était juste en tout. Alors qu’elle était encore loin de son faîte, cette époque lui appartenait déjà, et c’est par une sorte de générosité princière qu’elle ne s’en emparait pas. D’ailleurs, à la voir marcher à côté de moi, la tête haute, la main fermement abandonnée à la mienne, pleine de tranquille assurance, elle avait une majesté qui, donnant sa mesure à l’immensité du reste, me la faisait paraître comme une bombe d’humanité, dont l’éclosion ou l’explosion, modifierait le monde. Si l’on considère sa vie par la suite, je la surévaluais énormément. Mais j’ignorais, même alors, ce qu’était sa vie. Ma description porte sur son potentiel, car c’est ce possible que je voyais uniquement et, je le répète à l’envi, je n’en ai jamais vu de plus grand. J’étais certainement aveugle de beaucoup de choses. Lorsque par exemple dix ans plus tard je faisais l’éloge de sa confiance en soi d’alors, elle me regarda avec des yeux incrédules : « ma confiance en moi ? si tu savais… », mais je me permets de mettre en doute son jugement sur elle-même à dix ans d’intervalle. J’ai aussi beaucoup mis en valeur son extrême prévenance, sa grande indulgence à mon égard, qui montre qu’elle s’était fort engagée avec moi, et que la violence que je lui prêtais cohabitait au moins avec une gentillesse que je n’ai pas vue, parce que ce n’est pas quelque chose que je regardais alors ; même aujourd’hui dans le recul de ma mémoire pourtant partiale, je suis surpris de découvrir une si grande subjectivité en ma faveur, dont j’avais si peu conscience, parce que j’étais seulement médusé par tout ce qui l’étendait si haut delà de moi. Mais j’avais moi-même des visions très contrastées. Encore plus qu’à l’intelligence, et selon ce que je pensais en 1973 Moni ne m’était pas inférieure sur ce plan-là, j’accordais un respect démesuré à l’âge. Or elle n’avait pas encore seize ans et je venais d’en avoir dix neuf, et il y avait sur ce plan une différence telle que j’étais presque honteux, par les critères alors en cours, d’être attiré à ce point par une si jeune personne, comme si cela signifiait que j’étais incapable d’intéresser celles d’un âge plus mûr, plus responsable, ce dont j’avais suffisamment de contre-exemples, puisque j’étais alors assez recherché. Ce complexe de supériorité était contrebalancé par Moni elle-même, qui me paraissait avoir un sens pratique, un bon sens, très supérieur au mien, ce qui n’était cependant pas très difficile. D’autre part, j’exerçais par rapport à ma famille une liberté et une distance qui avaient supprimé à mes parents le droit de savoir comment je passais mes soirées et mes nuits, j’avais déjà de brèves expériences de travail et de survie indépendante, alors que Moni vivait encore très resserrée par sa mère. Dans la microsociété qui s’était établie autour du lycée de Saint-Cloud je connaissais beaucoup de monde, et j’étais une sorte de petite semi-vedette, alors que Moni n’y étant venue que depuis l’automne, et ne s’étant pas montrée pendant tout l’hiver, n’y était qu’une ravissante image, peu connue des petites coteries de Florent-Schmitt. En dépit de ces supériorités manifestes produites par la vanité et les conventions dans lesquelles je grandissais, je ne me sentais pourtant pas supérieur à cette personne si étrange et dont la moindre qualité n’était pas d’avoir maintenu, non, développé, son pouvoir d’attraction en se rapprochant si près de moi : ce qu’elle avait de magnifique vu de l’autre côté du carrefour de Ville-d’Avray l’était encore incomparablement plus quand sa voix grave donnait à l’arrondi de son esprit celui de sa démarche, ou quand ses longues paupières se baissaient en caressant ma joue, au moment où ses lèvres s’entrouvraient. J’avais l’impression d’être hypnotisé et irradié, qu’à sa proximité je me modifiais profondément. J’ignorais qu’un être humain puisse produire un effet aussi déstructurant sur un autre, et l’étendue de son pouvoir, qu’il fût sur le monde par son génie en puissance, ou sur moi par sa puissance ingénue, m’inquiétait au fond de moi-même. Je l’admirai, et comme je n’avais encore jamais admiré personne, j’en éprouvai une très grande infériorité, à laquelle ne s’opposait que ma vanité qui ne tentait pas, cependant, de me rassurer. Mais l’idée de toucher si intimement cette flamme si inextinguible, la crainte du profond respect, n’était pas l’essentiel de ce qui me glaçait le sang en traversant la place de l’Eglise, cette nuit du samedi soir, en allant chez Moni. J’avais bien plus peur de commettre la faute irréversible, qui serait honte, déchéance et même perte irrémédiable de tout ce qui me déroutait et me charmait tant chez mon amie. C’est qu’en effet je n’avais encore jamais pénétré une femme, ou plus exactement réussi à éjaculer dans un des orifices recensés pour y jouir. Et comme la précocité d’une sexualité vécue normalement était alors un titre de gloire du monde adolescent, j’avais, depuis quatre ans, fortement affirmé connaître ce type d’expérience, affinant au fur et à mesure ce mensonge que tout le monde s’empressait de me croire. Mais ainsi, il était devenu de moins en moins possible de reconnaître la vérité, et à chaque tentative ce mensonge pesait plus lourd, et contribuait, de sa culpabilité indélébile, à ruiner mes désirs, non sans mettre en danger ce curieux mensonge, qu’au moins je n’augmentais plus de nouveaux rajouts, mais duquel je me sentais prisonnier. Qu’elle soit vierge comme l’avait été Christine dans la chambre de Rainer, et elle attendait alors de mon expérience de mener un jeu où j’avais tant besoin d’être moi-même guidé, ou qu’elle soit femme, comme Brigitte l’été précédent, ma partenaire attendait, ou semblait attendre à mes yeux, les preuves éclatantes d’une expérience que je n’avais pas. Mais mon mensonge n’était pas seulement complètement inventé, il avait en plus des témoins irréfutables : la mère de Rainer, et par conséquent Rainer lui-même ne pouvaient pas douter que Christine et moi avions été amants, quand même nous l’aurions démenti. En effet, non seulement tout le monde croyait alors, pour des raisons variées ce genre de mensonge, mais voulait le croire. L’exemple le plus stupéfiant s’était produit un an avant cette nuit où j’allais chez Moni, avec cette très jolie petite Brigitte qui par une sorte d’ironie assez joyeuse s’appelait La Brigande, et qui n’avait elle-même alors que seize ans. Elle était venue vers moi alors que je régnais avec prodigalité sur une quantité assez considérable de « libanais rouge », d’excellente qualité, à la fête de « Lutte ouvrière ». Les organisations gauchistes, qui avaient alors le vent en poupe, commençaient à imiter les fêtes de l’Humanité, mais en modernisant le concept en concerts woodstockiens ramenés à des proportions beaucoup plus modestes mais non insignifiantes. Notre liaison dura d’ailleurs exactement le temps de mon kilo de haschich, rapporté directement de la Bekaa, et qui avait été le payement en nature de ma dernière transaction de dealer, mais je dois rendre cette justice à Brigitte que la fin de notre liaison n’avait rien à voir avec cette contingence. L’inconvénient majeur avec elle était qu’elle habitait Montreuil, et que pour nous rencontrer l’un des deux devait parcourir aller et retour la totalité de la ligne de métro la plus longue de Paris, sans que ce soit encore la totalité du déplacement. J’avais donc passé une après-midi dans quelque tour HLM où habitait cette ravissante jeune femme, dont l’amant attitré était en cavale parce que les parents de Brigitte l’avaient accusé de détournement de mineure, et où j’ai essuyé un fiasco retentissant ; ceci n’avait ni aigri ni découragé Brigitte, qui s’étonnait seulement que je sois « si peu libéré », car elle était venue aussitôt après chez moi. Nous avions passé une partie de l’après-midi au parc de Saint-Cloud, et avec Luc, Jean, Jean-Marie, après quoi nous sommes rentrés chez moi, les autres avaient instruction de nous attendre dans le salon, Brigitte et moi nous emparant du lit de ma chambre. Aucun d’entre eux n’est venu nous prévenir du retour de ma mère et de ma petite sœur de dix ans ; celle-ci a ouvert la porte de mon royaume à un moment où effectivement j’avais une érection visible et, très choquée, elle battit en retraite précipitamment. Dix ans plus tard, elle affirmait encore qu’elle avait vu la pénétration, ce qui m’a toujours émerveillé sur les capacités d’autosuggestion, surtout en matière sexuelle, même s’il est vrai que je ne l’avais que mollement démentie, comme pour atténuer ce traumatisme, qui s’en trouvait bien sûr augmenté. Mais je sais bien, pour ma part, qu’il n’en était rien, puisque Brigitte, au moins dérangée par l’indiscrétion, ne consentit pas à ce que nous continuions ce jour-là ; et nous ne nous sommes plus revus qu’une ou deux fois, mais dans le centre de Paris, et jamais plus dans une situation où la pénétration eût été possible. Dans le désarroi de la liberté sexuelle proclamée avec tyrannie par l’époque, ce n’est pas seulement ma petite sœur qui voulait me faire endosser une réputation d’homme à femmes, mais davantage encore ma mère, qui recevait déjà en compatissant de manière fort complice les malheurs des jeunes filles qui se prétendaient amoureuses de moi. Un jour, de manière tout à fait incongrue, elle vint se plaindre à moi d’avoir trouvé une tache de précipité significatif sur le divan du salon. Je ne pus que rire en accusant mon père qui avait dû passer là la semaine précédente ; mais avec une assurance sans faille, ma mère affirma que ce ne pouvait être mon père, que c’était donc moi, et qu’elle ne savait pas qui était la fille, mais que les traces dont elle parlait était mêlées de sécrétion féminine. Là encore, mes dénégations véridiques n’aboutirent qu’à confirmer l’image d’un étourdi fort volage, qui déposait son sperme un peu partout, et visiblement, avec qui passait par là, sans la moindre trace d’affection véritable, car si ma mère voulait me voir chaud lapin, c’était pour démontrer que ma sentimentalité était atrophiée, confirmant de la sorte les gémissements des Christine et des Marie-Agnès qui l’avaient attendrie. Il n’était pas si simple, à cette époque où le défoulement sexuel devenait non seulement autorisé, mais passait pour la preuve indiscutable de la fin de l’enfance, de finaliser ce qui n’avait pour moi plus rien à voir avec un plaisir, mais était devenu une épreuve, et une épreuve traumatisante. Car la peur, dans ce qui devenait un antagonisme, se transmettait comme dans les vases communicants : plus l’un avait d’assurance, plus l’autre se contractait. C’est l’expérience que j’avais aussi faite, avec Laurence, successeur de Christine et prédécesseur de Brigitte dans la liste de mes petites amies attitrées. Laurence, qui était la meilleure amie de Christie, avait de longs cheveux frisés blonds, un corps onctueux et ferme, une grande bouche, et une certaine lenteur d’esprit qui contribuait cependant à son charme indolent. Il y a eu, pour moi, deux facettes essentielles dans les quelques mois de notre liaison qui me l’ont rendue si mémorable. La première était que jamais quelqu’un, je crois, ne m’a fait bander autant, aussi vite et aussi fort, quoique les comparaisons sont malaisées. Comme je l’ai dit, mes érections avec Moni étaient fondues dans le mouvement, et n’attiraient pas mon attention ; avec Laurence, j’en avais mal partout, je me masturbais plusieurs fois par jour, et j’étais plus étonné que content ou inquiet de ce phénomène imprévu, qui devait cependant entretenir d’ambiguës relations avec ma culpabilité et mes complexes exacerbés. L’autre phénomène qui m’avait surpris avec elle était que je croyais alors l’aimer. Cela signifiait que je pensais beaucoup à elle, et que je lui dédiais de nombreux poèmes, que j’avais un goût singulier pour les rendez-vous romantiques au premier degré, par exemple sous les saules pleureurs des étangs de Ville-d’Avray, dont la chute ressemblait à sa chevelure, autour d’un feu alors qu’il pleuvait. Je me suis rendu compte avec Moni que ce que j’appelais amour avec Laurence n’était qu’une symbolique d’un désir très ardent et très peu entendu. Je me suis rendu compte bien après que ce n’est pas à elle que je pensais, mais à l’arrondi fuselé de sa cuisse ou à la souple et molle étroitesse de sa taille, et que je savais si peu ce qu’elle pensait ou voulait, que je ne me suis aperçu que fort longtemps après que je ne la voyais plus de l’importance qu’avait dans sa vie un frère mystérieux, parce que handicapé ; et il est vrai que Laurence avait connu les handicapés de l’hôpital Poincaré l’année avant le film que nous y avons tourné, et que certains d’entre eux me parlaient d’elle avec du désir dans la voix, ce qui alors me faisait simplement souffrir. Nous formions du reste un couple socialement fort présentable, parce que nous avions derrière notre traîne des jaloux avérés, Christine qui souffrait de ma rupture avec elle, et Patrick Fuchsmann, une des vedettes gauchistes du lycée, par ailleurs un petit gaillard très spirituel et attendrissant, qui avait fait de sa passion pour Laurence un sujet public, et je me rappelle d’avoir assisté, à la fin d’une soirée d’une vingtaine de personnes, non sans anxiété, à la déclaration attendue et annoncée, de Patrick à Laurence, mais qui fut refusée, parce qu’à ce moment, elle et moi, nous nous cherchions déjà ; l’affliction de Fuchsmann fut forte et drôle, il m’en voulut beaucoup mais sans méchanceté (il frappait les arbres en criant mon nom suivi de : « salaud, le peuple aura ta peau »), et resta encore longtemps une sorte de chevalier servant de Laurence, sans toutefois obtenir, à ce que je sache, l’ouverture espérée. D’autre part, Christie, qui était en train de trahir notre voyage commun aux Etats-Unis, favorisait beaucoup notre liaison, de laquelle elle attendait mon indulgence pour sa trahison, et construisant un schéma tout à fait logique, où le meilleur ami de son Christophe, c’est-à-dire moi, forme un couple avec sa meilleure amie, Laurence. Mais autant j’ignore pourquoi Laurence accepta de « sortir » avec moi, autant son apathie subséquente me parut inexplicable. Lorsque je lui avais annoncé un jour que je l’aimais, elle s’était mise à pleurer, mais pas du tout de joie, plutôt comme frappée d’une soudaine et lourde imposition ; par ailleurs, son humeur et son attitude à mon égard me parurent d’une grande continuité, ne se modifiant ni dans un sens ni dans l’autre. Pour moi qui oscillais entre des espoirs et des désespoirs qui me parurent alors extrêmes, je perdis un jour patience et lui cherchant querelle, je la chassai de chez moi, en la traitant de « minette imbaisable ». Une telle expression marquait volontairement une différence d’expérience qui chez moi n’était soutenue que par une réputation inventée de toutes pièces, laquelle avait volontiers été augmentée par Christine et Fuchsmann, qui voulaient se persuader l’un l’autre que Laurence et moi couchions ensemble, par cette sorte de masochisme qui justifiait encore mieux leur jalousie. Mais en réalité, la vulgarité profonde de mon anathème ne servait qu’à cacher l’émotion douloureuse qui m’habitait lorsque je consacrais ainsi la cassure devenue irrémédiable. Laurence partit, mais me téléphona une heure plus tard pour me demander « d’en discuter ». Je vins tout de suite chez elle, mais malheureusement, il fallut prendre à la lettre ce « discuter ». J’eus beau l’assurer avec le plus d’éloquence possible sans preuve visuelle, de l’effet qu’elle me produisait régulièrement, et à l’instant même, que j’en souffrais tant les pantalons de l’époque étaient cintrés, elle parut plus étonnée qu’inquiète, mais encore beaucoup moins attirée qu’inquiète. Il me semble cependant qu’avec elle j’étais si tranquille et si sûr que j’aurais facilement pu vaincre ce que je croyais être un traumatisme ; mais c’est peut-être cet excès, orgueilleux et pressant, qui me la fit perdre, tant elle-même semblait songer peu aux caresses impérieuses qu’elle devait sentir pointer. Elle se vengea cruellement du « minette imbaisable » pendant l’hiver suivant, après donc que j’eus aperçu Moni pour la première fois, et ceci montre à quel point j’avais oublié cette scène du ciné-club : un soir, Christie, qui espérait se rapprocher de moi, et qui avec toute la supériorité de sa personnalité voulait nous raccommoder, me fit entrer d’autorité parmi les invités de Laurence, ce qui, vu l’air renfrogné de cette liane langoureuse me parut une tactique très inadéquate. A la fin de cette réunion amicale où j’avais l’impression d’être le célèbre frêle esquif dans la tempête de l’océan, Laurence proposa à Christophe et Christie sa chambre, ouvrit pour elle le canapé-lit du salon, et le proposa à un Alain qui était là ce soir, sorte de personnage bas et laid que j’avais toujours méprisé : j’étais non seulement supplanté, mais congédié sans un mot. Et j’ai cru comprendre ensuite, par ce qu’en affirmaient les dormeurs de la pièce voisine, mais les bruits qui circulaient dans notre petit milieu me paraissent à juste titre fort douteux, que c’est précisément le soir où Laurence perdit sa virginité. Cette mésaventure-là n’a pas moins contribué que les autres à profondément douter de mes capacités sexuelles. Ces déboires participèrent grandement de ce que l’hiver 1972 fût si calamiteux, et c’est parce qu’il est dans la nature même, honteuse et secrète, de cette calamité particulière que je ne la mentionne que bien après et hors du contexte plus général de l’hiver en question. Moni était arrivée à Ville-d’Avray environ à l’automne 1971 d’après ce que j’ai pu reconstituer, c’est-à-dire au moment où la mère de Rainer frappait et geignait contre la porte derrière laquelle Christine et moi retenions notre respiration. A treize ans, elle était devenue la maîtresse d’un voisin de sa mère, un jeune cadre de vingt-huit ans. Partie avec lui à Amsterdam, lors d’un week-end à l’automne suivant, elle décida d’y rester. Sa mère mit en branle son père et la menace de toute l’autorité légale affola le jeune cadre qui, très inquiet du scandale et des poursuites judiciaires trahit aussitôt sa maîtresse. Il conduisit donc mère et père à Amsterdam, divulgua la cachette, et accepta de ne plus revoir Moni. La liberté de la fugueuse fut fort restreinte dans les mois qui suivirent, entre son domicile et le lycée, c’est la raison pour laquelle je ne la vis pas pendant tout l’hiver, et cette prison ne commença à se relâcher qu’au printemps. Elle parlait peu de son premier amant, mais avec un grand et violent mépris, que je trouvais juste. Et elle avait décidé, avec un aplomb que je lui enviais, que je serais le second. A l’inverse de ce que nous paraissions, elle avait à la fois plus d’expérience et plus d’assurance que moi. Je le savais, mais je n’aurais jamais osé le lui laisser entendre. Je ne peux pas rendre justice à la façon dont elle a préparé la soirée, et c’est un très grand regret parce que son goût si fort et fin, ce mélange d’harmonie pensée et de spontanéité, sa capacité si marquée et si retenue à construire une ambiance, cette justesse qu’elle avait alors en tout, m’enchanteraient encore aujourd’hui. J’étais uniquement occupé par mon angoisse, d’autant plus grande qu’elle était le cumul dangoisses similaires déjà vécues, mais j’avais plus que jamais la conscience d’être désespérément seul dans cette misère, plus éloigné que jamais de ma radieuse compagne, et surtout la confuse certitude qu’il était beaucoup plus crucial d’être à la hauteur de Moni que de Christine, Laurence et Brigitte réunies. Ma mémoire s’est vue châtrée, comme par un brouillard opaque et blanc, hermétique. Je me souviens seulement d’une nuit claire et étouffante, poisseuse même, un temps pourtant sec, chaud et lourd qui fait dire « il va y avoir de l’orage », mais où pour une raison aussi électrique que cette prévision, l’orage ne vient pas. Puis, un lit qui me parut très grand, avec des draps blanc cassé, un peu rugueux, transparents et qui me collaient aux jambes. Lorsque après ce qui me semble avoir été une succession de maladresses et de brusqueries, je pénétrai enfin mon amie, une douleur violente me prit soudain le sexe que je ne retirais pas cependant tout de suite. Je restais un instant comme paralysé, puis je sentis une sorte d’apaisement, qui me laissa supposer que ma semence s’était comme déposée. Je retirais mon membre qui souffrait toujours beaucoup et l’affreuse tension de l’angoisse, qui avait combattu en vain l’excitation, commençait à se tourner en sensation de désastre. Je n’ai aucun souvenir de Moni pendant toute cette nuit, sauf une grande sollicitude, une grande proximité, et depuis que je tente de reconstituer cette scène, une ineffable gentillesse. Mon sexe était turgescent et me parut grossi, mais pas par l’érection. Au réveil, c’était exactement la même chose : souffrance et inquiétude. Moni, qui devait être très embarrassée par mon étrange attitude, me demanda, avec une sollicitude pleine de délicatesse, ce que je pensais. J’eus l’honnêteté d’en appeler à l’essentiel de ma tristesse, qui recouvrait la douleur, qui recouvrait la honte : « mais le plaisir était absent », lui dis-je. Elle se tut un instant. « Oui, c’est vrai » répondit-elle enfin de sa voix grave et claire. Et puis elle m’embrassa. Nous avons passé ensemble la journée qui suivit. Et c’est une des journées les plus étranges de ma vie. D’abord parce que la censure incompréhensible de ma mémoire m’a très longtemps interdit, non de me souvenir de ce jour, mais de son lien direct avec la nuit qui l’a précédé : il m’a fallu près d’un quart de siècle pour reconstituer que cette journée ne pouvait pas être avant, comme ma vague mémoire me l’avait restitué à tort, mais était nécessairement celle qui avait suivi notre infortuné ébat. Ensuite, parce que je n’y ai vu une caractéristique capitale de mon héroïne, que je ne voyais que comme figure de proue du présent, comme une sorte d’amazone ou d’ange de la destruction, splendide mais dangereux, qu’un quart de siècle plus tard, en tentant de rendre justice à ce moment : une bonté très grande, ce goût de la douceur, égal et continu, cette affection sans ostentation qu’elle offrait comme une enfant à celui dont elle avait pris parti, avec toute sa subjectivité et toute sa finesse ; c’est une qualité très féminine, mais qui tient plus d’une mère ou d’une petite fille que d’une femme, et qui la faisait rayonner d’un plaisir doré et tendre et timide. Et c’est un immense regret de n’avoir perçu que si tard ce charme passif, cet or fondu doux et léger où elle venait apaiser, sinon engloutir la grandeur que je lui voyais trop uniquement. Enfin, sa prise en charge complète de mon abattement, qui fut complètement retourné, et les conséquences incalculables, pour toute ma vie, de ses soins apparemment si simples sont certainement l’essentiel de cet éphémère rencontre adolescente. Je ne me rappelle donc pas avoir senti mon sexe, pendant cette journée, ou plus exactement je l’ai occulté. Je me souviens seulement que lorsque nous sommes sortis, j’étais comme battu, tanné, loque sèche et rêche. On pouvait aller de la résidence de sa mère à celle de la mienne en traversant une extrémité du bois de Fosse-Repose, dense et feuillue, pentue des deux côtés. C’est là que nous sommes longtemps venus nous réfugier, à l'abri des regards, aux antipodes de la nuit. Dans la vidange de ma tension, dans la peine de mon désarroi, dans le grand vide plat de ma pensée, qui titubait à genoux, Moni occupait tous les postes de sa simplicité princière, prévenante, tendre, amicale, tour à tour câline et persuasive, joueuse et grave. Le jour me paraît jaune, un jaune un peu sale, crayeux, soleil et forêt avaient des textures fades, minimales, comme du linoléum de table de cuisine, un ocre pisseux, le reflet de mon amertume, pliée et rincée par le flot continu et bruissant de mes interrogations intérieures qui ne se réchauffaient tout doucement qu’aux grands regards si variés et si riches, si intelligents du cœur de mon amie. L’air alentour me paraissait déformé. J’eus la sensation d’une concavité de l’espace, d’une ondulation lente et sereine, d’un ralentissement du temps, comme dans l’enlisement progressif dans ses propres sensations et projections d’Ulrich dans l’Homme sans qualités. Je me rappelle d’avoir tenu Moni très serrée contre moi, mais sans être agrippé, plutôt collé, mais sans être collant. Peu à peu il y eut surabondance d’oxygène, c’était le bois, non c’était elle, à chacune de ses inspirations tout s’accroissait en elle, esprit, expérience, vitalité et elle parlait doucement mais avec une intensité pensée, et je l’écoutais, c’était facile, intéressant, mais je ne sais plus ce que c’était, et mes réponses étaient des efforts, en monosyllabes. Autant mon corps, jaune, poisseux et étouffé, collait au sien, autant le sien, souple et confiant, brûlant et frais, si rococo et sirocco, si grave et Greuze, dansait un chabada sur le mien, de gestes à peine esquissés, qui me ranimaient de son éclat. Puis l’air devint convexe, j’avais l’impression que c’est elle que je respirais, que le jaune se peuplait de marrons et de verts, et que l’odeur fine de sa nuque avait absorbé toutes les senteurs sylvestres et redistribuait, comme Puck dans le Songe d’une nuit d’été, la pensée à trois couleurs dont le suc déposé sur les yeux d’un dormeur le rendrait amoureux de la première personne qu’il verrait en s’éveillant. Jamais, comme lors de ce moment irréel, je n’avais encore été aussi proche de quelqu’un. C’est là que j’ai oublié que ce jour était le jour de cette nuit. En continuant ma longue réanimation dans l’univers de Moni, je me souviens encore du vague et irrémédiable désespoir lorsque, du bois nous avons sauté sur la route, moi d’abord, elle ensuite se laissant couler dans mes bras et ma poitrine dilatée par la respiration de la sienne, si généreuse, et ma pensée entièrement dans le flux de la sienne, large fleuve prudent, non sans rapides, épais, riche, en méandres somptueuses avec des torrents imprévus ; car cette sortie du bois signifiait que j’étais condamné à revenir à un flot pauvre, qui n’était que le mien, le mien seul, qui serait privé de cette peau de feuille au toucher de châtaigne, du battement impérieux de ce sang noir et onctueux, des coulées perforantes de ce regard d’océan. Il faisait très chaud hors des arbres, et je réussis alors, de l’effort le plus grand que j’aie connu pour un geste si court, à retenir la crème de son bras sur le mien, l’entraînant dans un café, frais et sombre, où nous étions seuls, à diminuer doucement le charme, ce qui l’augmenta encore. Après avoir réussi à effacer la nuit, c’est à ce moment-là que Moni a pris ma vie en main, de toute la sensualité de sa pensée, de toute la spiritualité de son corps. Elle a, à tel point renversé mes représentations, mes codes de pensée, mes gestes mêmes qui devenaient un mimétisme maladroit mais profondément jouissif des siens, que la vraie pénétration a eu lieu pendant cette journée, tout au long de cette journée ; mais c’est alors elle, de sa féminité épanouie, de sa générosité attentive à épouser la moindre de mes aspérités, qui m’a pénétré, ridiculisant l’ébauche de la nuit en préliminaire enfantin dépourvu d’esprit. C’est l’expérience d’extranéation la plus achevée à laquelle j’ai participé. Et même lorsque ses lèvres restaient immobiles ou effleuraient les miennes, sa pensée, qui organisait la mienne défaillante, qui enveloppait tout ce que je percevais, drogue intense, drogue douce, drogue dure, dont l’inhalation n’était pas seulement le résultat de ma faiblesse, mais aussi la force de mon espoir, avait toute la qualité et la liberté et la puissance et la finesse que j’avais pressenties dès son premier regard, et qui ne continuaient qu’à s’étoffer en moi : cet instant du passage d’une pensée dans l’autre, de la négation de ma propre essence individuelle, cet instant d’aliénation, me semble réfuter toute la diabolisation dans laquelle notre société a conceptualisé l’aliénation, tant il y avait de goût et de plaisir. C’est moins que je sentais s’estomper sa peau sur la mienne, ou que j’ai connu pour la première fois la défaite d’avoir oublié la beauté de son visage à force de le voir, c’est plutôt la douce empreinte de sa présence qui avait pris tout le volume qu’il y a en moi, je sentais sa forme entière, ses pulsions et ses pulsations étaient dans mes veines, si bien que sa voix montait du creux de mon ventre, et que les battements de ses cils chatouillaient mes poumons. Et c’est moins une des idées qu’elle a peut-être formulée ce jour-là, que l’ensemble de sa pensée qui s’est posée, en soupçons imperceptibles, en esquisse de certitudes, avec la légèreté ravageuse et paradoxale de sa sauvage douceur, à l’intérieur des replis de ma pensée intime, là où les courants d’air de l’esprit du monde environnant n’ont jamais balayé. Aux multiples points faibles que je lui avais présentés, Moni posta sa grâce en garnison. Et, de ce jour, cette occupation n’a pas cessé. |
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