ACTE IV
SCENE PREMIERE

(L’église des jésuites de Varsovie.
Dimanche 13 décembre 1981 au soir.)




GLEMP

Ce dimanche matin l’état de siège nous a trouvés stupéfaits. Ce soir, nous nous habituons à ces mots. Nous comprenons que c’est quelque chose de grave, et nous nous demandons ce qui va se passer demain. Comment agir ? Le Christ nous donne la réponse. Il dit : « Bénis soient ceux qui désirent la justice, ceux qui font la miséricorde, ceux qui clament la paix, et bénis soient ceux qui souffrent de persécution pour la justice. »

UNE VOIX

Des clous, une croix, pour persécuter cette ordure !

GLEMP

Ils diront que ce n’est pas réaliste, que c’est un recul par rapport aux acquis, que c’est reconnaître notre défaite. On peut interpréter différemment ces paroles de Jésus-Christ, mais c’est comme ça qu’il les a dites, et pour quiconque aime Dieu de tout son corps et de toute son âme, ces paroles sont l’autorité suprême.
L’homme moyen…

UNE AUTRE VOIX

Il n’y a plus d’homme moyen en Pologne ! Il n’y a plus que ceux, au-dessus, qui font l’histoire, autorité suprême, et ceux, au-dessous de tout, qui baissent la soutane.

GLEMP

… se soumet à la situation nouvelle. Mais de nombreux hommes se voient touchés dans leurs aspirations, touchés par le sentiment douloureux de l’injustice, et alors, sans prendre en compte le rapport des forces, ils veulent s’opposer à la situation actuelle, à ce mal qui est apparu. L’Eglise souhaite comprendre tous les hommes. C’est pour cela qu’elle a douloureusement ressenti l’interruption du dialogue, qui a eu tant de mal a se nouer, et l’entrée sur la voie de la contrainte qu’est l’état de siège, qui ne peut se faire sans porter atteinte aux principaux droits des citoyens.
Mais il reste le plus important : sauver les vies et éviter l’effusion de sang. On peut accuser l’Eglise de couardise, de temporiser, de vouloir faire baisser la tension. Je veux protéger toute vie humaine, et, dans l’état de siège, l’Eglise clamera, partout où ce sera possible, le calme, l’arrêt de la violence, l’arrêt des luttes fratricides si elles devaient avoir lieu.
Il n’y a pas plus grand bien que la vie humaine, c’est pour cela que j’appellerai à la raison, même au prix d’insultes.

PLUSIEURS VOIX

Canaille ! On va t’en faire bouffer de la raison : apportez les œufs pourris ! Salopard ! Kantien ! Vieille couille !

GLEMP

… Et je demanderai, même si je dois le faire à genoux et les pieds nus, qu’un Polonais ne lutte pas contre un Polonais. Ne donnez pas vos têtes, frères ouvriers et travailleurs des grandes entreprises, car on ne donnera pas cher de la tête coupée. Et chaque tête, chaque paire de mains sera précieuse pour la reconstruction qui suivra la fin de l’état de siège.
Que les ouvriers comprennent la gravité de l’heure. Nous allons prier tous les jours la mère de Dieu dans toutes les paroisses.

TOUS (en chœur)

Jamais ! (Et ils entonnent :)

Si tu veux être heureux,
Nom de dieu !
Pends ton propriétaire,
Coup’ les curés en deux,
Nom de dieu !
Fous les églis’ par terre,
Sang-dieu !
Et l’bon dieu dans la merdre,
Nom de dieu !
Et l’bon dieu dans la merdre.

(Gemp s’enfuit, affolé.)






SCENE II

(Place de la Victoire à Varsovie.
JARUZELSKI. Des miliciens et des soldats.
Puis GLEMP, DABROWSKI et ses enfants de chœur.)




JARUZELSKI

En avant mes amis ! Vive Lénine et la Pologne ! le vieux gredin de Lech Walesa est pris. Il ne reste plus que quelques manifestants, Glemp et Dabrowski. Je m’offre à marcher à votre tête et à rétablir la dictature des trente dernières années.

TOUS

Vive Jaruzelski !

JARUZELSKI

Et nous supprimerons toutes les réformes que n’a pas pu empêcher Lech Walesa.

GLEMP

Que voulez-vous, messieurs ? Ah ! c’est Jaruzelski. (La foule derrière lui lance des pierres.)

PREMIER ENFANT DE CHŒUR

Tous les vitraux sont cassés.

DEUXIEME ENFANT DE CHŒUR

Saint Georges, me voilà assommé.

TROISIEME ENFANT DE CHŒUR

Cornebleu, je meurs.

JARUZELSKI

Activez les pompes à eau, mes amis.

MGR DABROWSKI (aux miliciens)

Vous avez la bénédiction du pape.

JARUZELSKI

Embrassons-nous ! ainsi le vieux monde refait son unité.

MGR DABROWSKI

J’ai accompli ma mission.

JARUZELSKI

Victoire, mes amis ! Sus au peuple ! (On entend l’hymne polonais.)
Ah ! Voilà les délégués de Solidarité qui arrivent. Courons, attrapons la mauvaise harpie !

TOUS

En attendant que nous jugions tous ces bandits.
(Pompes à eau et grêle de pierres ; GLEMP s’éclipse dans les coulisses.)






SCENE III

(LECH WALESA en résidence surveillée près de Varsovie.)




LECH WALESA

Cornedieu, jambedieu, tête de vache ! Nous allons périr, car nous mourons de soif et sommes fatigué. Vous là, appelez-moi un ministre ou un général de merdre, sans quoi je vais passer pour inutile.
(Le bureaucrate sort.)

GUETTA

Hon, monsieuye, il est étonnant que les Russes n’apparaissent point.

LECH WALESA

Il est regrettable que l’état de nos finances ne nous permette pas d’avoir une demeure à la taille de notre gloire ; car l’exiguïté de mon domicile personnel n’eût même pas permis d’abriter les journalistes pour cette spectaculaire garde à vue. Mais dès que cette négociation nous aura rendu notre prééminence, nous confisquerons, aidé de notre science en arrivisme, au moyen des lumières de nos conseillers, un palais qui nous pourra contenir tous.

MARGUERITTE

Voilà Jan Rulewski qui se précipite.

LECH WALESA

Et qu’a-t-il, ce garçon ?

RULEWSKI

Tout est perdu, président, les Polonais sont révoltés, Jaruzelski fait marcher la milice et Glemp appelle à la raison.

LECH WALESA

Oiseau de nuit, bête de malheur, hibou à guêtres, où as-tu péché ces sornettes ? En voilà d’une autre ! Et qui a fait ça ? Brejnev et Reagan je parie ! D’où viens-tu, toi ?

RULEWSKI

De Szczecin cher président.

LECH WALESA

Garçon de ma merdre, si je t’en croyais, je ferais rebrousser chemin à toute une négociation. Mais, cher citoyen, depuis le dernier congrès il y a sur tes épaules plus de trouille que de cervelle, et tu as rêvé ces sottises. Va dans le vestibule, mon garçon, les Russes ne sont pas loin et nous aurons bientôt besoin de toute notre salive pour conclure un compromis sur le prix des patates de merdre, du tabac et des andouilles.

ADAM MISCHNICK

Lech Walesa, ne voyez-vous pas sur la route, les chars ?

LECH WALESA

C’est vrai, les chars ! Me voilà joli. Si encore il y avait moyen de s’en aller, mais pas du tout, nous sommes sur une hauteur et nous serons en butte à tous les coups.

TOUS

Les chars ! Amis ! Amis !

LECH WALESA

Allons, messieurs, prenons nos dispositions pour la négociation. Nous allons rester à l’étage et ne commettrons surtout pas la sottise de descendre en bas. Je me tiendrai sur ma chaise comme une citadelle vivante, et vous autres graviterez autour de moi. J’ai à vous recommander de tourner sept fois votre langue dans votre bouche avant de l’ouvrir, parce que d’abord vous ne parlez pas russe et ensuite c’est moi qui cause. Descendez déjà nettoyer les chenilles de leurs chars et faites un peu de lèchewalesa-bottes. Quant à moi, je vais les étourdir de propositions, et je les achèverai de quelques phrases bien placées.

TOUS

Vos ordres, président Walesa, seront exécutés.

LECH WALESA

Eh ! cela va bien, nous serons vainqueurs. Quelle heure est-il ?

ADAM MISCHNICK

Onze heures du matin.

LECH WALESA

Allumons la télévision, car notre précieuse personne doit s’y montrer à midi. Dites à tous de faire leurs besoins et de venir regarder l’émission de Solidarité.
(Mischnick allume la télévision.)

CONSEILLERS ET MILICIENS

Vive Lech Walesa, le sauveur de la nation ! Ting, ting, ting ; ting, ting, ting ; ting, ting, tating !

LECH WALESA

O les braves gens, je les adore. (A l’écran, un char fait feu sur la foule.) Ah ! j’ai peur, Sire Dieu, je suis mort ! et cependant non, je n’ai rien.






SCENE IV

(Les mêmes. WAJDA. BREJNEV et sa suite.)




WAJDA

Lech Walesa, les chars attaquent.

LECH WALESA

Eh bien, après, que veux-tu que j’y fasse ? ce n’est pas moi qui le leur ai dit. Cependant, Messieurs de Solidarité, préparons-nous à causer.

ADAM MISCHNICK

Une seconde attaque.

LECH WALESA

Ah ! je n’y tiens plus. Là-bas il pleut du plomb et du fer, c’est pour endommager notre précieuse renommée. Changeons de chaîne. (Il change de chaîne. A l’écran, une autre bataille s’engage.)

UN MILICIEN (frappant en gros plan à la TV)

Pour Dieu et le Parti !

UN OUVRIER (toujours à la TV)

Ah ! je meurs pour les insuffisances de Solidarité.

LECH WALESA

En avant ! Ah, toi, Monsieur, que je t’attrape, car tu m’as fait mal, entends-tu ! sac à vin ! avec ta barre de fer qui tape dans le vide.

WAJDA

Ah ! voyez-vous ça. (On voit des miliciens brûler une banderole de Solidarité.)

LECH WALESA

Ah ! Oh ! Je suis blessé, je suis troué, je suis perforé, je suis administré, je suis enterré. (Des ouvriers s’attaquent avec succès à un char d’assaut.)

Oh ! mais tout de même. Ah ! je les tiens. Jaruzelski, recommenceras-tu maintenant ?

ADAM MISCHNICK

En avant, poussez vigoureusement, passez la barricade, la victoire est à nous.

LECH WALESA

Tu crois ? Jusqu’ici je sens autour de mon cou plus de corde que de médailles.
(Apparaît la retransmission de l’anniversaire de Brejnev.)

LES PREMIERS SECRETAIRES DES PAYS FRERES (à la TV)

Happy birthday to you !

UN MILICIEN

Ah ! Seigneur ! Baissez les yeux. Il regarde vers nous.

UN AUTRE

Ah ! mon Dieu ! il parle de la Pologne.

UN AUTRE

Ah ! Oh ! il pince la joue à ce poupin de Mauroy, qui était au courant du coup de force quatre jours auparavant et qui a si bien tenu sa langue.
(Nouvelles scènes de rue à la TV.)

LECH WALESA

Eh ! mais c’est Kuron ! En avant mes amis ! Attraper ce bélître ! En compote les Moscovites ! La victoire est à nous. Vive l’Aigle Rouge !

TOUS

En avant ! Hurrah ! Jambedieu ! Attrapez le grand bougre.

KURON (trébuchant à la TV)

Par saint Georges, je suis tombé.

LECH WALESA

Ah ! c’est toi, Kuron ! Ah ! mon ami. Nous sommes bien heureux ainsi que toute la compagnie de t’admirer en si fâcheuse posture, Messieurs de Solidarité, hachez le menu. (A ce moment-là , aux cris de Kuron et Walesa « traîtres », des ouvriers déchirent des banderoles Solidarité à la TV.) Oh ! Ah ! Oh ! Je suis mort. C’est au moins douze points que je perds à l’élection de l’homme de l’année sur France Inter. Ah ! mon Dieu, pardonnez-moi mes péchés mais gardez-moi le prix Nobel.

KURON (à la TV)

J’ai dû glisser sur une merdre idéologique.

LECH WALESA

Ah ! tu te moques de moi ! Encore ! Ah ! battez-le bien !

ADAM MISCHNICK

Lech Walesa, nous avançons partout.

LECH WALESA

Je le vois bien, je n’en peux plus, c’est de l’aventurisme, je suis bien embêté, je voudrais en rester là. Oh ! mon racket.

ADAM MISCHNICK

A propos de racket, Brejnev vient d’arriver, Lech Walesa.
(Il éteint la TV.)

LECH WALESA

Eh ! j’y vais de ce pas, Allons ! sabre à dogmes, fais ton office, et toi, croc à solidarités, ne reste pas en arrière. Que le bâton à louanges travaille d’une généreuse émulation et partage avec ce petit bout de ruse l’honneur de magouiller, emberlificoter et démagoger l’Empereur moscovite. En avant, Monsieur-notre-courage-à-solidarités !
(Il se précipite vers Brejnev.)

UN OFFICIER RUSSE

A terre, manant !

LECH WALESA

Oh ! aïe ! Ah ! mais tout de même. Ah ! monsieur, pardon, laissez-moi tranquille. Oh ! mais, je n’ai pas fait exprès ! (Il s’agenouille et baise la main de Brejnev.) Sainte Vierge, je vous ai toujours tant admiré ! Qu’ai-je fait, grand Dieu ! Je vous avais promis mon accord pour cette guerre civile préventive, mais je suis prêt à de nouveaux compromis. (A part.) Courage, à quatre pattes. (Ce Walesagouin feint d’avoir une crise cardiaque.)

BREJNEV

Bon, je suis d’accord.

TOUS

Hurrah ! Brejnev est si bon !

LECH WALESA (à part)

Ah ! J’ose à peine me relever ! Il a sa main sur ma tête. Pourvu qu’il ne tape pas dessus. (Tout haut.) Allons, Polonais, allez travailler à tour de bras, sinon je ne m’en sors pas ! Mais je n’ose pas le leur dire à la télévision. Et cependant notre prédiction s’est complètement réalisée, le Parti s’est cassé la figure ainsi que Solidarité, et j’aurais pris le pouvoir si une inexplicable terreur n’était venue combattre et annuler en nous les effets de notre courage. Mais nous avons dû soudainement tourner casaque, et nous n’avons dû notre salut qu’à notre habileté comme menteur, ainsi qu’à la solidité de notre bouffonne image internationale dont la grossièreté n’a d’égale que la stabilité, et dont la vanité fait la célébrité, ainsi qu’à la profondeur du fossé qui s’est trouvé fort à propos entre le parti dit ouvrier et les ouvriers. Tout ceci est fort beau, mais personne ne m’écoute. Allons ! bon, ça recommence ! (Les hommes du KGB lui passent les menottes.)

ADAM MISCHNICK

Cette fois-ci, c’est la débandade, il en a trop dit.

LECH WALESA

Ah ! voici l’occasion d’avoir un peu la paix, c’est Noël. Or donc, Messieurs, arrêtez ces Polonais ! En avant ! ou plutôt, en arrière !

LES POLONAIS

Sauve qui peut !

LECH WALESA

Allons ! vrout ! Quel tas de gens, quelle fuite, quelle multitude, comment me tirer de ce gâchis ? (Il est bousculé.) Ah ! mais toi, fais attention ou je te dénonce à Amnesty International, à I’ONU et aux Droits de l’Homme. Ah ! il est parti, allons nous coucher pendant que Mischnick se fait tabasser et ne nous voit pas.






SCENE V

(Au QG des forces armées à Varsovie.
WALESA. GUETTA. MARGUERITTE.)




LECH WALESA

Ah ! le chien de temps, il gèle à pierre à fendre et la personne du Maître Solidarité s’en trouve fort endommagée.

GUETTA

Hou ! Monsieuye Walesa, êtes-vous remis de votre terreur et de votre arrestation ?

LECH WALESA

Oui ! je n’ai plus peur, mais j’ai encore l’arrestation.

MARGUERITTE (à part)

Quel pourceau.

LECH WALESA

Eh ! monsieur Margueritte, votre paye, comment va-t-elle ?

MARGUERITTE

Aussi bien, Monsieuye, qu’elle peut aller tout en allant très mal. Par conséiquent de quoye, j’ai un scoop et pas de téléscripteur.

LECH WALESA

Tiens, c’est bien fait ! Toi aussi, tu voulais toujours taper les autres. Moi, j’ai déployé la plus grande valeur, et sans m’exposer j’ai fait massacrer sept mineurs de la mine Wujek, sans compter tous ceux que personne n’a avoué.

MARGUERITTE (à Guetta)

Savez-vous ce qu’est devenu le petit Wajda ?

GUETTA

Il a reçu une balle dans le cul.

LECH WALESA

Ainsi que le coquelicot et le pissenlit à la fleur de leur âge sont fauchés par l’impitoyable faux de l’impitoyable faucheur qui fauche impitoyablement leur pitoyable binette, – ainsi le petit Wajda a fait le coquelicot ; c’était une fort bonne journapute cependant, mais aussi il n’avait qu’à rester caché derrière le premier rang comme tout le monde.

GUETTA ET MARGUERITTE

Hon, Monsieuye !

UN ECHO

Hhrron !

GUETTA

Qu’est-ce ? Armons-nous de nos plumes.

LECH WALESA

Ah ! non ! par exemple, encore le KGB ! j’en ai assez, et puis c’est bien simple, s’ils m’attrapent ji li braille.






SCENE VI

(Les mêmes, entre la Dialectique.)




MARGUERITTE

Hon, Monsieuye de Solidarité !

LECH WALESA

Oh ! tiens, regardez donc la petite pensée. Elle est gentille, ma foi.

GUETTA

Prenez garde ! Ah ! quelle énorme pensée : mes cartouches Watermann !

LECH WALESA

La Dialectique ! Ah ! l’atroce bête. Oh ! pauvre homme, me voilà mangé. Que Dieu me protège. Et elle vient sur moi. Non, c’est Margueritte qu’elle attrape. Ah ! je respire. (La Dialectique se jette sur Margueritte. Guetta l’attaque à coups d’éditoriaux. Walesa se réfugie sur un pot de chambre.)

MARGUERITTE

A moi, Guetta, à moi, au secours, Monsieuye Walesa !

LECH WALESA

Bernique ! Débrouille-toi, mon ami ; pour le moment, nous faisons notre Pater Noster. Chacun son tour d’être mangé.

GUETTA

Je l’ai, je la tiens.

MARGUERITTE

Ferme, collègue, elle commence à me lâcher.

LECH WALESA

Sanctificetur nomen tuum.

MARGUERITTE

Lâche bougre !

GUETTA

Ah ! elle me mord ! O Fauvet, sauvez-moi, je suis critiqué.

LECH WALESA

Fiat voluntas tua.

MARGUERITTE

Ah ! J’ai réussi à la mettre à mal.

GUETTA

Hurrah ! elle perd son sang. (Au milieu de cris d’ouvriers, la Dialectique beugle de douleur et Walesa continue à marmotter.)

MARGUERITTE

Tiens-la ferme, que j’attrape ma méthode policière.

LECH WALESA

Panem nostrum quotidianum da nobis hodie.

GUETTA

L’as-tu enfin, je n’en peux plus.

LECH WALESA

Sicut et nos dimitimus debitoribus nostris.

MARGUERITTE

Ah ! je l’ai. (Une décompression, et la Dialectique tombe morte.)

GUETTA ET MARGUERITTE

Victoire !

LECH WALESA

Sed libera nos a malo. Amen. Enfin, est-elle morte ? Puis-je descendre de mon pot de chambre ?

GUETTA (avec mépris)

Tant que vous voudrez.

LECH WALESA (descendant)

Vous pouvez vous flatter que si vous êtes encore salarié, et si vous foulez encore la moquette de cette résidence, vous le devez à la vertu magnanime du Maître de Solidarité, qui s’est évertué, échiné et égosillé à débiter des patenôtres pour votre carrière, et qui a manié avec autant de courage le glaive spirituel de la prière, que vous avez manié avec adresse le temporel du gros-titre-de-la-une cartésien. Nous avons même poussé plus loin notre dévouement, car nous n’avons pas hésité à monter sur un rocher fort haut pour que nos prières aient moins loin d’ici au Ciel.

GUETTA

Révoltante bourrique.

LECH WALESA

Voici une bonne bête. Grâce à moi, vous avez du pain sur la planche. Quel ventre, messieurs ! Les Grecs y auraient été plus à l’aise que dans le cheval de bois et peu s’en est fallu, chers amis, que nous n’ayons pu aller vérifier de nos propres yeux sa capacité intérieure.

GUETTA

Je manque d’idées. Qu’écrire ?

MARGUERITTE

Récupérons la Dialectique.

LECH WALESA

Eh ! pauvres gens, allez-vous la récupérer toute crue ? Nous n’avons rien pour la faire mousser.

GUETTA

N’avons-nous pas notre talent ?

LECH WALESA

Tiens, c’est vrai. Et puis il me semble que jusque dans le bâtiment où nous sommes, il y a des phrases subversives sur les murs. Va en recopier Margueritte. (Margueritte y va.)

GUETTA

Et maintenant, Lech Walesa, allez dépecer la Dialectique.

LECH WALESA

Oh non ! Elle n’est peut-être pas morte. Tandis que toi qui es déjà à moitié mangé et mordu de toutes parts, c’est tout à fait dans ton rôle. Je vais la surveiller en attendant Margueritte.
(Guetta commence à dépecer la Dialectique.)

LECH WALESA

Oh, prends garde ! elle a bougé.

GUETTA

Mais, Lech Walesa, elle est déjà toute froide.

LECH WALESA

C’est dommage, il aurait mieux valu la récupérer chaude. Ceci va procurer un problème métaphysique au Maître de Solidarité.

GUETTA (à part)

C’est révoltant. (Haut.) Aidez-nous un peu monsieur Walesa, je ne peux faire toute la besogne.

LECH WALESA

Non, je ne veux rien faire, moi ! Je suis fatigué, bien sûr !

MARGUERITTE (rentrant)

Quelle mitraille, mes amis, on se dirait en Iran ou au Salvador. La nuit commence à tomber. Dans une heure il fera noir. Hâtons-nous pour voir encore clair.

LECH WALESA

Oui, entends-tu, Guetta ? hâtez-vous tous les deux. Trafiquez la Dialectique, falsifiez la Dialectique, j’ai plus d’idées, moi.

GUETTA

Ah, c’est trop fort à la fin ! Il faudra travailler ou tu n’auras rien, entends-tu, plouc ?

LECH WALESA

Oh ! ça m’est égal, je vais faire une grève de la faim. C’est vous qui serez bien attrapés. Et puis j’ai sommeil, moi.

MARGUERITTE

Que voulez-vous, Guetta, gardons les idées pour nous seuls. Il n’en aura pas, voilà tout. Ou bien on pourra lui laisser les mots.

GUETTA

C’est bien. Ah, voilà l’inspiration qui vient.

LECH WALESA

Oh ! c’est bon ça, j’imagine plein de choses maintenant. Mais je vois des Russes partout. Quelle négociation, grand Dieu ! Ah ! (Il tombe endormi.)

MARGUERITTE

Je voudrais savoir si ce que disait Wajda est vrai, si Glemp est vraiment d’accord avec Jaruzelski. Cela n’aurait rien d’impossible.

GUETTA

Finissons de faire notre soupe aux idées.

MARGUERITTE

Non, nous avons à parler de choses plus importantes. Je pense qu’il serait bon de s’enquérir de la véracité de ces nouvelles.

GUETTA

C’est vrai. Faut-il abandonner Lech Walesa ou rester avec lui ?

MARGUERITTE

La nuit porte conseil. Dormons, nous verrons demain ce qu’il faut faire.

GUETTA

Non, il vaut mieux profiter du couvre-feu pour nous en aller.

MARGUERITTE

Prenons nos laisser-passer, alors. (Ils partent.)






SCENE VII




LECH WALESA (parle en dormant)

Ah ! Maître Brejnev, faites attention, ne tirez pas par ici, le monde entier regarde. Ah ! voilà Kuron, qu’il est minable, rien à voir avec la Dialedique. Et Jaruzelski qui vient sur moi ! La Dialectique ! La Dialectique ! Ah ! La voilà à bas ! qu’elle est dure grand Dieu ! Je ne veux rien faire, moi ! Va-t’en Jaruzelski ! Entends-tu, drôle ? Voilà Wajda maintenant et Brejnev. Oh ! ils vont me battre. Et le Glemp ! Où as-tu pris toute cette gloire ? Tu m’as pris ma gloire, misérable. Tu as été farfouiller sur mes plates-bandes, qui sont dans le prolétariat urbain, près de la paix sociale. Je suis mort depuis longtemps, moi. C’est Jaruzelski qui m’as tué et je suis pendu à Varsovie avec les tripes de Pilsudski et aussi à Cracovie avec les ouailles de Jean-Paul II et aussi à Torun, dans la casemate avec Korun. La voilà encore. Mais va-t’en maudite Dialectique ! Tu ressembles à la grève générale. Entends-tu, bête de Satan ? Non, elle n’entend pas, les journaputes lui ont coupé les oneilles. Décervelez, tudez, coupez les oneilles, arrachez la solidarité et mentez jusqu’à la mort, c’est la vie des journaputes, c’est le bonheur du Maître de Solidarité.
(Il se tait et dort.)




FIN DU QUATRIEME ACTE








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