ACTE IV
SCENE PREMIERE
(Léglise des jésuites de Varsovie.
Dimanche 13 décembre 1981 au soir.)
GLEMP
Ce dimanche matin létat de siège nous a trouvés stupéfaits. Ce soir, nous nous habituons à ces mots. Nous comprenons que cest quelque chose de grave, et nous nous demandons ce qui va se passer demain. Comment agir ? Le Christ nous donne la réponse. Il dit : « Bénis soient ceux qui désirent la justice, ceux qui font la miséricorde, ceux qui clament la paix, et bénis soient ceux qui souffrent de persécution pour la justice. »
UNE VOIX
Des clous, une croix, pour persécuter cette ordure !
GLEMP
Ils diront que ce nest pas réaliste, que cest un recul par rapport aux acquis, que cest reconnaître notre défaite. On peut interpréter différemment ces paroles de Jésus-Christ, mais cest comme ça quil les a dites, et pour quiconque aime Dieu de tout son corps et de toute son âme, ces paroles sont lautorité suprême.
Lhomme moyen…
UNE AUTRE VOIX
Il ny a plus dhomme moyen en Pologne ! Il ny a plus que ceux, au-dessus, qui font lhistoire, autorité suprême, et ceux, au-dessous de tout, qui baissent la soutane.
GLEMP
… se soumet à la situation nouvelle. Mais de nombreux hommes se voient touchés dans leurs aspirations, touchés par le sentiment douloureux de linjustice, et alors, sans prendre en compte le rapport des forces, ils veulent sopposer à la situation actuelle, à ce mal qui est apparu. LEglise souhaite comprendre tous les hommes. Cest pour cela quelle a douloureusement ressenti linterruption du dialogue, qui a eu tant de mal a se nouer, et lentrée sur la voie de la contrainte quest létat de siège, qui ne peut se faire sans porter atteinte aux principaux droits des citoyens.
Mais il reste le plus important : sauver les vies et éviter leffusion de sang. On peut accuser lEglise de couardise, de temporiser, de vouloir faire baisser la tension. Je veux protéger toute vie humaine, et, dans létat de siège, lEglise clamera, partout où ce sera possible, le calme, larrêt de la violence, larrêt des luttes fratricides si elles devaient avoir lieu.
Il ny a pas plus grand bien que la vie humaine, cest pour cela que jappellerai à la raison, même au prix dinsultes.
PLUSIEURS VOIX
Canaille ! On va ten faire bouffer de la raison : apportez les œufs pourris ! Salopard ! Kantien ! Vieille couille !
GLEMP
… Et je demanderai, même si je dois le faire à genoux et les pieds nus, quun Polonais ne lutte pas contre un Polonais. Ne donnez pas vos têtes, frères ouvriers et travailleurs des grandes entreprises, car on ne donnera pas cher de la tête coupée. Et chaque tête, chaque paire de mains sera précieuse pour la reconstruction qui suivra la fin de létat de siège.
Que les ouvriers comprennent la gravité de lheure. Nous allons prier tous les jours la mère de Dieu dans toutes les paroisses.
TOUS (en chœur)
Jamais ! (Et ils entonnent :)
Si tu veux être heureux,
Nom de dieu !
Pends ton propriétaire,
Coup les curés en deux,
Nom de dieu !
Fous les églis par terre,
Sang-dieu !
Et lbon dieu dans la merdre,
Nom de dieu !
Et lbon dieu dans la merdre.
(Gemp senfuit, affolé.)
SCENE II
(Place de la Victoire à Varsovie.
JARUZELSKI. Des miliciens et des soldats.
Puis GLEMP, DABROWSKI et ses enfants de chœur.)
JARUZELSKI
En avant mes amis ! Vive Lénine et la Pologne ! le vieux gredin de Lech Walesa est pris. Il ne reste plus que quelques manifestants, Glemp et Dabrowski. Je moffre à marcher à votre tête et à rétablir la dictature des trente dernières années.
TOUS
Vive Jaruzelski !
JARUZELSKI
Et nous supprimerons toutes les réformes que na pas pu empêcher Lech Walesa.
GLEMP
Que voulez-vous, messieurs ? Ah ! cest Jaruzelski. (La foule derrière lui lance des pierres.)
PREMIER ENFANT DE CHŒUR
Tous les vitraux sont cassés.
DEUXIEME ENFANT DE CHŒUR
Saint Georges, me voilà assommé.
TROISIEME ENFANT DE CHŒUR
Cornebleu, je meurs.
JARUZELSKI
Activez les pompes à eau, mes amis.
MGR DABROWSKI (aux miliciens)
Vous avez la bénédiction du pape.
JARUZELSKI
Embrassons-nous ! ainsi le vieux monde refait son unité.
MGR DABROWSKI
Jai accompli ma mission.
JARUZELSKI
Victoire, mes amis ! Sus au peuple ! (On entend lhymne polonais.)
Ah ! Voilà les délégués de Solidarité qui arrivent. Courons, attrapons la mauvaise harpie !
TOUS
En attendant que nous jugions tous ces bandits.
(Pompes à eau et grêle de pierres ; GLEMP séclipse dans les coulisses.)
SCENE III
(LECH WALESA en résidence surveillée près de Varsovie.)
LECH WALESA
Cornedieu, jambedieu, tête de vache ! Nous allons périr, car nous mourons de soif et sommes fatigué. Vous là, appelez-moi un ministre ou un général de merdre, sans quoi je vais passer pour inutile.
(Le bureaucrate sort.)
GUETTA
Hon, monsieuye, il est étonnant que les Russes napparaissent point.
LECH WALESA
Il est regrettable que létat de nos finances ne nous permette pas davoir une demeure à la taille de notre gloire ; car lexiguïté de mon domicile personnel neût même pas permis dabriter les journalistes pour cette spectaculaire garde à vue. Mais dès que cette négociation nous aura rendu notre prééminence, nous confisquerons, aidé de notre science en arrivisme, au moyen des lumières de nos conseillers, un palais qui nous pourra contenir tous.
MARGUERITTE
Voilà Jan Rulewski qui se précipite.
LECH WALESA
Et qua-t-il, ce garçon ?
RULEWSKI
Tout est perdu, président, les Polonais sont révoltés, Jaruzelski fait marcher la milice et Glemp appelle à la raison.
LECH WALESA
Oiseau de nuit, bête de malheur, hibou à guêtres, où as-tu péché ces sornettes ? En voilà dune autre ! Et qui a fait ça ? Brejnev et Reagan je parie ! Doù viens-tu, toi ?
RULEWSKI
De Szczecin cher président.
LECH WALESA
Garçon de ma merdre, si je ten croyais, je ferais rebrousser chemin à toute une négociation. Mais, cher citoyen, depuis le dernier congrès il y a sur tes épaules plus de trouille que de cervelle, et tu as rêvé ces sottises. Va dans le vestibule, mon garçon, les Russes ne sont pas loin et nous aurons bientôt besoin de toute notre salive pour conclure un compromis sur le prix des patates de merdre, du tabac et des andouilles.
ADAM MISCHNICK
Lech Walesa, ne voyez-vous pas sur la route, les chars ?
LECH WALESA
Cest vrai, les chars ! Me voilà joli. Si encore il y avait moyen de sen aller, mais pas du tout, nous sommes sur une hauteur et nous serons en butte à tous les coups.
TOUS
Les chars ! Amis ! Amis !
LECH WALESA
Allons, messieurs, prenons nos dispositions pour la négociation. Nous allons rester à létage et ne commettrons surtout pas la sottise de descendre en bas. Je me tiendrai sur ma chaise comme une citadelle vivante, et vous autres graviterez autour de moi. Jai à vous recommander de tourner sept fois votre langue dans votre bouche avant de louvrir, parce que dabord vous ne parlez pas russe et ensuite cest moi qui cause. Descendez déjà nettoyer les chenilles de leurs chars et faites un peu de lèchewalesa-bottes. Quant à moi, je vais les étourdir de propositions, et je les achèverai de quelques phrases bien placées.
TOUS
Vos ordres, président Walesa, seront exécutés.
LECH WALESA
Eh ! cela va bien, nous serons vainqueurs. Quelle heure est-il ?
ADAM MISCHNICK
Onze heures du matin.
LECH WALESA
Allumons la télévision, car notre précieuse personne doit sy montrer à midi. Dites à tous de faire leurs besoins et de venir regarder lémission de Solidarité.
(Mischnick allume la télévision.)
CONSEILLERS ET MILICIENS
Vive Lech Walesa, le sauveur de la nation ! Ting, ting, ting ; ting, ting, ting ; ting, ting, tating !
LECH WALESA
O les braves gens, je les adore. (A lécran, un char fait feu sur la foule.) Ah ! jai peur, Sire Dieu, je suis mort ! et cependant non, je nai rien.
SCENE IV
(Les mêmes. WAJDA. BREJNEV et sa suite.)
WAJDA
Lech Walesa, les chars attaquent.
LECH WALESA
Eh bien, après, que veux-tu que jy fasse ? ce nest pas moi qui le leur ai dit. Cependant, Messieurs de Solidarité, préparons-nous à causer.
ADAM MISCHNICK
Une seconde attaque.
LECH WALESA
Ah ! je ny tiens plus. Là-bas il pleut du plomb et du fer, cest pour endommager notre précieuse renommée. Changeons de chaîne. (Il change de chaîne. A lécran, une autre bataille sengage.)
UN MILICIEN (frappant en gros plan à la TV)
Pour Dieu et le Parti !
UN OUVRIER (toujours à la TV)
Ah ! je meurs pour les insuffisances de Solidarité.
LECH WALESA
En avant ! Ah, toi, Monsieur, que je tattrape, car tu mas fait mal, entends-tu ! sac à vin ! avec ta barre de fer qui tape dans le vide.
WAJDA
Ah ! voyez-vous ça. (On voit des miliciens brûler une banderole de Solidarité.)
LECH WALESA
Ah ! Oh ! Je suis blessé, je suis troué, je suis perforé, je suis administré, je suis enterré. (Des ouvriers sattaquent avec succès à un char dassaut.)
Oh ! mais tout de même. Ah ! je les tiens. Jaruzelski, recommenceras-tu maintenant ?
ADAM MISCHNICK
En avant, poussez vigoureusement, passez la barricade, la victoire est à nous.
LECH WALESA
Tu crois ? Jusquici je sens autour de mon cou plus de corde que de médailles.
(Apparaît la retransmission de lanniversaire de Brejnev.)
LES PREMIERS SECRETAIRES DES PAYS FRERES (à la TV)
Happy birthday to you !
UN MILICIEN
Ah ! Seigneur ! Baissez les yeux. Il regarde vers nous.
UN AUTRE
Ah ! mon Dieu ! il parle de la Pologne.
UN AUTRE
Ah ! Oh ! il pince la joue à ce poupin de Mauroy, qui était au courant du coup de force quatre jours auparavant et qui a si bien tenu sa langue.
(Nouvelles scènes de rue à la TV.)
LECH WALESA
Eh ! mais cest Kuron ! En avant mes amis ! Attraper ce bélître ! En compote les Moscovites ! La victoire est à nous. Vive lAigle Rouge !
TOUS
En avant ! Hurrah ! Jambedieu ! Attrapez le grand bougre.
KURON (trébuchant à la TV)
Par saint Georges, je suis tombé.
LECH WALESA
Ah ! cest toi, Kuron ! Ah ! mon ami. Nous sommes bien heureux ainsi que toute la compagnie de tadmirer en si fâcheuse posture, Messieurs de Solidarité, hachez le menu. (A ce moment-là , aux cris de Kuron et Walesa « traîtres », des ouvriers déchirent des banderoles Solidarité à la TV.) Oh ! Ah ! Oh ! Je suis mort. Cest au moins douze points que je perds à lélection de lhomme de lannée sur France Inter. Ah ! mon Dieu, pardonnez-moi mes péchés mais gardez-moi le prix Nobel.
KURON (à la TV)
Jai dû glisser sur une merdre idéologique.
LECH WALESA
Ah ! tu te moques de moi ! Encore ! Ah ! battez-le bien !
ADAM MISCHNICK
Lech Walesa, nous avançons partout.
LECH WALESA
Je le vois bien, je nen peux plus, cest de laventurisme, je suis bien embêté, je voudrais en rester là. Oh ! mon racket.
ADAM MISCHNICK
A propos de racket, Brejnev vient darriver, Lech Walesa.
(Il éteint la TV.)
LECH WALESA
Eh ! jy vais de ce pas, Allons ! sabre à dogmes, fais ton office, et toi, croc à solidarités, ne reste pas en arrière. Que le bâton à louanges travaille dune généreuse émulation et partage avec ce petit bout de ruse lhonneur de magouiller, emberlificoter et démagoger lEmpereur moscovite. En avant, Monsieur-notre-courage-à-solidarités !
(Il se précipite vers Brejnev.)
UN OFFICIER RUSSE
A terre, manant !
LECH WALESA
Oh ! aïe ! Ah ! mais tout de même. Ah ! monsieur, pardon, laissez-moi tranquille. Oh ! mais, je nai pas fait exprès ! (Il sagenouille et baise la main de Brejnev.) Sainte Vierge, je vous ai toujours tant admiré ! Quai-je fait, grand Dieu ! Je vous avais promis mon accord pour cette guerre civile préventive, mais je suis prêt à de nouveaux compromis. (A part.) Courage, à quatre pattes. (Ce Walesagouin feint davoir une crise cardiaque.)
BREJNEV
Bon, je suis daccord.
TOUS
Hurrah ! Brejnev est si bon !
LECH WALESA (à part)
Ah ! Jose à peine me relever ! Il a sa main sur ma tête. Pourvu quil ne tape pas dessus. (Tout haut.) Allons, Polonais, allez travailler à tour de bras, sinon je ne men sors pas ! Mais je nose pas le leur dire à la télévision. Et cependant notre prédiction sest complètement réalisée, le Parti sest cassé la figure ainsi que Solidarité, et jaurais pris le pouvoir si une inexplicable terreur nétait venue combattre et annuler en nous les effets de notre courage. Mais nous avons dû soudainement tourner casaque, et nous navons dû notre salut quà notre habileté comme menteur, ainsi quà la solidité de notre bouffonne image internationale dont la grossièreté na dégale que la stabilité, et dont la vanité fait la célébrité, ainsi quà la profondeur du fossé qui sest trouvé fort à propos entre le parti dit ouvrier et les ouvriers. Tout ceci est fort beau, mais personne ne mécoute. Allons ! bon, ça recommence ! (Les hommes du KGB lui passent les menottes.)
ADAM MISCHNICK
Cette fois-ci, cest la débandade, il en a trop dit.
LECH WALESA
Ah ! voici loccasion davoir un peu la paix, cest Noël. Or donc, Messieurs, arrêtez ces Polonais ! En avant ! ou plutôt, en arrière !
LES POLONAIS
Sauve qui peut !
LECH WALESA
Allons ! vrout ! Quel tas de gens, quelle fuite, quelle multitude, comment me tirer de ce gâchis ? (Il est bousculé.) Ah ! mais toi, fais attention ou je te dénonce à Amnesty International, à IONU et aux Droits de lHomme. Ah ! il est parti, allons nous coucher pendant que Mischnick se fait tabasser et ne nous voit pas.
SCENE V
(Au QG des forces armées à Varsovie.
WALESA. GUETTA. MARGUERITTE.)
LECH WALESA
Ah ! le chien de temps, il gèle à pierre à fendre et la personne du Maître Solidarité sen trouve fort endommagée.
GUETTA
Hou ! Monsieuye Walesa, êtes-vous remis de votre terreur et de votre arrestation ?
LECH WALESA
Oui ! je nai plus peur, mais jai encore larrestation.
MARGUERITTE (à part)
Quel pourceau.
LECH WALESA
Eh ! monsieur Margueritte, votre paye, comment va-t-elle ?
MARGUERITTE
Aussi bien, Monsieuye, quelle peut aller tout en allant très mal. Par conséiquent de quoye, jai un scoop et pas de téléscripteur.
LECH WALESA
Tiens, cest bien fait ! Toi aussi, tu voulais toujours taper les autres. Moi, jai déployé la plus grande valeur, et sans mexposer jai fait massacrer sept mineurs de la mine Wujek, sans compter tous ceux que personne na avoué.
MARGUERITTE (à Guetta)
Savez-vous ce quest devenu le petit Wajda ?
GUETTA
Il a reçu une balle dans le cul.
LECH WALESA
Ainsi que le coquelicot et le pissenlit à la fleur de leur âge sont fauchés par limpitoyable faux de limpitoyable faucheur qui fauche impitoyablement leur pitoyable binette, ainsi le petit Wajda a fait le coquelicot ; cétait une fort bonne journapute cependant, mais aussi il navait quà rester caché derrière le premier rang comme tout le monde.
GUETTA ET MARGUERITTE
Hon, Monsieuye !
UN ECHO
Hhrron !
GUETTA
Quest-ce ? Armons-nous de nos plumes.
LECH WALESA
Ah ! non ! par exemple, encore le KGB ! jen ai assez, et puis cest bien simple, sils mattrapent ji li braille.
SCENE VI
(Les mêmes, entre la Dialectique.)
MARGUERITTE
Hon, Monsieuye de Solidarité !
LECH WALESA
Oh ! tiens, regardez donc la petite pensée. Elle est gentille, ma foi.
GUETTA
Prenez garde ! Ah ! quelle énorme pensée : mes cartouches Watermann !
LECH WALESA
La Dialectique ! Ah ! latroce bête. Oh ! pauvre homme, me voilà mangé. Que Dieu me protège. Et elle vient sur moi. Non, cest Margueritte quelle attrape. Ah ! je respire. (La Dialectique se jette sur Margueritte. Guetta lattaque à coups déditoriaux. Walesa se réfugie sur un pot de chambre.)
MARGUERITTE
A moi, Guetta, à moi, au secours, Monsieuye Walesa !
LECH WALESA
Bernique ! Débrouille-toi, mon ami ; pour le moment, nous faisons notre Pater Noster. Chacun son tour dêtre mangé.
GUETTA
Je lai, je la tiens.
MARGUERITTE
Ferme, collègue, elle commence à me lâcher.
LECH WALESA
Sanctificetur nomen tuum.
MARGUERITTE
Lâche bougre !
GUETTA
Ah ! elle me mord ! O Fauvet, sauvez-moi, je suis critiqué.
LECH WALESA
Fiat voluntas tua.
MARGUERITTE
Ah ! Jai réussi à la mettre à mal.
GUETTA
Hurrah ! elle perd son sang. (Au milieu de cris douvriers, la Dialectique beugle de douleur et Walesa continue à marmotter.)
MARGUERITTE
Tiens-la ferme, que jattrape ma méthode policière.
LECH WALESA
Panem nostrum quotidianum da nobis hodie.
GUETTA
Las-tu enfin, je nen peux plus.
LECH WALESA
Sicut et nos dimitimus debitoribus nostris.
MARGUERITTE
Ah ! je lai. (Une décompression, et la Dialectique tombe morte.)
GUETTA ET MARGUERITTE
Victoire !
LECH WALESA
Sed libera nos a malo. Amen. Enfin, est-elle morte ? Puis-je descendre de mon pot de chambre ?
GUETTA (avec mépris)
Tant que vous voudrez.
LECH WALESA (descendant)
Vous pouvez vous flatter que si vous êtes encore salarié, et si vous foulez encore la moquette de cette résidence, vous le devez à la vertu magnanime du Maître de Solidarité, qui sest évertué, échiné et égosillé à débiter des patenôtres pour votre carrière, et qui a manié avec autant de courage le glaive spirituel de la prière, que vous avez manié avec adresse le temporel du gros-titre-de-la-une cartésien. Nous avons même poussé plus loin notre dévouement, car nous navons pas hésité à monter sur un rocher fort haut pour que nos prières aient moins loin dici au Ciel.
GUETTA
Révoltante bourrique.
LECH WALESA
Voici une bonne bête. Grâce à moi, vous avez du pain sur la planche. Quel ventre, messieurs ! Les Grecs y auraient été plus à laise que dans le cheval de bois et peu sen est fallu, chers amis, que nous nayons pu aller vérifier de nos propres yeux sa capacité intérieure.
GUETTA
Je manque didées. Quécrire ?
MARGUERITTE
Récupérons la Dialectique.
LECH WALESA
Eh ! pauvres gens, allez-vous la récupérer toute crue ? Nous navons rien pour la faire mousser.
GUETTA
Navons-nous pas notre talent ?
LECH WALESA
Tiens, cest vrai. Et puis il me semble que jusque dans le bâtiment où nous sommes, il y a des phrases subversives sur les murs. Va en recopier Margueritte. (Margueritte y va.)
GUETTA
Et maintenant, Lech Walesa, allez dépecer la Dialectique.
LECH WALESA
Oh non ! Elle nest peut-être pas morte. Tandis que toi qui es déjà à moitié mangé et mordu de toutes parts, cest tout à fait dans ton rôle. Je vais la surveiller en attendant Margueritte.
(Guetta commence à dépecer la Dialectique.)
LECH WALESA
Oh, prends garde ! elle a bougé.
GUETTA
Mais, Lech Walesa, elle est déjà toute froide.
LECH WALESA
Cest dommage, il aurait mieux valu la récupérer chaude. Ceci va procurer un problème métaphysique au Maître de Solidarité.
GUETTA (à part)
Cest révoltant. (Haut.) Aidez-nous un peu monsieur Walesa, je ne peux faire toute la besogne.
LECH WALESA
Non, je ne veux rien faire, moi ! Je suis fatigué, bien sûr !
MARGUERITTE (rentrant)
Quelle mitraille, mes amis, on se dirait en Iran ou au Salvador. La nuit commence à tomber. Dans une heure il fera noir. Hâtons-nous pour voir encore clair.
LECH WALESA
Oui, entends-tu, Guetta ? hâtez-vous tous les deux. Trafiquez la Dialectique, falsifiez la Dialectique, jai plus didées, moi.
GUETTA
Ah, cest trop fort à la fin ! Il faudra travailler ou tu nauras rien, entends-tu, plouc ?
LECH WALESA
Oh ! ça mest égal, je vais faire une grève de la faim. Cest vous qui serez bien attrapés. Et puis jai sommeil, moi.
MARGUERITTE
Que voulez-vous, Guetta, gardons les idées pour nous seuls. Il nen aura pas, voilà tout. Ou bien on pourra lui laisser les mots.
GUETTA
Cest bien. Ah, voilà linspiration qui vient.
LECH WALESA
Oh ! cest bon ça, jimagine plein de choses maintenant. Mais je vois des Russes partout. Quelle négociation, grand Dieu ! Ah ! (Il tombe endormi.)
MARGUERITTE
Je voudrais savoir si ce que disait Wajda est vrai, si Glemp est vraiment daccord avec Jaruzelski. Cela naurait rien dimpossible.
GUETTA
Finissons de faire notre soupe aux idées.
MARGUERITTE
Non, nous avons à parler de choses plus importantes. Je pense quil serait bon de senquérir de la véracité de ces nouvelles.
GUETTA
Cest vrai. Faut-il abandonner Lech Walesa ou rester avec lui ?
MARGUERITTE
La nuit porte conseil. Dormons, nous verrons demain ce quil faut faire.
GUETTA
Non, il vaut mieux profiter du couvre-feu pour nous en aller.
MARGUERITTE
Prenons nos laisser-passer, alors. (Ils partent.)
SCENE VII
LECH WALESA (parle en dormant)
Ah ! Maître Brejnev, faites attention, ne tirez pas par ici, le monde entier regarde. Ah ! voilà Kuron, quil est minable, rien à voir avec la Dialedique. Et Jaruzelski qui vient sur moi ! La Dialectique ! La Dialectique ! Ah ! La voilà à bas ! quelle est dure grand Dieu ! Je ne veux rien faire, moi ! Va-ten Jaruzelski ! Entends-tu, drôle ? Voilà Wajda maintenant et Brejnev. Oh ! ils vont me battre. Et le Glemp ! Où as-tu pris toute cette gloire ? Tu mas pris ma gloire, misérable. Tu as été farfouiller sur mes plates-bandes, qui sont dans le prolétariat urbain, près de la paix sociale. Je suis mort depuis longtemps, moi. Cest Jaruzelski qui mas tué et je suis pendu à Varsovie avec les tripes de Pilsudski et aussi à Cracovie avec les ouailles de Jean-Paul II et aussi à Torun, dans la casemate avec Korun. La voilà encore. Mais va-ten maudite Dialectique ! Tu ressembles à la grève générale. Entends-tu, bête de Satan ? Non, elle nentend pas, les journaputes lui ont coupé les oneilles. Décervelez, tudez, coupez les oneilles, arrachez la solidarité et mentez jusquà la mort, cest la vie des journaputes, cest le bonheur du Maître de Solidarité.
(Il se tait et dort.)
FIN DU QUATRIEME ACTE
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