ACTE II
SCENE PREMIERE
(Lambassade dURSS.
KANIA, LAMBASSADEUR SOVIETIQUE, BARCIKOWSKI,
OLSZOWSKI, et JARUZELSKI.)
KANIA
Camarade Jaruzelski, vous avez été ce matin fort impertinent avec monsieur Walesa, officier de confiance et Vice Petit Père du Peuple. Cest pourquoi je vous défends de paraître à ma réunion.
LAMBASSADEUR
Cependant, Kania, vous nauriez pas trop de toute votre famille pour vous défendre.
KANIA
Camarade, je suis revenu trop souvent sur ce que jai dit. Vous me fatiguez avec vos sornettes.
JARUZELSKI
Je me soumets, camarade Premier Secrétaire.
LAMBASSADEUR
Enfin, camarade, êtes-vous toujours décidé à aller à cette réunion dunion et de conciliation nationale du Comité Central du Parti Ouvrier Unifié Polonais ?
KANIA
Pourquoi non, camarade ?
LAMBASSADEUR
Mais encore une fois, les psychiatres ne vous ont-ils pas décrit ses phantasmes, où, tel laigle qui figure dans les armes de la Pologne, il vous dépose dans les poubelles de lhistoire ?
KANIA
Mais qui ?
LAMBASSADEUR
Mais Lech Walesa.
KANIA
Quelle folie. Ce bon Walesa est un honnête politicard, qui se ferait lobotomiser pour mon service.
LAMBASSADEUR ET JARUZELSKI
Quelle erreur.
KANIA
Taisez-vous, général sagouin. Et vous, Excellence, pour vous prouver combien je crains peu monsieur Walesa, je vais aller à la réunion comme je suis, sans milice et sans pots de vin.
LAMBASSADEUR
Fatale imprudence, je ne vous reverrai pas au pouvoir.
KANIA
Venez Barcikowski, venez Olszowski.
(Ils sortent. Lambassadeur et Jaruzelski vont à 1a fenêtre.)
LAMBASSADEUR ET JARUZELSKI
Que Staline et le grand saint Leonid vous gardent.
LAMBASSADEUR
Jaruzelski, venez dans la chapelle avec moi, prier pour vos camarades du BP et du Secrétariat.
SCENE II
(Au siège du POUP.
Les bureaucrates du CC, KANIA, BARCIKOWSKI,
OLSZOWSKI, LECH WALESA, KURON et le KOR,
Mgr DABROWSKI, GUETTA, MARGUERITTE.)
KANIA
Populaire Lech Walesa, venez près de moi avec votre bon sens pour inspecter les idées.
LECH WALESA (aux siens)
Attention, vous autres. (A Kania.) On y va, citoyen, on y va. (Les hommes de Walesa se répandent dans la salle et soudoient les membres du CC.)
KANIA
Ah ! voici les délégués des chantiers navals de Gdansk. Ils mont lait fort misérables, ma foi.
LECH WALESA
Vous trouvez ? Ils me paraissent fort beaux. Regardez celui-ci. (Au délégué.) Depuis combien de temps nas-tu pas travaillé, ignoble drôle ?
KANIA
Mais cet ouvrier est complètement décharné, quavez-vous donc Lech Walesa ?
LECH WALESA
A-charné !
KANIA
Misérable !
LECH WALESA
MERDRE. Votez maintenant !
JACEK KURON
Hurrah ! A bas Kania ! (54 % votent contre Kania, un économiste explose.)
KANIA
Oh ! au secours ! Sainte Critique de lEconomie Politique, je suis perdu.
BARCIKOWSKI (à Olszowski)
Quest-ce là ? Déguerpissons.
LECH WALESA
Ah ! jai le pouvoir ! Aux autres, maintenant.
JACEK KURON
Tous aux tracts !! (La clique à Kania séclipse et tous jettent des tracts par les fenêtres.)
SCENE III
(A lambassade dURSS.
LAMBASSADEUR et JARUZELSKI.)
LAMBASSADEUR
Enfin, je commence à me rassurer.
JARUZELSKI
Vous navez aucun sujet de crainte.
(Le téléphone sonne et il décroche.)
JARUZELSKI
Ah ! quentends-je ? Le BP mis en minorité par Lech Walesa et ses éléments antisocialistes.
LAMBASSADEUR
O mon Dieu ! Sainte Berria, nous perdons, nous perdons du terrain !
JARUZELSKI
Toute larmée suit Lech Walesa. Kania nest plus là. Horreur ! Au secours !
LAMBASSADEUR (à lécouteur)
Voilà Barcikowski évincé ! Il a reçu son congé.
JARUZELSKI
Eh ! Olszowski ! Défends-toi ! Hurrah, Olszowski.
LAMBASSADEUR
Oh ! Il est en minorité.
JARUZELSKI
Cen est fait de lui. Kuron vient de le faire éliminer du Comité Central.
LAMBASSADEUR
Ah ! Hélas ! Ces arrivistes pénètrent dans la sphère du pouvoir, ils montent les échelons.
(Ils raccrochent.)
LAMBASSADEUR ET JARUZELSKI (à genoux, devant le portrait Brejnev)
Mon vieux, défendez-nous.
JARUZELSKI
Oh ! ce Lech Walesa ! le coquin, le misérable, si je le tenais...
SCENE IV
(Les mêmes.
Le téléphone sonne,
WALESA est au bout du fil.)
LECH WALESA
Eh ! Jaruzelski, que me veux-tu faire ?
JARUZELSKI
Vive le POUP ! Je défendrai le marxisme-léninisme jusquà la mort ! Le premier qui transige est mort.
LECH WALESA
Oh ! Kuron, jai peur ! laissez-moi partir à létranger.
JARUZELSKI
Jamais, voyou ! je ferme les frontières !
LAMBASSADEUR
Tiens bon, Jaruzelski, tiens bon !
(Arrivent des membres du Comité Central.)
PLUSIEURS
Jaruzelski, promets-nous la vie sauve.
JARUZELSKI
Chenapans, sacs à vin, sagouins payés !
(Il les fait arrêter.)
LECH WALESA
Oh ! Je vais bien trouver un compromis tout de même !
JARUZELSKI (à lambassadeur)
Camarade, va prendre des ordres.
LAMBASSADEUR
Et toi, camarade, et toi ?
JARUZELSKI
Je te suis.
LECH WALESA
Tâchez de contacter lambassadeur dURSS. Ah ! le voilà déjà parti !
SCENE V
(Un pavillon de chasse dans les montagnes.
JARUZELSKI entre, suivi de LAMBASSADEUR.)
JARUZELSKI
Ici nous serons en sécurité.
LAMBASSADEUR
Oui, je le crois ! Jaruzelski, soutiens-moi !
(Il tombe sur la neige.)
JARUZELSKI
Ha ! quas-tu, camarade ?
LAMBASSADEUR
Je suis bien discrédité, crois-moi, Jaruzelski. Je nen ai plus que pour deux heures de carrière.
JARUZELSKI
Quoi ! la disgrâce taurait-elle frappé ?
LAMBASSADEUR
Comment veux-tu que je résiste à tant de coups ? Kania renversé, votre Parti décapité, et toi, représentant de la plus noble race qui ait jamais porté lépée, forcé de craindre pour tes trafics comme un vulgaire contrebandier.
JARUZELSKI
Et par qui, grand Dieu ! par qui ? Un vulgaire Lech Walesa, aventurier sorti on ne sait doù, vile crapule, vagabond honteux ! Et quand je pense que mon prédécesseur la décoré et fait Vice Petit Père et que le lendemain ce vilain na pas eu honte de le faire tomber.
LAMBASSADEUR
O Jaruzelski ! Quand je me rappelle combien nous étions heureux avant larrivée de ce Lech Walesa ! Mais maintenant, hélas ! tout est changé !
JARUZELSKI
Que veux-tu ? Attendons avec espérance et ne renonçons jamais à nos pouvoirs.
LAMBASSADEUR
Je te le souhaite, mon cher camarade, mais pour moi je ne verrai pas cet heureux jour.
JARUZELSKI
Eh ! quas-tu ? Il pâlit, il tombe, au secours ! Mais je suis dans un désert ! O mon Dieu ! son cœur ne bat plus. Il est mort ! Est-ce possible ? Encore une victime de Lech Walesa ! (Il se cache la figure dans les mains.) O mon Dieu ! quil est triste de se voir seul à la tête de lEtat avec une vengeance terrible qui vous poursuit ! (Il tombe en proie au plus violent désespoir.)
(Pendant ce temps, les âmes de Rokossowski, Gomulka, Gierek et Kania entrent dans 1a pièce, leurs Ancêtres les accompagnent et remplissent tout le pavillon. Le plus vieux sapproche de Jaruzelski et le réveille doucement.)
JARUZELSKI
Eh ! Que vois-je ? tout mon Parti, mes prédécesseurs... Par quel prodige ?
LOMBRE
Apprends, Jaruzelski, que jai été, jadis, le boucher de la Révolution des Soviets, premier Bolchevik et fondateur du capitalisme dEtat. Je te remets le soin de rétablir notre ordre. (Il lui donne ses œuvres complètes.) Et que ces Œuvres Complètes naient de repos que quand elles auront frappé de mort toute insurrection.
(Tous disparaissent, et Jaruzelski reste seul dans lattitude de lextase.)
SCENE VI
(Le siège du KK ;
LECH WALESA, GLEMP, KURON.)
LECH WALESA
Non. je ne veux pas moi ! Voulez-vous ruiner mon crédit pour ces bouffres ?
JACEK KURON
Mais enfin, Lech Walesa, ne voyez-vous pas que le peuple attend un don après ce joyeux événement ?
GLEMP
Si tu laisses augmenter le prix de la viande et du tabac, tu seras pendu dici deux heures.
LECH WALESA
Des viandes, oui ! du tabac, non ! Faites distribuer trois vieux chevaux, cest bien bon pour de tels sagouins.
GLEMP
Sagouin toi-même ! Qui ma bâti un animal de cette sorte ?
LECH WALESA
Encore une fois, je peux magouiller, je ne lâcherai pas de lest.
GLEMP
Quand on a entre les mains tous les trésors de la Pologne.
JACEK KURON
Oui, je sais quil y a dans le bâtiment du Parti un immense stock de tabac. Nous le distribuerons.
LECH WALESA
Misérable, si tu fais ça !
JACEK KURON
Mais Lech Walesa, si tu ne fais pas de distributions les prolétaires se mettront en grève.
LECH WALESA
Est-ce bien vrai ?
GLEMP
Oui, oui !
LECH WALESA
Oh, alors je consens à tout. Réunissez cent cinquante tonnes de tabac, cuisez trois millions de bœufs et moutons, dautant plus que jen aurai aussi. (Ils sortent.)
SCENE VII
(La place de 1a Victoire à Varsovie.
LECH WALESA, acclamé ; GLEMP, KURON,
larbins chargés de viande.)
PEUPLE
Voilà Walesa ! Vive Walesa ! Hurrah !
LECH WALESA (jetant du tabac)
Tiens, voilà pour vous. Ça ne mamusait guère du vous donner du tabac, mais vous savez, cest Monseigneur Glemp qui a voulu. Au moins, promettez-moi de ne plus faire grève.
TOUS
Oui, oui.
JACEK KURON
Voyez, Glemp, sils se disputent ce tabac. Quelle bataille !
GLEMP
Il est vrai que cest horrible. Pouah ! en voilà un qui a le crâne fendu.
LECH WALESA
Quel beau spectacle ! Amenez dautres caisses de tabac.
JACEK KURON
Si nous faisions une course.
LECH WALESA
Oui, cest une idée. (Au peuple.) Mes amis vous voyez cette caisse de tabac, elle contient trois cent mille havanes de bon tabac cubain et de bon aloi. Que ceux qui veulent courir se mettent au bout de la place. Vous partirez quand jagiterai mon drapeau rouge et blanc et le premier arrivé aura la caisse. Quant à ceux qui ne gagneront pas, ils emporteront comme consolation cette autre caisse quils se partageront.
TOUS
Oui ! Vive Lech Walesa ! Quel bon délégué ! On nen voyait pas tant du temps de Kania.
LECH WALESA (à Glemp, avec joie)
Ecoute-les. (Tout le peuple va se ranger au bout de la place.)
LECH WALESA
Une, deux, trois ! Y êtes-vous ?
TOUS
Oui, oui !
LECH WALESA
Partez ! (Ils partent en se culbutant. Cris et tumulte.)
JACEK KURON
Ils approchent ! Ils approchent !
LECH WALESA
Eh ! le premier perd du terrain.
GLEMP
Non, il regagne maintenant.
JACEK KURON
Oh ! il perd, il perd ! fini ! cest lautre ! (Celui qui était deuxième arrive premier.)
TOUS
Vive Groucho Marx ! Vive Groucho Marx !
GROUCHO MARX
Comme leût dit mon frère, parti de rien je suis arrivé à la misère. Sire, je ne sais vraiment comment remercier Votre Majesté... cigare ?
LECH WALESA (il prend le cigare)
Ne me remerciez pas cher collègue, ce nest rien. Emportez la caisse chez vous aux Etats-Unis. Et vous, partagez-vous cette autre, prenez une pièce chacun, jusquà ce quil ny en ait plus.
TOUS
Vive Groucho Marx ! Vive Lech Walesa !
LECH WALESA
Et vous, mes amis, venez dîner ! Je vous offre aujourdhui une ration supplémentaire. Veuillez faire la queue !
PEUPLE
La queue ! La queue ! Vive Lech Walesa ! Cest le plus noble des délégués ! (Ils commencent à faire la queue. On entend le bruit de leur bavardage qui se prolonge jusquau lendemain.)
(La toile tombe.)
FIN DU DEUXIEME ACTE
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