Tout, la pensée, apparaît comme une fissure de la réalité. Ici et maintenant, il y a d’abord tout. Tout est d’abord tout sauf la réalité. Tout est ce qui s’échappe de la réalité, qui n’est encore rien.
Même quand tout apparaît, l’apparition n’est pas tout. Dans l’apparition de tout, il manque la réalité. Tout, la totalité, n’a pas de réalité. Ce qui apparaît ici et maintenant, la totalité, est d’abord une apparence.
Nous ne disposons pas de terme plus adapté pour décrire le mouvement de la pensée : il apparaît d’abord, et n’est qu’apparition. Mais il apparaît comme tout. La pensée qui apparaît d’abord est comme tout, parce que c’est d’abord toute la pensée qui s’échappe de la réalité. Ce phénomène valide la profonde différence entre apparence et essence, comme dans la dialectique de Platon à Hegel ; et il affirme que la pensée ne commence pas par la conscience, mais par toute la pensée, par l’esprit, contrairement à ce que semble avoir pensé Hegel.
La contradiction de la scission de la réalité en pensée est d’abord la contradiction suivante : la pensée la plus immédiate est la médiation. La première pensée est tout, c’est-à-dire aussi bien toute la pensée qui échappe et tout ce qui sépare la réalité de nous. L’aliénation est ainsi le principe de la pensée. C’est l’aliénation – le fait que l’essence de ce qui est pensée change – qui est première. C’est l’aliénation qui génère d’abord la conscience et non l’inverse. C’est à travers l’aliénation que la conscience devient. C’est ensuite à travers l’aliénation que la conscience vise la réalité. Et c’est dans cette aliénation qui la sépare alors de la réalité que la conscience se dissout.
L’immédiateté est une apparence. On peut toujours trouver une médiation à quelque chose. La seule pensée sans médiation est toute la pensée, encore qu’il ne s’agisse là que d’une hypothèse de travail.
Le fait est une médiation entre réalité et pensée. En effet, la réalité apparaît comme un fait, mais comme le fait contient la pensée de cette réalité, il n’est déjà plus cette réalité ; et penser est un fait, mais faire une pensée, c’est déjà la réaliser, la finir. Le fait participe donc de la réalité et la nie, et de la pensée et la nie. C’est pourquoi le fait est devenu une hypothèse de travail si essentielle dans le drame de l’humanité.
Dans le fait, il y a l’irréversible, qui est la trace de la réalité et de la conscience. Le fait est un événement qui s’est produit dans l’esprit, et qui est transformé dans la conscience. Le fait est véritablement le phénomène : c'est le constat d’un événement qui n’est plus possible par la pensée individuelle.
On pourrait penser, si l’aliénation est bien l’immédiateté de la pensée, que la conscience est l’aliénation de l’aliénation. Mais le fait, la réalité, s’interposent aussi entre l’aliénation et cette pensée particulière de l’esprit qu’est la conscience. Le fait, en effet, est l’apparition de la réalité dans l’esprit. (L’apparition d’une réalité dans l’esprit est ce que Hegel a appelé la perception se prenant pour objet.) C’est la conscience. On commence à l’apercevoir : la réalité est ce qui divise la pensée.
Toute l’activité de la pensée apparaît ainsi comme l’activité de médiatiser et de diviser. La richesse de ces activités n’est qu’apparente. La véritable richesse, celle qui combat et qui traque l’insatisfaction au plus près, est la réalisation. Rendre réel, voilà la richesse. Mais elle ne donne rien, elle échappe à l’humain, qui essaye de la rattraper dans le constat.
Le constat est l’affirmation que quelque chose s’est passé. Par rapport à la réalité, le constat est la validation de son passage dans la pensée.
Le constat est la tentative de la pensée de saisir la réalité par le fait. Constater est la contradiction interne de la pensée : il s’agit de saisir la réalité, d’en finir avec la réalité, alors même que la réalité est ce qui saisit la pensée, ce qui en finit avec la pensée. Le constat est le préservatif de ce qui a été fait.
Mais le constat est la tentative de la pensée pour abolir la division entre réalité et ce qui s’est échappé de la réalité. Le constat est d’abord constat d’insatisfaction. Ensuite, il est la tentative de renverser cette insatisfaction en satisfaction dans la pensée. Alors même que la pensée est toute l’insatisfaction humaine. Il n’y a pas de satisfaction réelle dans la pensée. Toutes les satisfactions séparées qui apparaissent sont des constats sur l’échec de la suppression dialectique de l’insatisfaction générique.
Dans le cours du mouvement de la pensée échappée de la réalité semble se produire ce hoquet dans le flux qui est le constat. Soudain, la pensée ralentit, se dédouble et prend un objet pour objet. Le constat est le mouvement de la pensée qui arrête de la pensée. Le constat a deux conséquences, à ce stade.
La première, c’est que ce qui apparaît dans le constat est un objet, et cet objet peut devenir une chose. Toute chose est d’abord constatée. Aucune chose n’apparaît indépendante d’un constat. La seconde conséquence du constat est la division de la pensée. D’une part il y a la pensée qui constitue le constat, l’objet devenu chose constatée ; et d’autre part il y a la pensée qui constate, et qui, pour correspondre à la chose constatée, devient sujet, puis pensée particulière.
La détermination de l’objet en chose à travers le constat ne doit pas laisser croire que le constat aurait un autre objet que la réalité. Initialement, en effet, le constat est la tentative, dans la pensée, de saisir la réalité. C’est le drame de l’humanité que la pensée essaye de saisir la réalité, qui est sa fin. Aussi constater la réalité apparaît immédiatement comme contradiction. La réalité est justement ce qui ne se constate pas. Si la réalité arrive dans le constat, c’est en temps que fin du constat, et il n’y a plus de constat.
La réalité ne peut pas être constatée parce que le constat est la négation de la réalité. La réalité est ce qui finit, or constater une réalité, c’est la continuer sous une autre forme, c’est nier sa fin. Le constat est l’opération par laquelle la pensée tente de nier la réalité en l’affirmant. En constatant, la pensée tente non seulement d’abolir la réalité, de déplacer la fin dans la pensée et de lui donner là une pérennité, un infini, mais même de déplacer la fin, de l’installer au centre de la pensée.
La fin de la pensée ne peut pas être pensée. L’exemple le plus célèbre en la matière est la mort d’un individu humain. On peut penser ce qu’on veut sur la mort, et on ne se prive pas, mais c’est toujours sur une mort qu’on ne connaît pas. Le contenu de la mort ne se constate pas, parce que le constat est une opération après coup. C’est parce que le constat est l’activité de pensée la plus courante, la mieux connue et reconnue par l’humain (en partie en tant que pratique de l’individu), que la pensée apparaît comme une opération après coup.
La pensée constate aussi la pensée. C’est même la seule activité possible dans un constat : constater de la pensée. C’est pourquoi la théorie, qui est d’abord le constat de la pensée dans la pensée, est perçue comme n’étant pas une pratique, et comme venant toujours après coup.
C’est à partir du constat de la pensée sur la pensée – cogito ergo sum – que l’humain a commencé à prétendre à la maîtrise sur la pensée. La méthode de cette maîtrise est d’abord empirique : c’est de l’individu, c’est de l’expérience que part le constat sur le constat. Ceci est déjà un renversement : c’est à l’individu, à l’expérience qu’aboutit le constat. L’expérience et l’individu sont des résultats de l’activité de constater. Tous les résultats de l’activité de constater sont des hypothèses.
On parle souvent de chose et de pensée de la chose, alors que la chose est une pensée au même titre que la pensée de la chose. Il est plus juste d’opposer la chose et le constat de la chose, qui sont tous deux des pensées. Mais le constat de la chose est la pensée qui donne une extension à la chose, et cette extension est un écho, et une perte de l’unicité de la chose. C’est en tant que négation de la chose, c’est-à-dire en tant que négation de la réalité de la chose, que le constat s’oppose à la chose : c’est seulement dans l’insatisfaction devant l’irréversible que constat et chose se scindent de manière irréversible et insatisfaisante. C’est par le constat que l’universalité, et la médiation, se construisent dans la conscience. Et le constat est le rapport entre la réalité et la conscience et inversement, mais aussi entre l’esprit et la conscience et inversement.
L’humanité est le constat sur la réalité. Le constat est le devenir autre de ce qui est constaté, son aliénation. C’est d’abord ainsi que l’humanité est aliénation. Dans l’activité de prendre pour objet de la pensée, de constater, il y a le drame de l’aliénation : car, dans la vision inversée de l’individu qui constate, la réalité échappe toujours. L’essence de la réalité apparaît toujours comme autre que ce qui est constaté. Alors que constater, que penser, sont des activités pour saisir la réalité, pour en finir avec elle, c’est toujours la réalité qui échappe au constat, c’est toujours la réalité qui finit la pensée.
Le constat est incapable de finir. Il y a toujours un constat de constat. Une théorie peut toujours être vérifiée, et sa vérification peut toujours être vérifiée aussi. Cette régression infinie est la limite de la théorie. Dans le constat d’infini gît l’incapacité de l’humain à saisir la réalité. La vérification théorique est une satisfaction illusoire.
Le temps, l’espace, l’espace-temps sont des constats sur la réalité. Il en va de même pour 7 + 5 = 12 et pour le rapport entre être et néant. La pensée dite « scientifique » n’est au mieux qu’une pensée qui tente d’établir la cohérence la plus large pour la conscience dans ses hypothèses sur la réalité ; et, au pire, un système de critères arbitraires émis par une spécialité qui tente ainsi de rendre absolues ses propres hypothèses sur la réalité.
Le constat n’aboutit pas à la certitude espérée sur la réalité. Le constat aboutit à une hypothèse sur la réalité. C’est la maladie ordinaire du constat d’aboutir à une hypostase, c’est-à-dire de croire à la réalité de ce qui est constaté. Il n’y a pas de vérités absolues ou éternelles. Il y a deux sortes de vérités : la vérité pratique, qui est la réalité, évanescence de ce qu’elle rend vrai ; et la vérité théorique, qui est la nécessité d’une cohérence dans un système d’hypothèses. Dans un autre système d’hypothèses que celui de l’humanité d’aujourd’hui, contrairement à ce qu’affirmait Frege, 7 + 5 = 12 ne serait pas faux, mais ne serait tout simplement pas.
En tant qu’affirmation, le constat est la suppression du doute. Dans l’affirmation du constat, il y a d’abord la communication d’une certitude. Le constat s’oppose fondamentalement à la nature hypothétique de ce qui lui permet d’exister. La nature impérative et affirmative du constat est à la fois usurpée et nécessaire. Usurpée parce que, en l’absence de vérification pratique de ce sur quoi il porte, le constat n’est lui-même qu’une hypothèse (et quand la vérification pratique a lieu, elle supprime et peut-être même anéantit le constat) ; nécessaire, parce que le constat se donne comme la base solide de la construction de nouvelles hypothèses. Nous sommes apparemment très peu capables de construire des hypothèses sur des hypothèses : nous construisons des hypothèses sur des certitudes, et des certitudes sur des hypothèses. Nous avons donc besoin de croire en des certitudes alors que, véritablement, tout ce que nous pensons, la pensée elle-même, et l’humanité, et tout, sont toujours des hypothèses, c’est-à-dire des divisions de la pensée qui attendent leur réalisation.
La certitude que nous avons par rapport au constat n’a pour toute validité que la vérification des règles formelles que nous appliquons au constat ; dans l’autre sens : si le constat est posé dans les règles, nous en sommes sûrs. Mais la certitude du constat, qui nous permet la préparation d’actes, s’installe en certitude absolue, alors que le constat lui-même, son contenu (le fait ou l’état de fait observé, le passage de la réalité rapporté), les règles de sa présentation (logique formelle, langue, rites, connivences, jeu) ne sont également qu’une constellation de divisions de la pensée, d’hypothèses. Par son affirmation, le constat devient la matière première du présupposé.
Ainsi, nous remplaçons l’irrémédiable de la réalité, que nous ne savons pas penser, par un reflet pensé : le constat se substitue, dans la pensée, à la réalité qu’il tente de rapporter. En validant, à travers le constat, des pensées qui oublient leur nature hypothétique, nous singeons la réalité et son caractère irrémédiable, indubitable. La certitude du constat raconte l’irrémédiable de la réalité, et nous avons besoin de ce récit de l’irrémédiable pour envisager et préparer nous-mêmes des réalisations ; mais l’orgueil conscientocentrique étend la certitude du constat à la certitude de son contenu et de sa forme : et nous oublions que ce contenu et cette forme restent seulement hypothétiques.
Le constat est aussi nécessaire parce que le constat est une scission dans la pensée. Non seulement cette scission est une cassure du flot de l’aliénation, non seulement il est une particularisation de la pensée jusqu’à la pensée individuelle qui fonctionne alors comme l’apparence d’un atomisme de la pensée, mais il y a également une pensée qui s’échappe du constat et qui le nie.
La pensée du fait échappe au constat, continue hors du constat (1, parce que la pensée ne connaît pas l’immobilité nécessaire et artificielle du constat, 2, parce que le constat est un point de vue, une appréciation subjective, une approche relative, qui laisse hors de lui tous les autres points de vue, approches, appréciations, qui ne manquent pas de se manifester dans l’observation d’un même fait et 3, parce que le fait est au constat ce que le phénomène est à la perception et à la conscience, et que le constat n’est donc que l’hypothèse sur quelque chose qu’on appelle un fait, et qui n’est également qu’une hypothèse aux contours incertains). C’est la manifestation première, jusqu’à preuve du contraire, de l’aliénation.
Il faudra vérifier si le constat est un attribut de la conscience, ou s’il y a des constats collectifs ; a priori, le langage n’est pas nécessaire au constat, mais le constat est le résultat d’un recul par rapport à ce qui est constaté, d’une médiation, et d’un acte de diviser ; dans la médiation et la division, il y a sa part de pensée collective, et dans le recul, il y a une part de conscience.
La négation du constat est le projet.
Le but du constat : nier la réalité (rassurer la conscience), construire de la réalité (projeter), participer de la réalité (connaître et reconnaître).
Le constat est d’abord une négation de la réalité. En affirmant, par le constat, ce qu’a été une réalité, on transforme cette réalité en quelque chose qu’elle n’est pas, affirmation, constat, dit. Le constat révoque, en apparence, la fin contenue dans la réalité : après la réalisation, il n’y aurait rien ? S’il y a le constat, le constat affirme que la réalité ne finit pas la chose qui a été réalisée. Alors qu’il n’y a pas d’au-delà à la réalité, le constat se présente comme cet au-delà, saute dans la brèche comme étant la continuité interrompue, nie effectivement l’abrupte finitude.
Le constat est immédiatement constat de ce que la fin constatée dans l’acte n’est pas la fin de tout, une fin absolue. Le constat est le soulagement de la pensée (conscience et esprit) face à sa propre fin, dont on n’a pas la maîtrise : si je constate la mort de quelqu’un, je dis d’abord que moi je ne suis pas mort. Le constat est l’annonce que la réalité constatée n’est pas la réalité dernière et définitive. La différence entre une réalisation partielle et toute réalisation est que dans la réalisation de tout le constat est anéanti. Le constat est l’apparence de contradiction interne de la réalité. Apparence seulement : parce que le constat d’une réalisation n’est pas la réalisation. Le constat du fait n’est pas le fait : il est sa mise en cause, sa mise en scène, sa mise en pensée.
Mais puisque ce qui a été réalisé n’est pas tout, tout continue, en puissance. C’est donc ce qu’annonce le constat. Le constat est donc aussi le premier état des lieux après la fin d’une chose. Cet état des lieux est-il donc nécessaire ? Oh, oui, il l’est : tout est fondamentalement identique à soi-même, mais la division de tout change du fait d’une réalisation partielle. Le constat est la première formulation de ce changement dans la pensée. Constater un fait c’est signaler une modification (ou une modification possible) dans la division du monde, c’est dire « attention, le monde vient de changer ».
Sans qu’une herméneutique des faits en tant que commencement possible de pensée ne soit imaginable, dans l’état des connaissances, on peut constater que les réalisations, en finissant de la pensée, libèrent de la pensée, sans doute plus ou moins. Le constat est aussi l’annonce et la preuve de cette libération. Il claironne que des perspectives sont ouvertes.
Ces perspectives sont d’abord dans la compréhension de la réalisation constatée. A travers le constat, le regroupement d’actes et de tous autres éléments de pensée qui ont contribué à une réalisation, sous la forme particulière du constat, lui-même acte, descriptif, analyse, synthèse, prophétie, etc., la réorganisation nécessaire par la réalisation s’esquisse ou, parfois, s’achève. Le constat a pour vocation de formuler l’héritage et de délimiter le possible, de délimiter l’héritage et de formuler le possible.
Le constat, en effet, est l’ouverture du possible induit par une réalisation. Quelque chose est fini ; tout n’est pas fini ; le constat dit aussi, ou peut dire, comment utiliser cet état de fait pour tout finir. Il dit : ainsi a été réalisé ; ainsi peut être réalisé ; et parfois même : réalisons ainsi.
Le phénomène du constat est le phénomène de la pensée : de la réalité à la réalité en passant par l’esprit, la conscience et l’esprit. En choisissant le terme constat comme constat de ce qu’est la pensée dans son phénomène, il devient possible de montrer comment la pensée, dont on vient de voir qu’elle constitue le projet de la réalisation, perd ce projet.
D’abord, le constat est souvent perçu comme la réalisation elle-même. C’est l’absurde adage policier : quelqu’un n’est mort que quand la police l’a constaté. Même si on sait que le constat n’est pas la réalisation, il en est la validation, et on va jusqu’à penser qu’il en est la vérification. Ainsi, le constat, qui est une proposition sur une réalisation, l’énoncé d’un possible après une fin, est perçu comme la vérité de cette fin, comme une sorte de fin ultime de la fin.
Si le constat est la vérité de la fin, et non plus seulement une interprétation, une conséquence d’une fin partielle, alors, comme le montrent les conséquences inhérentes au constat, il n’y a pas de fin, puisque le constat est lui-même une conséquence inhérente à la fin. A cela, il est urgent d’ajouter que, outre qu’il existe des fins sans constat (c’est ce qu’on peut par exemple constater à travers une technique perdue, comme le moulage sur les porcelaines Ding, où une technique a fini sans que le constat en ait été fait), il y a bien entendu une séparation entre une réalisation et son constat : dans le constat, la réalisation est racontée dans la perspective qui la supprime, et le constat est évidemment dépendant de la réalisation ; alors que la réalisation, inénarrable, et inconnaissable en elle-même, est une expérience sans écho, absolument indépendante de tout constat, même lorsque le constat est le but recherché d’une réalisation.
Les différents types de constats conscients :
Approche du fait
Relevé
Analyse, synthèse
Mensonge (pourquoi est-ce que le mensonge est possible ? parce qu’il exprime la contradiction du constat, parce qu’il exprime l’aliénation)
Le constat conscient aboutit à une théorie de la conscience dans l’aliénation et par rapport à la réalité. Cette théorie est une théorie du choix. Principales notions : vérification, choix, rupture, qualité
C’est le choix qui décide du constat, qui « réalise » le constat, qui permet de constater.
C’est aussi le choix qui permet de réaliser, qui permet de transformer le projet en réalité (il y a un choix théorique, comprendre, et un choix pratique, finir).
Les éventuels constats collectifs (non conscients), les constats de l’esprit :
Comment l’aliénation est un constat, et de quoi elle est constat
Comment les choses en dur (nature, table, coups de poing) sont des constats collectifs, à moins qu’ils ne soient des juxtapositions de constats individuels, dont les différences sont trop infimes pour être généralement considérées
L’aliénation, finalement, emporte toujours le constat.
L’infini est la métaphore métaphysique de l’aliénation. Ce qui est remarquable dans l’esprit, dans la pensée collective qui méprise sa propre essence, c’est que l’infini a été pris pour la réalité, comme si la tentative de le pénétrer jouait comme un labyrinthe : la conscience se perd dans la distance sans fin de l’esprit, puis, de guerre lasse, lui attribue la réalité.
« Quant au monde matériel, les plus anciennes Upanishads l’acceptent comme une réalité donnée.
A mesure que la pensée brahmanique cherche à se rendre compte de la portée de l’idée que tout ce qui existe est issu de l’âme universelle, elle aboutit à la conclusion que le monde matériel lui aussi doit être regardé comme une manifestation de l’âme universelle. Une fois engagée dans cette voie, elle ne peut faire autrement que de la suivre jusqu’au bout et d’en arriver à considérer le monde matériel comme une illusion. (…)
Dès lors il ne reste plus qu’à considérer le monde sensible comme un jeu magique (…) que l’âme universelle se joue à elle-même. L’âme individuelle, ensorcelée, est entraînée dans ce jeu. » (Albert Schweitzer – ‘Les Grands Penseurs de l’Inde’)
On voit que la pensée brahmanique a buté sur le monde comme réalité, et l’a renversé. Schweitzer montre ensuite comment la métempsychose, qui n’est pas d’essence brahmanique, vient s’opposer à la vision de l’unité de l’individu avec l’âme universelle : la métempsycose est justement valorisation de l’âme individuelle, et l’indifférence par rapport à la perception, au monde matériel, s’affaiblit.
Et l’aliénation aboutit à la réalité.
(Texte de 2006 - A suivre)