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Analyse 2002
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Émeute et débat | ||||||
Texte présenté au 1er Congrès de téléologie | ||||||
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L'articulation de la parole est très difficile dans l'émeute. Même si ce terrain reste notoirement libre non occupé par les intermédiaires (l'Etat est justement ce contre quoi l'émeute se bat ; la marchandise perd sa valeur d'échange dans l'émeute, et l'information en a été expulsée dans les dix dernières années) , le débat, dont l'émeute est une forme, n'y prend que peu la forme de la parole. C'est un avantage, parce que la parole empêche aussi de parler ; et c'est un inconvénient, parce que la parole permet de mettre en pratique rapidement dans un moment où la rapidité est nécessaire. Le dépassement de l'émeute dans l'insurrection en particulier n'est pas nécessairement une continuation du début de débat, comme on pourrait le penser un peu schématiquement. Sans doute l'émeute est élargie, ce qui la fonde gagne en visibilité et en durée dans l'insurrection, mais le débat lui-même ne se construit pas nécessairement. C'est qu'on n'essaie pas en premier, dans l'insurrection, de fonder la colère initiale, mais de consolider une situation d'exception. On peut sans doute affirmer que toute forme d'organisation issue de l'émeute est un approfondissement du débat ; on pourrait aussi dire le contraire : l'organisation est parfois un empêchement du débat, notamment quand elle est déterminée par la conservation d'une « zone autonome temporaire », entre guillemets, ou lorsqu'elle est une adaptation au dispositif militaire et policier extérieur, ou encore lorsqu'elle est dominée par les impératifs de gestion. Une différence principale entre émeute et débat me semble être le fait que dans l'émeute on choisit, on tranche tout le temps, et très vite. Alors que nous sommes en train de découvrir que l'une des principales faiblesses du lieu par excellence du débat, l'assemblée, notamment en Argentine, c'est de différer des choix, de ne pas trancher. Dans l'émeute, on est obligé d'avancer, dans l'assemblée on peut suspendre le mouvement du négatif. Il est vrai cependant que cette faiblesse se voit bien dans les assemblées parce que leur lenteur, leur étalage dans la durée, fait rapidement se poser une question cruciale : comment se règlent, comment se jouent les débats internes ? Comment la négativité se manifeste à l'intérieur des assemblées, comment fonctionne la division des assembléistes ? Il semble qu'il y ait avant tout une forte résistance à cette négativité interne : c'est d'abord parce que l'unité du mouvement passe avant les différends ; mais dans un second temps, une sorte de positivisme non violent, surtout en Argentine, empêche les disputes d'éclater véritablement, et paralyse le mouvement. Les formes de divisions internes connues de l'assemblée en Argentine sont : la scission en premier lieu (mais les assemblées scissionnistes ne se sont pas réclamées de ce qui a fait leur scission, elles ont plutôt fui), l'invective en second lieu (mais pas poussée dans ses conclusions, comme par exemple la rupture) ; très peu de bagarres, et les instigateurs de la bagarre sont immédiatement vus comme ayant commis un acte plus grave que tout ce qui peut justifier la bagarre, ce qui est nécessaire encore une fois pour préserver le débat, mais ce qui est une vraie limitation du débat.
Jusqu'à cette année, 2002, nous pensions que le débat est indissociablement lié au négatif contenu dans la révolte, et dans son « unité de base » si on peut dire, l'émeute (le statut de l'amour dans le débat restait cependant à élucider). Il nous semble justement que la difficulté de l'émeute de passer d'une ouverture du débat en actes à un débat conscient en paroles avait pu être en partie levée par les assemblées, en Algérie et en Argentine. Il faut cependant constater que ce qui a lieu là, et qui mérite d'être appelé débat, n'est pas encore un débat sur le monde, et mérite à ce titre qu'on l'examine avec prudence, surtout si c'est avec bienveillance. Il faut aussi s'interroger sur la distance entre l'émeute et ce débat, qui pose fondamentalement la question de savoir si l'émeute est nécessaire au débat (je me sens un peu « révisionniste » au sens où l'était un Kautsky en posant l'hypothèse que ce type de débat pourrait avoir lieu sans provenir directement d'une émeute est-ce que, par exemple, le congrès de téléologie est un débat, ou fait partie de ce que nous appelons débat ?), et dans le cas où l'on pourrait dissocier émeute et débat, qu'est-ce qui serait le plus important ? Un autre thème, moins spéculatif, mais pas moins difficile à dénouer, me paraît la question qui se pose actuellement par rapport à l'Argentine, et qui est : comment retrouver l'émeute à partir de l'assemblée ? Il semble que l'émeute initiale y est presque totalement occultée, moitié mythifiée, moitié rabaissée comme acte de victimisation, et que tout est fait pour que le rapport à l'émeute y soit coupé : appels à la non-violence (comme si la violence était un mal) et tentative de légitimation des assemblées. Il faut cependant se rappeler qu'en Algérie l'émeute tient une place particulière à côté de l'assemblée, comme le terrain d'expression des jeunes, à côté du lieu de décision des vieux. On pourrait dire qu'il y a là en filigrane un véritable débat, entre vieux et jeunes, dans une situation où les assemblées sont soumises à une pugnacité plus directe de la part de l'Etat. En Algérie, en effet, on a parfois l'impression que l'émeute devient une forme de défense de l'assemblée (notamment les émeutes de fin mai 2002, qui venaient soutenir le boycott électoral, et qui n'ont pas réussi à se placer dans une autre perspective, tout au moins pour ce que nous en savons).
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