|
|
|
Condamnation
Chaque fois que je passe devant un miroir, je vois l’homme qui dégoûte la femme que j’aime.
Il la dégoûte parce qu’il est indigne, il est indigne parce que sa volonté est moins forte que son amour.
Effectivement, il me dégoûte aussi.
La femme que j’aime, cependant, voudrait non seulement que je vive, que je vive longtemps, mais aussi que je vive avec cet homme qu’elle ne veut pas voir, pas entendre, pas lire.
Vieillir dans l’intimité d’un homme qui nous dégoûte tous les deux sans plus voir la femme que j’aime, est-ce qu’il y a un supplice plus cruel ?
Je préfère encore mourir.
Ecrire
Juste dans la même tirade où elle m’annonçait qu’elle ne lisait même plus les messages directs que je lui adresse, la femme que j’aime me demande de vivre pour écrire.
Est-ce qu’elle sait que tout ce que j’écris et que j’ai écrit est fait de son souffle, avec pour espoir qu’elle, avant tous les autres, le lise ?
A quoi sert d’écrire, et qu’est-ce qu’on peut écrire, si la femme qu’on aime ne le lira jamais ?
Amour et volonté
S’il te plaît, demande autour de toi, ou sur des sites Internet :
Qu’est-ce qui est plus fort : l’amour ou la volonté ?
L’homme qui attend un an, le doigt sur la couture, que la femme qu’il aime vienne le chercher se regarde dans la glace. C’est une pose. Ce n’est pas cette femme qu’il aime, c’est lui en face d’elle. Son bel uniforme d’hussard n’a servi qu’à la parade, pas au combat.
L’homme qui aime s’humilie, fait des fautes, saigne et se déchire. Il évite les miroirs qui réfléchissent sa propre misère, ses hontes, ses défaites. Il est en lambeaux, en loques, il pue, il est minable, indigne. Il est faible. L’homme qui aime ne peut être beau que dans la première scène du premier acte. Après, un violent tourbillon dévore et détruit en lui des parties de son corps et de son cœur qu’il ignorait posséder.
Infirme, misérable, ravagé par une souffrance sans bornes, voilà le visage de la personne qui aime. Ses haillons sentent la mort, mais cette mort est celle d’une vraie vie. Ceux qui ont peut de mourir ont seulement peur de vivre. Ceux qui ont vécu n’ont pas peur à la fin. Souvent, ils ont eu peur tout du long. C’est en quoi ils ont vécu.
La volonté ? Dérisoire devant l’amour, elle en suit, parfois avec conviction les contradictions : elle suit, elle geint, elle hurle, elle invente, elle travaille sans arrêt à des schèmes sans lendemain.
Quand au contraire ce qu’on appelle amour obéit à quelque chose de si petit et de si malléable que la volonté, ce n’est pas de l’amour. Le petit cadre rigide de la volonté ne contient pas les ouragans, les rayons laser, les mutations d’esprit. La volonté n’est la fierté que des fanatiques raisonnables. Les < ??? >
Dans les hôpitaux les gens se battent contre la mort
La plupart des gens se battent contre la mort au-delà de toute intelligence. Il y a des livres entiers sur ces combats désespérés et parfois absurdes. Cela passe alors pour du courage, pour quelque chose d’admirable. Jamais on ne relève la stupidité et la profonde misère de ces combats dégradants et pitoyables. L’idéologie de la vie pour la vie l’interdit.
L’une des explications les plus simples est que l’écrasante majorité des gens ne sait pas pourquoi elle vit. C’est lâcheté et négligence de ne pas avoir cherché et défini le sens et le but de sa vie. Nous ne regardons pas la mort comme si elle fait partie de la vie, mais comme si elle y était opposée. Et quand elle arrive, la mort, on espère que les autres, ou un miracle va nous donner ce contenu et ce contour de vie que notre négligence et notre manque de courage nous a interdit.
Je n’ai rien accompli, mais il n’est jamais trop tard, est un mensonge : la plupart d’entre nous n’a rien accompli, et n’accomplira jamais rien. Et quand ce sursaut nous prend, c’est doubler le mensonge que de dire qu’il n’est pas trop tard. Ces mensonges sont particulièrement bien soutenus par les proches, les professionnels de la mort et l’idéologie dominante de notre société.
Peu d’entre nous ont pour leur propre vie l’inquiète attention qu’ils ont pour l’eau qui bout, la fièvre qui monte ou la balance entre revenus et dépenses. Tant de contemporains savent si bien observer l’équilibre de leurs relations avec leurs proches, leurs amis, leurs amours, et si mal l’équilibre de leur vie. Ne serait-ce que de se figurer sa propre vie en entier, comme un tout, est rejeté avec indignation ou terreur par la plupart d’entre nous. Tenir en compte la fin est pourtant un préalable à comprendre, réaliser, accomplir. Montaigne disait qu’on juge la vie d’un homme à la façon dont il se comporte à sont bout.
C’est parce qu’ils ne savent toujours pas pourquoi ils vivent que la plupart des humains veulent prolonger leur médiocre expérience. Et ceux qui les applaudissent ne le font que parce qu’ils se sentent alors confirmés dans la même démission dans l’introspection, dans l’analyse et dans les choix, nécessairement hardis, qui découlent d’une telle réflexion.
Ceux qui ont le courage de construire une vie se fixent un terme, et essayent de s’y tenir.
Manipulation
Quand j’avais envisagé que tu contactes mon employeur, qui est ma seule connaissance à part Agnès dont tu as les coordonnées, il n’y avait aucune manipulation.
Je ne vois même pas ce que tu veux dire en prétendant que je serais manipulateur en la circonstance.
Penchant
Tu dis que, par rapport à moi, tu ne peux pas aller contre ton penchant.
Mais tu exiges que, par rapport à toi, j’aille contre mon penchant, que je l’étouffe, que je le nie. Sinon je ne suis pas digne.
Si tu étais juste, tu devrais étouffer et nier ton penchant et agir selon des principes éthiques et sociaux comme tu l’exiges de moi. Au nom de ta volonté de supprimer la souffrance tu devrais venir vers moi, chercher, trouver et appliquer les baumes, et contre la mort, tu devrais me rendre l’espoir dans la vie et non me l’ôter. Sinon tu es en pleine contradiction avec ce que tu affirmes par ailleurs. Et tu n’es pas digne, parce qu’il faut du courage pour assumer de t’occuper de moi selon tes principes et contre ton penchant.
Ou alors tu devrais accepter que, comme toi, j’agisse selon mon penchant, qui serait de venir te rendre visite quand j’en ai envie, demain dans la matinée, ou ce soir par exemple.
Entre nous, c’est toi qui a le pouvoir. Tu l’exerces avec arbitraire. Tu es injuste. Comme un despote, tu crois même ne pas avoir à te justifier de ton injustice. Là aussi il faudrait un courage que je ne t’ai pas encore vu. Je doute d’ailleurs que tu saches argumenter un différent de justice, ou de logique, comme celui ci-dessus.
Ce qui est étonnant, doux despote, c’est que le constat de cette amère vérité peut augmenter ton injustice envers moi, alors qu’elle est vérité, mais pas ma profonde tendresse pour toi, alors qu’elle est amère.
Faible
Une définition de l’amour pourrait être : se dépouiller de toute défense par rapport à la personne aimée. Dire qu’avec toi je suis faible est un euphémisme.
En particulier dans le contrôle de la relation, qui est si important pour toi, et dans la volonté qui permet de maîtriser ses goûts et la passion, je dois te paraître faible et ennuyeux puisqu’en rien je ne me suis opposé à toi sur ces terrains. Partout où tu cherches ce conflit dont tu as besoin, je me suis dérobé, et partout où tu revendiques la maîtrise sur soi, je me suis laissé aller. Sur les jeux qui comptent pour toi, j’ai donc été d’une débilité très marquée.
Mais tu sais bien, ma Sophie, que force et faiblesse, à une certaine extrémité se renversent. Aussi, lorsque en 1982 tu as détruit, avec ma complicité active, toutes mes défenses, mon réflexe a été de reconstruire une défense par rapport à toi. Je n’en ai pas trouvé d’autres que de t’agresser et de te faire peur. J’ai voulu me faire valoir dans ton jeu, dans ton rapport de force.
Une des choses dans ma vie dont je suis le plus fier, c’est d’avoir compris qu’il fallait que je détruise aussi cette nouvelle défense, et c’est d’avoir réussi à le faire, tout seul, même sans toi, mais pour toi.
En 2008 il n’y avait donc plus aucune défense contre toi. Très grande faiblesse, très grande force. Le jeu que tu jouais, agressif et plein de faux semblants, de douceurs, de violence, me fait encore beaucoup souffrir : les douceurs me manquent, les violences m’ont blessé. Mais je ne jouais pas à ce jeu là. Je sais que tu n’as pas compris ce que je cherchais, et c’est là que ta force s’inverse, et devient faiblesse.
Ma Sophie, tu joues à des batailles limitées, avec des enjeux de gens de vingt ans, sans objectif ni construction. Ta vie est à l’abri de ces jeux. Tu excelles dans cet univers mais il est si étriqué, tellement en dessous de ta valeur, tellement en dessous de tes capacités.
Je suis venu avec ma vie pour enjeu. Je ne crois même pas que tu t’en sois rendue compte et je pense que tu ne l’as pas cru quand je te l’ai dit. Pour proposer des mises aussi grandes, il faut sortir des bulles quotidiennes où les jeux ne touchent pas la vie, et seront vite oubliés dans la répétition sans fin. Offrir sa vie à quelqu’un, c’est miser sur un but, c’est tenter d’aller aussi loin, aussi profond que possible.
Vu ainsi, ta force devient une grande faiblesse, et ma faiblesse devient une grande force. Même si dans mon jeu, j’ai perdu. Mais c’est un risque à courir ; et j’ai voulu t’honorer de ce risque, que malheureusement tu n’as ni vu ni compris. Et je crois que même aujourd’hui, tu en es loin.
Petit point
Si tu te demandes quelque chose à mon sujet, c’est probablement où j’en suis par rapport à ce que je t’avais annoncé.
Je suis lent, ma Sophie. Les choses à finir sont longues, complexes, pleines de parenthèses de parenthèses.
Il s’agit principalement de textes. L’ouvrage que je préparais depuis trois ans est presque prêt, et ne sortira que sur Internet (l’introduction et la première des trois parties viennent d’être mises en ligne). C’est un ouvrage compliqué. Les dernières relectures nécessitent beaucoup d’attention. J’ai du mal parce que ma pensée est trop brouillée par les pensées vers toi pour pouvoir me concentrer sur des objets aussi éloignés. Donc je repousse beaucoup. Ainsi, paradoxalement, la souffrance m’empêche d’avancer vers ce qui va la faire disparaître.
Tout ne dépend pas de moi, puisque je ne suis pas seul à relire et à corriger, à réévaluer. De plus, je ne sais toujours pas comment pérenniser mes sites, pour que tout cela ne disparaisse pas dans l’année qui suit. Là aussi, le cheminement est hostile et lent.
Je me suis dit que s’arrêter n’est pas un coup de tête, et mérite que je le fasse bien. Ne rien laisser paraître dans ma survie. J’ai donc repris le travail, tête baissée dans le guidon, comme si de rien n’était, fin novembre, et voilà une autre nuisance qui me retarde bien.
Pourtant, la souffrance est suffisante pour que, chaque matin, je voudrais que ce soit le dernier. Et quand la souffrance cherche son souffle, la désespérance la remplace avec le même résultat. Depuis que tu as décidé de fermer l’arrivée de vie, rien ne m’a fait changer d’avis sur la conséquence que je compte donner à ta décision. Je crains seulement la durée.
Je t’embrasse avec beaucoup beaucoup de douceur.
Jeûne
J’ai passé les deux derniers jours sans manger. Juste des tisanes et de l’eau.
C’est moins facile que prévu : nausées, fièvre, maux de tête dus sans doute à l’accoutumance à la caféine. Quatre kilos de perdus.
Je n’ai dévoré qu’un petit livre que tu lirais, je crois, avec intérêt : « Ça commence par la fin » premier roman de Michaël Cohen, chez Julliard, 2007.
L’héroïne te ressemble quelque peu, par son côté « hors norme », et par la difficulté de sa vie, entre travail, enfant, désir. L’histoire me semble raconter plus ce que tu as vécu avec Olivier qu’avec moi, quoique je me retrouve dans pas mal de situations décrites.
Aperçu : « Elle savait ce qu’était que jouir. Elle savait ce qu’était le plaisir. Elle pouvait exploser très vite et de manière quasiment illimitée. Un don. Une chance ».
Dans cette histoire aussi, comme dans ta vie, comme dans ta compréhension de ce que je suis venu te proposer, il manque la perspective.
Tu me manques, bien plus que la perspective, bien plus que la nourriture. Nombreux baisers.
Honte
C’est la honte dont je n’arrive pas à me débarrasser. Je n’ai plus d’estime pour moi.
En premier, c’est la honte de ne pas t’avoir désirée. Pourtant, je n’imagine personne qui soit plus désirable que tu l’es, actuellement. Je ne désire rien, ni personne d’autre. Il y a longtemps que j’ai lié mon destin à mon désir. Il y a longtemps que j’ai affirmé que si le désir était mort, alors l’écorce qui l’entoure est un leurre de vie. J’espérais que tu pourrais débloquer, aviver, ouvrir cet étouffement qui s’est installé. J’ai honte que tu ne le veuilles pas.
En deuxième, j’ai honte de ne pas m’élever à ce qui pour toi est de la dignité. Sophie, ma Sophie, je t’ai consacré ma vie, comment pourrais-je soudain ne plus pencher vers toi, ne plus te rechercher de toutes les forces de cette faiblesse ? Mais comme chaque pas est devenu humiliant ! Comme autrefois je rougis de t’importuner, et de ne pouvoir faire autrement.
Ma faiblesse, ma princesse, je la sais être aussi une incroyable force maîtrisée. J’étais faible sans doute quand je te faisais peur pour pas que tu ne voies l’étendue de ton emprise sur moi. Mais il n’empêche que mon refus de lutte contre toi, de ce jeu agonique avec toi qui est ton carburant avec les hommes, me fait honte : contrairement à tout l’orgueil qui emplit tous mes écrits, j’arrive à plat ventre, en vaincu dans ce jeu. Sans doute est-ce nécessaire. Car il s’agissait de te convaincre d’un autre jeu, non agonique mais critique, qui se joue avec des buts posés, et des imprévus cataclysmiques tant ils sont hors du connu. Mais d’échouer en dessous de cet accord, comme simple vaincu dans ton jeu, est quelque chose de honteux ; je pense à ton regard.
En troisième et en principal, j’ai honte de n’avoir pu te communiquer ce que je voulais entreprendre avec et pour toi. C’est la cause véritable de mon découragement. Tu n’as pas compris ce que j’ai dit. Tu n’as pas compris ce que j’ai écrit. Et pourtant, je reste convaincu que c’était un projet libérateur pour toi, le terrain idoine pour ta vitalité et ton énergie, un dépassement de ce que tu mets dans survie et sexe. Dépassement au sens dialectique : qui conserve uni en soi ce qu’il dépasse.
J’ai honte de ton incompréhension, parce que depuis quinze ans je n’ai pas pensé un seul instant qu’elle fut possible. J’ai honte de ne pas montrer avec quelle évidence ce que je pouvais t’apporter est ce qui te manque, aujourd’hui et demain. J’ai honte de ne pas savoir te montrer un demain pou toi comme meilleur qu’aujourd’hui et hier réunis, comme dépassement dialectique d’aujourd’hui et hier.
|
|
|
|