Correspondance avec « Les voitures qui brûlent »


 

3) Réponse


 
  1. Notre projet n'est pas « de répertorier des émeutes et, dans une débauche de descriptions et d'analyses, de noyer la théorie ». Notre projet est de finir le monde. Nous pensons que pour y parvenir il faudra une débauche de descriptions et d'analyses incomparablement supérieure à la nôtre. Comme les situationnistes pensaient que les ouvriers devaient devenir dialecticiens, nous pensons que la théorie doit être le mode de communication entre les émeutiers et insurgés.
     
     On peut sans doute falsifier, censurer, mépriser, récupérer la théorie, mais nous ne connaissons personne qui soit capable de « noyer la théorie ». Nous avons, en revanche, frôlé de nombreuses personnes qui se noient dans la théorie : d'une part ceux qui n'en démêlent pas le sens ; d'autre part ceux qui voudraient qu'elle soit simple et indubitable, une fois pour toutes, et qui sont fâchés lorsqu'elle contredit l'idéologie dominante de l'activisme, ou tout simplement lorsqu'elle tend à devenir aussi compliquée que le monde. A en juger par leur façon de critiquer, « Les voitures qui brûlent » sont beaucoup dans la première barque et un peu dans la seconde galère. 

  2.  
     
  3. Nous n'avons jamais mis Debord vis-à-vis de Jean-Pierre Voyer. Dans la réalité, Voyer s'est mis vis-à-vis de Debord tout seul. Rappelons ici comment Guy Debord a vieilli prématurément, par quelles étapes « abandonnant la recherche de la radicalité, il s'est abandonné lui-même à l'intégration spectaculaire et marchande » :
  4. D'abord Voyer a interpellé Debord sur sa conception de l'économie, qu'il jugeait insuffisamment critique. Debord a refusé de répondre. Observateurs impartiaux, mais qui trouvions la question importante, nous en avons conclu que si quelqu'un est dépositaire de la radicalité de son temps et qu'il refuse de la confronter, il use du droit des lâches, des résignés. A notre grande surprise, donc, Debord était devenu lâche et résigné, mais après tout, qui est à l'abri ?

    Puis l'éditeur de Debord a publié sa correspondance avec Voyer, mais tronquée de toute la partie où Voyer commençait à critiquer l'économie. Debord ne s'est pas récrié contre cette falsification manifeste de son éditeur, auquel il a continué à faire confiance. Debord est donc devenu complice de la dissimulation de sa lâcheté et de sa résignation, et par là il est devenu, comme son éditeur, un enculé. Même si personne n'est à l'abri de devenir un enculé, nous pensons qu'il est important de signaler lorsque quelqu'un d'estimable en devient un.

    Enfin juste avant sa mort, Debord a confié l'ensemble de ses écrits à l'éditeur Gallimard. En 1969, sur la dernière page du dernier numéro de la revue 'Internationale situationniste', dont Debord était directeur, on pouvait lire une lettre au même Gallimard qui disait « (...) tu n'auras plus jamais un seul livre d'un situationniste. Voilà tout. Tu l'as dans le cul. Oublie-nous. » En confiant à cet éditeur 'la Société du spectacle', Debord a formellement rompu cette parole. Il est donc devenu un menteur. Nous pensons que personne n'est obligé de devenir menteur.

    Devenu lâche et résigné, falsificateur et enculé, puis menteur, Debord a largement mérité le sobriquet de Raclure de Bidet, qu'il avait lui-même initié.
     
     

  5. Si nous sommes d'avis que l'œuvre de Voyer contribue à la « police des idées », ce n'est certainement pas parce qu'elle serait l'incarnation d'une « pensée de travers » ou de quelque autre dénigrement qui fait l'économie de la critique. Nous avons suffisamment expliqué ailleurs (cf. 'Fin du voyérisme paisible') en quoi l'œuvre de Voyer ne pouvait pas être notre « modèle » théorique ; espérons qu'il sera superflu d'ajouter en quoi elle saurait aussi peu être notre modèle pratique.

  6.  
     
  7. Le tract « Mise au point », que nous avons donc reçu deux fois, ne mérite pourtant pas d'être relu. Tout y est tellement allusif et sous-entendu qu'on ne peut qu'y supposer : supposer une forme d'orthodoxie debordienne, supposer un petit milieu (si minuscule qu'on n'en avait pas encore entendu parler), supposer quelques petits règlements de comptes et quelques menaces voilées à l'égard d'inconnus. Et on en arrive même à supposer que « Les voitures qui brûlent » sont contre la révolution, ou à supposer qu'ils sont pour ; ce qui n'a pas beaucoup d'importance, du reste, puisqu'il faut supposer que cette question serait pour eux une sorte de détail de l'esthétique.

  8.  
     
  9. Malgré les critiques radicales et les insultes méritées que nous avons adressées à Voyer et Debord, nous plaignons sincèrement ces deux théoriciens du passé d'avoir mérité aujourd'hui des suivistes aussi approximatifs et mal informés que « Les voitures qui brûlent », auxquels nous répondons ici publiquement, puisqu'ils ne nous ont laissé aucune possibilité de le faire plus directement. Et c'est bien à contrecœur que nous les remercions d'avoir vérifié, à leur corps défendant, ce qu'ils citent de nous en exergue : « C'est de théorie que manque cruellement ce monde d'émeutes. »

(Texte d'avril 1999.)


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