- Notre projet n'est pas « de répertorier des émeutes
et, dans une débauche de descriptions et d'analyses, de noyer la
théorie ». Notre projet est de finir le monde. Nous pensons
que pour y parvenir il faudra une débauche de descriptions et d'analyses
incomparablement supérieure à la nôtre. Comme les situationnistes
pensaient que les ouvriers devaient devenir dialecticiens, nous pensons
que la théorie doit être le mode de communication entre les
émeutiers et insurgés.
On peut sans doute falsifier, censurer, mépriser, récupérer
la théorie, mais nous ne connaissons personne qui soit capable de
« noyer la théorie ». Nous avons, en revanche, frôlé
de nombreuses personnes qui se noient dans la théorie : d'une
part ceux qui n'en démêlent pas le sens ; d'autre part ceux
qui voudraient qu'elle soit simple et indubitable, une fois pour toutes,
et qui sont fâchés lorsqu'elle contredit l'idéologie
dominante de l'activisme, ou tout simplement lorsqu'elle tend à
devenir aussi compliquée que le monde. A en juger par leur façon
de critiquer, « Les voitures qui brûlent » sont beaucoup
dans la première barque et un peu dans la seconde galère.
- Nous n'avons jamais mis Debord vis-à-vis de Jean-Pierre Voyer. Dans
la réalité, Voyer s'est mis vis-à-vis de Debord tout
seul. Rappelons ici comment Guy Debord a vieilli prématurément,
par quelles étapes « abandonnant la recherche de la radicalité,
il s'est abandonné lui-même à l'intégration
spectaculaire et marchande » :
D'abord Voyer a interpellé Debord sur sa conception de l'économie,
qu'il jugeait insuffisamment critique. Debord a refusé de répondre.
Observateurs impartiaux, mais qui trouvions la question importante, nous
en avons conclu que si quelqu'un est dépositaire de la radicalité
de son temps et qu'il refuse de la confronter, il use du droit des lâches,
des résignés. A notre grande surprise, donc, Debord était
devenu lâche et résigné, mais après tout, qui
est à l'abri ?
Puis l'éditeur de Debord a publié sa correspondance avec
Voyer, mais tronquée de toute la partie où Voyer commençait
à critiquer l'économie. Debord ne s'est pas récrié
contre cette falsification manifeste de son éditeur, auquel il a
continué à faire confiance. Debord est donc devenu complice
de la dissimulation de sa lâcheté et de sa résignation,
et par là il est devenu, comme son éditeur, un enculé.
Même si personne n'est à l'abri de devenir un enculé,
nous pensons qu'il est important de signaler lorsque quelqu'un d'estimable
en devient un.
Enfin juste avant sa mort, Debord a confié l'ensemble de ses
écrits à l'éditeur Gallimard. En 1969, sur la dernière
page du dernier numéro de la revue 'Internationale situationniste',
dont Debord était directeur, on pouvait lire une lettre au même
Gallimard qui disait « (...) tu n'auras plus jamais un seul livre d'un
situationniste. Voilà tout. Tu l'as dans le cul. Oublie-nous. »
En confiant à cet éditeur 'la Société du spectacle',
Debord a formellement rompu cette parole. Il est donc devenu un menteur.
Nous pensons que personne n'est obligé de devenir menteur.
Devenu lâche et résigné, falsificateur et enculé,
puis menteur, Debord a largement mérité le sobriquet de Raclure
de Bidet, qu'il avait lui-même initié.
- Si nous sommes d'avis que l'œuvre de Voyer contribue à la « police des idées », ce n'est certainement pas parce qu'elle
serait l'incarnation d'une « pensée de travers » ou
de quelque autre dénigrement qui fait l'économie de la critique.
Nous avons suffisamment expliqué ailleurs (cf. 'Fin du voyérisme
paisible') en quoi l'œuvre de Voyer ne pouvait pas être notre « modèle » théorique ; espérons qu'il sera superflu
d'ajouter en quoi elle saurait aussi peu être notre modèle
pratique.
- Le tract « Mise au point », que nous avons donc reçu
deux fois, ne mérite pourtant pas d'être relu. Tout y est
tellement allusif et sous-entendu qu'on ne peut qu'y supposer : supposer
une forme d'orthodoxie debordienne, supposer un petit milieu (si minuscule
qu'on n'en avait pas encore entendu parler), supposer quelques petits règlements
de comptes et quelques menaces voilées à l'égard d'inconnus.
Et on en arrive même à supposer que « Les voitures qui
brûlent » sont contre la révolution, ou à supposer
qu'ils sont pour ; ce qui n'a pas beaucoup d'importance, du reste, puisqu'il
faut supposer que cette question serait pour eux une sorte de détail
de l'esthétique.
- Malgré les critiques radicales et les insultes méritées
que nous avons adressées à Voyer et Debord, nous plaignons
sincèrement ces deux théoriciens du passé d'avoir
mérité aujourd'hui des suivistes aussi approximatifs et mal
informés que « Les voitures qui brûlent », auxquels
nous répondons ici publiquement, puisqu'ils ne nous ont laissé
aucune possibilité de le faire plus directement. Et c'est bien à
contrecœur que nous les remercions d'avoir vérifié, à
leur corps défendant, ce qu'ils citent de nous en exergue : « C'est de théorie que manque cruellement ce monde d'émeutes. »