Le 18 janvier 1990, après un an d'essai en Ecosse, où 15 % des contribuables l'ont boycottée, la Poll Tax est votée par les Communes. La Poll Tax est un impôt locatif par tête. Chaque commune fixe le montant de l'impôt local annuel et le divise en parts égales entre tous les adultes vivant sur son sol. Le propriétaire d'un manoir de quarante pièces paiera donc une part alors que son concierge, sa femme et leurs deux enfants tout juste majeurs mais au chômage, hébergés dans un petit pavillon de trois pièces au fond du parc, en paieront quatre. Cette imposition égalitaire dans une société inégalitaire, injustice à ce point visible qu'une fraction importante du parti conservateur du premier ministre Margaret Thatcher s'est déclarée contre, doit entrer en vigueur le 1er avril, sans rire.
C'est donc début mars que les différentes communes du royaume fixent le montant de cet impôt. Devant de nombreuses mairies, il y a des rassemblements peu amènes, où la middle class qui découvre qu'elle aussi paiera plus cher qu'avant domine. Et le 8 mars, au quatrième soir de manifestations (à Rotherham, Durham, Ashington, Gateshead, Wallsend, et dans différents quartiers de Londres, Southwark, Hillingdon, Lambeth où Thatcher est brûlée en effigie), c'est l'émeute dans le quartier de Hackney à Londres où 800 des 5 000 manifestants s'en prennent aux commerces et à la police : 250 000 livres de dégâts dans le pillage de vingt-huit magasins. Et comme l'observe en se lamentant la middle class, dont les déboires se sont dégradés en prétextes, « ça n'a vait rien à voir avec la Poll Tax. Le gamin qui le premier a jeté un pavé dans la vitrine de Woolworth's avait environ 13 ans ». Blood'n'guts!
De cet exemple naissent au moins deux autres soirs d'émeutes, médiocrement médiatisés, dans le sud de Londres, à Brixton, Lambeth et Islington, où affrontements et saccages se succèdent dans une joyeuse sarabande. Le gouvernement Thatcher, brutale petite gouape néolibérale, fait, comme c'est sa recette, le forcing pour imposer cette loi quand même, mais sans se rendre compte que c'est contre sa propre base sociale, la petite middle class. Aussi, la veille de l'entrée en vigueur de l'impôt décrié, le 30 mars, a lieu une grande manifestation de protestation à Trafalgar Square, en plein centre de Londres. Entre 30 000 et 200 000 manifestants s'y retrouvent, et c'est devant Downing Street no 10 que commence la première émeute moderne dans le centre-ville de Londres. Quelques heures plus tard, il y a 400 blessés, dont trois quarts de flics, et le pillage et la destruction ont débordé dans tout le centre commercial de la ville, sous l'impulsion sauvage et désordonnée de 3 000 à 3 500 émeutiers furieux et festifs. 341 d'entre eux seront arrêtés.
Obstinée comme à l'accoutumée, Thatcher essaiera d'instrumentaliser l'émeute contre les opposants de la Poll Tax, et elle est même devancée par l'ignoble opposition travailliste, qui condamne bien sûr plus sévèrement la violence de la rue que les caprices de la Dame de fer. Et le 17 mai, après que Scotland Yard appelle la presse à la délation, les excellents journaux que sont le 'Times' et le 'Daily Express' publient les photos d'émeutiers de Trafalgar Square.
La Poll Tax, pourtant, ne passe pas. Et le 20 octobre, une nouvelle manifestation réunit plusieurs milliers de personnes dans le quartier de Brixton, qui avait été le centre du monde pendant l'été 1981 et la première grande traînée d'émeutes de banlieues. « Tout a déraillé pourtant en fin d'après-midi aux portes de la prison de Brixton où sont incarcérés certains participants de l'émeute de mars dernier » : incendies, pillages, barricades, affrontements, 56 blessés et 105 arrestations.
Enfin, le 22 novembre, haïe et usée, tête de
mort d'une époque de transition, Thatcher démissionne devant
l'impossibilité d'imposer la capitation, y compris chez les Tories
eux-mêmes, qui ont des soucis électoraux. Et devant la multiplication
du boycott, le gouvernement conservateur renonce finalement à la
Poll Tax, le 21 mars 1991.
(Texte de 1998.)
teleologie.org / événements / offensive 1988-1993 / De 1987-1988 à fin décembre 1990 / Notes / |
<< >> |