Correspondance avec Jean-Marc Mandosio


 

c) Chrétien Franque à Jean-Marc Mandosio

Paris, le 7 novembre 2000

 

 

La raison pour laquelle je réponds encore à vos arguments indiscutables est la suivante : l'interlocuteur qui m'avait alerté sur le passage de votre livre concernant la Bibliothèque des Emeutes l'a fait d'une manière hostile et publique, sommant les héritiers de la Bibliothèque des Emeutes de répondre aux imputations fausses qu'il a lues chez vous. Nous vivons dans un monde, en effet, où l'on est accusé de ce que disent sur nous ceux qui nous ont soit mal compris, soit volontairement déformé, ce qui semble de plus en plus être le cas de votre poussiéreux personnage, qui continue de soutenir que nous aurions dit ce que nous n'avons pas dit.

1. « Vol, viol, meurtre sont des délits d'opinion » n'est une apologie du vol, du viol et du meurtre que pour les calomniateurs qui ne savent pas ce qu'est une apologie et qui ne savent pas ce qu'est un délit d'opinion. Votre argumentation ferait rougir de honte un juge d'instruction moyennement honnête : « ramener à un simple "délit d'opinion" une pratique généralement considérée comme un crime, c'est l'encourager ». Le sens de « vol, viol, meurtre sont des délits d'opinion » était et reste : ramener un crime à un délit d'opinion, c'est dire qu'il est prémédité, prépensé, donc c'est l'aggraver en tant que crime ; c'est montrer par là que les crimes dits de droit commun ne se distinguent des délits d'opinion que parce qu'on voudrait en faire des actes sans pensée. Encourager le viol est tout autre chose, et encourager le viol est encore tout autre chose qu'en faire l'apologie. La levée de bouclier rencontrée par la Bibliothèque des Emeutes en 1992 contre le viol ne montre pas qu'il y avait là apologie, mais que le gros des lecteurs, qui ont la même qualité de lecture que vous, dès qu'ils ont entendu « viol » en ont déduit abusivement, et plutôt comiquement, tant cela révèle leurs préjugés moraux, qu'il y avait là une apologie du viol.

2. Vous concluez le paragraphe où vous tentez de répondre à « la prolifération des émeutes dans tous les lieux du globe n'est pas le "signal possible" d'un assaut contre la société, mais cet assaut lui-même » par « l'émeute, telle que vous la définissiez, était conçue comme le signal possible (le "balbutiement" ou l'"esquisse") d'une insurrection (...) ». Si vous ne savez pas faire la différence entre ce qu'est une émeute en général et ce qu'est la prolifération des émeutes dans tous les lieux du globe, il vaut mieux que vous retourniez à votre rez-de-jardin.

3. Sur cette belle lancée, vous continuez tranquillement dans la voie de la dialectique et de la raison. On apprend maintenant que la petite minorité des émeutes qui sont ritualisées dans le monde deviennent « la plupart des émeutes ». Nous attendons avec quelque impatience que vous nous indiquiez également ce « plupart » dans vos sources.

4. La fonction de « soupape » serait « immanente » à l'émeute. On croirait du Kautsky. La fonction de soupape de l'émeute, quand la police et l'information dominante parviennent à réduire l'émeute à une soupape, ne peut avoir lieu qu'à travers l'action de ces deux forces, et souvent de quelques autres récupérateurs. Or si la police parvient à vaincre l'émeute sur le terrain, ce qui reste le préalable pour en faire une soupape, son rôle de soupape n'est établi qu'à partir du moment où les informateurs et les récupérateurs de l'émeute peuvent la réduire à cette absence de perspective. Même dans une période historique après un assaut contre la société, comme aujourd'hui où cette manœuvre réussit plus souvent, il faut être une fieffée salope pour y voir une immanence et une généralité.

5. Nous ne voudrions pas que l'émeute soit critiquée par d'autres que nous, ajoutez-vous bêtement. Sachez d'abord que la Bibliothèque des Emeutes n'a jamais « critiqué » l'émeute. L'émeute ne se critique pas dans une revue, un livre ou une correspondance, mais là où elle a cours, dans la rue, et là bien d'autres que vous et moi ont critiqué l'émeute. Votre fine analyse des émeutes laisse simplement de côté l'essentiel de ce que l'ex-Bibliothèque des Emeutes en disait, et que je soutiens toujours : c'est le seul début de débat libre connu. D'autre part, si je vous mets en garde de vous tenir à l'écart de l'émeute ce n'est pas une menace, mais c'est tout simplement que vous me paraissez y être étranger au point de n'avoir même pas compris la banalité qu'a pu en dire une Bibliothèque des Emeutes. C'est aussi peu une menace de déconseiller l'émeute à Mandosio que de déconseiller à quelqu'un qui ne sait pas nager de se jeter à l'eau. Sachez par ailleurs que tout comme la Bibliothèque des Emeutes n'a commis d'apologie du viol que dans votre interprétation intéressée, pour des raisons légèrement différentes, je ne menace jamais personne. Vos extrapolations quant à cette « menace » qui serait « au nom des émeutiers » sont encore plus délirantes que calomnieuses.

6. Le « non-sens caractérisé » que vous nous imputez avec la grandiloquence des petits disait essentiellement que seule l'humanité a la maîtrise de l'humanité, y compris la maîtrise de sa fin : c'est là tout son projet. Ce n'est pas parce que vous n'avez pas compris que la maîtrise d'une chose puisse venir avec sa fin que vous pouvez vous autoriser à dire n'importe quoi sur la fin – ou bien faites-le en votre nom. Ce « non-sens caractérisé » est donc essentiellement votre incompréhension caractérisée. Dans le cas d'une incompréhension, il y a deux possibilités : la première est que celui qui explique a mal expliqué, et c'est pourquoi j'ai reformulé ; la seconde est que celui qui n'a pas compris ne veut pas comprendre : nous allons voir. Comme beaucoup de conservateurs imbus de classicisme, vous appelez charabia ce que vous ne comprenez pas, ce que vous ne connaissez pas. Mais je comprends cela, je connais cela.

7. Votre petit culot tranquille va jusqu'à se vanter d'avoir cité la Bibliothèque des Emeutes parce que « on peut trouver de l'intérêt dans certaines analyses chez des gens dont on ne partage pas nécessairement toutes les idées ». Quand on lit le passage qui concerne la Bibliothèque des Emeutes dans votre papier hygiénique relié après usage – votre seul livre donc –, on est effectivement en droit de se demander dans laquelle de ces analyses vous trouviez de l'intérêt. Permettez-moi de faire le résumé de ce paragraphe : il s'agit d'un groupe de tarés introduit par la phrase suivante : « (...) c'est des débordements de folie meurtrière que l'on fera l'éloge, dans le vain espoir de voir surgir, à travers les différents actes d'autodestruction individuelle et collective dont notre monde est si prodigue, la possibilité d'une rédemption ». On comprend pourquoi un pauvre postsitu si préoccupé du sort des bibliothèques avait besoin que « vol, viol, meurtre sont des délits d'opinion » devienne une apologie du viol, parce que pour soutenir cette thèse-là, il fallait l'appuyer de quelque affabulation particulièrement spectaculaire.

8. Le pompon est atteint lorsque vous aboyez le préjugé le plus courant que rencontre la téléologie moderne. « Achever l'humanité » y est assimilé et présenté comme un massacre sans contenu, et pourquoi pas tant qu'on y est, rédempteur. « Achever l'humanité » tel que nous l'avons toujours employé signifie, au contraire, accomplir l'humanité. Nous n'avons proposé ni éliminé aucune hypothèse quant à la forme de cet accomplissement, qui ne dépend de nous que pour la partie que nous en constituons. C'est pourquoi c'est une calomnie particulièrement misérable de sauter allègrement le pas, comme vous le faites, et de présenter hâtivement cet achèvement comme une sorte de folie meurtrière, qui est évidemment, dans l'idée au moins, son contraire. Il vous est commode de reconnaître maintenant avoir eu tort dans votre interprétation « logique » (!) de l'idée de téléologie moderne alors que vos divagations catastrophistes (1) s'étalent toujours en librairie.

9. De la soupape à la rédemption, en passant par le viol et la prolifération des émeutes dans tous les lieux du globe, votre façon de décrire ce qui concerne la Bibliothèque des Emeutes est celle d'un journaliste.

 

Pour Belles Emotions,

Chrétien Franque

 

 

 

1. « La présentation de l'importance du concept de finitude nous a permis, jusqu'à présent, de constater que l'un des principaux écueils à sa compréhension survient lorsqu'il est compris comme égal à la mort. La mort n'est que la fin de la vie, le constat de la fin de la vie pour l'autre, ou l'accident qui empêche la réalisation de la vie. Le vécu traumatique de la mort, en Occident du moins, empêche donc très souvent de comprendre la finitude comme un accomplissement et la transforme en catastrophe ; cette opinion, si puissamment ancrée, s'avère ensuite de celles qui n'entendent plus d'objections et qui fonctionnent un peu comme ces alarmes de voitures qui ne savent pas faire la différence entre un frôlement et une effraction, ni entre deux frôlements similaires en apparence mais opposés en intention. » (Extrait de 'Réfutation de quelques infinis', mars 2000.) [retour]


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