Fin du voyérisme paisible, deuxième partie


 

d) Le commissaire à Karl von Nichts


 

Paris, le 5 juin 1998
 
 

M. de Rien,
 

Certes, il y a "un problème".

Récapitulons : en 1991, vous publiez l'ensemble des articles de Voyer dans le bien nommé torchon, avec les seules interventions de lecteurs qui y sont parues – ce qui excluait en effet la deuxième lettre de Solneman, qui avec d'excellentes raisons en avait voulu ainsi, la main certes un peu forcée par l'attitude, disons cavalière, de son correspondant ; nous avons vu cela. Ce n'est que quelques temps (?) après que vous prenez connaissance de la suite de l'échange, soit la réponse de Solneman (la "réponse" de Voyer aura échappé à votre feuilletage). Ma question est : dès lors que vous avez pris connaissance de cette suite, pourquoi n'avez-vous pas retiré votre ouvrage ? Ce n'était quand même pas, foutredieu, chose impossible, même si vous n'êtes pas les diligentes imprimeries Darantière. Un minimum provisoire eût été d'insérer cette information, afin que le lecteur intéressé pût juger sur toutes les pièces, quand bien même il aurait à les chercher ailleurs. En éditeur sourcilleux, vous auriez d'ailleurs dû vous-même vous procurer ces pièces. La probité, cher Monsieur, ce n'est pas seulement la bonne foi et l'absence d'intentions mauvaises, mais surtout d'avoir des scrupules. Le jésuitisme n'est jamais loin.

Vous invoquez dans votre lettre, comme dans la précédente, l'imprimatur du superviseur Voyer, à la fois comme un gage de bonne foi et comme la limite de votre responsabilité. Voyer vous aurait dit n'avoir jamais répondu. Ce qui n'est, je vous l'accorde, pas tout à fait faux : il a répondu qu'il ne répondrait pas, et que c'était, mais oui, la moindre des libertés. Voilà un Sturmfürher ! J'ai le droit de pas répondre ! J'ai des lunettes ! Vous avez enfin pu lire cela.

Vous me direz, mais après tout, c'est vrai, c'est son droit, s'il considère que la lettre n'en vaut pas la peine, il n'a pas à répondre. Voilà donc un Monsieur qui écrit toutes les semaines à BHL (pourquoi pas à Mylène Farmer ?), qui noircit des pages sur le con de l'une, le prépuce de l'autre, etc. – et qui n'aurait pas pris le temps, en sept ans, de répondre à un interlocuteur qui se trouvait l'avoir lu, et surtout compris, ce qui à mon avis ne court ni les rues ni les boîtes aux lettres ?

La vérité, c'est que Voyer n'avait rien à répondre. On le voit bien à sa façon d'expédier les questions gênantes : "je ne comprends pas la fin de votre lettre". La vérité, la triste vérité, c'est que votre ami Voyer n'a plus que du mou dans la tronche. Là, je suis vraiment vache ; en plus, il peut même pas me répondre, il est en vacances ! Voyer en vacances ! Il n'y va quand même pas par l'autoroute ? Laissez-moi deviner... Grèce, Baléares, Portugal ? Meudon ? Bellevue-la-Montagne ? C'est à se pisser dessus. A moins qu'il ne soit en mission d'observation pour son "Institut scientifique".

Pour résumer : vous n'avez peut-être pas fomenté un coup tordu avec votre compère Voyer, mais vous avez, par votre manque de scrupules éditoriaux, servi sa veule et crapuleuse tentative de faire taire pour cacher que c'est lui qui s'est tu. Car c'est là le fin mot de l'histoire. Vous l'avez cru sur parole ; manque de pot, c'était parole de jésuite. Qui eût cru que cette maladie honteuse de la pensée fît encore tant de victimes ? "Il y a peut-être eu malentendu. De toute façon la présentation de L'imbécile telle que je l'avais faite lui convenait parfaitement." C'en est presque touchant de naïveté. Non pas petit pied, mais petite main.
 

Vous semblez faire grand cas de la péripétie Lebovici [1]. Je vous rappelle quand même que ça s'est passé il y a vingt ans. Si l'infini existait, il y aurait une infinité de choses et de scandales plus importants que ça. J'ai quand même relu les lettres de Voyer à Lebo que vous avez publiées sur le Deboardoff. J'avoue avoir été quelque peu frappé par sa promptitude à l'autodénégation et ses façons d'abord assez proches de la courbette. Peut-être y a-t-il dans ces façons un "second degré" qui m'échappe. En tous les cas, je crois que cette affaire a été une profonde désillusion pour Voyer, d'autant plus douloureuse qu'on l'avait vu sous un jour humiliant. C'était la fin d'une époque. Ca a fini par tourner en névrose obsessionnelle.
 

Que vous n'ayez pas jugé nécessaire que vos lecteurs connaissent l'issue réelle de la dispute qui leur était présentée, que vous ayez aidé, par cette négligence, celui qui fut le plus important théoricien depuis l'IS à fossoyer sa théorie dans la répétition infinie, et permis qu'il trompe son public sur cette défaite, cela ne plaide définitivement pas en faveur de votre probité. Et que vous n'ayez trouvé qu'à "feuilleter" la BE, que vous n'ayez pas estimé utile de vous procurer ses bulletins, ni l'ouvrage de Solneman, qui étaient pourtant en bonne place, chez Parallèles, à côté de l'indispensable Hécatombe, ne plaide pas en faveur de votre jugement.

Nous verrons si, devant les faits exposés, ce jugement saura s'exercer d'une façon plus sûre. Il faudra sans doute attendre pour le savoir que le Révérend Père revienne de villégiature.
 

D'ici là, creusez ceci : C'EST LA FIN DU VOYERISME PAISIBLE.
 
 
 

Der K
 
 

[1] J'ai lu ce que vous avez eu la bonté de m'envoyer. Vous voyez que la "Lettre au jésuite" m'a inspiré. Mais tout ça n'a aucun intérêt. Ca vaut pas une bile, si j'ose dire. Quoique, comme écrivain licencieux, il se pose un peu là, le Voyer : "grosse pine bien raide", "culotte mouillée", c'est fouillé. On dirait du Régine Déforges.

Vous êtes gentil de vous inquiéter de mes besoins ; en effet, comment ai-je pu me passer jusqu'ici d'Hécatombe, de ses 350 lettres à machin ? N'en jetez plus, la cour est pleine. Merci quand même.


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