Après la publication de 'l'Assemblée générale des chômeurs à Jussieu'

Un correspondant interpelle l'OT sur le sens du travail (mai 2002)

YY à l'observatoire de téléologie (08-05-02)
Subject: le sens du travail?
 

En revenant du travail, je lisais tranquillement le texte sur l'assemblée de jussieu. Vos remarques sur le travail m'ont prodigieusement agacé (justement, moi qui revenais du travail) parce qu'elles laissent à penser que la recherche du sens du travail permettrait de résoudre la question de la réalisation de l'homme. Le travail n'est pas nécessaire à la survie, car cela signifierait que la vie ou la survie est entièrement assimilée au travail ou au non-travail. Le travail est nécessaire à l'obtention de l'argent qui est nécessaire à la survie (se nourrir, se vétir, se déplacer). Planter des carottes dans un jardin n'est peut-être pas du travail. La seule question centrale dans le travail est entièrement contenue dans le salariat, unique moyen de survie dans notre société matérialiste. Mais réfléchir sur le sens du travail ne permet de se placer que dans le cadre d'une pensée matérialiste, qui assimile vie, travail et marchandises.

 



 

observatoire de téléologie à YY (10-05-02)
Subject: Re: le sens du travail?
 

En revenant du travail, je lisais tranquillement le texte sur l'assemblée de jussieu. Vos remarques sur le travail m'ont prodigieusement agacé (justement, moi qui revenais du travail)

En revenant de manger, je lisais en digérant votre e-mail en réponse au texte sur l'assemblée de Jussieu. Vos remarques sur la survie m'ont un peu agacé (justement, moi qui revenais de manger).

Et puis je me suis dit : c'est nous qui n'avons pas été très clairs, car pour que quelqu'un nous oppose les positions dont nous faisons justement la critique sans ajouter un seul argument supplémentaire, c'est que la critique n'était pas compréhensible. Reprenons donc l'explication.

parce qu'elles laissent à penser que la recherche du sens du travail permettrait de résoudre la question de la réalisation de l'homme.

Quel que soit le sens du travail, le travail reste l'activité dominante de la société matérialiste, comme vous dites, dans laquelle nous avons cet échange. Ayez la bonté de nous expliquer comment « la question de la réalisation de l'homme » peut se résoudre sans rechercher le sens de l'activité dominante.

Le travail n'est pas nécessaire à la survie, car cela signifierait que la vie ou la survie est entièrement assimilée au travail ou au non-travail.

Qu'une chose soit nécessaire à une autre ne signifie pas que cette seconde chose soit « entièrement assimilée » à la première. Pour la survie (je ne vois pas ce que vient faire la vie dans votre phrase), d'autres activités que travailler sont également indispensables. Travailler ne suffit pas. Il est également nécessaire de respirer, dormir, réfléchir, si on parle de la survie de l'individu, et de se reproduire et de produire de l'aliénation si on parle de la survie du genre humain. Or la survie n'est pas « entièrement assimilée » à respirer, dormir, réfléchir, se reproduire ou produire de l'aliénation.

Le travail est nécessaire à l'obtention de l'argent qui est nécessaire à la survie (se nourrir, se vétir, se déplacer).

Le travail est en effet nécessaire à l'obtention de l'argent. L'essentiel de ce que nous avons cherché à dire sur le travail, c'est que le travail ne dépend pas de l'argent, comme votre rapport de nécessité le suggère, et en dépit de ce rapport de nécessité, mais que l'argent dépend du travail. L'argent est la forme de l'universalité du travail dans l'échange. Il n'y a pas d'argent sans travail, mais il y a du travail sans argent. Avant l'argent, il y avait du travail, puisqu'il y avait de l'activité pour survivre. Mais avant le travail, il n'y avait pas d'argent. Ce n'est pas l'argent qui fait le travail. C'est parce que le but de cette société est la survie que le travail a produit l'argent comme sa forme d'universalité. C'est parce que la société, matérialiste comme vous dites, a fait du travail l'activité dominante qu'il y a de l'argent.

Ce n'est que l'esbroufe de « ne travaillez jamais » qui a permis de faire croire qu'en supprimant l'argent on supprimerait le travail. C'est comme si on nous disait qu'en supprimant la malbouffe on supprimait le fait de manger.

Planter des carottes dans un jardin n'est peut-être pas du travail.

Peut-être bien que non, peut-être bien que oui.
Si ce n'est pas du travail dites-nous ce que c'est.

La seule question centrale dans le travail est entièrement contenue dans le salariat, unique moyen de survie dans notre société matérialiste.

D'abord le salariat n'est pas « un moyen de survie », mais la forme dominante de l'organisation de l'activité principale de la survie, le travail. Ensuite il existe d'autres formes d'organisation de l'activité qui permettent de survivre, hors du salariat. L'esclavage, par exemple, existe quoiqu'il soit proscrit, et est une forme d'organisation de l'activité dans le but de la survie autre que le salariat. De nombreux patrons travaillent comme des imbéciles, survivent de manière très réussie, et ne sont pas dans le salariat. La mendicité, notamment celles de tous les camps de réfugiés du monde, est une autre forme d'organisation de l'activité dans le but de la survie qui n'est pas le salariat, et qui n'en est pas moins couramment pratiquée aujourd'hui dans notre société matérialiste, comme vous dites. Et je passe sur la profession des voleurs, fort en déclin, qui est également une forme d'organisation de l'activité dans le but de la survie, qui n'est pas non plus le salariat.
Enfin, supprimer le salariat n'est pas supprimer le travail, et c'est pourquoi la « seule question centrale dans le travail » n'est pas contenue dans le salariat, malgré les efforts propagandistes de notre société matérialiste. Je pourrais me référer à nos camarades autogestionnaires et Khmers rouges, qui chacun de leur côté ont fort bien prouvé qu'en supprimant le salariat (même si ces expériences isolées étaient plutôt une suspension démonstrative qu'une suppression) on ne supprimait en rien le travail. Mais une fois de plus il s'agit de la critique de l'IS, qui laissait entendre, inter allia, qu'il n'y aurait plus, à l'abolition de la préhistoire, d'activité nécessaire et désagréable, que toute activité nécessaire et désagréable pourrait être remplacée par l'activité facultative et jouissive. Non seulement il n'en est rien, mais rien de tel ne nous paraît souhaitable.
En d'autres termes : planter des carottes fait chier et fera d'autant plus chier dans une situation où il y aura de l'histoire à faire. Mais je préfère être de corvée de carottes dans une situation historique que de lire « tranquillement » un texte sur Jussieu en sortant du travail, dans une situation qui ne l'est manifestement pas.

Mais réfléchir sur le sens du travail ne permet de se placer que dans le cadre d'une pensée matérialiste, qui assimile vie, travail et marchandises.

Puisque vous ne semblez pas l'avoir remarqué, nous sommes obligés de réaffirmer ici que nous combattons précisément tout ce qui tend à amalgamer le travail avec « la vie » ou à prétendre que le travail serait seulement une marchandise. Rappelons que l'on ne peut pas « se réaliser » [dans le travail], que le travail n'est pas un but en soi, et que « la réalisation de l'homme » se situe en dehors du travail.

Vous généralisez votre propre réflexion sur le sens du travail. C'est vous qui assimilez le travail au seul salariat, comme le voudrait précisément la pensée matérialiste, de même que la pensée postsituationniste. Et comme la pensée matérialiste et postsituationniste, vous ne voulez évidemment pas qu'on réfléchisse sur le sens du travail.

Notre réflexion sur le monde, qui vient en grande partie de nos vies (où la survie est absolument nécessaire, sans pour autant que nos vies soient « assimilées » à nos survies) nous a conduits aussi à une réflexion sur le sens du travail, qui nous conduit à penser que la suppression du travail est une absurdité, au contraire de la suppression de l'argent et du salariat ; et que c'est entre autres parce qu'il n'y a pas de réflexion sur le sens du travail, activité nécessaire à la survie, que la survie peut-être amalgamée à la vie, comme dans la pensée matérialiste et dans sa spectaculaire opposition postsituationniste, mais néanmoins interne.

Pour résumer, on peut très bien survivre sans jamais vivre (l'essentiel est un luxe), mais on ne peut vivre sans survivre. Pour nous, la vie est historique ou rien ; la survie est quotidienne, sans histoire. A proprement parler, le travail ne fait pas partie directement de la vie, il ne fait partie que de cette partie inessentielle et indispensable de la vie qu'est la survie. Mais qu'il y ait de la vie ou pas, de l'histoire ou que du quotidien, on plante des carottes dans son jardin, et on en chie.

Pour approfondir ces positions, vous pouvez aussi vous référer à 'Du jeu' (http://www.teleologie.org/textes/txtjeu1.html).

 

Note : le texte entre crochets avait par erreur été oublié dans notre e-mail du 10 mai. Nous nous en sommes aperçus et avons rectifié dès le lendemain.

 


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