A Lisa Garrigues (Anonyme)


 

« Amenazas » est presque le même mot en français : menaces.

J'avais entendu parler de l'incident de Merlot. Et dans l'une des deux assemblées où j'allais nous avons discuté d'un mouchard d'un immeuble d'en face qui se plaignait à la police, mais nous n'avons pas su qui c'était ; dans l'autre les flics venaient parfois se garer à 30 mètres. Je n'ai pas eu l'impression que les gens ont eu peur, et que ça a pu être une raison de défection.

Au contraire, j'étais frappé par l'assurance et la sécurité que confère en partie la solidarité, et aussi en partie le fait d'avoir chassé deux présidents en décembre, une sérénité et une assurance que je ne connais pas en Europe ou aux Etats-Unis, où nous sommes davantage séparés et sur nos gardes. C'est sans doute comparé à ce background que la tranquillité des assembléistes me paraissait plus grande qu'à vous, même merveilleusement grande. Mais je n'ai eu qu'une seule fois l'impression qu'une assemblée, des commissions, ou même des manifestations pouvaient être attaquées, c'était le jour où des partisans de Seineldin en plus grand nombre que nous, et armés, sont venus occuper « notre » angle Callao-Rivadivia. Pourtant, si moi je retrouvais là toute ma tension de l'hémisphère Nord, je reste encore étonné de l'attitude calme et seulement désolée de la trentaine d'assembléistes avec lesquels j'ai subi ce moment-là, et dont aucun n'est parti avant les gamins (payés à la journée par l'extrême-droite ?) venus montrer qu'ils pouvaient nous disputer le pavé.

Par ailleurs, les menaces des assemblées existent aussi, elles sont même certainement plus nombreuses et violentes que celles de l'Etat. Les escraches ont fait que les politiciens n'osent plus sortir et c'est très bien ainsi. Mais il ne faut pas oublier que ce sont là aussi des menaces, physiques, et contre lesquelles la réaction est très faible (je me souviens de la grande indignation qu'a provoquée le fait qu'Alfonsin se défende contre un escrache à son domicile).

Je suis d'accord pour dire que les assemblées sont plus, bien plus, que l'Interbarrial. Mais je pense quand même que le nombre d'assemblées présentes est un baromètre intéressant : l'Interbarrial est la représentation et la coordination que se sont données les assemblées et, apparemment, les assemblées n'ont plus confiance dans l'Interbarrial, qui les neutralise. C'est un grave problème parce que l'Interbarrial actuelle empêche par son existence toute autre vraie coordination d'exister. Il n'y a pas de mise à plat, d'analyse et d'imagination possible avec la structure actuelle. En mai encore, je pensais que les Interzonales pouvaient apporter une alternative à ce poids mort qui bloque la route. Mais la réforme désastreuse de l'Interbarrial a mis fin aux projets qui commençaient à se construire dans ce sens, parce que les Interzonales se sont déchargées de toute responsabilité alternative ou se sont soumises à l'Interbarrial.

C'est aussi pourquoi je pense que l'embellie consécutive à Avellaneda est un feu de paille. La vraie profondeur des assemblées ne dépend plus, au moins depuis mars, de mobilisations passagères sous le coup d'une émotion un peu factice. C'est dans le mouvement de la pensée qu'elles développent qu'elles butent désormais sur une lassitude, on pourrait dire une lassitude de l'intelligence, et c'est pourquoi il y a danger. Début avril, les discours dans les assemblées étaient souvent très bons, avec une haute tenue et une qualité d'écoute remarquable ; ce niveau avait déjà baissé fin mai, parce que dans chaque assemblée tout le monde savait ce que les principaux orateurs allaient dire, et on ne s'étonnait plus et on s'écoutait moins bien. Un certain ennui apparaissait dans les assemblées ; et l'ennui fait fuir. Je doute qu'Avellaneda ait inversé cette tendance.

Vous avez en revanche davantage raison en disant qu'il y a eu des manifestations, et que ces manifestations ont été importantes. Les manifestations sont toujours importantes parce qu'elles permettent de se compter, de se retrouver. Mais à cela je voudrais faire deux remarques : d'abord, les assembléistes ne sont pas plus de 20 000 dans le grand Buenos Aires, et c'est forcément insuffisant pour être une force populaire, au sens classique du terme, et même pour être relativement bien représenté dans une grande manifestation, qui dépend donc toujours à Buenos Aires en priorité des partis de gauche ; ensuite, lorsque il y a eu des manifestations, place de Mai, que s'est-il passé ? Rien, je crois. Les manifestations où l'indignation reste calme, comme les 27 juin, 3 juillet et 9 juillet, épuisent des mouvements en les faisant parader au lieu d'agir. Ce sont des occasions qui passent. Ce n'est donc pas le bon moyen. Je ne connais pas non plus le bon moyen. Mais je pense qu'au lieu de se réjouir de ses forces un mouvement social devrait toujours d'abord tenter de remédier à ses faiblesses. C'est l'inverse qui se passe en ce moment à Buenos Aires.

Ceci nous ramène à l'Interbarrial. C'est à elle de construire de telles analyses et, bien entendu, de développer des conclusions et de proposer et coordonner les actions qui en découlent, parce qu'elle a, théoriquement, une vue d'ensemble qu'aucune assemblée particulière, qu'aucun individu, ne peut revendiquer . Elle en est aujourd'hui bien incapable à cause de sa structure même, qui est catastrophique depuis qu'elle est une assemblée de délégués, sans but.


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