Preuves d'une calomnie

L'épée étincelante de la logique au service de la vérité

Défense de Karl von N. accusé de falsification par quatre individus
Plaidoirie minute de Maître Lébédev
devant le tribunal impérial de Petersbourg

Messieurs,

En publiant son recueil d'articles du journal l'Imbécile de Paris, Karl von N. n'a rien prétendu d'autre que publier les seuls passages d'un journal concernant Voyer : notamment, des lettres de lecteurs, à lui adressées, ainsi que ses réponses, comme c'est l'usage constant dans la profession des auteurs comme des éditeurs, car von Nichts est l'éditeur de Voyer. Après la parution de l'Imbécile de Paris (tirage cent mille exemplaires, ventes trente cinq mille exemplaires, éditeur Pajak) et avant que Karl von N. ne publie les passages du journal concernant Voyer (tirage six exemplaires), seuls étaient publics ces passages. Après la publication scrupuleuse par Karl von N. de ces passages, seuls sont toujours publics ces passages, après comme avant. Donc la publication de Karl von N. n'a absolument rien changé dans l'état du monde.

Après la parution de l'Imbécile de Paris, le monde entier ignorait (à la demande exprès de Solneman*, prière exaucée) l'existence d'une mirobolante correspondance entre Solneman et Voyer excédant ce qui en avait été publié dans l'Imbécile de Paris. Après la publication de son recueil par Karl von N. le monde entier ignore toujours l'existence d'une mirobolante correspondance entre Solneman et Voyer excédant ce qui en avait été publié dans l'Imbécile de Paris. Ce qui était public du temps de l'Imbécile de Paris est toujours public du temps de la publication des articles par Karl von N. Ce qui était dissimulé du temps de l'Imbécile de Paris (à la demande exprès de Solneman*, prière exaucée) est toujours dissimulé du temps de la publication des articles par Karl von N. L'état du monde n'a pas changé. Il ne s'est rien passé, sinon quelques années.

Dans ses spirituels Entretiens, le Dr Weltfaust commet un paralogisme. Il écrit : « En publiant ce recueil, von Nichts a de facto tronqué l'échange épistolaire entre Voyer et Solneman ». Or, non ! l'échange épistolaire n'a jamais été tronqué par von Nichts, mais par Voyer qui a poliment, mais fermement, refusé de continuer cet échange. La bande de nazes qui signaient Solneman se voyait certainement échanger ad infinitum. Voilà donc un espoir tronqué net. La question à laquelle répond le Dr Weltfaust n'est donc pas pertinente. La question pertinente n'est pas « Qui a tronqué cet échange », mais « Qui a tronqué la publication de cet échange ». Et là, la réponse est, indiscutablement : « C'est l'imbécile collectif Solneman lui-même ». C'est l'imbécile collectif lui-même qui a mis FIN, non à l'échange, mais à sa publication.

Faisons un parallèle avec la célèbre affaire Lebovici. Contrairement à ce qui se passa avec Karl von N., après l'opération de Lebovici, l'état du monde avait changé. Avant l'opération, il y avait uniquement des textes privés, après l'opération, il y eut des textes devenus publics et des textes demeurés privés. La séparation entre textes privés et textes publics est bien du fait de Lebovici car elle résulte de l'opération de Lebovici. Et de plus, les textes demeurés privés contredisaient strictement, tout est strict avec Voyer, les textes devenus publics. Dans le cas von Nichts il y avait, avant l'opération, déjà des textes publics et déjà des textes privés ; la séparation n'est donc pas du fait de von Nichts mais bien du seul fait de l'imbécile collectif Solneman lui-même car elle résulte d'un choix* effectué par l'imbécile collectif Solneman lui-même. Enfin, les textes publics d'avant la publication sont les mêmes que ceux d'après la publication et les textes privés d'avant la publication sont les mêmes que ceux d'après la publication. Ce qui était public demeure public, ce qui était privé demeure privé. L'action de Karl von N. laisse donc toutes choses en l'état. C'est très simple. C'est très clair. C'est élémentaire.

Est-ce cela la falsification ? C'est au contraire la reproduction scrupuleuse à l'identique. Pour parodier le langage des mathématiciens, le recueil de Karl von N. était un élément neutre dans une opération de publication sur l'ensemble du monde. De ce fait Karl von N. n'a rien dissimulé. Ce qui était dissimulé est demeuré dissimulé ; et ce qui était dissimulé était dissimulé du fait de l'imbécile collectif Solneman lui-même et non du fait de Karl von N. Ce qui était révélé est demeuré révélé. Mais Karl von N. n'a rien révélé non plus et ce n'est que justice car von Nichts n'est en rien tenu d'être le héraut et le propagandiste de l'imbécile collectif Solneman. Il est l'éditeur de Voyer (ce qu'était aussi Lebovici) et non l'éditeur de l'Imbécile collectif. Ce n'est pas au scrupuleux Karl von N. de révéler ce qui était dissimulé, a fortiori dissimulé du fait même de l'Imbécile collectif. De quel droit ces individus exigeraient-ils, aujourd'hui, que von Nichts publie la totalité de leur correspondance (qui est d'ailleurs un ramassis d'insolentes stupidités) alors qu'eux-mêmes, hier, ont, par un stratagème, mis fin à sa publication, comme ils s'en vantaient cyniquement dans leur seconde lettre à Voyer*

— les stratèges ont été fort surpris par la suite des événements et ne s'en sont visiblement jamais remis. Dans leur fatuité, les finauds ont mis fin à la publication de l'échange sans même imaginer un seul instant que Voyer pouvait mettre fin à l'échange, sans même penser un seul instant que la condition de l'échange était sa publication. Pas de publication, pas d'échange. Ils préféraient ne plus paraître, Voyer préféra ne plus répondre. Méchant, méchant, méchant Voyer qui n'a pas voulu répondre en privé au gentil Solneman. La question est là, évidemment. L'épatante mauvaise foi des finauds est patente. Si nous reprenons le parallèle avec l'affaire Lebovici, le crime de Lebovici n'est pas de ne pas avoir répondu, à Dieu ne plaise, mais d'avoir falsifié ; tandis qu'ici, le crime de Voyer n'est pas d'avoir falsifié, mais de ne pas avoir répondu. La peste soit des importuns — ?

De ce fait, l'imbécile collectif a créé lui-même le précédent duquel peut s'autoriser von Nichts. Pourquoi von Nichts devrait-il se soumettre à l'humeur changeante et au bon vouloir de ces messieurs ? Hier, ils préféraient ne plus paraître, aujourd'hui ils préféreraient paraître. Et bien qu'ils paraissent. Mais en quoi cela concerne-t-il von Nichts ? Pourquoi devrait-il publier their enduring stupidity ad vitam aeternam alors qu'ils ont mis eux-mêmes fin à la publication de cette stupidité ? D'ailleurs, comment pourrait-on falsifier de telles litanies de stupidités, ce sont toujours les mêmes ? Couper n'est pas falsifier. Pour que l'on puisse falsifier, encore faudrait-il qu'une partie de la dichotomie contredise l'autre ou en modifie le sens, chose impossible, puisque pendant des milliers de pages, ils sont très satisfaits d'eux-mêmes, ils ont toujours raison, ils ont tout compris, ils expliquent tout en une ligne et demie, ils se contredisent dans le même paragraphe, ils ne répondent pas aux arguments, ils se contentent de poser à nouveau les même stupides questions, attribuent à celui qu'ils ont compris de travers les incohérences résultant de leurs propres déficiences mentales et animés par le noble courroux émeutophile lui cherchent querelle, ils savent ce qu'est la réalité, ils ont parfaitement compris ce qu'écrit Voyer, ils ont complètement critiqué ce qu'avait écrit Voyer de fond en comble, ils savent comment en finir avec une pensée dominante, tous les gens sont des imbéciles, des pages et des pages de noms d'oiseaux (censuré), bla bla bla, etc. On peut couper leur logorrhée n'importe où, c'est toujours la même chanson, c'est toujours autant stupide, ni plus ni moins. Leur stupidité est invariante de coupure, comme les fractales sont invariantes d'échelle. Il est permis et d'usage constant de couper un texte, de publier des extraits d'un texte ou d'une correspondance. Pour faire la preuve d'une falsification, il ne suffit pas de faire la preuve d'une coupure, encore faut-il prouver que la coupure a modifié un tant soit peu le sens du texte, comme fait Chomsky, par exemple, quand l'ignoble Observateur caviarde une de ses lettres. Autrement dit, il ne suffit pas de monter sur ses grands chevaux, il faut argumenter. Or c'est précisément ce que ne savent pas faire ces logorrhéiques. Tout ce qu'ils sont capables de faire, c'est des procès d'intention car pour eux la question n'est pas celle du sens d'un texte mais celle-ci : ils avaient eu le dernier mot puisque Voyer avait cessé de répondre mais... personne ne l'a su puisque la publication avait cessé, à leur demande ! Quel supplice pour leur vanité. Dix ans de supplice ! Ce qu'ils reprochent à von Nichts, ce n'est pas d'avoir dénaturé le sens de leur correspondance (chose impossible au demeurant, la stupidité de la seconde lettre est déjà présente dans la première lettre, quoique sous une forme atténuée, elle ne se donne pas encore libre cours), mais d'avoir laissé le public ignorer qu'ils avaient eu le dernier mot. Voilà donc toute la question. Nous voilà bien loin de la falsification d'un texte et de son sens. Il ne s'agit que d'une question de vanité froissée. A-t-on jamais vu vanité froissée donner lieu à une telle effusion d'encre et d'insultes ? Ça leur apprendra à faire les bégueules. Voilà des finauds attrapés par leur propre finasserie. Quant à Voyer, au vu des méthodes de cet Imbécile collectif, il a dit une fois non à ces c..., et pour Voyer, non, c'est non. Il ne lit pas ces publications de br..., il en ignore jusqu'à l'existence et si Karl von N. lui avait demandé la permission d'y faire référence, il le lui aurait interdit. Pourquoi Voyer devrait-il faire de la publicité pour les textes, privés ou publics, de ces br... ? Pourquoi Voyer devrait-il faire de la publicité pour des gens qui ont abondamment prouvé leur refus de toute discussion et abondamment exposé au monde entier, par l'exemple, leurs méthodes de « discussion » ? C'est la meilleure. S'ils aiment se br..., qu'ils aillent se br... ailleurs. Le monde est vaste. Qu'ils aillent en Afghanistan (oui, là bas, chez les nomades, c'est vraiment périlleux de se faire une meuf, si l'on en croit Naipaul). Si l'imbécile collectif Solneman veut faire la publicité de la mirobolante correspondance, il faudra donc qu'il la fasse lui-même, à ses propres frais alors qu'il avait l'occasion de la faire gratuitement dans l'Imbécile de Paris, et non au compte d'autrui en tirant des billets à vue sur l'honorable négociant Karl von N., fils de négociant, véritable César Biroteau de l'édition, honneur de la profession.

Messieurs les jurés apprécieront.

*. « Etant donné que je tiens ce fade journal pour responsable de ces petites libertés (je comprends mieux en quoi consiste l'ambitieux programme de l'éditorialiste : prendre librement la parole), je préférerais n'y plus paraître. C'est pourquoi cette lettre est envoyée après le numéro 3, et en partie pourquoi elle est si longue. » (Seconde lettre de Solneman à Voyer.)

M. Ripley s'amuse