PRECISIONS SUCCINCTES

de l’Agence pour l’Exploration du Jeu
relatives à sa position sur les récents événements de Pologne

 

 









1) La soudaine et puissante charge des prolétaires polonais n’intéresse l’Agence pour l’Exploration du Jeu qu’en tant que traversant le champ de perspective ouvert à Lisbonne et passant par Téhéran et l’Amérique centrale. Le projet de l’Agence pour l’Exploration du Jeu est de créer les liaisons suffisantes à la suppression de l’Agence pour l’Exploration du Jeu.

2) La critique moderne de l’aliénation commence pratiquement le 17 juin 1953, sur la Stalinallee, avec la critique ouvrière de la représentation ouvrière. Depuis, malgré leurs séparations, les pauvres se retournent de plus en plus massivement contre l’indépendance de leur représentation. Les deux principaux courants de ce mouvement, la grève sauvage et la criminalisation généralisée, ont commencé, quoique encore insuffisamment, à opérer en Pologne leur redoutable jonction.

3) Devant la mégalomanie sanglante que laisse entrevoir cette union, l’Etat polonais, comme l’Etat iranien, a d’abord pris soin de freiner la contagion en fermant les frontières. Puis la classe dominante, comme en Amérique centrale, a pris, afin de casser cette union, la décision d’une guerre civile préventive. Début novembre 1981, Jaruzelski, Glemp et Walesa décident enfin qu’ils ont plus à craindre de la gestion de la paix que d’une guerre des gestionnaires.

4) La semaine du 13 au 20 décembre est pour les trois larrons une semaine d’illusion, de trahison et de peur. Jaruzelski frappe un peu plus fort que promis, espérant éviter les hasards de la guerre civile en réussissant un coup propre à la turque ; Glemp lâche aussitôt Solidarité, pour récupérer la place d’opposition officielle que l’Eglise a perdue depuis la naissance du syndicat qu’il espère enfin perdu ; en appelant à la résistance passive Walesa lui aussi trahit l’accord, soit par calcul politique, soit par faiblesse, en tout cas par bêtise.

5) L’information, de Moscou à Washington en passant par Paris, Vienne et la BBC, n’a reflété que ce drame. Elle n’a jamais cherché dans les événements de Pologne que l’identité avec les événements qui ont eu pour but de créer les conditions de cette information.

6) Le rythme du temps vécu en Pologne s’est accéléré dès août 1980, pendant que cette information continue sa grisaille quotidienne. C’est pourquoi la part historique vécue, l’essence des événements en cours, tombe dans l’angle mort de cette information et ne peut être saisie par l’ennemi que comme une vague présence menaçante, comme un inquiétant cauchemar surréaliste.

7) Ce qui manque donc dans les bulletins ennemis, c’est ce qu’il y a de nouveau. Ce n’est pas le débat entre Solidarité et l’Etat polonais qui est nouveau. La direction de Solidarité, ramassis d’arrivistes s’il en fut, n’est à l’Etat stalinien que ce que les staliniens d’ici sont à l’Etat libéral : la dernière ligne de défense contre les prolétaires. Le débat entre Solidarité et l’Etat polonais est un débat sur la couleur de l’Etat polonais, rien de plus.

8) La nouveauté, c’est le débat à l’intérieur de Solidarité. La nouveauté, c’est une organisation prolétaire autonome devenue moment historique en tant qu’organisation. La nouveauté, c’est qu’il suffit aux prolétaires polonais d’abolir toute hiérarchie à l’intérieur de Solidarité pour abolir l’Etat polonais. La nouveauté, c’est qu’ils commencent à le savoir et à le faire ; et qu’ils commencent à se savoir et à se faire eux-mêmes nouveaux.

9) Le renversement des staliniens et des libéraux de Pologne et du monde entier commence donc à l’intérieur de Solidarité. Le débat sur ce point contient tous les autres. C’est pourquoi la direction de Solidarité, l’écume d’une si importante vague, a dû prendre le relais d’une police et d’une propagande devenues inefficientes. Au 31 mars comme au Congrès de Solidarité, Walesa, Gwiazda, Bujak, Rulewski, Kuron, etc. ont outrepassé leurs mandats pour étouffer le débat qui s’engageait, pratiquement, partout. Début novembre, cette même direction prétendit même interdire la grève aux prolétaires polonais. Trop tard : on était déjà en plein champ de bataille. Fallait-il y attendre de mourir de vieillesse et d’ennui ? Ou engager la fortune des armes pour y conquérir le plaisir et la gloire ?

10) L’économie n’a jamais été l’affaire que de la classe des gestionnaires. Les prolétaires polonais le savent mieux que personne, eux qui ont commencé à déposséder cette classe en se privant de saucisson. La direction de Solidarité, dès qu’elle veut contribuer à la gestion de l’Etat polonais, doit le faire contre sa base. C’est pourquoi elle craint autant l’Etat que le débat avec sa base, débat qui ne peut porter que sur la fin de cette direction, et de cet Etat.

11) Les prolétaires polonais sont restés indulgents, sages et propres, comme on le leur a appris. Ils n’ont pas révoqué ces délégués qui ont violé leurs mandats, qui ont traité séparément avec l’Etat, qui ont cassé leurs grèves et qui ont essayé de substituer leur idéologie mitée à celle périmée des staliniens défaillants. Les prolétaires polonais ont voulu jouer aux roublards avec des roublards professionnels alors qu’il suffisait d’être intelligent avec des imbéciles naturels. Les prolétaires polonais ont espéré se servir de menteurs ! Après avoir été dominé trente ans par des menteurs en leur nom ! Où avaient-ils la tête ?

12) Ils avaient la tête au rire. Non pas que le rire était leur but. Il n’était que la conséquence de leurs actes et de ceux de leurs ennemis. Le rire provient toujours d’un décalage, ici de celui entre l’affolement des menteurs et leur propre sérénité dont tout le monde fut si surpris.

13) Depuis le 13 décembre 1981 ils savent qu’ils ont eu tort de laisser les soucis aux menteurs. Le débat dans Solidarité n’a pas eu lieu, Solidarité est cassé de l’extérieur. Or, ça n’a rien ni de dramatique ni de triste : c’est la guerre. L’ennemi frappe, lui aussi. La guerre n’est mauvaise que pour ceux qui la subissent. Mais les queues alimentaires en s’allongeant deviennent bandantes : on y parle sans intermédiaire.

Le toast au peuple polonais est donc la seule parution qui ne reflète pas l’air tragique qu’on pris tous les dirigeants de Pologne et du monde entier, devant la consternante et allègre insouciance de leurs ennemis. Toast au peuple polonais est d’ailleurs la formule qu’employait Jacques Vaché pour terminer quelques-unes de ses lettres à André Breton, alors qu’il était au front d’une guerre et qu’il en menait une autre. L’Agence pour l’Exploration du Jeu est évidemment contre tout « peuple » et contre quelque chose d’aussi odieux que la « Pologne », qui ne peut être qu’un Etat. Et il y a longtemps que nous ne portons des « toasts » plus que là où le rire devient sérieux et le sérieux, ridicule.




Pour l’Agence pour l’Exploration du Jeu,
l’agent théorique, C. de Chusrople.
Paris, le 24 janvier 1982.









 


teleologie.org / other voices / Faux Pas Des Connus / <<  >>