A) Escarmouches


 

4) Lagos, Nigéria

Le Nigéria est le pays le plus peuplé d'Afrique. C'est plutôt son Conseil Militaire Suprême que son actuel chef, le lieutenant-général Obasanjo, qui en paraît le dictateur. Mais douze ans de purges intestines, de critiques internationales, de discrédit intérieur ont usé cette militocratie. Lorsque, comme dans cet Etat fédéral, les militaires ne sont pas divisés selon les partis politiques, mais les partis politiques sont clients de l'armée, cette corporation peut se dépouiller des insignes du gouvernement en en retenant l'effectivité. Ainsi, en mars 1978, siège déjà une Constituante dont les scandales et hauts cris devront amuser la galerie, faire diversion, jusqu'au moins en octobre 1979, date prévue pour le changement de régime. Sa dernière frasque mérite d'être rapportée : les députés islamiques viennent d'exiger, et se sont vus refuser la shari'a. Ces députés du passage des militaires aux civils imitent ainsi le passage des civils aux militaires pakistanais. Un an avant l'instauration du Code Islamique en Iran, les progrès du néo-Islam sont déjà dans le monde, et ce qui les cause y est aussi.

"Ingrate, surpeuplée, épuisante, Lagos secrète la violence. L'escalade de la criminalité y est alarmante : des bandes de pirates écument la rade ; des maraudeurs nocturnes dévalisent les automobilistes, défiant la police jusqu'au coeur de la ville ; le lynchage est monnaie courante. Le dimanche à l'aube, les criminels de droit commun sont passés par les armes à Bar Beach, jolie plage de sinistre réputation. Le spectacle fait recette."

"Prior to the disturbances among university students in april 1978, unrest had occured in late 1977 and early 1978, 1- among students of polytechnics and colleges of technology protesting against a restructuring of courses ordered by the federal Ministry of Education and 2- among teachers and pupils at secondary schools in a number of states whose Governments had announced the posting of military personnel to schools to "maintain discipline"." C'est dans ces eaux mouvantes que le Conseil Exécutif Fédéral annonce pour compenser la baisse du prix du pétrole, dont le Nigéria est exportateur, que des économies seront faites dans les dépenses publiques ; et ce gouvernement ajoute, à titre d'exemple, le 6 avril 1978, avec une délicatesse toute militaire, que les prix d'inscription à l'université (150 Nairas) vont un peu plus que tripler (468 N).

L'émeute qui commence est le cheval de Troie du monde moderne au Nigéria. Et comme le cheval de Troie, elle est divisée en deux : le cheval lui-même, en bois, c'est-à-dire les étudiants, qui appâte les gogos troyens ; et à l'intérieur, la colère d'Agamemnon, la vengeance de Menelas, l'intelligence d'Ulysse, les ombres de la force d'Ajax et du courage d'Achille, le fer et le feu, la guerre et les gueux.

Une espèce de NUNS (National Union of Nigerian Students) manifeste toute sa radicalité par un terrible boycott des cours à partir du 17 avril. Le 18, à Lagos, la police anti-émeute contient une manifestation à l'intérieur du campus. D'énigmatiques combats ultérieurs font déjà deux morts. Le 20, ce sont toutes les universités de province qui s'insurgent. Si l'université est province dans la capitale, elle est capitale dans la province. C'est en effet à Zaria que l'affrontement le plus violent a lieu, l'écho y dépasse en volume la source du bruit : 6 morts, dont 4 étudiants (mais moi je dis : dont 2 non-étudiants), déjà. C'est l'armée qui se charge maintenant de fédérer la répression, comme déjà l'Etat. Toutes les grandes villes ont l'université assiégée ou fermée. Des combats ont lieu à Zaria, Lagos, Ifbenin, Ibadan, Enugu, Ife. Le 21, interdiction de l'espèce de NUNS. Les trois principaux quotidiens du pays critiquent l'armée. Parmi ces Cassandre de profession, le New Nigerian, organe du gouvernement, et le Daily Times, 60 % de participation gouvernementale, demandent même la démission du ministre de l'Education, dont je me demande bien ce qu'il a à voir là-dedans. Le spectacle fait recette.

Fin de la tragi-comédie estudiantine, fin du détour dans les provinces, fin des rapports de la presse, fin de la guerre de Troie, le spectacle ne fait plus recette. C'est la nuit noire, lorsque les héros de légende sortent du grand cheval de bois et se répandent dans les rues de la ville endormie : "serious rioting was reported to have occured in several areas of Lagos on a number of occasions in the two weeks following the April 78 disturbances, in which non-student elements were said to have taken advantage of the prevailing tense atmosphere to indulge in what the police described as "lawlessness, hooliganism, looting, robbery and arson"." D'ordinaire ce n'est pas la police que nous écoutons. Mais quand elle découvre avec une indignation aussi ingénue des fantômes aussi connus de nous, ne devons nous pas rire de sa naïveté ? Laissons, momentanément, à ces embarras insurmontables cette police nigérianne, pour retrouver ailleurs les spectres qui la dépitent.


teleologie.org / événements / offensive 1978-1982 / Adreba Solneman / De l'Iran au Nicaragua / <<   >>