Posted by Jules G on November 01, 2000 at 02:46:35 PM EST:
In Reply to: « Tout finir », disons-nous posted by on October 31, 2000 at 06:00:34 PM EST:
Remarques en vrac sur votre quatrième point, et suggestion finale
« Si la mort est tenue en telle horreur, c'est parce qu'on meurt non accompli, avant d'avoir pu s'accomplir soi-même, avant d'avoir pu accomplir la part d'humanité qu'il y a en nous, »
Parlez pour vous. La plupart ont pour la mort, non de l’horreur, mais de la crainte, et non pour eux-mêmes, mais pour leurs proches. Et pas du tout parce que ces deniers ne se sont pas « accomplis eux-mêmes », selon votre terminologie un brin new-age, mais parce qu’ils vont manquer à ceux qui restent en vie.
« Vous remarquerez par conséquent que le « jeu le plus excitant » n'est pas la mort, mais l'accomplissement qui se termine par la mort. La mort n'a pas grand intérêt ; c'est finir, y compris ce qui finit par la mort, qui est intéressant.»
Je ne comprends pas la fin de cette phrase : « c'est finir, y compris ce qui finit par la mort », ça signifie quoi en français ? Le même finir est employé intransitivement puis transitivement, c’est bien cela ? Il est entre autres intéressant de finir ce qui finit par la mort, c’est ce que vous vouliez dire ? A ce compte, je trouve qu’il est encore plus intéressant de finir ce qui finit ce qui finit ce qui… (n fois)… ce qui finit par la mort. On trouve l’intérêt où l’on peut.
Pour finir, justement, une analogie, ah, du concret, du solide, de quoi discuter :
« De même, si vous voulez une analogie, on peut avoir fini un livre sans l'avoir lu, et on peut avoir lu un livre sans l'avoir compris. »
Ah tiens ? Et comment cela, s’il vous plaît ? Il me semble que dans le premier cas vous employez lire au sens figuré d’assimiler et de comprendre, tandis que dans le second vous l’utilisez au sens propre, de cette façon dont parle Marcel Proust pour décrire sa lecture des romans de George Sand : alignant mécaniquement les mots sans y prêter attention. Mais vous trichez si vous changez le sens des mots en cours de route. A ce jeu-là et à remplacer lire par penser ou être, le Cogito et ce qui en découle ne sont qu’un calembour vaseux. Ils le sont d’ailleurs sans doute, mais pour des raisons qui sont un peu plus solides et moins sophistiques, tout de même.
« Notre projet de finir l'humanité consiste à lire et à comprendre le livre. Là aussi, la fin du livre n'est pas en elle-même intéressante, sauf en ce qu'elle coïncide avec la compréhension, la maîtrise de l'ensemble et de ses parties. Le mot « fin » est équivalent, dans cette analogie, à la mort, pour l'humanité, et n'a que très peu d'importance en soi. Notez cependant que la différence entre l'humanité et un livre, c'est que dans un livre le contenu ne dépend pas du lecteur, alors que dans le cas de l'humanité le contenu et sa richesse dépendent de l'ensemble de l'humanité. »
La différence entre l’humanité et un livre me semble un peu plus béante que celle que vous dites, à moins qu’il ne soit peut-être question du livre de sable de Borgès. Même pour les éléments de l’analogie que vous développez, la différence est beaucoup plus criante et ne se limite pas au contenu (si tant est qu’on puisse parler, par un étrange abus de langage, de contenu de l’humanité). Quel est l’analogon de la capacité de pouvoir lire en diagonale, de sauter des pages, d’aller directement à la fin de l’ouvrage apprendre qui a tué Mrs Peebles, de relire une page longuement, de revenir par caprice dix pages plus haut, en l’observation de l’humanité ou de sa fin ? Réciproquement, quel est l’analogon de l’impossible distance adéquate d’avec son objet d’étude, de son propre embrigadement, de sa partie prenante dans l’humanité, en la lecture du livre ? Votre analogie est sympathique, mais tourne court un peu vite à mon goût. J’entends bien que vous illustriez par là la notion de finitude. Mais si rien d’autre que ce mot ne colle entre les deux membres de l’analogie, à commencer par ce qui fait leurs spécificités respectives, l’intérêt de l’analogie est strictement nul. Elle reste stérile.
Par ailleurs la différence que vous mettez en exergue (alors que vous pourriez en mettre tant d’autres) est bancale : le « contenu de l’humanité » aurait selon vous pour lecteur l’ensemble de l’humanité ? Puisque le sujet de la phrase n’a pas grand sens, il est vain de s’interroger là-dessus, mais considérons qu’il en a un, par vague analogie avec le livre. Dans ce cas, que signifie cette bizarre assertion ? Comment l’ensemble de l’humanité lit-elle le contenu d’elle-même, au point même d’en dépendre ? Vous voyez, au fur et à mesure que l’on débobine vos images, on se retrouve devant des phrases dignes de cadavres exquis.
Une suggestion pour finir.
Tout à un début ? ou non ? Vous serez d’accord pour reconnaître avec moi que oui, tout a un début. Or nous avons des connaissances et des certitudes possibles sur le passé, beaucoup moins sur l’avenir : le monde et nous sommes ainsi faits. Que diriez-vous conséquemment d’inverser en pensée la flèche du temps, mes petits agneaux ? Ne pensez-vous pas que ce que vous scrutez à l’horizon (quitte à faire mal à vos petits yeux) pourrait trouver un intéressant modèle dans le commencement du commencement de tout ? Pour parler comme vous : il est intéressant de commencer ce qui commence la vie, n’est-ce pas ? C’est même le jeu le plus excitant, pour reprendre votre intéressante formulation, que l’annonce qui commence par la vie… Comme tout commencement a sans doute déjà eu lieu (et même, peut-être, grâce à vous !, le commencement de la fin), votre théorie, si elle existe, pourrait être testée par ces connaissances sur le passé, un peu moins spéculatives que celles qui portent sur l’avenir. Cela ne constitue-t-il pas un fantastique banc d’essai de votre pensée ? Inversez toutes les valeurs, les + au lieu des -, regardez tout dans un miroir : y êtes-vous ? Voyez-vous ces temps humains d’avant la famille, d’avant l’Etat, d’avant la marchandise, d’avant la religion ? Eh bien, que voyez-vous donc, veinards ? Comment se font les transitions, dans ce sens-là du temps ? Je suis impatient du résultat positif de vos analyses !