Théorisme et néchrophagie: un example


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Posted by Kathrin Obertopp on May 16, 2000 at 11:11:54 PM EDT:




Théorisme et necrophagie: un example

 


Les militants de l'OT(1) ne tiennent pas compte de l'évolution de la pensée de Voyer, ni de celle de Debord. C'est un procédé normal, pour qui ne sait pas ce qu'est la pensée ni à quoi elle sert, de prendre les choses en bloc, sans voir leurs contradictions internes. Pour les militants téléos, la pensée de Voyer, tout comme celle de Debord, est une. Ils prennent le résultat final et dégradé de ces pensées pour le tout, et puis prétendent les avoir dépassées, naturellement en bloc, pour le simple fait qu'ils sont venus après. Dans le même mouvement, avec une sorte de malabarisme mental commun à tous ceux qui ne savent pas ce qu'est la dialéctique ni à quoi elle sert, ils voient la pensée humaine comme une longue chaine ininterrompue, toujours en ascension, dont ils seraient en même temps l'aboutissement et le sommet.


 


La recette en est simple : d'abord, tout imbibés de théorisme post-situ, ces néo-étudiants lisent tout ce qu'ils peuvent trouver de Debord et de Voyer, avec un peu de Hegel et Spinoza et Marx et Aristote pour se donner ce qu'ils croient être de la substance (mais pas beaucoup : linéaires qu'ils sont - tout a une fin, oui! -, ils voient Debord et Voyer comme l'aboutissement de la pensée humaine tout entière); ayant tout lu, ils en font une salade pour monter leur charabia boutiste, qu'ils ensuite présentent à celui qu'ils voient comme le réprésentant de l'héritage dont ils veulent s'emparer, comme qui dit, Voilà ce qu'on a fait, M. le professeur, passez-nous le bâton. Que Voyer ait voulu tenir le bâton lui-même ou qu'il ait eu encore, malgré sa détérioration évidente, un minimum de lucidité pour voir clair dans leur mystification pseudo-théorique, ou même qu'il se soit senti incapable de leur répondre, peu importe, tout comme il n'est pas important de savoir s'ils les a falsifiés ou si la version de Weltfaust est la vraie : celui a qui ils parlaient était le Voyer du prépuce de Levy, et ce qu'il faisait n'avait plus aucune importance. N'importe qui avec un minimum d'articulation aurait obtenu le même résultat. Mais ils étaient incapables de voir ça, tout comme le Debord du Préface à la quatrième édition n'était plus capable de comprendre l'évolution du spectacle ni ce qu'il se passait en Italie et voyait des conspirations partout, et le Voyer de l'affaire Lebovici était déjà incapable de voir la dégradation de Debord.


 


Toutes ces abérrations sont le résultat d'un même mouvement : celui de la défaite de la vague révolutionnaire qui a donnée naissance à l'Internationale Situationniste et qui a vu sa fin vers 1974-75 en Italie et au Portugal. Le même mouvement spectaculaire qui exagère le rôle de l'I.S. en général et de Debord en particulier, en méttant la charrue avant les boeufs pour présenter les situationnistes et leur théorie comme étant à l'origine de cette vague, tend à faire oublier - et pour cause - que la théorie est la pensée de l'histoire, et qu'on ne la fait qu'à l'interieur des mouvements historiques. Il montre les situationnistes comme un groupe de théoriciens sans dire de quoi ils faisaient la théorie; en ce faisant, il cache comment la théorie est faite et à quoi elle sert. En opérant une séparation artificielle entre une supposée "phase artistique" et une "phase politique" également fictive de l'évolution de l'I.S., ce mouvement spectaculaire de la pensée abusée cache en même temps le fait fondamental que les situationnistes n'ont été que l'expression - certes la plus lucide et la plus radicale - d'un mouvement réel de la partie de la société spectaculaire où la dissolution des valeurs dominantes était la plus avancée(2) et que ce fait fondamental était aussi sa limitation fondamentale. Tout comme dans les années trente les questions d'organisation se sont révélées commes des questions politiques pour Ciliga et ses compagnons en Sibérie, on apprendra aujourd'hui que les questions de mode de vie sont essentielles pour la pensée.(3)


 


La fin était contenue dans le commencement. Le mouvement radical de pensée qui avait ses origines dans la théorie de la dissolution du langage de l'art et des moeurs périmés des débris de la bourgeoisie, comme pensée partielle et encore parcélaire, ne pouvait pas voir au-delà de ces origines et n'a pas pu voir sa défaite dans la pensée, ni comprendre à quel point cette défaite était sa victoire dans le spectacle. C'est de cette victoire dont se nourrissent aujourd'hui tous ceux qui, de Debord à Voyer et l'OT, croient qu'il est possible de faire de la théorie dans des observatoires. Et c'est aussi cette victoire qui fait qu'apparement on ne puisse pas faire la critique des militants de l'OT : on ne discute pas avec des idéologues, on les signale comme tels et on les abandonne à leur misère; tout effort dans le sens du débat condamne aussitôt celui qui le fait à combattre dans le terrain de l'idéologie, où il n'y a pas de conclusion possible.(4)


Le théorisme joue aujourd'hui, pour la théorie, le même rôle que l'artisme(5) pour l'art dans les années cinquante : c'est une vraie nécrophagie de la pensée. Un quart de siècle après notre dernière défaite, nos énnemis les plus proches sont toujours les ténants de la fausse critique, et nous ne pouvons pas rester en deçà de ce qui a été fait dans le passé. La pensée de l'histoire doit réprendre son cours, et nos actes doivent rétrouver leur critique.


 


Wiesloch, le 13 avril, 2000


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(1) Il faut préciser que je ne parlerai ici de ces Andy Warhol de la "théorie" à coté de Debord et Voyer que comme cas extrème d'un même mouvement général de dégradation : il ne faut absolument penser que je mettrais ces gens, qui ne sont même pas une I.C.O., au même niveau que Debord ou Voyer. Le mot de Marx sur la tragédie et la farce est toujours valable.


(2) Que déjà ces valeurs fussent elles-mêmes des fictions face à l'empire global de la valeur marchande n'a pas (beaucoup) d'importance pour cette analyse.


(3) Merci, R.P.! Merci, G.S.!


(4) Tout idéologue est sourd par définition: les préventions de nos aïeuls contre les dangers de la masturbation étaient bien fondés, après tout.


(5) Il faut aussi préciser que, tout comme pour les "artistes", la mauvaise foi est la marque prédominante des petits idéologues de l'OT, ce qui ne pourrait pas être dit de Voyer et de Debord.






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