Posted by une téléologue on October 31, 1999 at 06:45:51 PM EST:
In Reply to: Hérésie Lucrècienne posted by non identifié on October 29, 1999 at 05:17:26 PM EDT:
Nous n'avons pas la prétention d'avoir réussi à communiquer, de manière satisfaisante, le désir de tout achever, de tout réaliser. Et pour cause : nous sommes nous-mêmes insatisfaits de tout, y compris bien sûr de l'avancée du débat sur la finalité.
La mort n'est pas une fin en soi. C'est tout achever, tout finir, jusqu'à ce que mort s'ensuive, qui est une fin en soi. Mais encore : vivre à en mourir, désirer de toutes ses forces, jusque dans la mort.
La mort est aujourd'hui taboue. Notre monde aseptisé cache ses morts, cache la mort, en en faisant l'opposée de la vie, et non partie de la vie. Quand je dis la vie comprend la mort, comprendre est difficile à comprendre. La pirouette pseudo-logique de "Tant que nous existons, la mort n'est pas, et lorsqu'elle apparaît, nous n'existons plus ; la mort ne peut donc nous rencontrer" témoigne de cette incompréhension.
La mort n'est pas séparée de la vie, n'est pas opposée à la vie. La mort n'est rien d'autre qu'une conclusion, une fin. La métaphore du livre qui se referme a souvent été utilisée pour la vie. Rien dans la fin d'un livre qui soit à ce point nié, comme la mort à notre époque, ou opposé au contenu même du livre. Arriver à la fin du livre permet d'en comprendre l'idée, de l'ensemble et de chacune de ses parties, dans sa forme et son contenu intimement liés.
Comme tout tabou, le tabou de la mort montre combien nous sommes concernés par ce qu'il veut censurer : la mort.
Qui n'a jamais été en danger de mort ?
Qui ne s'est jamais révolté contre la mort d'un proche ? Et pas seulement à deux ans mais à cinq ans, et pas seulement à vingt ans mais à cinquante ans. La mort n'est à ce point révoltante que quand elle semble nous éloigner de la réalisation du genre en nous privant de l'un des nôtres. La mort n'est à ce point révoltante que quand elle entrave mon désir, désir de l'autre, connu, désir de l'autre, inconnu. Nous sommes alors des Gilgamesh qui découvrons la mort.
Vieillir ne laisse pas indifférent à la mort. Vieillir amène à envisager sa propre mort. A deux ans, je n'ai pas les mêmes projets qu'à cinq ans, encore moins les mêmes qu'à vingt ans ou à cinquante ans. Et pourtant, le désir d'aboutir, pour chacun des projets entrepris, est intact. Quel jeu pourrait bien m'intéresser à cinquante ans, à vingt ans, à cinq ans ou à deux ans si je pressentais qu'il n'ait pas de fin ? Il me semble que « gagner » n'a de sens que si le jeu a une fin. Les jeux auxquels je me réfère, dans mon expérience concrète, n'avaient ni n'ont de « dimension infinie », ce qui ne leur ôte aucune saveur, bien au contraire. Et sans avoir fait la guerre de 14 ou Mai 68, je ne leur reconnais aucune dimension infinie. Les téléologues posent la fin de l'humanité, c'est-à-dire son accomplissement, comme le jeu le plus excitant, celui où la sensualité, l'avidité, la soif est la plus grande. Gagner ce jeu est ne pas s'en laisser déposséder et le poursuivre jusqu'à son terme.
Nous nous gardons bien de « fantasmer » sur la fin. C'est l'un des pires écueils où la fin peut nous être confisquée et imposée. Nous nous méfions d'une idée dans une tête. Le négatif et la révolte, desquels est née l'idée de téléologie moderne, et tels qu'ils se manifestent aujourd'hui, ne nous protègent de cet écueil pas davantage qu'ils ne nous y exposent.
L'infini est l'une des idées les plus partagées de tous les temps. En tant que telle, en tant qu'idée, elle existe. Nous disons simplement que cette idée ne peut devenir réelle. Et nous n'en sommes pas fâchés, car l'idée de téléologie moderne ouvre bien plus de perspectives qu'elle ne paraît en fermer. Je l'affirme avec autant de gourmandise que le temps me presse.