Posted by Aristote - du fond de l'horizon on October 23, 1999 at 08:45:48 AM EDT:
Engels répondait bien à Dühring, faudrait-il donc répondre aux
téléologues ? À l'aune de leur influence, qui fut peu ou prou, le motif
d'Engels, certes pas, mais l'ombre d'une théorie devient rare de nos jours,
laissons la fine bouche aux temps meilleurs.
Qu'est-ce donc que cet "Observatoire de Téléologie", anciennement
"Bibliothèque des Émeutes" ? Ne faisant en aucun cas partie du petit
milieu des néo-situs parisiens oni des consommateurs de radicalisme pas cher
de la rive gauche, je n'ai aucun repère sociologique, historique ou
personel en la matière, je ne puis donc que me limiter au contenu de
leurs interventions, à la nature du projet théorique qu'ils avancent,
sans pour autant prétendre à l'exhaustivité.
Voilà un bien joli nom il faut en convenir, "Observatoire de
Téléologie", de nature à susciter une fascination d'esthète de
la terminologie...
Du titre d'observatoire ou de bibliothèque, les membres de l'OT peuvent
y prétendre sans doute. L'accumulation de faits, le catalogue d'émeutes,
d'"assauts contre le mensonge dominant" qu'ils ont réalisé est, au moins
quantitativement, plutôt impressionant. On a pu leur reprocher, ça et là,
une bête accumulation de faits, sans analyse, sans théorie, c'est un
peu injuste, de plus une telle démarche d'accumulation de donnée peut
arguer d'une analogie avec la méthode scientifique.
Puisque nous ne reviendrons pas sur cet aspect (jugeant comme Marx que
le péché originel est, ici encore, dans la théorie), disons tout de même
que leur catalogation manque singulièrement de discernement. Toute forme
de violence de groupe marque pour eux un "assaut", dès lors il n'est guére
étonnant qu'ils observent tant de défaites ! Ils ont vis-à-vis de la
violence spontanée, collective (du "germe d'insurrection") le même fétichisme
fasciné que les anarchistes vis-à-vis de la violence individuelle. Un certain
systématisme qui mettait dans le même sac Jacob et Landru, fait ici de
n'importe quelle Albanie une Espagne. L'analogie avec les anarchistes n'est
pas innocente, nous y reviendrons.
Puisque, comme disent les téléologues, la théorie est primordiale, ne
serait-ce qu'en tant que citadelle des fausses consciences, nous allons y
entrer d'un pas gaillard et féroce. Sur les quelques points qui suivent, je
prierais mes contradicteurs de ne pas s'arrêter aux quelques obus qui
tomberaient à côté parce que je n'aurais pas entendu ce qu'ils disent (par ma
faute ou par la leur), d'autant que ce ne pourrait être que quelques éclats
épars, cette fois je vise le coeur !
1. Une métaphysique nominaliste de la finitude (défense de l'infini)
Il est selon l'OT une question centrale, qu'ils auraient le mérite d'avoir
posée toute nue : "Tout à-t-il un fin ? ou non ?". Ne pas ce poser cette
question, ne pas en voir l'importance - qui reviendrait à y répondre
implicitement "non", mais sans admettre les conséquences d'une telle position,
serait alors l'aveuglement commun à la pensée bourgeoise et à la fausse
pensée révolutionnaire.
Sans accorder à la question l'importance qu'ils y mettent, on peut leur
accorder une certain mérite : il est courant de refuser la question, même
d'y répondre franchement "non", tout en rejetant l'infini, il n'est pas
jusqu'à Engels qui ne le fasse.
Notre thèse en est le contrepoint : "Non, tout n'a pas une fin, il est dans
la nature de bien des choses de ne pas en avoir, et OUI l'infini existe,
matériellement, sans paradoxe, sans mysticisme, c'est le fini qui est
paradoxal, contradictoire, idéaliste".
«Et bien, merde alors !» se dit le lecteur attentif. Je le prie à ce stade,
d'essayer d'oublier le reflexe conditionné de la pensée post-chrétienne de
refus positiviste de l'infini. Et s'il s'en souvient, de repenser aux
oscillations de Leibniz, tantôt défendant l'infini actuel, "réalisé en toute
chose de la nature", construisant une analyse mathématique des quantités
infinitésimales (première analyse "non standard"), tantôt le rejetant avec
force, horreur paradoxale, contradictoire, attribut Divin. C'est bien le
Divin qui impose le fétichisme du fini, c'est une question de prérogative.
Avant d'aller plus avant, liquidons le paradoxe. Toutes les prétendues
contradiction de l'infini sont logiquement équivalente à celle-ci :
« Une partie est aussi grande que le tout. »
Il revient à la hardiesse de Cantor, Bolzano et d'autres, d'avoir sans crainte
inversé les faux semblants en posant que ce n'est pas une contradiction, que
c'est la propriété essentielle de(s) infini(s), que le fini par contre ne
peut prétendre à une caractéristique aussi simple, aussi homogène ou alors
négativement : "est fini ce qui est toujours plus grand que ses parties".
Enfonçons le clou : l'infini est premier, matériel et réel, il est la base
de la rationalité. Pas de physique sans infini (continuité), pas de
mathématique sans infini, pas de théorie sans infini. C'est l'infini qui
fonde la possibilité de toute généralisation théorique, sans lui il n'est que
des situations particulières vaguement reliées par des analogies bancales.
En voulant réaliser une téléologie positive (finie), en opposition avec la
téléologie classique (métaphysique), l'OT subit pourtant les séquelles à
rebours du mysticisme : dans la vision mystique la finalité est dans l'infini
du projet divin. Éjectant ce divin, l'infini suit - bébé avec l'eau du bain.
Dans la finitude on ne peut qu'assimiler finalité et fin, au sens courant du
terme, que reste-t-il à faire alors ? Et bien, réaliser la fin du monde selon
son concept, positivement « la fin de tous les petits humains », on ne dit pas
d'où vient ce concept, mais bon, c'est bel et bien le positivisme du docteur
Folamour, ou celui des non-O de Philip K. Dick. En tout cas, hors ce "selon
son concept", la logique est impeccable.
Mais la faute est le rejet de l'infini, qui force à tomber un nominalisme
grossier, curieusement en fait c'est une étape vers l'idéalisme, c'est
en celà que je vois dans l'OT tout en place pour donner une "petite religion".
La nature de l'homme se pensant comme espèce est dans l'infini, la nature de
la vie est la dialectique du fini de la mort et de l'infini de l'espèce. La
dialectique de l'histoire est cette même dialectique un niveau plus haut, entre
civilisation et humanité.
2. Une théorie du complot, vision polière en creux de l'histoire
Ils y a beaucoup de forces en présence chez les téléologues, un certain
machiavélisme stratégique, comme chez Debord, imprègne leur glose.
L'«information dominante» (personnalisée) subit des «assauts» auquels
manquerait cette même constance... Si Voyer a, à mon sens, raison de
personnaliser les "maîtres du mondes", il ne tombe pas dans une telle paranoïa
du complot, là encore il revient à Marx, d'avoir pointé que pour la caste
dominante, il n'est nul besoin d'unité d'organisation : la simple communauté
d'intérêt avec la mainmise sur les moyens d'action suffit à donner un
caractère rationnel à l'ensemble des actions individuelles, "tous contre
tous, tous avec tous" est bien la devise des marchands. Il faut bien
reconnaître qu'il y a une totale absence de compréhension dialectique
chez les télésectateurs !
Si l'on suit une telle vision, "organisationiste" du monde, on voit des
policiers partout, on voit d'ailleurs toujours partout ailleurs ce qu'on croit
avoir le mérite d'être les seuls à rejeter, tous les ennemis sont donc des
flics : bolcheviques, jacobins, Debord, Voyer, moi aussi je suppose...
Les anarchistes arrivent en général au même point un peu plus directement :
comme toute organisation de pouvoir est policière, les communistes sont des
flics, cqfd. C'est curieusement aussi le point de vue du livre noir, de feu
les soviétologues, sauf bien sûr, dans ce cas, pour le "moins mauvais des
systèmes" du flic Churchill. C'est de l'idéalisme historique on ne peut plus
grossier, la théorie contient le crime originel des bourreaux qui se réclament
d'elle, même si c'est de la manière la plus grossièrement idéologique qui
soit.
3. Un utilitarisme théorique
Car, comme encore le disait Guytounet (on se demande vraiment ou sont
les neo-pro-situs !), la valeur de la théorie s'évalue à sa réalisation...
Dans la finitude des téléos, celà ferme le verrou sur le communisme, le régime
policier qu'est devenu la république des conseils entache les bolchéviques,
et leurs parents, leurs chiens et leur chats, et ceci jusqu'à 10 générations en
arrière (au moins), du sceau d'infamie, (c'est bel et bien le point de vue
téléologique - classiques et modernes réunis), c'est aussi le point de vue de
roquet des journalistes.
C'est très typique, surtout dans un monde fini, d'enterrer les attaques
passées sous un uniforme de policier, confectionné sur mesure. C'est comme
celà qu'on fabrique de bien belles farces historiques.
4. L'idéalisme du fini
Pour conclure, revenons sur le point, que comme l'OT, je pense central dans ce
semblant de débat, de l'infini.
Les mystiques rejetent l'infini, attribut réservé à Dieu, les matérialistes
vulgaires le rejettent pour la même raison. Le fini et l'infini sont des
idées, des modèles, en vertu du principe de correspondance on peut en montrer
des expressions dans le monde. N'admettre que le fini, qui est paradoxalement
la plus bancales des deux notions, c'est enfermer le monde dans une contrainte
idéale. La différence entre le cheval et l'esprit à cheval c'est cette
conscience aigüe de l'infini de l'humanité. L'infini potentiel de l'humanité
est l'infini actuel de la praxis individuelle. La préhistoire à une fin, pas
l'histoire, nous sommes encore dans la préhistoire.
La fin du monde c'est de ne pas en avoir.
P.S. Au cours des échanges précédents, quelques quiproquos semblent s'être
manifesté sur la terminologie des insultes, par exemple je ne savait pas que
dans vos conventions "enculé" signifiait "falsificateur", je précise mes
propres conventions en la matière afin d'éviter, autant que faire ce peut,
toute malcompréhension dans l'avenir :
enculé = idéaliste
crevure = journaliste ou assimilable
crétin = sectateur
roquet, non utilisé, procédé typique de procureur ex-menchévique
racaille = universitaires
téléo, pas encore une insulte, pourrait le devenir
P.P.S. Ces derniers temps, vous attaquez en meute, quand un seul se sent
attaqué, il appelle les autres, c'est pas un procédé de flic, ça ?