Posted by Randal on March 11, 1999 at 08:43:21 AM EST:
04.10.97 22h13
Commentaires sur la page du Monde sur Sokal
Par Roger FELTS, Psychiatre
Roger FELTS
Marseille, le 1er Octobre 1997
M. Thomas FERENCZI
Médiateur du Monde
mais aussi Roger-Pol Droit
et Marion Van Renterghem
Bonjour
Après la mémoire de l’eau, après votre mémoire sur lady D, le "scientifiquement correct" d’Alan SOKAL ! Encore un beau débat, un bel ébat… J’y plonge !
D’abord pour m’étonner qu’un quotidien comme le Monde, où le "politiquement correct" sue par toutes les pores de son papier-journal, règle ses comptes avec SOKAL en l’affublant d’un sigle apparemment honteux de "scientifiquement correct"…
Si on peut se permettre d’être très critique vis à vis du "politiquement correct", si on peut rejeter la notion de "littérairement correct", si on peut persifler sur "l’artistiquement correct", il est un domaine où il vaut mieux être tout à fait "correct", c’est celui de la science… À un bémol près : ce n’est pas une donnée immanente ou révélée, c’est dans la sédimentation du temps et le sens critique des membres de la communauté scientifique que se constitue ce "scientifiquement correct".
Pourquoi refuser à Jacques Lacan, Jacques Derrida, Julia Kristeva, Gilles Deleuze, Félix Guattari, Paul Virilio, Jean Baudrillard, Jean-François Lyotard, Michel Serres, Bruno Latour et Luce Irigaray le droit à la sédimentation et à la libre critique… C’est faire peu de cas de leur oeuvre que de les dispenser d’un processus qui peut les légitimer. Même s’il y a risque pour quelques uns de côtoyer les poubelles de la science.
J’ajoute, que si les règles de base d’un scientifiquement correct" sont l’attitude critique vis à vis de la dérive antirationaliste et du relativisme, restaurer une éthique de l’argumentation intellectuelle, rendre un sens aux politesses élémentaires de la pensée (savoir de quoi on parle, refuser de se payer de mots, ne jamais céder à l’argument d’autorité)… (Roger-Pol Droit), quel est le scientifique qui ne signerait pas des deux mains, quitte à passer pour un dangereux arriéré par la journaliste de service (Marion Van Rentherghen) ?
- Peut-on considérer comme politiquement correct" de traiter d’entreprise intellectuelle antifrançaise" ce qui est somme toute la reconnaissance en outre atlantique d’une pensée post moderniste" française. Cette place lui donnant droit à l’éloge quand elle le mérite, à la critique quand elle le justifie. Ce que d’aucun, très affectivement, n’hésite pas à (d)énoncer : Face à l’aura des penseurs français aux États-Unis, la francophilie a cédé le pas à la francophobie." Réduisant ainsi le problème à une question d’amour-haine… qui ne trouvera son issue qu’en redressant nos ergots et en battant appel pour que le ban et l’arrière-ban de notre élite intellectuelle nationale parte en guerre contre l’agression de l’impérialisme intellectuel américain. N’est-ce pas risquer de sombrer dans le ridicule ? Des intellectuels français en appelant au Monde pour chanter la Marseillaise ! On aura tout vu.
À quand ? Et si la gauche ne nous défend pas, nous en référerons à Le Pen !
" Voilà que je cède trop facilement à un travers que je m’apprêtais à dénoncer : je pense à ceux qui écrivent : (de Sokal) Homme de gauche accusé de faire le jeu de la droite…" ou qui énoncent l’adversaire… tout désigné : les social studies", bastion américain du multiculturalisme, de la political correctness" et du relativisme…" Ce qui sous-entend implicitement qu’adversaire du multiculturalisme", Sokal ne peut-être qu’un allié objectif des courants les plus réactionnaires de la pensée américaine.
Le stalinisme intellectuel n’est décidément pas mort. Depuis l’époque où il ne fallait pas faire pleurer Billancourt" en critiquant l’URSS, rien n’a changé. Il ne faut pas critiquer les tares de la gauche, cela renforce la droite". À mon humble avis, ce sont les tares de la gauche qui renforcent la droite (ou l’extrême droite) et les mettre en évidence, les révéler dans l’espoir pas tout à fait vain de les faire régresser ne peut que renforcer la gauche… Reste qu’il y a un débat toujours ouvert : Qu’est-ce qu’une tare ?
- À ce propos, dans un Monde consacrant une page entière à un livre sur les imposteurs" de la pensée française, j’aurais aimé trouver pour l’essentiel un développement sur les dites impostures et l’analyse qu’en font les auteurs du livre. Une part moindre aurait pu effectivement être consacré à la critique de la critique… Je constate que la part du pauvre est réservée aux premiers et que l’essentiel est consacré aux réserves et procès nombreux et variés suscités par les propos" scandaleux" de Sokal et Bricmont.
Je sais bien que le Monde est un journal français, que ce livre touche une fraction non négligeable de l’intelligentsia parisienne… Mais quand même ! Nous sommes entre gens civilisés et de bonne compagnie ayant depuis longtemps dépassé les concept étroits du nationalisme xénophobe. Dans les impostures de la pensée française, les mots importants se sont impostures de la pensée", le mot adjoint, n’est qu’une détermination géographique, permettant de mieux situer où sont ces imposteurs quand ils sévissent. Ce sont quand même les français les premières victimes ! Même si les effets de mode peuvent provoquer des dégats sur les rivages de l’Italie, de l’Espagne, de l’Amérique du Sud, voire des États-Unis.
Nous savons bien qu’en France, il y a aussi d’imminents intellectuels qui connaissent les dangers de l’esbrouffe" et évitent d’y tomber. Je ne citerai pas de nom afin de ne froisser personne… Mais ceci doit nous rassurer sur l’avenir de la Culture et de la Science Françaises.
- À propos d’avenir, je trouve un peu facile l’effet de style plus que de fond qui consiste à ne pas traiter un problème parce que il est censé relever du passé… donc dépassé.
Je relève : Quelle est l’intention d’une telle polémique, si loin des préoccupations actuelles ?" ou on ne saurait faire appel à une notion ancienne de la gauche pour sauver une conception de plus en plus décalée de la science.", ou encore … la guerre menée par Sokal et Bricmont sent vaguement la naphtaline."
On peut pardonner à Kristeva qu’elle estime éloignées de ses préoccupations actuelles, l’évocation de quelques neries prononcées à telle ou telle époque.
Certes on peut constater que notre environnement, notre monde, changent à la vitesse grand V. Mais la faiblesse de nos modernistes qui frisent presque la fascination pour l’actualité, c’est d’oublier que l’homme ne change que d’un petit iota en quelques millénaires.
De tout temps, il y a eu des mages ou des scientifiques pour énoncer des imbécilités et de tout temps il y a eu d’autres mages ou d’autres scientifiques pour dénoncer ces imbécilités… Ce qui est l’un des bouts par lequel la science progresse. L’autre bout, sans doute plus créatif, c’est qu’il y a des mages ou des scientifiques découvreurs de génie, d’ailleurs dénoncés par des mages ou des scientifiques imbéciles. Mais (voir plus haut), c’est la sédimentation du temps et l’esprit critique des hommes de l’art qui font la différence.
Sokal et Brecmon ne sont pas Galilée, Newton ou Einstein, mais à mon avis ils ont droit à l’estime et au respect dans leur entreprise de lutte contre le décervelage et la cuistrerie de certains détenteurs de savoir"… Après tout qui peut prétendre que Molière est dépassé quand il s’attaque à Diafoirus ?
Voilà pour ma critique purement formelle de votre manière de traiter le sujet. Quand au fond, je vais me précipiter à la FNAC le 3 Octobre pour acheter le livre de Sokal et Bricmont. Vos articles ont eu au moins un mérite : me donner envie de le lire… Scientifiquement votre…
R.F. un nouveau Diafoirus