Pour les mêmes raisons que les pasdarans gonflèrent leurs effectifs au détriment de la police, les institutions religieuses se virent soudain investies de l'autorité qui manquait aux institutions de l'Etat. L'arrivisme et le radicalisme se rencontraient et s'épousaient sous la bannière verte. Ce mélange, qui avait déjà réduit les fêtes de rue spontanées en fêtes religieuses à date fixe et les manifestations en cortèges, crispa comme dans une crampe douloureuse toutes les institutions religieuses promues au premier rang, parce qu'à ce moment, ce premier rang ennemi était le plus périlleux.
Les deux principales villes saintes de l'Iran, Qom et Mashhad, peuvent d'ailleurs être réduites, l'une à la comparaison avec l'arrivisme, l'autre avec le radicalisme islamiques. Dès la date du retour de Khomeyni, le 1er mars, Qom, à 150 kilomètres de Téhéran, fut considérée par beaucoup d'ambitieux comme le Versailles de la nouvelle République, et sa population, composée pour beaucoup d'étudiants en théologie, doubla, pense-t-on, en un an ; à Mashhad au contraire, au bout du monde, c'est la religion qui est mordue par la rage des conseils : "Mashad is a city whose residents have taken control in what appears to be a loosely organized commune system, that links workers, doctors and religious leaders" disait le Washington Post début janvier. De même, les mosquées contrôlent-elles parfois les comités et parfois sont envahies par eux. Les pélerinages redoublent. Des "minorités religieuses" (sunnites, israélites, baha'is) voient leurs différences avec les shi'ites devenir des débats, parfois sanglants. Ceux qu'on considère comme grands-ayatollahs, tous vieillards, se terrent, peu habitués ou propices aux tourbillons d'une jeunesse ignorante, à la religiosité trop soudaine pour ne pas devenir suspecte, sauf Khomeyni, Shari'atmadari et Tâleqâni.
Ce dernier est la coqueluche de la gauche (qui est loin de lui appliquer le précepte de Marx : toute critique a pour préalable la critique de la religion). Khomeyni lui confie la responsabilité de l'entreprise qui va épuiser la rue en permettant aux chefs néo-islamiques de mesurer soigneusement et régulièrement leur popularité et leur force coercitive : la prière du vendredi. Le vendredi est le dimanche de l'Islam. La prière collective avec sermon, antique institution ressuscitée de l'oubli, se déroule hors de la mosquée, devant des foules aux proportions de l'hiver passé, et va permettre de compter les absents en injectant peu à peu le dégoût de la foule dans ces foules iraniennes qui avaient tant le goût de la vie. Mais Tâleqâni, le 7 septembre, anniversaire du Vendredi Noir, après un silence de plusieurs semaines, profite de cette tribune pour critiquer la politique kurde de la république islamique. Le 9, ce grand récupérateur meurt avec les honneurs, sans que son assassinat, par ses pairs, n'ait jamais pu être prouvé. Provisoirement, l'âyatollâh Montâzeri le remplace dans sa fonction, devenue si importante.
Enfin, il n'a pas manqué l'oeuvre récupératrice dirigée : la Jehâd-e Sâzandegi (croisade de la reconstruction). Fondée à des fins économistes par Bâzargân, les libéraux en sont cependant vite épurés. Les pasdarans sont son aile militaire, et elle enrôle des volontaires, hezbollahis et étudiants, qu'on éloigne dans les campagnes, où, en même temps qu'ils en sont isolés, ils rendent haïssables le mouvement de Téhéran. La même sanction avait déjà frappé les Gardes rouges et les étudiants d'Addis Abbeba. "The goals of the Jihad were officially stated as 1) to unite to energetic volunteers, especially university and high school students, unemployed high school graduates and others without work 2) to create lines of communication between the intelligentsia and the desinherited 3) to assist rural economic devellopments 4) to increase literacy among peasants 5) to propagate Islamic culture and the Islamic revolution in the rural areas... The Jihad considered every social and economic aspect of village life to be within its juridiction, such as setting up village councils and redistribution of land (which they supported but could not carry out in the absence of a word from Teheran)..." Avant de devenir une énorme administration, cette Jehâd était associée à l'organisation, dans Téhéran, de "journées" orwelliennes, comme ce 1er novembre 1979, journée du "sacrifice" et de la "lutte anti-impérialiste".
Editions Belles Emotions | |
Du 9 janvier 1978 au 4 novembre 1979, par Adreba Solneman |
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