B) Du 17 février au 3 novembre 1979


 

7) Organisations ennemies

a) Khomeyni

Sans titre ni fonction, Khomeyni est l'autorité suprême. On le nomme Emâm, ce qui veut dire guide religieux. Les shi'ites arabes donnent l'Emâm aux grands chefs religieux qu'en Iran on nomme plutôt ayatollahs. Mais les Emams pour les shi'ites sont surtout les douze grands Emams (dans le shi'isme duodécimain, majoritaire), descendants du prophète, et notamment le douzième, sous le règne duquel ils vivent depuis 1100 ans, et dont les shi'ites attendent la réapparition, puisque pour eux il vit toujours. En acceptant l'Emâm comme un titre, Khomeyni a accepté l'ambiguïté avec cette réapparition. En quittant Téhéran pour Qom le 1er mars, cet arbitre appelé à trancher tous les conflits qui lui sont portés, dont les délégués personnels (comme Eshrâqi au Khuzestân) ont autorité comme des commissaires de la Convention, cet idéologue dont les discours sont considérés comme le présent, et les directives comme l'avenir de l'Iran et des shi'ites, se soustrait progressivement à la vue de ceux dont il ombrage la destinée et passe dans la semi-obscurité de l'Emâm caché dont l'incarnation paraîtrait alors en Iran à la mesure de l'extraordinaire d'une grande révolution. Son image est partout, dans les rues, les maisons, les usines, les casernes, à la télévision, dans les manifestations, sur les badges. Des rues et une ville prennent son nom. Ses apparitions, dans l'éclat de la simplicité, espacées avec économie, renforcent cette image ; de même, il ne reçoit que très peu, mais aussi bien les petits que les grands. Si bien que son image est devenue la réalité, complexe raccourci d'une ambiance que sa personne ne travaille plus qu'à alimenter. Aussi applaudit-on son image comme des spectateurs applaudissent au cinéma, pour manifester l'enthousiasme de leur soumission dans l'oubli de la différence entre ce qui apparaît et ce qui est. La lâcheté démagogique de tous les partis leur fait, sans exception, même ceux que Khomeyni attaque nommément (le Tude, par exemple), approuver toutes les paroles de ce haut-parleur. Mais comme pour Mao Zedong en Chine, ces paroles souvent vagues, contradictoires et trop tributaires de l'événement, de la religion, de l'ambiance, peuvent se retourner comme des crêpes et rester toujours comestibles. Aussi les gueux avancent à couvert de citations de Khomeyni contre les valets qui agissent également avec des citations de Khomeyni. Khomeyni, milieu et miroir fidèle de la dispute et l'indécision entre gueux et valets dont il est le monstrueux compromis, tranche de plus en plus dans le concret, érodant par là même sa supériorité si jalousement entretenue, puis se rétracte avec la même véhémence, sans conscience d'autant d'indécision, sacrifiant sérénité et clarté à l'image de véhémence, bien plus nécessaire à entretenir alors face aux gueux que toute cohérence. Aussi le murmure gagne t-il même cette projection lunaire qui se veut perpétuelle ; et Khomeyni, maintenant sur la défensive, doit utiliser les fêtes religieuses pour compter, dans des cortèges où la spontanéité est bannie, ses partisans, noyés parmi ceux qui ont peur d'eux, et plus encore, des plus virulents parmi les gueux.

Ainsi, le 17 juillet, 3 à 500 000 personnes ressuscitent à Téhéran, le souvenir des grandes manifestations de l'hiver passé (Shâpur Haqiqat, nullement impressionné par ces foules devenues mornes et sombres, mais restant déterminées et maîtresses de la rue, ne signale dans sa chronologie depuis février 1979, qu'une seule manifestation : le 21 juillet, soit quatre jours plus tard, 50 000 personnes, soit dix fois moins, ont répondu "à l'appel des formations laïques, nationalistes, libérales et des partis de gauche" ! Comment un public qui n'a pour informations que ces énormités de pareilles crapules, pourrait-il soutenir, voire comprendre, la révolution iranienne ?) ; ainsi encore 1 million de manifestants à Behecht-e Zahrâ, le 7 septembre, anniversaire du Vendredi Noir. Enfin, le 26 octobre, le fourbe PRI appelle à manifester autour du slogan émotionnel et devenu vrai : "Attention citoyens, l'Imam est seul." La première institution de l'Etat et de l'idéologie est seule par l'altitude, mais aussi abandonnée par la ferveur populiste. Là encore, comme à chaque ressac de l'ambiance, Khomeyni teste puis entretient avec soin sa popularité, son seul capital : plusieurs centaines de milliers de citoyens viennent apporter leur crédit à ce charisme chancelant, sans dissimuler la lézarde profonde du socle de la statue, mais témoignant aux valets du PRI que la masse de son bronze peut toujours se changer en canons.


Editions Belles Emotions
Du 9 janvier 1978 au 4 novembre 1979, par Adreba Solneman Précédent   Table des   matières   Suivant