A) Du 9 janvier 1978 au 16 février 1979


 

8) Du 8 au 13 janvier 1979

Le 12 janvier, Cyrus Vance, secrétaire d'Etat des Etats-Unis, avait fait l'annonce officielle du départ du Shâh. C'est encore une faute : au lieu d'être applaudi pour la bonne nouvelle, le gouvernement américain est blâmé pour son ingérence ; au lieu de prouver aux gueux d'Iran qu'il ne l'approuve plus, le gouvernement américain se substitue désormais au Shâh, usurpe son trône et le fonde ; au lieu de rassurer les gueux en s'effaçant dans une neutralité silencieuse, le gouvernement américain les inquiète en semblant révoquer spectaculairement celui qui ne peut donc rétrospectivement être considéré comme davantage qu'un chargé d'affaires américain ; et ce chargé d'affaires, déprécié ou ménagé au point de ne pouvoir annoncer lui-même sa résignation à ceux qui l'ont forcée, fait paraître cette révocation comme une simple suspension ; au lieu, donc, de paraître enfin opposé au Shâh, le gouvernement américain en paraît le comble ; et en voulant se déclarer serviteur des gueux d'Iran, le gouvernement américain se dévoile maître haïssable de leur maître haï. Une pareille faute ne s'explique que par l'habitude de cette administration de privilégier, en toute décision publique, l'effet produit sur les citoyens américains, qu'une telle autorité de leur ministre flatte, sur l'effet produit sur les gueux d'ailleurs, qu'une telle autorité vexe : les premiers sont passifs, même quand ils votent tous les quatre ans ; les seconds sont en train de faire l'histoire de leurs temps en Iran, et conséquemment, bien plus que les premiers, des Présidents des Etats-Unis, comme on le verra. Le 16 janvier, après avoir nommé un Conseil de Régence, le Shâh s'envole vers l'Egypte, début d'un exil définitif et migrateur, où ses immenses rapines seront le seul contrepoids aux embarras que suscitent à leurs hôtes tous les disgraciés.

La scène trop brève qui suit, je voudrais la voir dans le monde entier. Dans ce crépuscule, dont la nuit du 13 janvier est le prologue, entre le départ du Shâh et l'arrivée de Khomeyni, c'est la licence de pensée la plus complète, richesse sans partage des guerres civiles, privilège exclusif des victoires rebelles encore ni réprimées ni récupérées.

L'orchestre est plein à craquer, c'est le monde. Grands Etats, marchands, policiers, d'une loge à l'autre s'interrogent du regard et n'osent venir sur cette scène où la lumière est si bizarrement, si savamment répartie. Le public est stupéfait et scandalisé, mais paralysé, incapable d'intervenir contre ce spectacle trop vivant pour être bien en main, qui l'insulte.

Le décor c'est Téhéran, et le décor du décor c'est tour à tour Ahvâz, Dezful (6 morts le 18), Sanandâj et toujours Mashhad, Esfahân, Shirâz, Tabriz et Qom. Téhéran est une Agora. Ce qui y est horrible, on le sent bien à travers les informateurs, c'est d'en être exclu. En être exclu, c'est d'être exclu des ennemis du couvre-feu, de n'avoir pas accès à la nuit. Le Nord, qui surplombe la ville, la forteresse, en est maintenant aussi la prison militaire. On mange aussi peu qu'on dort : on n'a pas le temps. L'usage des voitures s'est scindé en queues devant les postes d'essence, rare à cause de la grève ou d'une pénurie destinée à la discréditer (comme s'en plaint Tâleqâni), et en matériau pour barricades. Ainsi le fond sonore perpétuel est celui de combats au loin. La grève enfin, transforme le temps cyclique du vieux théâtre quotidien en temps historique de l'antique aventure des hommes.

Les protagonistes sont l'original de la pièce. Le Shâh et Khomeyni sont des portraits ou des cassettes. Bakhtiyâr est déjà une ombre, Bâzargân pas encore. Au fond de la scène se joue la scène de l'armée qui fond. Le devant est vide, puis s'emplit soudain à faire peur, puis se vide soudain : on ne distingue aucun personnage dans ces déferlements géants, rapides, extrêmement salés. Les dialogues sont des rumeurs, des cris, des choeurs. L'auteur, anonyme, serait Dieu s'il n'était pas l'esprit du temps.

Le 16 janvier, le rideau s'entrouvre sur le diapason de l'ambiance de cet opéra sans musique : on déboulonne les statues, on change les noms de rues. C'est la fête à Téhéran au premier plan, le Shâh est parti. Ce n'est pas comme dans "Les Affinités Electives", où, lorsque s'en va un personnage principal, on voit grossir un ou plusieurs personnages secondaires. Non, la fête s'est intensifiée par degrés, et par degrés elle a réuni tant de protagonistes qu'il n'y eut plus de place pour le Shâh et que Khomeyni n'y put participer qu'en tant que drapeau. Au fond de la scène, le même jour, c'est le massacre d'Ahvâz, 700 morts, le glas pour Bakhtiyâr, dont l'excuse l'accuse : l'armée ne lui obéit plus. Alors pourquoi l'arriviste ne démissionne-t-il pas ? En conservant toutes les responsabilités, il endosse aussi celle-là. Le contraste entre kermesse, devant, et massacre, derrière, est le grotesque, qui fait peur et rire dans l'histoire.

Ce jeu dans le temps, cette vacance de chef, entre le Shâh et Khomeyni, est aussi le jeu, la marge, entre la répression et la récupération. L'événement culturel, entre ce 16 janvier et le 1er février, est l'un des si rares en ce siècle, qu'il convient de l'applaudir. Pourtant, il convient aussi de le critiquer : c'est l'absence de critique qui y est critiquable. Certes, il est difficile de reprocher à ces acteurs si naturels, agressifs, débordants de vie, et si nombreux et insaisissables, que de Shakespeare à Hollywood on n'a jamais rien imaginé de si énorme, de s'être accordés, après une année aussi meurtrière, comme un répit dans la satisfaction positive d'une passion pareillement débordante de négativité. Mais quand tout va si vite, même un bref relâchement de vigilance n'est jamais rattrapable. La xénophobie (anti-afghane chez les manifestants, relayée joyeusement par leur ennemi Bakhtiyâr, qui en fit arrêter plusieurs, et pas pour les protéger) et l'adéquation grandissante de la religion à l'extraordinaire des événements, furent ainsi les malheurs de cette vacance de pouvoir qui s'est étendue jusqu'à cette vacance de critique.

La scène suivante est l'Arba'in. L'Arba'in est le deuil des martyrs de Karbalâ, 40e jour après l'Ashurâ. Ce 19 janvier défie l'imagination : à Téhéran, quatre millions de manifestants font s'écrouler les coulisses, devenues inutiles : aucune scène de l'histoire humaine n'avait encore été aussi pleine. Là encore, le grotesque fait rire autant qu'il effraye : c'est un mariage monstrueux entre la quantité et la qualité, la passivité et la révolte, où chaque figurant est acteur et où chaque acteur est noyé parmi les figurants ; et ce plus gigantesque 40e jour de deuil de tous les temps, est le premier qui ne commémore aucun mort.

La fermeture de l'aéroport de Téhéran, qui fut présenté comme une chicane stupide de l'armée, gâche le point d'orgue, autant voulu par le public que par les acteurs, autant craint par l'intéressé : le retour de Khomeyni. Mais les gueux souverains montrent les dents : le 26, jour où les militaires ferment l'aéroport de Téhéran, il y a de 9 à 26 morts dans la capitale ; le 28, 1 million de manifestants dans ses rues ; le 29, l'armée y en tue encore 40 ; et 2 de plus à l'occasion d'une arrogante et inutile parade militaire le 31. Jeudi 1er février enfin, l'idole est ramenée, sous les applaudissements discrets de ceux qui en attendent la fin de la folie, et dans le délire de ceux qui ont exigé d'avoir ce totem au milieu de leur fête. "Téhéran ce jeudi a perdu la raison. Qui aurait pu contenir une telle foule ? Toute police aurait été impuissante, tout service d'ordre annihilé devant un tel déferlement." Quand il écrit qu'une ville perd la raison, comme si elle pouvait en avoir, il ne faut plus s'inquiéter de celle du journaliste, mais de ses informations, qui affirment, goût du spectacle oblige, un nouveau et presque improbable record de gueux agglomérés sur la route de l'aéroport au cimetière Behecht-e Zahrâ, haie d'honneur unique de vainqueurs, admirant la restitution de leur vivant trophée.

De tous les genres connus, c'est l'épopée qui ressemble le plus à cette plus moderne des créations. Et ce qu'elle a de plus moderne, c'est qu'elle comprend tous les genres du passé. Un simple changement d'éclairage, un mot, un geste, fait passer du burlesque au drame, du mime à la déclamation, de la chorégraphie à l'improvisation, du théâtre de marionnettes au cinéma, de la tragédie à la comédie. Les valets, par exemple, comme chez Molière, conspirent. Il leur faut paraître rivaux, mais ils s'aiment ! Au Conseil de la Régence du Shâh, Khomeyni oppose un Conseil de la Révolution ; à Bakhtiyâr, il oppose Bâzargân, et à blanc mouton, mouton blanc. Le chef du Conseil de Régence fait allégeance à Khomeyni. Pour sauver l'Etat en faisant passer Bakhtiyâr au service de la "révolution nationale" applaudie par le Shâh il y a trois mois, les valets prévoyaient la mise en scène suivante : Bakhtiyâr va à Paris et présente sa livrée de Premier ministre du Shâh à Khomeyni, qui en échange d'un geste si généreux et si soumis, lui tend une livrée de Premier ministre islamique. Pas de chance pour Khomeyni et Bakhtiyâr (qui pour mener à bien cet arrangement avait fermé l'aéroport de Téhéran), leur maître furieux, la rue, arrive au milieu de la scène, et les remet au travail dans l'obéissance, ces 26, 28 et 29 janvier. Bâzargân nommé, joue au ping-pong avec son vieux compère Bakhtiyâr. Le ministre du Shâh promet qu'il va cesser de payer les fonctionnaires en grève, celui de Khomeyni annonce qu'il va demander à tous les travailleurs une journée de travail symbolique. Bâzargân qui est allé à Abâdân, mettre au pas la grève du pétrole, comme jadis les staliniens la Commune de Barcelone, surenchérit ainsi sur son collègue Bakhtiyâr qui s'écrie : "Je n'exclue pas que si la populace fait des bêtises elle soit accueillie par des balles... les cocktails molotovs on leur répond." Mais les deux larrons, sur le point de s'aboucher publiquement, avec en croupe, l'un les restes de la grande armée de Qarabâqi qui cherche son Tauroggen, l'autre, Khomeyni, qui comme Alexandre Ier se contenterait d'un Congrès de Vienne, sont à nouveau sévèrement remis en place par le courroux de la rue qui à partir du 8 février défait définitivement ces fiançailles. L'ombre de la guerre d'Espagne, car c'est ainsi qu'on imagine encore une guerre civile, plane. L'armée pense déjà ne pas pouvoir la soutenir. Les religieux savent qu'ils ne sauront pas la mener. L'opposition spectaculaire entre dispositions du Shâh et dispositions de Khomeyni rend difficile la négociation, en creusant une ligne de partage au milieu de l'Etat, qu'à son tour seule la négociation peut sauver. Ce sont les gueux, et eux seuls, qui ont enfanté cette situation et avorté tour à tour toutes les tentatives de négociation de la valetaille. La ruine si durable de l'Etat iranien est leur oeuvre, exécutée par leurs valets qui y furent si opposés.

Deux brefs discours, sur la foule et les armes, vont maintenant faire tomber le rideau, pour libérer le cours des événements dont ils sont la chair et l'intelligence, en même temps que le début et la fin.

Jusqu'au 1er février 1979, cinq grandes manifestations ont réuni plus d'un million de gueux dans Téhéran : Tâsu'â, le 10 décembre 1978, un million, 'Ashurâ, le 11 décembre, entre un et deux millions, Arba'in, le 19 janvier 1979, quatre millions, le 28 janvier, un million, et le 1er février, retour de Khomeyni, entre quatre et cinq millions. Même la police chinoise, et a fortiori aucun parti opposé à l'Etat, n'a jamais pu faire descendre dans la rue des foules aussi considérables, aussi souvent. Cette nouveauté a fasciné autant qu'effrayé. 500 000 manifestants dans une agglomération de cinq millions d'habitants peuvent constituer un parti ; 5 millions de manifestants dans le coeur de la même ville de cinq millions d'habitants, sont quelque chose d'inconnu dans notre histoire, dont les Iraniens ont les premiers fait l'expérience. Le journaliste qui se demande "Qui aurait pu contenir une telle foule ?" se pose la même question que l'Etat, et reflète le pessimisme du parti de la récupération en ajoutant "Toute police aurait été impuissante, tout service d'ordre annihilé". Une foule est réputée imprévisible, car soumise à la plus légère étincelle de colère ou de panique. La grandeur inédite de celle-ci (et au-delà d'un million de manifestants, les instruments de mesure manquent aux observateurs) semble en multiplier vertigineusement le risque. De plus, c'est une foule qui s'est unie par la révolte, la négativité ; elle renverse son illégalité-même en légalité unique et souveraine : elle fait loi ; elle a pour prémices le mépris de la passivité et la promptitude à la fête publique qui ont pour graines les deux grands fléaux de l'Etat, l'émeute et la grève sauvage ; elle contient tous les gueux : elle est l'embryon d'une redoutable assemblée générale. Mais ces rassemblements si incontrôlables déçurent aussi bien les craintes des uns que les espoirs des autres. Tous les gueux ne sont jamais un parti. Foule, comme masses chez les marxistes, n'est jamais que le mot de dédain pour qualifier les misérables agglutinés sans pensée. La pensée, la négativité, la qualité de chacun et de tous est aliénée par cette immense quantité. Autant les petits commandos rapides et ravageurs des 4, 5, 6 novembre sont prisonniers, englués dans la foule, autant leurs ennemis policiers et idéologues, également englués, y sont dissimulés. La critique pratique est figée par cette multitude. Et l'ennemi y est comme un vers dans le fruit. Cette foule si dense et si immobile étouffe toute colère, toute panique. Comme la grande armée perse de Xerxès arrivant en Grèce, elle est solennelle et impuissante. Agglomérat inorganisé, son unanimité légalise sans débat ni combat. Légaliser c'est instituer. Instituer le mépris de la passivité et la fête publique, c'est restaurer la passivité et l'ennui public. Au Ding, l'assemblée générale de leurs guerriers, les Goths, eux, parlent, parlent tous, communiquent. Au contraire, les gueux de Téhéran scandent et obéissent enfin. Au moment où ils font trembler la terre, ils se taisent, intimidés par leur propre puissance, et battent des mains. Les grandes manifestations si impressionnantes de Téhéran, qui n'ont jamais fait de morts, ont été des trêves. Si elles interdisent toute contre-offensive de l'Etat, elles ensablent aussi l'offensive des gueux. Mais la précarité de l'Etat est si grande, que même si ces manifestations immobilisent les loups parmi les moutons, les mettent à découvert et les fatiguent, la terrible impression qui prévaut est qu'il a abandonné les rues de sa capitale à ses ennemis, qu'une simple poussée peut déchaîner. Et le 1er février, personne ne pense déjà que la foule est devenue trop nombreuse pour bouger, que l'ennemi est dans ses entrailles, et que son élan, qui paraît si formidable, y rencontre la limite où il s'émousse.

"Chefs religieux, qu'attendez-vous pour nous donner des armes" demande la rue ce terrible 29 janvier qui a défait l'alliance Khomeyni-Bakhtiyâr en faisant 40 morts. Le 1er février, dans l'avion qui ramène Khomeyni, l'arriviste Qotbzâde préfère inquiéter la presse et apaiser les émeutiers, en annonçant que des distributions d'armes ont alors lieu en Iran. Ce n'est certainement pas grâce à lui que tant de déserteurs partent en volant l'armée, que tant de postes de police sont attaqués, seules sources d'armes. Cette demande est la première exigence que les émeutiers formulent aux religieux. Que ceux-ci enfin rompent la soumission pour laquelle passait leur silence à l'égard de leurs chefs auto-proclamés et parlent en maîtres, fait mentir précipitamment Qotbzâde. La gloire de mourir n'est que dans la gloire de gagner. Cet empire, il faut des fusils pour en raser les vestiges. Pactiser ou reculer, c'est pareillement cracher sur le sang des martyrs passés et à venir. Aujourd'hui, parler les mains nues, c'est mendier couvert d'or. Bakhtiyâr réplique aux cocktails Molotov, ils sont devenus insuffisants pour répliquer à Bakhtiyâr. Guerre civile ou guerre sainte, nous ne craignons que de reculer, que le déshonneur de se soumettre. Voilà le parti insurgé, les gueux qui veulent cesser de l'être, la scission du troupeau du 1er février. Embarras, conciliabules, chuchotements de l'autre côté de la barricade : les armes sont un sujet tabou en public. Les religieux en premier : ils n'en ont pas. Et ils ne sont pas organisés pour encadrer des gueux armés. Ils ne le sont pas davantage pour en acheter à l'étranger, ni bien sûr, pour en arracher à l'armée. Comme il n'est pas question de détruire l'Etat, il faudra bien une police, une armée. Autant s'allier avec celle qui est là, plutôt que de se précipiter à la suite de dérapages radicaux, dont le succès paraît bien coûteux, bien indécis. En second : les chefs de l'armée actuellement craignent tout, pêle-mêle, les gueux, leurs soldats, les religieux, les américains, le communisme, l'Islam, la pénurie, la grève, Allâh, la paix, la guerre, en un mot, ils craignent pour leur tête. Leurs forces s'effeuillent comme une virilité vérolée, et ils ne sont pas plus équipés, entraînés, organisés pour soutenir une guerre civile sur des bases morales aussi désastreuses. Vaut-il mieux négocier son salut avec un allié dangereux parce qu'il vous craindra, ou combattre seul un ennemi dangereux parce qu'il ne vous craint pas ? Ce vrai dilemme de généraux se trouve tranché par l'alliance de Qarabâqi avec le parti de Khomeyni, bien peu guerrière trahison, quitte à lui sacrifier quelques têtes galonnées intransigeantes, et à lui équiper une milice nécessaire pour achever les troubles et récupérer les déserteurs, mais sous tutelle. En dernier, les organisations de guérilla (mojahedines et fedayines surtout) mouillent leurs petites culottes depuis que la marotte qui les fonde, les armes, devient l'exigence première des révoltés. C'est pourquoi leurs adhésions se multiplient soudain, phénomène que ces indécrottables militants attribuent avec leur manque d'humour coutumier à l'excellence de leurs théories sur l'impérialisme et le capitalisme. Par ailleurs, ils l'ont toujours dit, les armes sont le préalable à tout. Et ils rêvent tout haut d'une distribution magique au "peuple", distribution qu'ils entreprendraient en personne, pour fabriquer une "armée populaire" qu'ils encadreraient, également en personne. Ces petits chefs se croient enfin arrivés à l'exaucement du songe qu'ils croient le plus secret de leurs longues années de clandestinité : la construction de leur police, de leur Etat et de leur peuple "anti-impérialiste" et "non-aligné". Ajoutons que notables, industriels, libéraux et "intellectuels" sont toujours et partout contre une distribution gratuite des armes. Tous ces gens-là se vendent la suite de l'histoire : les fedayines négocient avec les mojahedines qui négocient avec Khomeyni, qui négocie avec Qarabâqi, qui négocie avec Khosrodâd ; Sanjâbi négocie avec Bâzargân, qui négocie avec Bakhtiyâr ; le Tude négocie ; Américains, Russes, Israéliens, Palestiniens négocient. Mais l'homme de la rue (au sens où il l'occupe) veut tout tout de suite. Et dans la jeune patrie du courage, on n'attend plus les vieux négociateurs apeurés.


Editions Belles Emotions
Du 9 janvier 1978 au 4 novembre 1979, par Adreba Solneman Précédent   Table des   matières   Suivant