En 1987, l'opposition dirigée par Khaleda Zia et Sheik Hassina Wajed, l'une fille, l'autre veuve d'un ancien président, et qui se haïssent cordialement, lance un mouvement de grèves tournantes pour renverser le dictateur Ershad. Ce général, putschiste heureux en 1982, arrive à diviser les deux harpies, les fait arrêter, et le mouvement éclate après la promulgation d'un état d'urgence. Mais tout au long de 1988 et 1989, des grèves d'un jour, accompagnées de manifestations violentes, marquent le refus de cet échec.
Le 10 octobre 1990, c'est une manifestation d'étudiants, jusqu'alors absents, qui réamorce le mouvement. Ce n'est qu'après coup qu'on peut avoir cette impression d'un enclenchement et d'une accélération, parce que l'information occidentale n'évoque que brièvement ce sit-in balayé avec vigueur (5 morts, 100 blessés), et ne repasse dans cet Etat musulman des anciennes Indes que trois semaines plus tard pour en rapporter les troubles consécutifs à l'attaque du temple d'Ayodhya.
Il faut donc attendre le 26 novembre pour que ce mouvement, qui n'a plus lâché prise, crève la bulle de silence. Un empêchement d'arrestation, à l'université, tourne en geste offensif, des « dizaines de voitures sont brûlées », les deux femmes qui disputent à la rue la direction de la révolte sont encerclées par l'armée dans leurs maisons respectives. Le lendemain, c'est l'état d'urgence, censure, couvre-feu à Dacca, à Chittagong, à Khulna. Mais, contrairement à 1987, les mêmes mesures qui l'avaient étouffée accroissent aujourd'hui la colère : grève générale, affrontements (2 morts et 100 blessés). Les 28 et 29 septembre semblent le point culminant de l'offensive, « militants » et « étudiants » ne semblent plus contrôler ceux qui sont à côté d'eux lorsque, armés de fusils et de gourdins, ils attaquent les bâtiments publics et détruisent les voitures, l'opposition chiffre les deux jours à hauteur de 50 morts, et même l'information occidentale drape son effroi et sa surprise dans d'ahurissants euphémismes : « Il règne une atmosphère de défi. »
Le 1er décembre, on manifeste, puis on se bat dans les banlieues de la capitale, où l'armée tue encore 12 personnes, et au moins à Chittagong, deuxième ville du Bangladesh. Le 2, il y aurait encore 17 morts selon l'opposition, dont on ne voit pas cependant pourquoi elle dirait la vérité. Maintenant le dictateur est lâché par les propres députés de son parti fantoche, par des membres de sa propre administration, alors que l'information ne spécule plus que sur la fidélité de l'armée et l'intensité des pressions occidentales. Enfin, le 4 décembre, Ershad annonce sa démission, qui prend effet deux jours plus tard. C'est la liesse : un mouvement de rue, très sanglant, très opiniâtre, très vivant a fait tomber un dictateur. Ses successeurs n'auront plus qu'une paix conditionnelle, sans cesse chavirée par la turbulence de ces pauvres, très jeunes, très vivants. Les deux mégères de l'opposition se diviseront dans une éternelle dispute, mobilisant la rue pour l'enrôler, pour la contrôler.
Dès la fin décembre, les prisonniers condamnés sous Ershad se mutinent. L'éclatement des affrontements dans les prisons feront 18 morts et 200 blessés, mais aussi 25 évasions. La suite du mouvement des prisons sera plus ample, mais moins couronnée de succès.
(Texte de 1998.)
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