Notes


 

10. Panamá

En 1988, le général Antonio Noriega, ancien employé de la CIA, est inculpé pour trafic de drogue par un tribunal américain. Petit détail gênant : il est dictateur du Panamá. Il est donc battu aux élections du 7 mai 1989 par le candidat des Etats-Unis et de la middle class locale. Donc il annule les élections le 20.

Sept mois plus tard, le 20 décembre, 24 000 soldats de l'armée américaine envahissent Panamá, dans une opération appelée Juste Cause, ce qui doit être une étourderie puisqu'il s'agit juste de la conséquence du conflit, littéralement personnalisé, entre le président américain Bush, gros gangster, qui veut attraper Noriega, petit gangster. Noriega, alias Face d'ananas, et comparé par un Debord visiblement sous-informé et déjà bien gangrené par la sénilité à un César Borgia, échappe à cette rafle hors normes et se réfugie à la nonciature apostolique le jour du réveillon.

Mais entre le 20 et le 24 décembre, Panama City a été l'objet d'une double destruction : celle des combats entre soldats américains, peu réputés pour leur doigté, et partisans de Noriega, acharnés parce que morts si pris ; et celle d'un des plus gros pillages d'une capitale dans cette moitié de siècle : « (...) tout le monde s'est mis à voler, sans distinction sociale, la classe moyenne, les Chinois, tout le monde s'y est mis ». Entre les deux groupes d'acteurs de la destruction, combattants et pillards, il semble surtout avoir régné une grande indifférence. Elle mesure assez utilement la distance entre les préoccupations des valets et les désirs des gueux de ce monde. Et c'est un signe de cécité des deux camps que leurs agissements soient aussi peu déterminés par l'autre.

Le 4 janvier 1990, Noriega se rend aux Américains. Le 8, la foule est encore invitée par les soldats américains à piller l'ex-quartier général des forces armées panaméennes, thank you sir, et, le 11, 2 000 premiers soldats US go home. Les chiffres officiels américains, dans leur méticuleux racisme, font état de 23 soldats US, 314 soldats panaméens, et 220 civils tués. La plupart des estimations multiplient ces 557 morts par trois, quatre ou sept, ce qui évidemment fait plus que le « massacre » de la place Tian'anmen, qui est alors la référence absolue de l'horreur.

Mais une nouvelle référence s'établit justement au même instant en Roumanie. Ceci pour dire qu'en termes médiatiques l'intervention au Panamá s'est jouée sous couvert de spectacle roumain. Car c'est là qu'est l'information mondiale. On peut donc signaler que les Américains ont ici adopté une technique réputée soviétique depuis 1956, où l'on avait reproché aux Staliniens de profiter du spectacle de Suez pour liquider, avec des chars d'assaut, l'insurrection de Budapest. Le nain jaune sera rendu une dernière fois aux Soviétiques l'année suivante, lorsqu'ils seront accusés, de manière assez exagérée, d'attaquer la Lituanie au moment même où la gentille information avait choisi de camper autour du Koweït.
 

(Texte de 1998.)


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