Le 30 décembre 1990 commence l'insurrection de Mogadiscio. Quoique rarement un événement n'était plus prévisible, il n'a pas été prévu ; et quoique presque personne au monde ne sait ce qui le rendait prévisible, personne n'a semblé surpris. Un cocon d'apathie enveloppe les capacités analytiques de la plupart des individus de cette terre, et il est recouvert d'une couche d'ignorance crasse. Jusque dans les milieux qui se flattent de négativité ou d'être révolutionnaires, la négativité ou ce qui est plus révolutionnaire que cette flatterie ne semblent discernés que dans la mesure où l'information dominante en parle.
L'Etat somalien moderne commence en 1977 avec la guerre de l'Ogaden. Il y avait alors, dans la capitale de l'Etat d'Ethiopie voisin, la plus grande fête orgiaque qu'aient connue jusque-là les pauvres d'Afrique. Il fallait la faire cesser. Peu de survivants se souviennent aujourd'hui de ce général soviétique, Borissov, qui après avoir organisé l'offensive somalienne en Ethiopie, fin 1977, organisa, en 1978, la contre-offensive éthiopienne contre la Somalie. L'URSS, alliée de la Somalie, puis de l'Ethiopie, avait essayé de promouvoir une fédération Ethiopie-Erythrée-Somalie-Yémen du Sud. Le dictateur somalien, stalinien, Siyad Barre, répondit au nom de ses collègues, qui n'allaient pas pouvoir tous être dictateurs d'un seul Etat fédéré : « Les aspirations nationales pèsent pour nous plus lourd que les considérations idéologiques. » L'URSS choisit. Borissov emporta le stalinisme de l'insolent Barre, et en revêtit son voisin éthiopien, Mengistu, qui, les deux pieds sur l'échafaud d'Addis-Abeba insurgé, n'avait pas vraiment le choix. Le stalinisme, en Afrique, a toujours été mieux compris qu'en Europe. C'est le fourreau du bâton. C'est l'idéologie de l'Etat, tant que le fournisseur d'armes de l'Etat est stalinien.
Barre et l'Etat somalien s'assurèrent donc l'Occident. Cela se fit en octobre 1977, à l'occasion d'un détournement d'avion, où des terroristes allemands, plus que mal informés, demandèrent à se poser sur l'aéroport de Mogadiscio, plus qu'opportunément : ils exigeaient la libération de la bande à Baader. Barre permit l'assaut du commando par la police allemande, en échange du soutien américain en cas d'invasion éthiopienne. La police allemande put ainsi assassiner le même jour Baader et ses amis dans leurs cellules, et les Américains informèrent les Soviétiques que la contre-offensive éthiopienne ne devait pas dépasser les frontières actuelles de la Somalie. Borissov se contenta de récupérer l'Ogaden, puis se retourna vers cet autre ex-allié trop nationaliste, les guérillas érythréennes.
Addis-Abeba fut réduit au silence. Mengistu en Ethiopie et Barre en Somalie jouirent ainsi d'une tranquillité inespérée, à peine troublée et renforcée par les guérillas qu'ils entretenaient réciproquement chez le voisin. La dictature de Barre connut alors ses années de plénitude. Elle avait gardé sa police de l'époque stalinienne et l'équipait maintenant d'armes occidentales. Inattaquable de l'extérieur, ce règne corrompu et brutal ne s'adonnait, pour alimenter les chroniques, qu'à quelques violentes purges de l'appareil d'Etat.
A partir de 1985, famine-business et réfugiés-business, quoique rapprochant Somalie et Ethiopie, ont commencé à fissurer l'Etat, citadelle complexe et hétéroclite sur laquelle ce vent de pensée mondiale véhiculé par tant de mouvements d'incontrôlés soufflait comme sur un château de sable. Les guérillas se renforcent, le gouvernement se durcit : en 1988, une brutale contre-offensive dans le nord, que cherche à contrôler le MNS, fait plusieurs milliers de morts (notamment dans le port de Berbera, bombardé). En 1989, les discriminations claniques du gouvernement renforcent le MPS au sud, et provoquent la formation d'une guérilla des Hawiye au centre, l'USC.
Le 14 juillet 1989 a lieu la première grande émeute à Mogadiscio. Après l'arrestation de 6 imams, les protestations semblent être parties d'une mosquée où des soldats auraient vidé leurs chargeurs. Le reste de la journée est une bataille carnassière, qui a pour Siyad Barre le grave inconvénient de faire couler le sang jusque sous les projecteurs occidentaux : cela se passe non plus dans le Nord isaq, mais dans la capitale. Sa police reconnaît 24 morts, le MNS en affirme 2 000, les Occidentaux font la moyenne et leur chiffre officiel devient 400, sans qu'il soit possible de savoir si y sont inclus les fusillés des jours suivants. Couvre-feu et censure dissimulent toutes les conséquences immédiates de ce premier jet de pierre, suivi de pillage, connu à Mogadiscio.
Au-delà de ses conséquences immédiates, l'émeute du 14 juillet 1989 a été la commémoration la plus sincère, quoique parfaitement inconsciente, d'un événement similaire, qui avait eu lieu jour pour jour deux siècles plus tôt. Au même moment à Paris, l'Etat français drapait sous la pompe son gros eunuque de bicentenaire, simplement châtré de ce qui avait fait la vigueur et de ce qui avait déposé la semence d'un événement si mémorable : une émeute dont les suites étaient devenues une révolution. A Mogadiscio non plus, la jeunesse urbaine n'oubliera jamais son premier grand assaut. Il en va souvent ainsi des révoltes : l'événement qui frappe les mémoires, qui produit le qualitatif, le début de ce qui est nouveau, n'apparaît pas ainsi en lui-même. Ainsi, à Mogadiscio, le 14 juillet 1989 ne ressort pas par la révolte, mais bien plus par la répression. Mais Mogadiscio vient d'entrer dans l'histoire. Le goût du sang, du combat, du pillage, n'appartient plus au seul Etat et à ses concurrents guérilleux : dans le silence consterné des faubourgs sillonnés par l'armée, dans les rapports filtrés et alignés des Occidentaux et de leurs journalistes, n'apparaît pas encore le profond choc de ce jour, que la suite révélera. C'est dans l'avenir et dans la perspective qui s'y est entrouverte que se situe l'essence contraire à toute commémoration de ce 14 juillet-là.
La suite, qui s'engouffre à travers cette brèche, se fait attendre près d'un an. Le 6 juillet 1990, l'événement est moins grave, moins sanglant, plus confiné, mais il marque la fin du respect pour le tyran. Visiblement, d'ailleurs, cet octogénaire ne s'y attendait pas le moins du monde. Vantant la démocratie en lever de rideau d'un match de football, il est hué par les 30 000 spectateurs du stade. Lorsqu'à la mi-temps les fidèles musulmans envahissent la pelouse pour prier, la garde présidentielle, croyant à un assaut, ouvre le feu : 7 à 62 morts. Les conséquences de cette maladresse si propre à ceux qui ne comprennent plus leurs subordonnés, dans le reste de la ville, ne sont pas connues. Nul doute, cependant, que dans les quartiers insurgés un an auparavant le président a dû n'être pas davantage applaudi ce 6 juillet.
Alors que Nord, Sud, Centre et Mogadiscio forment déjà autant de fiefs qu'il y a de guérillas (l'armée somalienne n'est déjà plus qu'une guérilla), alors que le gouvernement somalien reconnu par les autres Etats du monde ne contrôle déjà plus que Mogadiscio, Siyad Barre comprend un peu tard que le multipartisme n'est que la dernière dictature à la mode. Ainsi, lorsqu'il l'instaure officiellement le 12 octobre, cette désinvolture tardive est prise pour une lâche prostitution qui dévalue encore cette marchandise obligatoire de la dernière génération des supérettes de l'idéologie. Ceci explique en partie que l'émeute du 23 octobre 1990, toujours à Mogadiscio, n'est l'objet que d'entrefilets sibyllins dans l'information occidentale, qui est le maître d'ouvrage exclusif de ces supérettes. Cette information, en effet, se satisfait volontiers de ce multipartisme de pacotille, pourvu qu'elle puisse y placer quelques-uns de ses arrivistes et qu'elle parvienne à expliquer à son public que c'est déjà mieux qu'avant. Mais une émeute dans les faubourgs n'est pas ce qu'elle promeut, surtout dans un Etat où elle hésite à aller, parce qu'il est trop éloigné, parce qu'il est trop dangereux, parce qu'il est trop sordide. Et en bâclant son rapport sur le 23 octobre, elle annonce déjà son refus de la bataille à venir. Jusque-là elle habillait ses comptes rendus de centaines de milliers de réfugiés, de millions d'affamés, de guérillas sourire Colgate affirmant ses propres slogans (surprise !), de camps de squelettes (d'enfants surtout) recouverts de boursouflures et de mouches, de médecins sans frontières. Mais le 23 octobre, ce décor et l'événement ne peuvent être mis sur la même scène.
De nouvelles émeutes éclatent le 2 décembre dans les faubourgs de Mogadiscio, dites « de la faim ». On pourrait aussi bien dire « de la fin », vues dans la perspective de l'Etat somalien, dont 85 % des soldats auraient à ce moment déserté. Siyad Barre ne contrôle plus même les banlieues de sa capitale, mais la guérilla du centre, l'USC, n'a encore ses postes avancés qu'à cinquante kilomètres de Mogadiscio. Du 2 au 5, il n'y a donc plus, à la périphérie de la cité gonflée par les réfugiés et assiégée par les pénuries, de police d'Etat, d'information dominante et de droit marchand. L'ordre semble revenir le 5 décembre ; après trois jours d'« anarchie », la guérilla arrive enfin. Tout porte à croire que c'est elle qui tire dans la foule, mettant fin à ce bref prologue de l'insurrection, sur lequel les informations occidentales ont été encore plus décousues, fragmentaires et récalcitrantes que pour l'émeute d'octobre.
Le 30 décembre 1990, un raid punitif des restes de l'armée dans les banlieues de Mogadiscio déclenche à nouveau l'émeute, spontanée et sauvage. A cette date, cependant, l'événement paraît très différent. Les journalistes du monde entier n'ont d'intérêt que pour la guerre du Golfe, soupèsent les ultimes chances de l'éviter. Et les quelques exceptions encore embusquées en Afrique, qui ont entendu la fusillade de Mogadiscio, sont allées directement voir la guérilla USC, et elle seule, pour s'informer. Ses arrivistes militaires ont donc obtenu, sans l'avoir demandé, le privilège sans borne de voir imprimer par l'information occidentale tous leurs mensonges successifs, sans l'ombre d'une hésitation, ni même d'autres démentis que ceux de faits visiblement contradictoires les jours suivants. Le 1er janvier 1991, le public de cette presse apprend ainsi que Siyad Barre a fui son palais, la villa Somalia (réfugié dans l'aéroport), et que l'USC contrôle « 99 % de la capitale ». Il faudra attendre vingt-cinq jours pour que la première affirmation devienne vraie, et la seconde ne l'est pas encore six mois plus tard.
Lorsque cette information ne peut pas passer sous silence les tentatives de médiation de l'ambassade d'Italie (entre Barre et l'USC, contre les insurgés), dont les locaux sont près de la villa Somalia dans un secteur contrôlé par l'armée de Barre, il s'avère par la bande que tous les rapports précédents sont faux. Ce n'est que le 12, après quatorze jours d'insurrection, que cet ambassadeur s'enfuit. Ce même jour on apprend que, comme les sandinistes à Managua en juin 1979, l'USC a plutôt cherché à contrôler l'insurrection qu'à la mener au renversement du dictateur : les guérilleros sont peu nombreux dans la ville, leur quartier général est à dix heures (!) de piste, et il faut commencer à expliquer que le pillage massif ne peut pas être le fait de cette future hiérarchie d'Etat, que l'information occidentale a déjà pleinement adoptée. Le 16 janvier 1991, Médecins sans frontières (MSF), organisation à son tour menacée par les pilleurs, s'enfuit, coupant le monde de son dernier contact occidental avec Mogadiscio. Ce jour est le lendemain de l'expiration de l'ultimatum des Nations unies à l'Irak, et la veille de l'offensive aérienne américaine.
Le 23 janvier, un journaliste de 'Libération' est le premier à retourner en Somalie, juste derrière MSF. Cette crapule va à Mogadiscio, mais en passant par le QG de l'USC, qui l'y convoie (dix heures de piste). Ce qui s'est passé dans la semaine écoulée est difficilement imaginable. En tout cas, la ville n'est ni reprise par Barre ni par l'USC. L'insurrection des banlieues continue, sans qu'on sache s'il y a eu des sautes d'intensité, un point culminant, et quelle organisation ont adoptée ces déguenillés, maintenant apparemment tous armés.
Enfin, le 26 janvier, la villa Somalia est attaquée par la population insurgée, population sensiblement diminuée par la mort, la maladie, l'exode. Comme depuis le début, l'USC se tient dans le dos de cet assaut, prête à tirer. Barre dans une escorte blindée choisit enfin de se barrer. Les vainqueurs intensifient le pillage. Des pillards pillent des pillards. Des bandes s'organiseraient. Pendant au moins quatre jours encore, jusqu'au 30, des comptes se règlent. Que fait l'USC ? Rien, elle se gratte le revers du veston d'un air dégagé, nomme un président intérimaire, sifflote, en appelle à la communauté internationale, rien d'immoral donc ; mais rien de très moral non plus, puisque l'« anarchie » ne cesse pas.
Au contraire, elle s'amplifie. Le 8 février, les mystérieuses et puissantes bandes de pillards « professionnels » (qu'est-ce que ça peut bien être qu'un pillard professionnel ?) attaquent la ville d'Afgooye, grenier de Mogadiscio, où une épidémie de choléra, signalée au début de l'insurrection, a disparu sans traces depuis. Afgooye est aux mains du MPS, jugé alors militairement plus fort que l'USC. La débandade de ce MPS va entraîner les pillards jusqu'à faire le siège de Kismaayo, qui est tout de même à quatre cents kilomètres de Mogadiscio, entraînant un nouvel exode massif vers le Kenya. Sans doute les pilleurs professionnels ont dû mettre à la disposition de leurs bandes quelques véhicules rapides, puisqu'ils arrivent devant cette ville du sud le 10. L'USC les suit, apparemment à portée de fusil dans le dos.
Ensuite, l'information quitte la Somalie pour de bon. De sorte qu'au-delà de ce qu'on peut deviner dans les déclarations et supplications des guérillas, il est impossible de savoir ce que font les insurgés de la bataille de Mogadiscio. Même Siyad Barre, qui n'a pas fui en exil, qui n'est pas arrêté, qui n'est pas tué, a pu disparaître de la visibilité, en Somalie, prétendument avec 2 000 hommes armés, dont on ne sait pas ce qu'ils font, ni même comment ils mangent ou satisfont leurs besoins sexuels, le premier problème devant pourtant, semble-t-il, alarmer les économistes, le second les organisations humanitaires, dont l'humanité se fait économique face à la famine record qui est attendue pour l'été.
Non, l'insurrection de Mogadiscio n'a pas surpris le public occidental. Il est vrai que si le journaliste de la télévision sortait du poste directement dans le salon des honorables membres de ce public, leur flanquait recta trois baffes dans la gueule et un objet pointu dans le cul, puis retournait de l'autre côté de l'écran, ce public ne serait probablement pas non plus surpris par cette nouvelle émission vérité, tant son hébétude est, elle, surprenante. Aucune télévision n'a émis de Mogadiscio, la presse était en Irak et autour. L'information qui paraissait avoir décuplé sa puissance n'est qu'une couverture : si l'on tire tout sur un pied, l'autre n'est pas couvert. Et puis, expliquent doctement quelques spécialistes de la région, si l'on ne s'occupe plus tant de la Corne de l'Afrique, c'est parce que la famine dégoûte et lasse (hélas, là il ne s'agit pas de la famine), et parce que ces dictatures africaines, qui étaient des Etats stratégiques, ne le sont plus depuis la chute du Mur (mais on peut aussi bien affirmer l'inverse : depuis la chute du Mur, ces Etats sont devenus « stratégiques ». Ne sont-ils pas des théâtres d'opérations idéaux pour des guerres d'Irak ?)
L'occultation de l'insurrection de Mogadiscio a été une grande surprise pour la Bibliothèque des Emeutes. Depuis la Birmanie, il semblait que le parti de l'information avait appris (à travers la Chine, la Roumanie, l'Azerbaïdjan, Ayodhya et surtout l'Intifada) à induire l'importance d'une révolte en rapport du nombre de morts sur la distance à son public. Or, d'après cette formule, Mogadiscio est tellement loin, que c'est au plus près sur la face cachée de la lune. A Mogadiscio, le 4 janvier 1991, donc au sixième jour d'insurrection, un bilan provisoire non contredit faisait état de 2 000 morts, soit autant qu'en Chine et en Roumanie (chiffres presse occidentale) réunies. Le 1er février, premier jour dont on peut supposer que l'insurrection a cessé, quoique ce ne soit pas sûr, un autre bilan, non moins péremptoire, va jusqu'à 5 000 morts. 5 000 morts, c'est peu pour une guerre civile en Afrique. Vous savez, en Afrique on s'entre-tue plus facilement, la vie vaut moins, les gens n'en sont pas encore où nous sommes. Mais là, quoique les rares informations disponibles essaient de la présenter comme telle, l'insurrection de Mogadiscio n'a pas été une guerre civile entre deux partis d'Etat, armés par d'autres Etats, pour laquelle 5 000 morts c'est peu. L'insurrection de Mogadiscio a débordé deux partis d'Etat armés, a chassé celui qui détenait l'Etat depuis vingt-deux ans, et a rendu très discret l'autre. Elle a pris une capitale, dont Etat, marchandise, information ont fui. Il s'agit d'une révolte de banlieue, d'un Brixton, Kreuzberg, Vaulx-en-Velin, puissance cinq mille. Pendant trente jours, sans aide extérieure, sans qu'elle soit connue, une révolte sans nom ni écho a eu lieu contre ce monde. Et là, 5 000 morts, c'est énorme.
L'occultation de l'insurrection de Mogadiscio ne porte pas tant sur ce bilan. Elle porte sur l'événement même. Ceux qui ont l'idée de ce qu'est tenir un quartier d'une ville plus de vingt-quatre heures, contre toute police, essaieront d'imaginer ce que peut être de tenir presque toute une ville, capitale d'Etat, qui compterait entre 600 000 et 2,5 millions d'habitants, insurgée, pendant trente jours. Cela nécessite un débat minimum sur l'organisation. Cela implique un débat minimum sur les perspectives d'une telle insurrection. Cela suppose la fin de nombreuses règles, lois et coutumes ; des moments d'explosions passionnelles diverses, joie, humour, plaisir dont la plate fébrilité de CNN au même moment sur un autre théâtre est une lointaine parodie, comme un ricanement d'asthmatique à un éclat de rire rabelaisien. Et, la situation de Mogadiscio est le seul terrain où poussent les idées neuves. Peut-être n'y en a-t-il pas eu. Mais à ce moment-là il n'y en avait sûrement nulle part ailleurs.
Le silence grandissant depuis, la répression qu'il permet dans l'armement de l'USC et dans la sécession du Somaliland, est le début de ce qu'achèvera peut-être la famine cet été, la suppression de tous ceux qui auraient permis la contagion d'un tel mouvement. Cependant, la révolution iranienne l'a révélé, un mouvement de la conscience humaine se transmet par l'esprit et non pas par la conscience, c'est-à-dire par la pensée véhiculée par les choses, et non pas nécessairement par des individus humains qui l'expriment. Il resterait à mesurer combien le fait que cette insurrection ait été tue l'a tuée. Déjà aujourd'hui, cet événement si proche nous paraît sans trace ni conséquence, un effet de l'imagination. Et peut-être l'insurrection de Mogadiscio n'a rien été ; mais probablement pas.
(Extrait du bulletin n° 3 de la Bibliothèque des Emeutes, texte de 1991.)
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