1. La seule question téléologique que nous ayons posée à des assembléistes en Argentine était : en partant du principe que votre assemblée ne sera pas éternelle, et en supposant que son entreprise réussisse, quelles conditions faudrait-il pour que votre assemblée cesse parce qu'elle aurait atteint son but ? Dans quelles circonstances, dans quelles situations intérieure et extérieure à l'assemblée pourriez-vous décider de ne plus aller à l'assemblée, parce qu'elle sera dépassée ?
Il va de soi que cette question, formulée d'ailleurs avec moins d'aisance et de précision, n'a pas reçu de réponse, en partie parce qu'elle n'a pas été comprise, en partie parce que, même quand elle est comprise, il est difficile d'imaginer une réponse.
Le but de cette question, bien entendu, était de comprendre et de définir quels étaient les buts des assembléistes, à travers les buts qu'ils prêtaient eux-mêmes aux assemblées. Cette incapacité de donner un but à son propre projet, de considérer par conséquent ce projet à travers son terme, a déjà pesé cruellement sur le mouvement des assemblées en Argentine comme en témoigne la pitoyable Interbarrial qui est censée être leur coordination et qui est une véritable institution de l'absence de but. Nous connaissons trop bien, depuis la fin du projet communiste et depuis la révolution en Iran, combien de défaites a coûté cette incapacité de ceux qui font l'histoire à se donner un projet historique, et combien cette incapacité est entretenue par les ennemis de ceux qui font l'histoire ; le projet communiste lui-même ne résiste pas, du reste, à la même question téléologique, comme il est facile de le vérifier : soit le communisme est un infini, soit c'est lui aussi un projet destiné à être dépassé, et alors c'est seulement ce dépassement qui est intéressant, et non pas le communisme, qui en devient une période intermédiaire purement arbitraire.
2. Ce qui rend détestable le donneur de leçons c'est qu'il exige des autres ce qu'il n'exige pas de lui-même. Evidemment, il n'est pas difficile de remarquer que les téléologues, qui posent aux assembléistes argentins la question sur le but et par conséquent la méthode pour y parvenir, n'en ont jamais fait de même pour leur propre organisation, l'observatoire de téléologie ; et il faut considérer que l'excuse justifiée comme quoi l'OT est beaucoup moins important que les assemblées en Argentine est une bien faible échappatoire.
Il convient donc de poser la même question qu'aux assembléistes argentins à l'observatoire de téléologie : en partant du principe que l'OT n'est pas éternel, et en supposant que son entreprise réussisse, quelles conditions faudrait-il pour que l'observatoire de téléologie cesse parce qu'il aurait atteint son but ? Dans quelles circonstances, dans quelles situations intérieure et extérieure à l'OT pourriez-vous décider de quitter l'OT, vous les téléologues, parce qu'il sera dépassé ?
3. L'observation, en particulier l'observation des faits dans le monde (c'est-à-dire du négatif dans le monde), est l'activité fondamentale de l'observatoire de téléologie pour trois raisons : la première est que le mouvement dans lequel l'observatoire de téléologie pourrait se dissoudre n'a pas encore de forme, et sa forme n'est pas nécessairement parmi celles que lui donne l'imagination ; l'observation a donc pour objet d'identifier cette forme avec le projet de téléologie.
La deuxième est que l'énoncé des buts du négatif dans le monde, qui découle de cette observation, est la formulation des buts de la téléologie.
La troisième est que cette observation des faits et de leur sens contribue justement à former ce projet, à donner non seulement une formulation, mais une forme à ce projet, à proposer non seulement un projet mais les conditions de ce projet. L'observation n'est donc elle-même qu'une forme de médiation du but, mais qui agit sur le but lui-même, notamment dans ses formulation et forme.
4. Méthodologiquement, la téléologie fait commencer par la question du but, qui permet de comprendre les conditions, et non l'inverse, comme dans l'empirisme vulgaire, qui régit toute Weltanschauung, de la dialectique au matérialisme ; et par là, la téléologie moderne rejoint la téléologie classique, un peu comme le voyou lettré à la Debord paraissait rejoindre l'aristocrate dans l'âme à la Retz. Mais c'est presque une coïncidence, tant la détermination des conditions par le but est de l'ordre du préjugé dans la téléologie classique, alors qu'elle est de l'ordre du principe dans la téléologie moderne. La différence entre préjugé et principe, ici, est que le second, au contraire du premier, est soumis à la vérification, reste par conséquent en cause.
Il n'est jamais redondant de répéter les buts de la téléologie moderne, surtout si c'est en les reformulant légèrement (en particulier s'ils n'ont pas même été formulés au paragraphe précédent). Il y a d'abord, pour la portée et la perspective, tout finir, c'est-à-dire tout accomplir, c'est-à-dire agir de sorte à tout vérifier pratiquement, au-delà de tout constat. Ce but-là, qui est l'approfondissement de « tout a une fin », le début de la révélation de son contenu, fait immédiatement remarquer deux choses : une identité du but et du début qui coïncident dans la formulation, et le fait qu'il s'agit là du projet positif dans lequel il faut projeter, ici et maintenant, l'aboutissement du négatif.
Ce premier but de la téléologie déterminé, c'est l'approfondissement de son contenu dont il s'agit maintenant, dans un second but, qui procède du premier. Il s'agit d'abord de déterminer les modalités, les conditions de cette vérification ; or, la première condition de la vérification, c'est le sujet, celui qui vérifie, qu'il faut, dans un premier temps, constituer. On s'apercevra, à ce sujet justement, qu'il est tout à fait impossible de dire ici et maintenant si ce sujet pourra être formé avant la vérification qui est son but, où si la formation de ce sujet est identiquement la vérification de ce but. Pour en savoir autant, nous sommes un peu trop loin de l'objectif.
Ce sujet cependant – que par commodité nous appelons l'assemblée générale des humains, ou le débat de l'humanité sur elle-même, et même, parfois, la révolution – n'est évidemment pas identique avec l'observatoire de téléologie. L'observatoire de téléologie, comme il est facile de le vérifier, n'est ni révolution, ni débat de l'humanité sur elle-même, ni assemblée générale des humains ; ni, pour continuer les fondations du projet, vérité de l'aliénation, inutilité de la notion même de pensée dans un monde où tout est pensée, réalisation du genre, maîtrise de l'histoire. Il faut par contre signaler que, si les conditions de création du sujet qui a pour but le projet téléologique sont réunies, un observatoire de téléologie devient parfaitement superflu et sera dissout dans ce sujet.
5. Le but de l'observatoire de téléologie est bien plus modeste que d'être le sujet de cette histoire. Ce but, en effet, est, par l'observation du négatif dans le monde, de formuler le but de la téléologie moderne, et ceux qui en découlent, c'est-à-dire de leur donner du possible, mais non pas leur réalité, parce que cette réalisation appartient au sujet décrit. Donner le sens (étant entendu que seul ce qui a du but a du sens), formuler et reformuler le but, voilà le but de l'observatoire de téléologie.
L'observatoire de téléologie a formulé et reformule actuellement ce but et son sens. Mais pour que la formulation des buts et du sens de la téléologie soient ceux de l'observatoire de téléologie, il faut plusieurs conditions qui ne sont pas encore atteintes. Il faut d'abord que cette formulation soit comprise. Il semble, pour l'instant, que les formulations utilisées ne permettent pas encore cette compréhension, vu l'allégresse du faux-sens et l'orgie de contresens face à ce qu'on pourrait appeler la téléoformulation. Il faut d'autre part un organisme capable de préparer l'assemblée générale des humains – ou de préparer un organisme capable de préparer cet organisme, mieux en tout cas que l'actuel observatoire de téléologie, si évidemment empêtré dans ses dangereuses médiations de fond.
Voilà donc deux conditions qui n'ont pas encore été créées bien que des plans et des expériences commencent à aller dans ce sens. D'une part la formulation du but n'est pas encore suffisante pour devenir un moyen de sa réalisation, et d'autre part ceux qui s'en serviront comme moyen n'y sont pas encore préparés.
Mais le fait même que ce dépassement ait désormais des contours laisse à penser que le monde va également vers ce but.
(Texte de 2002.)
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