Ce n’est pas pour des femmes, des filles ou des sœurs que ce livre a été écrit ; non plus que pour les femmes, les filles ou les sœurs de nos voisins. Nous laissons cette fonction à ceux qui ont intérêt à ménager leur monde et à confondre les bons sentiments avec la critique.
Nous savons que quiconque, à la fois intransigeant et passionné, ne badine pas avec la vérité s’expose au ressentiment des multitudes soumises. Mais aucun respect humain immérité, aucune indulgence inutile, aucune fausse pudeur, aucune coalition, aucun suffrage ne nous contraindront a parler le patois incomparable de ce siècle, ni a confondre la critique avec le racolage.
Des salopes illustres, des mythomanes arrivistes, des Baynac, des Hallier, des Guégan et autres carriéristes se sont partagé depuis mai 1968, les provinces les plus fleuries du domaine révolutionnariste. Il nous a paru plaisant, et d’autant plus agréable que la tâche était facile, de confondre cette canaille avec ce qui leur ressemble et qu’ils soutiennent. Ce livre pertinent, d’une implacable impartialité et d’une impitoyable intransigeance, n’a pas été fait dans un autre but que d’exercer notre goût passionné pour le renservement de tout obstacle et de nous divertir.
Quelques timorés nous ont dit, à propos de « La Pouffiasserie à visage humain » (paru le 12 décembre 1977) que ce texte pouvait causer du tort. Nous ne nous en sommes pas réjouies. D’autres, plus téméraires, qu’il était quelque peu falot ; et cela ne nous a pas affligées. La timidité des uns et la témérité des autres, sans pour autant nous étonner, n’ont servi qu’à nous prouver une fois de plus que tous ces gens ont désappris ou n’ont jamais su les quelques notions élémentaires relatives à la critique : la rigueur et la vérité.
Depuis les secours que quelques cuisses célèbres ont apportés à la sottise contemporaine et à son maintien par le renforcement des divers appareils de contrôle social, nous avons pu voir encore récemment notre parti marcher avec une surprenante vélocité dans la voie de la subversion.
Outre son ignominie, ce monde a acquis une épaisseur de vulgarité qui donne au mépris de l’individu le plus désabusé la violence d’une passion. Mais il est encore des carapaces heureuses que seuls la corde, le poignard et le vitriol sauront entamer.
Nous avions primitivement l’intention de répondre à quelques critiques et, en même temps, d’expliquer quelques questions très simples, totalement obscurcies par la tempérance ou le chiche rechignement de nos interlocuteurs : par exemple au sujet du viol qui serait une réponse en terme de pouvoir, au pouvoir que s’arrogent les femmes sur les hommes au moyen de leur croupe et de leur jeu aguichant ; sur le choix des moyens, dans la façon de maltraiter les féministes ; garder sa bite et ses capacités pour les plaisirs à partager et pour les soins attentifs de la vénérologie ; de l’adaptation du style au sujet, etc. ; mais depuis, nous avons eu l’imprudence de lire quelques déjections de filles publiques ; soudain, une salubre indolence, du poids de vingt atmosphères, s’est abattue sur nous, et nous nous sommes arrêtées devant la salutaire inutilité d’expliquer quoi que ce soit à qui que ce soit. Ceux qui savent nous devinent, et pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent nous comprendre, nous amoncellerions sans fruit les explications.
Les affranchies du vieux monde,
le 24 juillet 1978
La femme, esclave vile, orgueilleuse et stupide,
Sans rire s’adorant et s’aimant sans dégoût ;
L’homme, tyran goulu, paillard, dur et cupide
Esclave de l’esclave et ruisseau dans l’égoût ;
Le bourreau qui jouit, le martyr qui sanglote ;
La fête qu’assaisonne et parfume le sang ;
Le poison du pouvoir énervant le despote,
Et le peuple amoureux du fouet abrutissant
Beaudelaire
Le carnage cesse et fait place à des scènes d’un autre genre. Partout on voit les vainqueurs dans les bras des vaincues. Carmélites, sœurs grises, vieilles nonnettes éprouvent les transports de mes grenadiers. La plupart s’écriaient dit-on : « Oh ! si nous avions su que ce n’était que cela, nous n’aurions pas eu si peur. »
Le Maréchal Bugeaud à sa sœur
... je songeais à cette vieille princesse qui, pendant le pillage de sa ville prise d’assaut, courait par les rues en criant : « Où est-ce qu’on viole ? »
G. Darien
« L'Homme peut et doit créer son propre univers »
Mussolini
Arbeit macht frei.
Simone de Beauvoir
Le Monde du 11.1.78
La lune blanche luit sur les toits, aboyons mes sœurs ! Qu'une caravane passe. Prenons nos lanternes et nos troufignons, et froufroutons dans la ville hostile ; dénonçons la violence que nous fait ce monde masculin. Nous sommes un autre pouvoir. Nous sommes le nouveau pouvoir qui monte, qui monte, qui monte. Nous te libèrerons, ô ville, nous te libèrerons, ô mâle enchaîné par l'exploitation que tu nous fait subir.
Les mamas italiennes
Le Nouvel Observateur
(C'est nous qui soulignons)
Dans la mesure où le spécialiste participe à l'élaboration des instruments qui conditionnent le monde, il amorce la révolte des privilégiés. Jusqu'à présent, pareille révolte s'est appelée fascisme. Le fascisme fut essentiellement une révolte d'opéra où les acteurs longtemps tenus à l'écart (confinés dans les seconds rôles) ou s'estimant de moins en moins libres, revendiquent les premiers rôles. Cliniquement parlant, le fascisme fut l'hystérie du monde spectaculaire poussée à son paroxysme. C'est dans ce paroxysme que le spectacle assure momentanément son unité, tout en dévoilant par la même occasion son inhumanité radicale. A travers le fascisme et le stalinisme, qui constituaient ses crises romantiques, le spectacle révèle sa vraie nature décomposée et sa mise en scène.
Selon les féministes, la femme peut et doit créer son propre univers. Mais en prônant la promotion des qualités évanescentes de la féminitude dans l'univers de la marchandise, les féministes n'aboutissent qu'à une exaltation hystérique de la volonté de survivre, qui se traduit, parmi les plus délirantes, par le déchaînement de la haine revencharde allant jusqu'à se livrer à des rêves de sexocides (voir p. 46). Certaines, avec la moucharde F. d'Eaubonne, songent même à sélectionner et fabriquer des hommes-femelles de qualité en série, à partir de théories biologico-sexistes, au moyen de la science. Leur feinte prétention incohérente de réaliser l'histoire dans le cadre d'une société anti-historique par excellence s'affirme dans la mise en scène d'Amazones plus proches de quelconques putains acariatres ou de matrones poissardes que des pétroleuses.
Cela dit, les féministes n'auront bien entendu pas tort de se défendre contre le qualificatif de fasciste que quelques arriérés pourront leur appliquer. Elles ne sont effectivement pas plus fascistes que le léninisme d'une rabatteuse trotskyste n'a de réalité. Le spectacle a réalisé ce dont le fascisme était le primitivisme.
Par ailleurs, là où la guerre sociale est déclarée, les féministes ménagent leur monde pour ne choquer personne. Mais la révolution n'a jamais choqué que ses ennemis. Si les féministes veulent une révolution sympathique à « l'opinion publique », c'est pour s'en faire reconnaître, alors que le prolétariat ne cherche pas sa reconnaissance en dehors de lui-même. Les féministes veulent montrer « leurs responsabilités politiques », c'est-à-dire leur capacité à exercer un pouvoir. Leur perspective est la conquête du pouvoir à tous les niveaux. Mais comme la révolution moderne combat tous les pouvoirs, les féministes feignent de concevoir un pouvoir qui n'en serait pas un.
L'idéologie féministe comme toute idéologie, n'envisage pas les problèmes sur le terrain historique, le seul où ils peuvent être résolus. Elle est nécessairement réformiste. Cette idéologie est portée par des gens qui ne se donnent aucune pratique historique et restent soumis au mode d'existence dominant. Les féministes sont moins déterminées par leur origine sociale (avec laquelle on peut toujours rompre) que par ce qu'elles font. Leur devenir est la vérité de leur être. Elles reçoivent leur mandat non pas de la haine que leur vouent les forces du vieux monde, mais de leur reconnaissance par les classes dominantes et leurs médias pour le rôle équivoque et humiliant qu'elles acceptent de jouer. A travers les cris de contestations, les classes dominantes savent reconnaître tout de suite ceux et celles qui ne demandent qu'un emploi. Aussi reprocher aux féministes de ne pas être assez révolutionnaires c'est leur attribuer des intentions qu'elles n'ont pas, puisqu'elles sont réellement contre-révolutionnaires. Ces dernières années, le féminisme comme le gauchisme a été le pire ennemi du prolétariat en soutenant une critique idéologique du monde. Et tout ce qui soutient une telle critique se rattache finalement à la contre-révolution. L'extrémisme affiché spectaculairement n'est que le moyen de se conquérir en public.
Juillet 1978
Si le viol, le poison, le poignard, l'incendie
N'ont pas encore brodé de leurs plaisants dessins
Le canevas banal de nos piteux destins
C'est que notre âme, hélas ! n'est pas assez hardie.
Baudelaire
Tout homme qui en viole un autre, femelle ou pas, sa comptable, sa sœur, son hôte, le Grec Niko Polantza (chez Annie Leclerc 16, rue Boitton, Paris 13e), Jean-Louis Bory, Françoise d'Eaubonne, abaisse l'espèce entière, là où elle se trouve déjà. Il rend le cynisme des rôles plus cynique encore. Il contraint l'homme, celui d'aujourd'hui, qu'il avilit en faveur de celui de demain dont il annonce l'avènement.
Le viol comme moment de la misère humaine, est le moment critique de cette misère. Il est la critique de cette misère momentanée. Il est la contradiction en acte qui contient en elle-même sa propre résolution. Il est le crime contre les œuvres et les rapports marchands auxquels il n'échappe pas mais dans lesquels il refuse de se reconnaître, contre ce monde qui le nie, niant avec lui tous ceux qui s'en accommodent ou s'y trouvent bien.
De la même façon que dans le viol, l'homme favorise la destruction de ce monde dans le meurtre, l'assassinat ou la guerre sociale. Il élève donc, en définitive, l'espèce vers une « humanité bavarde, ivre de son génie » (Baudelaire), dont il porte fièrement l'image en soi.
Mars 1978
... la haine est vouée à ce sort implacable
De ne pouvoir jamais s'endormir sous la table.
Baudelaire
Autant dire d’un voleur qui arrache la bourse d’un homme dans un bois parce qu'il se trouve plus fort que lui, lui doit quelque reconnaissance du tort qu'il vient de lui faire, il en est de même de l'outrage fait à une femme ; ce peut être un titre pour lui en faire un second, mais jamais une raison pour lui accorder des dédommagements.
Sade
Le viol existe juridiquement comme un crime. Il n'existe pas autrement, sinon comme une contrainte parmi d'autres et qui se règle au gré des rencontres. Gonflé publicitairement, cette contrainte est présentée comme un crime plus abominable que les autres ; il est un outrage commis à l'égard de la « féminité ».
Par la promotion et l'entretien de cette escroquerie que sont la féminité et le mystère féminin, les maquerelles féministes escomptent faire admettre par la majorité des femmes qu'elles prétendent représenter, un droit particulier à revendiquer. Ce droit particulier à revendiquer est ce qui est déjà là, réalisé : la reconnaissance de la femme comme marchandise-libérée, avec toutes les simagrées qui la mettent en scène, à l'aide des diverses identités-mirages qui lui tiennent lieu de caprices, les caprices lui tenant lieu à leur tour de souveraineté.
Alors que tous les individus sont indifféremment et foncièrement séparés d'eux-mêmes et des autres et démunis de tout pouvoir sur leur vie par les conditions qui leur sont faites [1], les féministes prétendent par ce droit à la reconnaissance de ce qu'elles sont, défendre des intérêts imaginaires, invoquant en une feinte nostalgie, le croupissement domestique d'un matriarcat.
Ces prétendus intérêts imaginaires consistent en la reconnaissance mutuelle de la moitié des humains entre eux, les hommes sans couille, dans la formation d'une communauté illusoire d'éternelles brimées, se rassemblant à travers des ressemblances formelles (nichons, rien, vergetures, cellulite, dépressions nerveuses, frisettes) et s'opposant essentiellement pour s'en différencier formellement (et vice versa), à l'autre moitié des humains ; des goujats avec couilles, pas de nichon, verge et c'est tout.
Cette différence à la fois essentielle et formelle qu'elles opposent, voudrait empêcher l'union dans laquelle se différencient singulièrement les individus entre eux. Pour les féministes, il s'agit toujours d'affirmer la différence aux dépens du différencié.
Cette communauté évanescente que constitue la femellitude et à travers laquelle l'homme à nichons fonde son droit à la différence, est affichée par tous les volontaires au ramassage des miettes de pouvoir en décomposition, tandis que celui-ci continue de se gérer et de simuler sa régénération permanente à travers la rénovation idéologique de ses boutiques et le changement de son personnel intérimaire. Ces mange-miettes de tout pouvoir voudraient faire diversion en transférant la lutte de classe sur une chimérique lutte des sexes, espérant par là faire croire aux ouvrières que celles-ci sont niées en tant que femme avant de l'être comme individu. Elles feront croire cela à une étudiante [2] ou à une tapineuse pour laquelle son con est une tirelire, mais pas aux ouvrières qui n'ont pas d'intérêts distincts de ceux de la classe ouvrière tout entière, lesquels consistent à en finir avec le prolétariat et à commencer par pratiquer l'humanité.
Dans son culte du travail, la féministe ignore que l'ouvrière est d'abord un individu aliéné et qu'elle ne peut rien critiquer sans commencer par combattre sa propre aliénation totalement ; cela parce que la féministe elle-même, bien loin de vouloir combattre sa misère, aspire au contraire à la gérer.
Si dans l'ordre spectaculaire, le viol tient à la fois du sacrilège et de la muflerie, il serait cependant un délit très ordinairement placé entre la conduite en état d'ivresse et la prise d'otages, s'il n'était considéré que comme un crime perpétré contre l'humanité. Mais étant le plus fréquemment commis à l'égard du mystère féminin incarné dans la moitié innocente de l'humanité, il passe à la fois pour aussi scandaleux qu'une profanation de sépulture et pour aussi grossier qu'une goujaterie ; celle qui consiste à faire descendre à coup de bite ou à coup de pompe dans le cul la féminité de son escabeau publicitaire. Il est ainsi tenu pêle-mêle pour odieux, navrant, honteux, pas sympa, minable, impuissant, ignoble, éjacule-petit, veule et lâche ; toute une terminologie routinière qui font les papiers et le gagne-pain de la valetaille journalistique, indignée quotidiennement dans Libération ou ailleurs et que n'ignorent pas non plus, à l'occasion, les morpions de la critique rechignante ou tempérante. Bref ! c'est un crime qui ne sait pas se contenir, c'est une inconvenance et il ne comporte pas de risque. Tant mieux ! Il en comportera encore moins lorsque l'on violera dans le dos sur l'air de :
« Ni vu
Ni connu
Tu fus vu nu
Tu l'eus dans l'cul
Tu fus foutu ! »
Le viol, c'est ce qui est passé ; ce qui est défini après coup. Reconnu juridiquement comme un crime, il est un produit de la diffamation et de la calomnie. Au présent, il est ce que Jarry dit de l'amour : « un acte sans importance que l'on peut faire indéfiniment ».
Le seul risque toutefois que le violeur encourt, c'est la désapprobation générale dont il n'a rien à cirer, qui va de l'appel au lynchage aux circonstances atténuantes en passant par des peines symboliques et dont tous les morpions des divers états-majors, curés, flics, militants et assistantes de guerre sociale se font l'écho avec cette traînée gauchiste, ultra et néo-gauchistes, cette saleté écologiste, les fémino-situs, maquerelles féministes, pouffiasses de tout acabit, de tous les bordels et de tous les trottoirs intellectuels ou non, ou bien encore les chevaliers trumeaux et les chevaliers serviles de la féminité spoliée. Parmi cette faune de traînards, de valeureux guerriers sociaux et d'autres experts en observation sociologique, se penchent avidement sur le phénomène, afin de répartir équitablement les torts. Contents de leur trouvaille, celle qui consiste à coller stupidement une cause à un effet dont ils ne savent que faire, empotés qu'ils sont dans leur constatation, ils babillent en quarante pages sur le viol pour ne rien en dire, sinon et bien malgré eux, qu'une bite décharge plus vite qu'un stylo. C'est en rougissant qu'on lira cette banalité qui est à la fois une erreur et qui dit que les violeurs sont d'abord des victimes de la société au même titre que les alcooliques, les drogués, les draguées, les syphillitiques, les suicidés, les faiseurs de dissertations demi critiques et autres mongoliens.
Le plus court chemin pour parvenir à la définition d'une victime, c'est de la déterminer comme elle se présente à elle-même et aux autres. La victime est victime de sa faiblesse, et celle qui l'admet comme la violée, ne mérite que les coups : comme les carpettes.
Finissons-en en passant avec tout cet éducationisme et autre enracinement psycho-sociologique qui, selon la féministe Annie Lebrun, serait responsable de l'effondrement psychologique de ces croupières qui après s'être fait ramoner le fion, seraient trop honteuses pour aller moucharder le fauteur de trouble. D'abord nous nous foutons autant de savoir si oui ou non la malédiction chrétienne sur la chair est responsable de leur honte particulière, que de savoir ce qu'était la chair à l'origine, avant que le christianisme y jette sa malédiction [3]. A présent elle est de la chair à principes, de la chair à vendre, de la chair à produire, de la chair appatée, de la chair à farcir, de la chair immédiate, de l'être-tas. Elle est une marchandise et rien d'autre. Jusqu'à nouvel ordre. Pour le reste, depuis que le monde existe, tout est à inventer.
Enfin, on tiendra rigueur à quiconque en passe par la police et la justice pour assurer la protection de sa misérable existence ; que la victime soit féministe, féminine ou manchot.
Le propre de la pensée anti-historique est à chaque fois de réinterpréter l'histoire en fonction de son dernier résultat. Elle ignore que l'histoire n'a pas d'autre but que ce qu'elle réalise sur elle-même. L'importance prise par la psychologie, la psychanalyse et les grotesques sciences humaines, n'exprime rien d'autre. Ces « sciences » ne sont que la domination du passé par le présent. Elles sont la science du spectacle, comme l'économie est la science de la marchandise globale. Comme toujours, il ne s'agit pas de rechercher les causes profondes, mais simplement de dire ce qui est : l'effet révèle la vraie cause.
Pour se connaître, la révolution doit rompre avec tout son passé ; c'est-à-dire le reconquérir dans la vérité de son présent où elle s'oublie parce qu'elle a tout devant elle, dans tout ce qu'elle fait.
La remontée du mouvement révolutionnaire a vu à la fois le retour des vieilles idéologies révolutionnaires et leur décomposition simultanée en de multiples images de la révolution, à travers le gauchisme et le féminisme.
Mars 1978
[1] Face à la menace de la révolution sociale où les individus commencent à se parler et à agir ensemble (ou seul pour leur propre compte), remettant en cause le désert et le silence organisés de l'actuelle société, le féminisme se présente comme une vaste mise en scène contre-révolutionnaire destinée à prévenir la critique de la marchandise et des rôles.
[2] Avec le militant, le cadre et le plouc, l'étudiante est par excellence l'être du retard. Elle s'identifie plus que tout autre au rôle éculé de la femme libre. Elle est la principale consommatrice de culture. Quand elle ne veut pas faire du théâtre - car l'étudiante croit encore à l'art et aime fréquenter les « milieux artistiques » –, l'intelligentsia est son meilleur espoir d'avenir. Bien qu'elle se veuille émancipée, elle attache plus d'importance à l'image de sa vie, à son standing, qu'à sa vie même. C'est parce qu'elle est soumise au paraître qu'elle parlera beaucoup de « vécu » et qu'elle affectera l'image de la sensualité et de la jouissance accomplie. Elle ne fait ainsi qu'exprimer ses ambitions. Elle rejoindra finalement les emplois de bureau ou les postes d'enseignement qui lui sont destinés. Bien que l'étudiante parle sur le mode de la fausse arrogance et abondamment de « libération du trou de pertes », elle croit au « petit couple » et à la relation pivotale (variante ludique de la lourde plaisanterie du chef de gare), nid de l'existence aliénée et à ce titre objet privilégié de la psychanalyse, de la sexologie et de la vénérologie qui ne veulent que gérer le malheur.
Comme on sait, la génitalité libérée n'est envisagée que comme un aspect qu'il faut prendre en charge pour assurer la sauvegarde des rapports sociaux où il n'y a évidemment pas de place pour l'amour qui implique l'estime de soi-même et la reconnaissance réciproque alors que le monde dominant de la génitalité libéré, c'est le cynisme et le libertinage fonctionnel ou blasé.
[3] De même que l'on le soucie aussi peu de ces rescapés d'eux-mêmes qui ne cessent de geindre et de se traîner de libération en libération, rejetant chrétiennement la malédiction sur le christianisme, péché et cause de leur impuissance à s'en défaire et de l'incapacité à critiquer ce monde.
Commencer en poète et finir en gynécologue ! De toutes les conditions, la moins enviable est celle d'amant.
Après les métaphores, la pharmacie. C'est ainsi que s'effritent les grands sentiments.
Depuis que Schopenhauer eut l’inspiration saugrenue d'introduire la sexualité en métaphysique, et Freud celle de supplanter la grivoiserie par une pseudo-science de nos troubles, il est de mise que le premier venu nous entretienne de la « signification » de ses exploits, de ses timidités et de ses réussites. Toutes les confidences débutent par là ; toutes les conversations y aboutissent. Bientôt nos relations avec les autres se réduiront à l'enregistrement de leurs orgasmes effectifs ou inventés... C'est le destin de notre race, dévastée par l'introspection et l'anémie, de se reproduire en parole, d'établir ses nuits et d'en grossir les défaillances et les triomphes.
Cioran
Vois-tu les amoureux sur leurs grabats prospères.
Baudelaire
10 ans de prison pour avoir aimé sa fille. La cour d'assise du Cher jugeait vendredi Lucien Gauriat, 40 ans, agent de fabrication, poursuivi pour attentat à la pudeur et pour le viol de sa fille âgée de 15 ans. Siégeant à huis-clos, la cour a rendu son verdict : 10 ans de réclusion criminelle.
Libération du 21 novembre 1977
20 ans de réclusion criminelle pour des viols répétés. Un éboueur de Caen (Calvados), Jean-Claude Amy, 32 ans, a été condamné, mardi 18 avril, à 20 ans de réclusion criminelle par la cour d'assise du Calvados, pour avoir violé régulièrement pendant 5 ans une jeune femme handicapée mentale.
Le Monde du 20 avril 1978
Les mouchardes féministes ne se trompent guère sur la réalité mensongère du viol considéré comme un crime. Elles ne sont d'ailleurs pas très loin d'obtenir de la justice (qui n'est pas plus dupe qu'elles mais qui voit l'occasion d'affermir un pouvoir qui s'étiole) que celle-ci fasse passer le matage, la drague ou la pénétration au rang de délit. Pour la pénétration c'est déjà fait.
Comme on sait, le viol est une réponse aux provocations féminines que constituent les minauderies et le strip-tease permanent dans lesquels s'offrent les femmes [1].
L'hypocrisie féministe qui feint de dénoncer partout le spectacle de la sexualité (à travers cette notion dérisoire de femme-objet) est celle qui concourt le plus à son achèvement ; comme ce troupeau autonome de croupières qui se nomme judicieusement LES ALLUMEUSES DE REVERBERES (on veut bien le croire !) et qui est allé endommager quelques bordels rivaux comme le torchon « Femme Magazine » et un anodin Sex-Shop (dans lequel l'on vend des photos d'anatomie mieux réalisées que celles que l'on trouve dans des cahiers féministes) dans le but de faire croire, à travers leur pétard symbolique, qu'il récuse un jeu qu'il mène ou laisse mener par ailleurs. Ces latrines prétendent que la pornographie existe sans elles, contre elles et ailleurs que chez elles ; dans des endroits où est écrit « Sex-Shop ». La pornographie est le spectacle de la sexualité qui s'affiche partout ; dans la publicité commerciale, dans la danse, la gymnastique, le yoga, le massage, la thérapie de croupe, l'expression corporelle ; dans les déjections féministes et les traités de savoir-foutre, de gynécologie, d'élevage ou de dressage de lardons et de gonococques, et qui trouve sa légitimation dans la psychanalyse et ses dérivés. La pornographie, c'est l'obsession sexuelle réalisée spectaculairement et privée de satisfaction ; privée d'humanité. La pornographie est là partout, lorsque l'on rentre dans n'importe quelle boutique, une pharmacie par exemple et qu'il s'y trouve une pharmacienne.
La sexualité séparée, privée d'humanité, la génitalité libérée donc, trouve son achèvement avec le concours de la pouffiasserie féministe, dans la psychanalyse. La déculpabilisation que dit apporter Freud [2] dans les relations génitales est en réalité la réduction de la culpabilité au cynisme entre l'homme et la femme. Autrefois, avant la psychanalyse, l'aventure galante avait un sens chargé de promesses. Elle se chantait sur l'air, « un jour mon prince viendra ». Aujourd'hui elle se fredonne dans l'ennui des salles d'attente et des carnets de rendez-vous, « un jour mon tour viendra ». La libération psychanalytique de la génitalité est son objectivation absolue. Toute complicité dans la violation de la loi morale est impossible quand la profanation est devenue le principe même de la morale décomposée.
Le viol est bien une façon anti-génitale de critiquer l'absence d'humanité réalisée dans la génitalité libérée. Contre la réification totale des principes antagonistes, contre la neutralisation du bien et du mal entièrement « rationalisés » et « humanisés » (ou « déshumanisés », c'est la même chose) et contre le moment de leur compromis spectaculaire, le viol réintroduit le libertinage (qui autrefois bafouait Dieu et la morale) en bafouant la marchandise et sa morale décomposée dans laquelle répression et défoulement se confondent dans l'inconscience et la froideur des rapports permissifs.
La psychanalyse est la méthode de légitimation de l'hypocrisie morale. Elle est la revendication cynique de la nécessité du malheur, de la misère et de l'avilissement de l'individu.
Tandis que l'homme achète son plaisir chez une putain, la femme va acheter de la considération chez une pute-psychanalyste. La malheureuse tente lamentablement de se retrouver à travers l'autre dans une parodie de communication et ne s'adresse en fait qu'à une poubelle à phantasmes et une tirelire à honoraires. Toutefois par ce semblant de dialogue que la psychanalyse met en scène, la malheureuse peut se donner l'illusion de surmonter sa misère, alors qu'elle ne fait qu'entériner le refoulement total de son humanité par le biais de la reconnaissance d'un hypothétique « moi-profond » qui compte pour de la merde. On est ce que l'on fait. Et cette limace ne fait rien sinon de se traîner de malheur en malheur, de phantasmes en phantasmes, de bites en bites et du plumard au divan.
Après être allé confesser ses phantasmes, parlé de son cul et payé ses honoraires, la femme-libre demande à l'amour et au connard qui se précipite, de lui prouver « qu'elle n'est pas ce que l'on pense, qu'elle n'est pas ce que l'on croit ». Elle exige pour que l'on accède à elle, que l'on paie d'abord en sottises contre-culturelles (par exemple, en commentaires sur le film pornographique récent « L'amour foutu » ou les œuvres complètes de Marguerite Dutas ou encore les pertes écologiques de la grosse d'Eaubonne) et ensuite en pacotille sentimentale. Elle demande des égards et veut être estimée et aimée en dépit de sa nullité. Elle défend que l'on parle à son cul bien que sa tête soit absente. Et c'est ainsi que l'esprit ne vient pas aux filles !
Contre le cynisme de la politesse, contre le civisme mensonger, contre les titillements chichis préliminaires et autres leçons de choses, contre cet odieux marchandage, le violeur va sans détour droit au but évitant de bailler tristement avant l'orgasme [3].
Croire comme certains qu'à travers toutes ces simagrées et tout ce marchandage, la connasse libérée contribue à renforcer « le sexuel »... (sic) comme séparé au lieu de le dissoudre dans les relations amoureuses, c'est vouloir faire oublier que sur les déserts de l'amour, la sexualité n'existe déjà que séparée ; ne serait-ce qu'à travers le phantasme où le désir nié est différé [4]. Quant à l'amour, c'est foutu ! S'il a pu survivre au romantisme, il n'a pas survécu au bidet. Et c'est très bien ainsi ! Le sentiment inexistant comme tel ne contribuera plus à illuminer la grisaille de la survie. L'amour irréaliste, mais aussi la tapinerie ont définitivement perdu le reste de leur poésie mitée. L'amour est à inventer. Hors de la critique sociale, il n'y a pas d'amour heureux [5].
Les sentimentaux sont les hobereaux de l'amour. Ils continuent à sonner du cor même quand ils n'ont plus la chasse.
Jacques Dyssord
[1] La séduction féminine vise tous azimuts et ne se sent responsable que de ce qui lui agrée. Le violeur apparaît après coup comme la mauvaise surprise dans une bite tant attendue. Ce n'est pas la bite phantasmée ; ce n'est pas la bite à phantasmes.
[2] Freud, le célèbre inventeur du phallus et de ses divers accessoires et trompe-l’œil symbolique (Tour Eiffel, cravates, Sacré-Cœur, biberons, etc.), inventa aussi le lapsus, la contrepèterie et le calembour révélateur ainsi que l'inconscient fourre-tout. Il accoucha enfin d'un rejeton, W. Reich qui prétendit améliorer le travail et la liberté en préconisant la création d'usines-boxons dans lesquelles les laborieux camarades amoureux s'épanouissent à travers la dissolution harmonieuse de leur mauvais caractère. Reich est aussi (avec Engels) le père du féminisme.
[3] C'est ainsi que récemment une bande de 50 jeunes gens inaugure un jeu nouveau : le « jeu du viol et du hasard », jeu qui réfute magistralement la thèse du sondeur américain Kinsey selon laquelle la durée moyenne du coït aux USA est de 2 mn. A l'encontre de ces « peines à jouir » recensés par Kinsey, ces voyoux ouvrirent un concours du tireur le plus rapide. C'est ainsi qu'une fillette, une orpheline âgée de 15 ans à peine, vierge encore et qui le resta, fut sodomisée par ces 50 vandales dont un parmi eux, le gagnant surnommé « Tire plus vite qu'il dégaine » remporta le scalp de l'innocente victime.
[4] C'est ainsi que le cocu du moment qui s'essouffle stupidement dans la poésie du plumard et des portes cochères, n'est là que pour évoquer d'autres légions de cocus possibles ou phantasmés : troupeaux de légionnaires, armées de canassons, rangées de réverbères, etc. Ce n'est jamais l'imbécile du moment qui est désiré, mais, à travers lui, d'autres, d'éventuels violeurs ou chimériques père-fouettards à neuf queues. Et c'est après être allée se rincer sur le bidet de l'oubli, que ces conasses vont exorciser leurs phantasmes de viol sur la place publique dans des appels au lynchage ou pour un renforcement dès appareils judiciaires et policiers. Et c'est aussi après avoir joué cyniquement l'affectivité avec l'abruti qui attend de la placer, que ces salopes vont la combattre ailleurs, à l'aide de la psychanalyse. Et lorsque celle-ci ne suffit pas, elles se déculpabilisent en envoyant aux assises le premier dragueur venu qui prit sa vessie pour un réverbère.
[5] Dans la grisaille de la survie quotidienne, « l'exaltation des sens », « le ravissement », « la motilité des affects », « l'abandon », bref ! l'orgasme enfin ! auxquels s'adonnent les équipes sexuelles et dans lesquelles les partenaires s'encouragent à se stimuler la glotte de plus en plus bruyamment, ne se distinguent plus guère des autres passes réalisées dans un match de foot-ball ou une course de taureaux, que par le contenu de leur interjection symbolique. Là où l'on crie en scandant « allez les gris ! » ou bien « Olé ! », ici l'on scande en criant « Siii !!... mets tout là, mets tout là, mets tout là ! ».
En attendant, Philéas endurait les malaises quotidiens, les chocs et les peines qui sont le lot de tout être charnel, terrestre ou non. Leur stockage ou leur libération occupait une grande partie de son temps. Il n'avait donc jamais pu résoudre le problème essentiel.
Philip José Farmer
Parce que nous n'en supportons plus l'aspect, nous supprimons les esclaves.
Nietzsche
Il ne s'agit pas tant de prendre pour cible les obstacles journaliers, ni les gens derrière leurs rôles, ni encore les rencontres plus ou moins malheureuses ; enfin toutes les abstractions [1] auxquelles nous nous heurtons, sous peine de croupir dans un réformisme de la survie quotidienne, mais bien de prendre concrètement pour cible le spectacle marchand, la racine de tous les malheurs et notamment celui qui consiste dans la guerre que tous mènent contre tous. Il s'agit donc moins de subir cette guerre que de la mener ou de la retourner contre tous ceux qui s'en accommodent et s'y installent à travers les divers rôles et les diverses identités qu'ils se donnent et qu'ils défendent à coup d'idéologie, tant dans le partage complaisant des malheurs et des torts que chacun se répartit dans un rafistolage psychanalytico-critique mené au jour le jour, que dans la fausse lucidité mensongère où chacun fait diversion sur le dernier mensonge à l'aide de cures auto-critiques.
La théorie révolutionnaire doit travailler perpétuellement à s'équiper. Il ne suffit pas de faire des analyses de tels ou tels événements, comportements ou circonstances. Il faut poursuivre cette tâche de dire les idées qui sont dans toutes les têtes, ces idées devenant elles-mêmes toujours plus agissantes. Aussi les auto-critiques ne suscitent aucunement les capacités critiques individuelles qui ne doivent porter que dans la critique de l'ordre présent. La théorie ne supporte pas le langage du manque, et on ne parle pas bien là où l'on est malheureux. Si l'on combat cette société c'est pour être mieux qu'elle.
Le malheur est contre-révolutionnaire. Les révolutionnaires ne se reconnaissent pas sur la base d'un mode de vie particulier (ce qui reproduit la simple affinité de goûts finalement ennuyeuse), mais sur la base de la mise en commun de la critique sans concession à tout ce qui existe. Et ce que les révolutionnaires peuvent avoir en commun, ce ne sont pas tant leur condition d'existence que la réponse radicale qu'ils sont amenés à leur opposer. C'est la seule base sur laquelle la confiance et donc la communication est possible. Ils se ressemblent lorsqu'ils se battent de manière concertée, sinon ils ne se ressemblent pas du tout.
L'aliénation des hommes a pour soutien celle des femmes et vice versa ; mais pas réciproquement. La désaliénation ne suit pas d'autre chemin que l'aliénation ; mais elle ne le suit pas par les moyens aliénés que sont l'idéologie féministe et toutes celles qui s'y apparentent de près comme de loin. On ne connaît réellement l'aliénation que lorsqu'on la combat. La seule expérience malheureuse de l'aliénation n'est pas utilisable. La critique des rôles ne se fait pas au départ des rôles, mais contre eux. Aussi n'y a-t-il pas de point de vue particulier que la femme aurait à revendiquer en tant que femme et que l'on devrait reconnaître. Il n'y a pas plus de points de vue typiquement féminin ou masculin qu'il n'y a un point de vue d'estropié. Il n'y a que des points de vue d'individus se reconnaissant selon le degré de lucidité critique atteint contre ce qui constitue leur survie et qui les sépare les uns des autres et d'eux-mêmes. Il n'y a aucune contrainte qui nous soit faite ; il n'y a aucun rôle qu'il nous soit tenu d'avoir dans ce monde qui doivent être revendiqués. Au contraire, ils se combattent tous dès à présent. Toutes les larves qui aspirent à une quelconque reconnaissance dans la gestion d'un malheur particulier, toute cette canaille qui feint de dénoncer un pouvoir là où il n'est pas (dans une bite, une inégalité de salaire et autres fausses discriminations-alibis), pour masquer celui bien réel du spectacle marchand, tous ceux et toutes celles des salopes qui exhibent leur misère escomptant se faire accorder des dédommagements dans le partage d'un débris de pouvoir, sont à traiter en ennemis. On les découragera à coups de tessons de bouteilles, au rasoir, ou on les étripera au sabre de bois : là où manque le tranchant, la haine y palliera. Et contre les Karatékas de la vieille truie Françoise d'Eaubonne, un flacon de vitriol lancé à travers la gueule en vient à bout. Le prolétariat doit prendre en charge toute la violence de la société afin de ne pas en être victime. Contre le terrorisme de femelle, contre tout terrorisme d'Etat et sa cohorte de ridicules kamikazes palestiniens ou allemands, le prolétariat se doit déjà d'introduire la criminalité dans le projet révolutionnaire. Il s'agit moins de constater que « tout peut arriver » que de faire que rien n'arrive sans lui et que tout découle de ses propres actes. Il est bien que le désordre soit partout car le désordre est d'abord l'affaiblissement de l'ennemi. Mais les révolutionnaires ne doivent pas en faire toute leur cause. Là comme ailleurs, on découvrira avec le temps que les plus modérés étaient les moins réalistes.
Mai 1978
[1] Une rencontre se fait entre personnes qui ont quelque chose à s'offrir, et ce qu'elles ont à s'offrir est tout simplement leur vie. Aussi ceux ou celles qui travaillent à autre chose qu'à rendre leur vie plus belle ont déjà démérité de tout. Ils ne peuvent certainement rien dire du combat contre l'aliénation. Il ne suffit pas de dénoncer abstraitement la misère, il faut encore savoir la reconnaître et la nommer quand elle est là. La formulation d'une critique ne reste pas en dehors de la stratégie. Une critique, pour être utilisable, doit être formulée dans les termes de l'opération.
Mon opinion est qu'il faut se prêter à autrui et ne se donner qu'à soi-même.
Montaigne
1. La propriété du corps.
Il n'y a pas de propriété du corps à la façon que l'on aurait de posséder un terrain ou un bidet. Il n'y a pas de propriété sur son propre corps au sens où un individu aurait un point de vue privilégié quelconque sur le corps qu'il possède et qu'un autre n'aurait pas.
2. Le corps pour soi et le corps pour autrui
Le corps n'existe que dans l'emploi que l'on en fait. C'est dans l'emploi de son corps que l'on s'approprie son corps. Le corps n'est pas là d'abord pour être employé ensuite, mais au contraire, c'est par son emploi et son appropriation qu'il paraît se trouver déjà là. Le corps et son appropriation consiste en son emploi permanent. Il n'est, il n'existe qu'employé. Il n'y a pas de différence entre l'appropriation de son corps, son emploi et ce à quoi on le destine. L'appropriation de son corps, sa destination passent par la destination, l'appropriation et l'emploi qu'un autre fait de son corps, et vice versa. C'est dans la rencontre de l'autre ou bien dans la lutte contre l'autre, que l'on s'approprie son corps : c'est ainsi qu'on le connaît et qu'on le mérite. Il n'y a pas plus droit de propriété sur son propre corps qu'il n'y a de droit de propriété exercé par un individu sur le corps d'un autre. Et c'est bien parce que toute possession d'un individu par un autre est impossible et chimérique, que tout est permis ; de rêver comme de s'approprier autrui ; ce qui ne peut se faire sans son consentement ; et y consentir, c'est déjà y échapper ; c'est reprendre l'initiative, c'est « posséder » le possesseur. Voilà ce qui fait les relations entre les individus. Et c'est dans ces relations que sont implicitement partagées les jouissances, les plaisirs et les coups et les paires de tartes ; mais aussi l'ennui, lorsque dans l'absence de rapport, les individus en présence sont ailleurs. Et bien souvent, lorsque les plaisirs ne sont pas partagés, les défaites des uns font les victoires des autres.
Bref ! Le corps n'existe qu'en relation à un autre. C'est là son seul mode d'existence, de connaissance, de reconnaissance et d'appropriation qui est aussi reconnaissance et appropriation par un autre.
Pour se soustraire à la force, on a été obligé de se soumettre à la justice : la justice ou la force, il a fallu opter entre ces deux maîtres ; tant nous étions peu faits pour être libres.
Vauvenargues
3. Le corps et ses propriétés
Ce qui constitue les propriétés du corps d'un individu qui s'approprie son corps en se jetant à corps perdu dans une entreprise, une action, un acte ; ce qui fait donc qu'un individu est le propriétaire des propriétés du corps qu'il emploie et qu'il vit, c'est par exemple (selon le cas), « ce corps souple, frais et parfumé » des seins fermes, sa bonne tête ou bien une tête à claques, ces mamelles flétries, en poire ou en melon, des exhalaisons de sueur, de vieille pisse, de règles, de pertes et de foutre ranci que ne parviennent pas à couvrir les effluves d'ambre, de musc et de patchouli. Toutes ces qualités, l'individu en est l'auteur, le responsable et le propriétaire. C'est ce qui l'annonce, le précède et le suit. Ces qualités, il les commet dans son commerce avec les autres et il les garde pour lui. Ce sera, selon le cas, sa manière de séduire ou de repousser son interlocuteur. Ces diverses propriétés constitueront selon le cas, les raisons suffisantes soit pour s'offrir corps et âme un moment, soit pour « faire une tête » au propriétaire, soit encore pour le dégommer purement et simplement. Ce qui amènera le propriétaire, pour protéger son corps contre ces contingences et les ennuis qu'elles lui auront causés, à se défendre à bras le corps : et en se défendant plus ou moins bien, à s'approprier son corps. Dans le combat il ponctuera ses maladresses par de stupides interjections symboliques : « aïe ! ouille ! » qui stimuleront son adversaire. S'il perd, son malheur et sa défaite seront encore pour lui une façon unique de vivre son corps ; car personne ne peut être malheureux à sa place et surtout pas de sa façon à lui. Si dans le combat il perd une jambe, celle-ci n'appartient à personne ; sauf au premier qui courra la chercher. S'il meut, en perdant la vie il ne perd plus rien. Il reste désormais l'être-tas qu'il dépassait feintement du temps de sa sinistre survie dans laquelle il croupissait. Il reste l'être-tas pour un autre ; jusqu'à la levée du corps.
Aussi le vainqueur par sa victoire, ne s'est pas tant approprié le corps du vaincu qu'il n'a contraint celui-ci à le vivre autrement qu'il ne l'aurait voulu : dans la dépossession, le dépit et la honte. De même qu'à travers son triomphe, le vainqueur vit son corps dans l'égalité avec soi-même : sobrement, sans pied-de-nez ni trompette. D'autant plus qu'il sait bien qu'il n'y a aucune gloire à tirer de l'écrasement d'un cloporte.
Les faibles veulent dépendre, afin d'être protégés : ceux qui craignent les hommes aiment les lois.
Vauvenargues
4. Le corps de chasse
Où le pouvoir échoue à paralyser par la contrainte, il paralyse par l'idéologie en imposant à chacun des béquilles dont il s'assure le contrôle et la propriété. En croyant ces béquilles indispensables l'individu s'affaiblit : information, culture et contre-culture, mode, féminisme, biologie, gynécologie, corps médical, corps de la magistrature, corps d'armée, corps enseignant, corps de commerce, médiations au service de tout ordre établi et à venir. C'est le corps entravé de toute part.
Le masque social des rôles, des identités et des statuts, recouvre uniformément les individus et les objets. Ce masque transforme ce qu'il recouvre en corps-morts, en dépouilles, en détritus, en têtes à claques, en être-tas. Il donne à l'ensemble des comportements humains où chacun agit illusoirement dans une passivité réelle, la mesure étalonnée des marchandises. C'est à travers ces médiations usurpées que les abrutis s'exproprient de leur peau ; ainsi ils accréditent la légende selon laquelle nul ne peut se passer d'elles ni de ce qui les gère. En découdre, construire une vie, s'approprier son corps : une même volonté.
Le bon sens de la société de consommation a porté la vieille expression « voir les choses en face » à son aboutissement logique : ne voir en face de soi que des choses.
Vaneigem
(...)
(Extrait de brochure, 1978.)
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