C) Europe, vieille Europe


 

7) Dernière lutte de classes en France

a) Dernière lutte de classes en Italie

La tradition, même récente, pèse puissamment sur la subversion. Quoi qu'en dise un Jenkins, c'est de 1974 que se souviennent les ouvriers britanniques en 1978, comme les ouvriers français se souviennent de 1968. C'est là qu'ils ont fait une brèche, c'est par cette nostalgie que leur mémoire échafaude le possible. Les grévistes britanniques restent dans les usines, les grévistes français manifestent dans la rue ; les grévistes britanniques courent le pays de piquets en piquets, les grévistes français montent en procession à la capitale. Ce contraste pratique, aussi grand que l'absence de communication entre les premiers et les seconds, semble démentir que Londres et Paris ne sont éloignés que de 500 kilomètres.

C'est ainsi que le lien entre les ouvriers de France et 1968 passe davantage par l'Italie. Le mouvement italien de 1968 n'a pas explosé positivement comme en France, mais négativement, en une bombe des services secrets italiens à Milan en 1969. Si ce coup d'essai du terrorisme d'Etat moderne a empêché une déflagration autrement plus meurtrière, il n'a pas fait disparaître ceux qui allaient la provoquer. Comme il continuait d'exister un mouvement, surtout ouvrier, qui paraissait menaçant pour tous les valets italiens, le parti communiste en vint à proposer le "compromis historique", c'est-à-dire sa collaboration publique à un gouvernement chrétien, démocrate, libéral, socialiste, national et raisonnable. Ceci, en retour, ouvrit la frange ouvrière la plus radicale aux gauchistes, étudiants, pro-situs. Il y eut des commissions de quartier, des organisations d'usine, des groupuscules. Ces organisations furent dites autonomes et prirent en charge la défense du prolétariat là où les staliniens orthodoxes semblaient la négliger. C'est à Bologne, en 1977, qu'aboutit cet interminable avortement. Dans cette capitale provinciale gérée par les communistes eut lieu la bataille de rue qui fut le paroxysme du long et ténébreux mouvement de 1968 : les staliniens orthodoxes surent y défaire leurs challengers hérétiques. Selon une coutume de valets d'Etat, ils furent aussitôt chargés par derrière par leur fiancée minaudante, la démocratie-chrétienne : en mars 1978, en assassinant Aldo Moro, l'Etat italien refusait à la fois le mariage avec le PCI (dont le démocrate-chrétien Moro s'était voulu l'apôtre), inutile après Bologne, et entamait une lourde répression de tout ce qui était à gauche du PCI, sous prétexte de terrorisme. La classe ouvrière était déjà cassée comme un pilum éclatant sur un sternum carapacé, mais croyait même le contraire, parce que jamais il n'avait été davantage question d'elle. Le détail de cette dernière et longue lutte de classe italienne, parallèle à la maturation du terrorisme d'Etat, ne serait pas plus éloquent que les casses complémentaires et simultanées du Royaume-Uni et de France ; mais c'est parce qu'ils aboutirent en 1978, et que spectaculaires et battus, l'un venant de l'autre, ils paraissaient au contraire florissants et puissants, que ce tonnerre et cette pluie du violent éclair du 68 parisien furent connus, applaudis et imités en France.


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