"Army troops fought gun battles today with demontrators protesting a 48 percent increase in the price of gasoline, leaving five people dead, including a 9-year-old-boy, authorities said.
"Authorities said they arrested 400 people who were involved in the protest, but they gave no list of injured in the clashes. Witnesses earlier reported that several persons had been wounded.
"The fighting erupted when army troops moved in to stop a protest march by supporters of the nation's taxi drivers, who had declared a 48-hour strike to protest a 60-cent gasoline price increase that brought the price to $1.85 a gallon.
"Jose Francisco Pena Gomez, secretary general of the governing Dominican Revolutionary Party, said in a radio speech tonight that the extreme right instigated the strike and said the government would not be toppled."
Le 1er août 1979, voici l'incendie de retour aux Caraïbes. C'est à peine si, à St Domingue, six mois plus tard, toutes les apparences sont un peu plus extrêmes qu'en Jamaïque : l'essence, toujours prétexte, est augmentée ici de 40 % contre 7 en Jamaïque ; le gouvernement accuse de complot, non plus la droite, mais l'extrême-droite ; et s'il y a deux morts de moins à Santo Domingo, on y pleure, horreur, un enfant de 9 ans.
Encore une fois, on ne connaît que le récit officiel. Il ne nous dit pas si le pillage a eu lieu. Il ne nous dit pas l'âge des combattants, s'ils vont à l'université ou portent des dread locks. Il ne nous dit pas la durée du combat. Il ne nous explique pas l'extraordinaire similitude avec ce qui s'était passé à Kingston, qui paraissait déjà d'une extraordinaire similitude avec ce qui s'était passé à Quito, Lagos, Atananarivo. Pourtant, il semble clair que ni les émeutiers, ni les gouvernants d'Etats pourtant si voisins, ne se sont consultés. Le 16 août, la crapule gérant cette moitié d'île, voulant figer cette révolte au prétexte, promet des "concessions" aux chauffeurs de taxi et l'établissement d'un système de transports publics appartenant à l'Etat.
Cet éclair de brutale conscience attire dans le champ de vision les minuscules Etats des Caraïbes. Car si la République Dominicaine compte parmi les doyennes de ces républiques, la plupart de ces îles, plus petites, viennent seulement d'être émancipées. Presque toutes ces indépendances sont accompagnées de turbulences imprévues. L'île de la Dominique, par exemple, qui ne compte que 77 000 habitants, n'a fêté son accession à la souveraineté qu'en novembre 1978 ; or le 29 mai 1979, suite à un projet de loi pour limiter le droit de grève dans les "essential services" et un autre pour punir la presse (le New Cronicle avait fait état de rapports secrets entre la mini-république et l'Afrique du Sud), 13 à 18 000 personnes manifestent dans la capitale Roseau à l'appel des syndicats : 2 morts, grève générale. Un long imbroglio, politique seulement, va sauver le récent Etat par le ridicule, va assurer sa stabilité par le bouleversement de ses défenseurs : un président s'enfuit, un Premier ministre refuse de démissionner, puis s'enfuit, les forces de sécurité se mettent en grève, etc... A Castries, capitale d'un autre Etat miniature, Sainte-Lucie (110 000 habitants), le 10 août 1979, une manifestation de l'opposition de droite est attaquée par des individus armés de pierres et de sacs d'excréments. Comme la police n'intervient pas, on suppose que les lanceurs de merde sont partisans du gouvernement de gauche. Mais comme la soirée se terminera dans le pillage et le "vandalisme", il faut bien conclure que le laxisme policier, fut-il justifié par la ruse politicienne, est désormais, jusqu'au fin fond des Caraïbes, un luxe périmé. Comme les pédants docteurs en médecine des comédies du XVIIe siècle, les géopoliticiens modernes se sont penchés au chevet d'un malade si jeune et si émotif. Et ils ont conclu, après palabres, que les Caraïbes en bloc viraient, viraient, viraient à gauche. Car ils font la somme des gouvernements qui se disent à gauche, supputent et soupèsent la proximité de Cuba, rajoutent deux coups d'Etat de gauche à Grenade et à Surinam et additionnent à ce total toutes les révoltes en vrac. Et lorsque une émeute a lieu dans un pays par hasard de gauche, ils préfèrent affirmer la thèse du complot de droite plutôt que d'admettre la spontanéité et l'apolitisme des émeutiers, et opinent pour la purge, surtout après qu'elle ait eu lieu.
Ce qui paraît tout de même singulier, est que personne ne se soit même inquiété de cette parcellisation extrême, qui donne au plus microscopique îlot une voix à l'assemblée générale de l'ONU, au même titre que les Etats-Unis. Ce morcellement outrancier révèle d'abord le dégoût grandissant des Etats colonisateurs pour ces lointains territoires, qui ne leur sont plus qu'une charge, et dont les habitants leur sont hostiles. Il n'existe aucune autre façon, dans la présente organisation du monde, de se débarrasser d'un territoire éloigné et importun que de le transformer en Etat. Ensuite, les pauvres du nouvel Etat réagissent : quand ils ont salué l'indépendance, dont la promesse avait tenu en bride leur colère contre l'Etat colonial, c'est comme s'ils croyaient que ce serait leur indépendance personnelle, et non pas la soumission à la soi-disant indépendance d'un Etat. Maintenant ils constatent qu'ils n'ont pas obtenu l'abolition, mais la responsabilité de leur misère. Le malheur de ces petits Etats écrasés dans le cendrier des Caraïbes, si proches des temples marchands de l'Amérique, et engloutis par des vagues successives de touristes, c'est qu'ils sont les premiers Etats modernes dont la naissance est postérieure à l'existence sur leur sol de pauvres modernes, leurs ennemis.
Sans doute, la petitesse de ces Etats divise la grandeur de leurs ennemis. Ni en Jamaïque, ni en Dominicaine, ni en Dominique, ni à Sainte-Lucie, les trublions n'ont su vaincre ces frontières d'Etat renforcées par l'océan. Mais, par ailleurs, la critique d'un Etat souverain dans sa capitale est toujours plus dangereux pour ce vieux monde que dans un chef-lieu de province, fut-il cent fois plus peuplé. Aucune révolte n'a encore franchi aucune frontière d'Etat. La multiplication des Etats, autant qu'elle l'empêche, y incite. Que ceux qui sourient avec condescendance de l'idée acrobatique d'une révolte consciente et simultanée dans les rues de New York et de Moscou partie de Roseau ou de Castries remplacent leurs lunettes de soleil par des verres grossissants. Car même si tout y est en petite quantité, tout y est : capitale d'Etat et inondation de marchandise, esprit des villes et intelligence négative, religion et jeunesse, toute la misère, toute la richesse. Parce qu'il est devenu champ de bataille du monde, le Nicaragua, "petit pays" aussi, a acquis une importance hors proportion avec sa superficie, sa population, son PNB. Les petites capitales dans la guerre d'aujourd'hui seront bientôt comme les villages dans les guerres de Napoléon : Austerlitz, Wagram, Waterloo.
Le problème urgent de la saignée des Caraïbes, qu'on n'osait pas cependant présenter au public, a été résolu, provisoirement, de la manière la plus inattendue : deux hurricanes (auxquels le puérilisme des savants d'aujourd'hui, amplifié par les flatteries des organes d'information pour l'infantilisme du public, donne des prénoms, comme à des enfants : David pour le premier, Frederic pour le second) saccagèrent complètement toutes ces îles, et y firent plus de morts que les émeutes (29 août et 10 septembre 1979).
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