C) Les frontières du Nicaragua


 

1) Amérique centrale

L'Amérique centrale est un territoire grand comme l'Espagne, peuplé aux trois quarts autant que son ancienne métropole coloniale, mais divisé en six Etats "souverains". Certains formalistes y ajoutent Bélize, qui en 1978 est une colonie britannique, que la convoitise guatémaltèque appelle le Guatemala oriental, et les alliés du Royaume-Uni, une enclave caraïbe en Amérique centrale ; d'autres en soustraient Panamá sous prétexte que cet Etat était une province colombienne jusqu'en 1903. Le Nicaragua est le maillon central qui divise en deux cette chaîne d'Etats, avec, au sud donc Panamá et Costa Rica, et au nord, Honduras, Guatemala et El Salvador.

Même dans la perspective de la justification étatique des Etats, peu de frontières paraissent aussi infondées que celles qui divisent l'Amérique centrale. Entre la Colombie et le Mexique, c'est le même "peuple", qui parle la même langue, qui pratique la même religion, si l'on excepte les résidus de tribus indiennes, mais dont, de toutes façons, il n'a pas été tenu compte dans le tracé de ces frontières. C'est comme si six Etats voisins à l'intérieur des Etats-Unis d'Amérique, ou six départements français déclaraient chacun leur indépendance. Et rien ne dénonce mieux la démagogie purement idéologique du nationalisme que le ridicule sérieux avec lequel il est agité par les valets de ces étroites provinces.

A l'indépendance, vers 1820, les cinq Etats septentrionaux ont formé une tumultueuse union qui a duré un peu moins de vingt ans, a fait beaucoup de morts entre diverses factions, et a abouti à réinstaller comme frontières à peu près les divisions administratives espagnoles. De nombreuses tentatives pour restaurer cette union ont toujours avorté avant d'en arriver à un échec autrement sanglant qui paraît l'inévitable aboutissement d'un tel raccommodage. Comment espérer, en effet, un accord entre six chefs d'Etat, dont au moins cinq vont devenir subalternes, dans un monde hiérarchisé où le sommet de l'Etat est le sommet de toute hiérarchie ? Comment choisir entre six capitales, dont cinq vont être rétrogradées au rang de chefs-lieux de province dans un monde qui s'urbanise à vue d'oeil ?

L'Amérique centrale est le barrage-réservoir de l'inondation nicaraguayenne. Ses frontières fonctionnent comme des écluses qui laissent passer l'eau, mais pas le poisson. Ici, comme c'est le néo-islamisme qui colporte la révolution iranienne aux frontières de l'Iran, c'est le sandinisme qui usurpe la révolte des enfants. Ainsi, si les frontières d'Etat divisent, policièrement, les insurgés du Nicaragua des autres pauvres d'Amérique centrale, l'onde de cette insurrection n'est maîtrisée qu'au spectacle du canal de Panamá au sud, à l'obscur tunnel de massacres du Guatemala au nord, et dans un autre spectacle, celui du réchauffement de la guerre civile sandino-somoziste, mais transposée au Salvador. Si l'insurrection du Nicaragua seule révèle ces différents dispositifs en leur donnant leur unité à la fin de 1979, ils s'étaient, indépendamment d'elle, renforcés de plus en plus vite jusque-là : car les mêmes causes qui ont provoqué l'explosion du Nicaragua, menacent des mêmes effets dans les Etats voisins.

Mais avant de suivre le fil rouge de la route interaméricaine, qui relie toutes les capitales (sauf Tegucigalpa, ce qui fait du Honduras la cambrousse de la région), et qui draine trois quarts de la population de l'Amérique centrale, un détour s'impose par un lien beaucoup plus puissant, omniprésent et unanimement décrié : car par air, mer et onde, les Etats-Unis d'Amérique ont infiltré leur esprit bien plus vite et bien plus profond dans toute l'Amérique centrale que l'aurait permis le lent cheminement de cette route. De sorte que les Etats-Unis sont à la fois la première frontière de chacun de ces Etats et leur unité première.


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