B) D'octobre 1978 à octobre 1979


 

3) D'Esteli à Jinotega en passant par León (du 5 avril au 30 mai 1979)

Pour le 5 avril 1979, l'information ennemie rapporte un affrontement entre sandinistes et Garde Nationale à León, faisant 6 morts : 3 gardes nationaux et 3 civils. Les informateurs ennemis appellent désormais tout affrontement au Nicaragua affrontement entre sandinistes et somozistes : ils enrôlent d'office chez les sandinistes tous les combattants anti-somozistes. Avant janvier 1978, seule la propagande somoziste essayait de faire croire que toute opposition combattante était sandiniste ; depuis janvier 1978, le FSLN a reconnu la nécessité pratique de soutenir ce mensonge, servilement amplifié, depuis septembre, par les informateurs du monde entier. Ensuite, en introduisant le "civil", ces mêmes informateurs soutiennent maintenant le choix sandino-somoziste d'une guerre conventionnelle. A la guerre, le "civil" est l'innocent, celui qui gémit, celui qui fuit, la victime. Qu'il y ait 3 civils tués à León sous-entend que deux armées s'y battent ; mais pour nous, qui sommes du parti des non-militaires qui s'insurgent, cette invérifiable nécrologie journalistique laisse d'abord supposer que les sandinistes n'ont pas pris part au combat, ou alors, en seconde ligne, derrière les non-uniformés, comme en Septembre ; et donc, qu'une insurrection spontanée a eu lieu à León le 5 avril, dont le peu de tués et l'insouciant départ en vacances pascales de Somoza aux Etats-Unis, le 7, semblent refléter la portée limitée.

"Des appareils ont bombardé, le 8 avril, les environs d'Esteli pour disperser plusieurs groupes de guerilleros du Front Sandiniste de Libération Nationale qui devraient s'apprêter à pénétrer dans cette ville." Dès le 7, jour du départ de Somoza, 200 sandinistes attaquent Esteli, où ils ne pénètrent que le 9. Il ne s'agit plus là d'une attaque-surprise. Il est donc certain que le 9, lorsque les sandinistes arrivent, les gueux de la "Guernica du Nicaragua", comme on surnomme alors le dernier bastion de Septembre, sont insurgés ; et il est probable qu'ils l'ont été avant le 7, et que c'est leur insurrection qui a mis les sandinistes en branle, et non l'inverse, qu'ont sous-entendu impunément tous les chroniqueurs valets. Les informateurs quotidiens, qui ne visent dans les faits, à côté de la vérification de leur Weltanschauung personnelle, que l'effet qu'efface le lendemain, révèlent souvent par fragments des contradictions, des saillies, qui sont taillées ou expurgées dans les chroniques officielles. Ainsi "la prise d'Esteli par les insurgés" (l'informateur semble ici amalgamer les sandinistes aux gueux insurgés, à l'inverse de l'amalgame devenu la règle, où l'on fait passer les gueux insurgés pour sandinistes, mais dans le même but) "a été précédée par vingt-quatre heures de combats, qui ont fait un nombre de victimes, notamment civiles, non précisé, mais qui pourraient atteindre une centaine de morts." Un tiers des 40 000 habitants évacuent Esteli le 9. Tranchées et barricades lui redonnent son paysage de Septembre.

"Le Front Sandiniste a lancé mardi" le 10 avril "un appel à l'insurrection générale contre le président Anastasio Somoza qui se trouve actuellement aux Etats-Unis." "Les Sandinistes annoncent mardi, qu'ils allaient concentrer leur offensive sur la capitale, Managua, et que leur lutte avait atteint sa "phase finale"" rapporte la presse quotidienne de gauche. Cette presse voit avec la même anxiété que le FSLN, recommencer Septembre à l'endroit même où Septembre s'était terminé. Les sandinistes, hantés par leur retard en Septembre, se précipitent cette fois-ci, pour confisquer leur spontanéité même aux premiers insurgés. Mais presse et guérilla, trop séparées de l'ambiance, la méjugent. Et l'appel sandiniste sera ignoré par les gueux du Nicaragua, qui ne sont toujours pas dans l'obéissance. C'est pour gommer cette contradiction entre le FSLN et les "masses" que l'appel du 10 avril sera complètement occulté par tous les chroniqueurs a posteriori. Black, le mieux informé, va même jusqu'au mensonge pur et simple : "But at least the organisation had avoided any temptation to call an ill-prompted national insurrection, according to a timetable dictated by the National Guard."

Mais l'insurrection d'Esteli ne justifie pas seule tant de précipitation sandiniste. C'est ce qui me conforte dans l'hypothèse d'une insurrection à León, le 5 ; cette insurrection sue aurait provoqué , ou en tous cas attisé celle d'Esteli, qui, à son tour, force le FSLN à intervenir, puis à appeler à l'insurrection générale. Seul dans Managua, de brefs mais vifs affrontements ont lieu entre "sympathisants" et Garde Nationale (4 morts). Ce n'est pas l'assaut de commandos sandinistes sur de petites bourgades (Cárdenas, Colón, Sapoa, Buenos Aires), qui assujettit les gueux à s'insurger sur commande.

Dans Esteli, les combats durent jusqu'au 14. Leur déroulement est rigoureusement le même qu'en Septembre : résistance enthousiaste et acharnée des adolescents précoces, incrustation des adolescents prolongés appliqués à contrôler tout débordement de leurs cadets, évanouissement miraculeux de ces guerilleros, entrée de la Garde Nationale dans la ville, nettoyage. Même le bilan est similaire : la Garde Nationale annonce 68 guerilleros tués, le FSLN 40 gardes nationaux occis, auxquels il faut ajouter 30 orejas exécutées. Au total, il y a à nouveau 1 000 morts, soit un valet pour huit gueux. J'espère que ce texte contribuera à ce qu'un jour cette proportion soit inversée.

Le FSLN n'est revenu à Esteli que pour confisquer la nouvelle révolte qui y avait lieu. Je n'arrive à découvrir, ni dans la stratégie, ni dans la tactique, ni dans les déclarations et commentaires sur cette intervention aucune autre raison. Depuis Septembre, rien n'a changé dans les rapports entre guerilleros et insurgés spontanés, si ce n'est que l'armement nettement amélioré des premiers a accentué en proportion leurs prétentions hiérarchiques, déjà exorbitantes, sur les seconds. La séparation est devenue telle, que les sandinistes, qui ne pouvaient en Septembre qu'éluder le terrible débat, notamment sur les deux questions de l'instant, l'organisation pratique des gueux par eux-mêmes et la conduite de la guerre, l'interdisent en avril. C'est leur bravade réitérée de cette censure qui a valu aux jeunes d'Esteli cette nouvelle semaine d'occupation sandiniste, conclue par un nouveau et furieux massacre somoziste.

Pour démêler la prestidigitation de la nouvelle évasion in extremis des sandinistes, Black produit le témoignage postérieur à la chute de Somoza d'un militant anonyme. Chez les auteurs en lesquels la confiance est si notoirement limitée qu'ils ne peuvent pas ne pas systématiquement citer leurs sources, citer une source anonyme, donc invérifiable, est une des méthodes les plus honnêtes pour bidonner :"The Guard had the town completely surrounded, encircled. But the Frente broke the circle with a brilliant move." Qui pourrait en douter ! "They had foreseen the situation and left a couple of squadrons outside the city limit in the district known as San Roque, and there they carried out a swift diversionary operation, to distract the Guard. That left a gap, and hundreds of people - the attack units plus hundreds of new recruits - poured out the track called El Terrero." Comme c'est génial ! Que la Garde Nationale est idiote ! Elle n'a pas prévu la fuite des sandinistes ! Alors que les deux armées négociaient le matin même ! Car voici ce que nous apprend "Le Monde", en outre que le FSLN ne tenait plus qu'une partie de la ville le samedi 14 au matin : "En début de journée, samedi, une trêve avait été observée afin d'évacuer la population civile. Le groupe de guerilleros qui luttait encore samedi a réussi à s'enfuir vers les montagnes proches d'Esteli..." Depuis Septembre, somozistes et sandinistes savent terminer une insurrection ensemble : il ne peut pas y

avoir de fuite miraculeuse le même jour qu'une négociation finale entre les deux partis valets.

Après cette nouvelle purge d'Esteli, le FSLN, et tous les valets qui le soutiennent, n'en sont plus à expliquer mais déjà à justifier. Comme lors des purges staliniennes, la bassesse de gauche se surpasse dans l'invention d'excuses. Trois d'entre elles suffiront à montrer qu'aucune version officielle n'est plus nécessaire aujourd'hui, parce que l'ignominie trouve refuge dans la désinvolture avec laquelle les pro-sandinistes, déjà très fortement majoritaires parmi les valets, l'escamotent. La première est celle du journal Le Monde, qui, obligé d'innocenter tout de suite, noie encore l'insurrection d'Esteli dans une "insurrection générale" qui n'a pas eu lieu : "De l'avis des spécialistes militaires, les sandinistes ont commis dans leur offensive de la semaine sainte la même erreur qu'en septembre dernier, en se maintenant dans les centres urbains au mépris d'une règle de la guérilla qui consiste à ne pas occuper une ville plus de vingt-quatre ou trente-six heures, à moins de disposer d'une force sensiblement égale à celle de l'adversaire." La haine pour l'auto-détermination des enfants est maquillée en "mépris d'une règle de la guérilla", la concrète purge de gueux provient d'une abstraite étourderie militaire, sous-entendue excusable, nullement voulue. Plus tard, il faut expliquer pourquoi, malgré l'appel sandiniste, il n'y a pas eu d'insurrection générale : "Le FSLN voulait, semble-t-il, déclencher une offensive de plus grande envergure, mais la découverte à Rivas, dans le sud du pays, et à León, à 90 kilomètres au nord de Managua de caches abritant des armes en quantité suffisante pour mille personnes, paraît avoir contrarié ses plans d'ouvrir plusieurs fronts à la fois." Le récit d'une opération policière efface la véritable question : pourquoi les pauvres du Nicaragua n'ont pas suivi l'appel du 10 avril que ceux de León et d'Esteli venaient de précéder ?

Chez Black, qui ne s'embarrasse d'aucune insurrection générale, la faute de la durée de l'occupation d'Esteli par le FSLN revient à l'enthousiasme débordant des gueux d'Esteli, lors de l'arrivée des sandinistes qui n'avaient rien prévu de tel : "what had not been sufficiently anticipated was the response of the local people." Et en effet, c'est bien la réponse des insurgés aux sandinistes qui force ceux-ci à rester une semaine dans la place pour y attirer la foudre. D'ailleurs ce massacre a du bon, pour Black : "After that came another of the Guards "cleaning-up operations" and that was important for the consciousness of the people here." Cet auteur est si engoué du FSLN, qu'il s'oublie jusqu'à laisser échapper que le massacre est bon pour la conscience, adaptation remaniée du célèbre adage : un bon indien est un indien mort. Le lecteur comprend, bien sûr, que je ne suis pas du tout hostile, au contraire, à la technique qui consiste à sortir une citation de son contexte et à détourner son sens : il n'y a pas d'arme en soi interdite ; mais qu'à ce moment-là il faut le dire, sinon c'est un mensonge. De même, on peut donner des coups sous la ceinture, si on l'annonce au préalable. Si toute arme est neutre, le principe de son utilisation ne l'est jamais. A Esteli, le charcutier qui a pratiqué les deux saignées de septembre et avril est Somoza. Mais son assistant, celui qui immobilise la victime par derrière, est le FSLN. Et la phrase de Black trahit que ce félon épingle aussi le cerveau quand la brute ne pique que la veine, se réjouit de la perte de sang en ce qu'elle lui soumet les consciences affaiblies : si les pauvres d'Esteli veulent que la prochaine fois les sandinistes se retirent à temps, il ne faut pas être plus radical qu'eux, les reconnaître comme avant-garde, ne se soulever que sur leur ordre.

La troisième fable sur cette insurrection d'Esteli est la plus originale. Là, c'est le contraire d'une insurrection générale qui nous est raconté par Joaquín Cuadra, spécialiste militaire du FSLN : "Début avril, Somoza prend des vacances en Floride. Lors d'une communication avec le "Comandante" Rubén, responsable de la région d'Esteli nous avons juste le temps de lui dire : "Somoza est parti", sans préciser qu'il s'agissait de vacances. Sous la pression sans doute de la situation dans laquelle il se trouvait, il a interprété cette nouvelle comme un départ définitif et s'est lancé en quelques heures avec toutes ses forces dans l'attaque contre Esteli. Lors du contact radio suivant, nous lui avons dit qu'il devait se retirer immédiatement, que le moment n'était pas encore venu de prendre la ville et d'y rester. Mais les habitants avaient accueilli nos combattants d'une façon incroyable, se précipitant dans la rue, sortant des armes, montant des barricades. Nous étions alors devant un problème extrêmement délicat, tant du point de vue moral que du point de vue politique : le repli aurait laissé les masses à la merci des opérations de "nettoyage" de la Garde Nationale. Rubén a donc du rester quelques jours avant de se retirer avec les gens les plus compromis." Même "sous la pression" d'un soulèvement d'Esteli avant le 7 avril, le "Comandante" le plus impressionnable et le plus imbécile ne pouvait supposer le départ de Somoza définitif à ce moment-là, surtout sans en avoir aucune confirmation ; ensuite, il est impensable que Rubén, qui n'est entré dans Esteli que le 9, n'ait pas reçu de contrordre jusque-là ; enfin, la justification de rester dans les villes si longtemps est de ne pas laisser "les masses à la merci d'une opération de "nettoyage"". Cuadra confisque l'insurrection d'Esteli en ramenant son origine à une erreur de transmission interne aux sandinistes ; il la falsifie en transformant les gueux révoltés en chiens jappant joyeusement à l'arrivée de leurs maîtres, subjugués par une si fougueuse fidélité ; et il la minimise en inversant l'action des sandinistes qui a permis le massacre en action qui l'a limité.

Ces informateurs ont éclipsé les affrontements indécis de León derrière leur victoire de la bataille rangée d'Esteli. Ce n'est qu'une supposition, mais corroborée par ce silence ennemi troublé d'allusions, par les méthodes de combat appliquées par les enfants de Managua deux mois plus tard, et par la taille de cette ville qui semble avoir empêché son occupation par le FSLN, qu'à León les insurgés n'ont pas tenté de conquérir de territoire, et se sont rendus insaisissables à la Garde Nationale en se réinsurgeant tous les jours, et aux sandinistes, en s'évanouissant toutes les nuits. "D'autre part, il semblerait que plusieurs dirigeants guerilleros auraient été tués mardi" le 17 avril "à León, la seconde ville du Nicaragua, dans une maison qui leur aurait servi de quartier général". Ce qu'on sait encore, c'est que les sandinistes reprochent aux Américains de n'avoir critiqué Somoza (rentré le 16), que pour l'arrestation de politiciens d'opposition (Córdova Rivas et Altamirano du PC, le 1er mai) et non pour les massacres d'Esteli et León, les deux villes étant à cette occasion mises à égalité.

Soit aiguillonnés par la peur d'être pris une nouvelle fois de vitesse par les gueux des villes, soit obligés de justifier par l'exemple leur propre appel à l'insurrection générale, les sandinistes mènent, depuis la chute d'Esteli, des actions quasi-quotidiennes. Ce sont toujours des nébuleux "harcèlements" contre des "objectifs militaires" ou des prises de petites bourgades, où il y a toujours plus de civils que de militaires tués. "Les colonnes qui participent aux actions que nous lançons en plusieurs endroits, commencent à se battre et ne peuvent plus arrêter. Beaucoup considéraient que cela n'avait aucun sens et que nous étions en train d'affaiblir les masses, de les exposer inutilement." Notable exception à cette exposition des "masses" qui a un sens, policier, l'escarmouche de Nueva Guinea, au sud-ouest du pays, où 128 guerilleros sont tués en rase campagne. Cuadra aura le culot de présenter ce revers comme une diversion pour soulager Esteli. Et, en effet, le spectacle qu'il veut donner de ce premier affrontement militaire sans gueux est censé divertir un peu l'attention d'Esteli et de León.

La nouvelle offensive d'avril révèle que l'hémorragie de Septembre est comblée. Et son premier et soudain affrontement, que les deux partis attendaient, dégage autour de la bataille d'Esteli les progrès des valets à Nueva Guinea, et gueux à León. Sur la frontière costaricaine, il n'y a pas de villes, donc pas de pauvres modernes. Sandinistes et somozistes y accouchent du fruit rêvé de leur complicité, un front militaire classique, destiné à capter l'attention, une déportation à la campagne, un cimetière pour le débat sur le monde ; à Esteli, pris de court par trop de fougue et de spontanéité, malgré ses préparatifs, l'ennemi a été contraint au même dispositif qu'en Septembre : rabattage sandiniste, nettoyage somoziste, 1 000 morts, mensonge, minimisation, diversion. En Septembre, l'appel sandiniste s'était glissé dans l'insurrection générale. Mais en avril, les gueux désavouent l'appel sandiniste. Et le nouveau massacre d'Esteli, parce qu'isolé, n'assure aucune trêve à l'ennemi, et quoique nécessaire, devient dangereux, car transparent : les contradictions des justifications de gauche en témoignent. Mais bien plus grave encore, les gueux de León se révoltent maintenant sans se laisser massacrer. Et, du coup, selon une rumeur, c'est le FSLN qui y menace d'imploser : "On ne constate pas à Managua" lira-t-on le 25 juillet, "ces tensions qui ont déchiré, il y a quelques semaines, la deuxième ville du pays, León, où la tendance GPP ... et la tendance terceriste se disputaient au point qu'il a fallu envoyer une dizaine de responsables de la tendance "prolétarienne" - réputés pour leurs capacités d'organisateurs - pour calmer les passions." L'insurrection endémique de León est le spectre nicaraguayen de ce qui attend le monde sur toute sa surface, le déclencheur perpétuel de l'offensive d'avril et mai, la réelle petite guerre qui harcèle sans les renforcer les deux armées occupantes, malgré tous les efforts sandinistes d'y mettre fin à la manière de Septembre : "La presse gouvernementale a affirmé, mardi 1er mai, que quarante guerilleros sandinistes ont été tué au cours des combats qui ont eu lieu dimanche et lundi pour le contrôle de León, la deuxième ville du pays. La Garde Nationale n'aurait, de son côté, perdu que trois soldats dans ces affrontements. Le Front Sandiniste avait lancé dimanche" le 29 avril "une offensive importante à León, s'emparant de plusieurs quartiers, mais il a du se replier devant les forces gouvernementales." Même la maxime, toujours vérifiée, comme quoi les sandinistes n'attaquent les villes que pour y juguler et pousser à la Garde Nationale une insurrection spontanée, ne suffit pas pour affirmer, par dessus les lacunes de cette information, les événements qui l'ont vraiment fondée.

Ces importants événements sont voilés par un rituel de la paix sociale qui revient à point nommé, la fête du travail, qui même dans ce pays le plus agité, remplit ainsi la fonction la plus conservatrice. Le gouvernement des Etats-Unis venait de comprendre à retardement la nécessité d'armer Somoza. Pour ne pas donner l'impression aux électeurs américains de revenir sur sa décision, ce gouvernement devait maintenant prêter l'argent nécessaire par un biais, le FMI. Le FMI exigea la dévaluation du córdoba. Avant d'être parti en vacances, Somoza avait accepté, ce qui avait entraîné une hausse des prix de 40 % . Aussi le 1er mai, tout rassemblement en dehors de celui du dictateur fut interdit. Il y promit une hausse des salaires de 15 % . Les derniers salariés du Nicaragua eurent vite fait le calcul, que 25 % de leur salaire d'hier servait par conséquent à financer aujourd'hui l'armement du dictateur. Comme León fut caché derrière le 1er mai, les échauffourées du 1er mai furent cachées derrière les arrestations, déjà mentionnées, de Córdova Rivas et Altamirano.

Le 17 mai, les jeunes de Managua (où on incendie les bus) Masaya et Chinandega s'insurgent : 13 morts. Le 20 mai, Le FSLN est obligé de prendre Jinotega, commune voisine d'Esteli. Cette occupation, sur laquelle on ne sait rien d'autre, a duré cinq jours. La durée de l'occupation d'une ville par les sandinistes a, jusque-là, toujours été proportionnelle à la difficulté de s'y faire obéir, et, conséquemment, à l'étendue du massacre. Pour Jinotega, les chiffres en sont inconnus, mais cette ville a donc été occupée un jour de moins qu'Esteli. Black en mentionne le violent contrecoup à l'intérieur du FSLN, qui en plus d'y avoir perdu son chef local, Pomares, aurait vu tout son "front nord" désorganisé, d'une part par le nombre de ses tués, d'autre part par l'afflux massif de "recrues" de Jinotega. Cette insurrection si tue semble avoir été sue par les infatigables gueux de León que la Garde Nationale est obligée de reconquérir au tank Sherman (8 morts), les 26 et 27 mai, donc à partir du lendemain du nettoyage de Jinotega. Jusqu'au moins le 29 on se bat dans Chichigalpa et Rivas (60 morts). Enfin, le 30 mai, des combats si violents sont à nouveau signalés dans León, que les secouristes se plaignent de n'y pouvoir descendre dans les rues.

Et le même jour, décernant le même hommage involontaire aux gueux écrasés de Jinotega (épaulés par ceux de León) qu'il avait dans la précipitation concédé aux gueux insurgés d'Esteli (épaulés par ceux de León), le FSLN, espérant enfin maîtriser le rythme des fluctuations gueuses, comme des économistes rêvent de maîtriser les "crises économiques", est à nouveau acculé à annoncer, par tracts, que l'offensive finale est commencée.


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