Lettres 2/2.


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Posted by Doktor Weltfaust. on April 05, 2001 at 09:00:18 PM EDT:

Lettres 2/2. Dr Weltfaust.

# Deuxième lettre.

Weltfaust,
Je vous écrirai plus longuement quand j'aurai l'opportunité. Pour le moment, je voudrais éclaircir deux points de "détail". Il va falloir qu'on s'habitue à parler d'une autre façon, après un quart de siècle de mauvaises habitudes.
1) Quand j'ai dit que l'échange est l'activité des choses, je n'ai pas voulu dire que les choses pensent, quoiqu'en ait dit Voyer, mais bien plutôt le contraire, que ce monde et ses choses n'ont pas de pensée Par ceci je veux dire que l'échange, cette activité indéniablement essentielle des hommes, est en fait incontrôlée et aliéné. Cette "puissance humaine qui s'apparait à elle-même comme autre" n'appartient en effet à personne de concret, n'est pas le résultat d'une activité ou opération humaine consciente, mais de sa propre automatisation. Les choses, donc, s'échangent en pensée entre elles et l'homme n'y est pas convié, et Voyer avait encore raison. Tant que je ne serai pas capable de critiquer ce qu'a dit Voyer, qui bien sûr est à critiquer, j'utiliserai les termes établis par lui. Ceci ne veut pas dire que je les approuve en bloc et sans critique, mais seulement que je n'en connais pas de meilleurs.
2) Quant à mon accord avec l'OT, une question qui pour moi était simple est dévenue un cheval de bataille d'un coté et d'autre: l'importance _passée_ de Voyer, que je ne nie pas, au contraire, n'a pas d'importance pour ce dont nous nous occupons en ce moment; pour les militants de l'OT, le Voyer de l'Introduction et celui qui les aurait falsifiés sont une seule et même personne. Moi, je sépare ces deux moments, et j'affirme que le Voyer obsédé par la "trahison" de Debord n'a aucun rapport avec l'autre, qui est aussi celui que les be/otistes prétendent avoir critiqué, en présentant comme "preuve" de la réalité de cette critique le fait d'avoir été "falsifiés" par le pourfendeur de Levy -- c'est encore un procédé de mauvaise foi très typique d'eux.
Pour finir, je pense qu'il n'est pas déshonorable de se tromper de temps en temps. Si vous avez des choses à me dire à propos des téléos, c'est parce que tout n'a pas été dit sur eux, et je ne vois pas pourquoi ce que vous auriez à m'en parler ne pourrait pas être dit en publique. J'ai parlé d'eux, vous l'avez compris mais pas eux, comme un exemple. Ils pourraient bien vous servir comme exemple aussi.
K.O.
PS.: J’ai la forte impression d’avoir vu votre style ailleurs.


# Troisième lettre.

Weltfaust
Il me semble qu'il y a dans vos "écrits plus longuement" une contradiction de départ dont j'ai parlé au passage dans ma première réponse hâtive. Ou bien le debordoff n'est frequenté que par des imbéciles et des espions ennemis, et dans ce cas vous avez raison de ne pas vouloir y discuter quoi que ce soit, ou bien ce qui s'y passe n'est pas du théorisme creux et est quelque chose de signifiant au regard de l'histoire, comme vous l'avez dit vous-même.
Je me place entre vos deux positions. Pour moi, la plupart des intervenants dans cette cour des miracles est en effet composée d'imbéciles et d'espions ennemis, ces deux rôles étant interchangéables; ils ne sont pas ce qu'on voudrait, mais que faire, nous sommes dans une guerre et pour l'instant nous n'avons pas le choix du terrain. Je ne vois pas pourquoi cet échange entre nous ne puisse pas être fait en publique, c'est à dire au debordoff. Je vous laisse donc la liberté d'y publier nos trois lettres particulières; au cas où vous ne le ferez pas, je continuerai cette discussion en particulier, mais je vous fais état dès maintenant de mon insatisfaction.

1) Je pense que vous avez apporté la preuve pratique de ce que je disais à propos de l'impossibilité de critiquer les militants de l'OT dans le conditions où vous prétendez l'avoir fait. On ne critique pas théoriquement des idéologues, on les annéantit dans la pratique; la question de la vérité objective de la salade téléo n'est pas théorique, mais pratique; c'est dans la « pratique » quotidienne de la révolte qu'on doit démontrer la vérite, c'est à dire l'effectivité et le pouvoir, de ses thèses; toute autre prétention est purement escolastique. Vous avez tout au plus apporté le coup de grâce « théorique » aux prétentions des téléos dans la théorie, mais à mon avis, quand vous êtes arrivé sur la scène, leurs prétentions étaient déjà sapèes et leur vanité mystificatrice était déjà largement démontrée par Bueno. Dans la « pratique », si l'on peut appeler pratique les va-et-vients du debordoff, ils continuent à faire comme si rien n'était.
Mais vous avez raison quant aux conséquences de la présente hystérie anti-OT, et je pense qu'il faudrait commencer à la dénoncer, si jamais je me décide à mettre mes pantoufles pour y participer, comme contraire aux intérêts de notre parti. D'autre part, je suis convaincue qu'on joue les jocrisses de l'OT quand on en parle plus de ce qu'il faut -- dites ce que vous voulez, pourvu que vous parlez de nous.

2) Votre "bref résumé" du debordoff a quelques omissions importantes, et je ne suis pas d'accord avec vous sur quelques points:
les debordistes états-uniens ont été chassés du chatroom par Bueno, en solo; Billy Brown, Len Bracken et leurs copains sont partis en honte, pour ne plus jamais revenir. Il en reste encore Ken Knabb le zen-situ et je crois avoir réconnue la main de Greil Marcus derrière quelques pseudonymes plus ou moins récents; mais effectivement, ils ne comptent plus.
La discussion entre Voyer, Bueno et Bartolucci sur la validité du concept de spectacle reste ouverte, à mon avis. Voyer n'a rien "détruit" de ce "concept"; là-dessus, je suis tout à fait d'accord avec Bueno e Bartolucci: il a en réalité « réculé » par rapport à ses débuts critiques (et renforcez ces "débuts": il a bien commencé la critique, mais a été trop vite satisfait de ses résultats). Quant aux insultes grossières envers Debord, je les range à cotê des manifestations folkloriques de rancune envers le maître, très communes dans les milieux fermées et en déroute. Voyer a bien raison dans sa haine pour le duo Debord/Lebovici et leurs falsifications; mais même la haine a des limites qu'on ne doit pas franchir et Voyer, pour ne pas insulter sa propre mémoire, était obligé de faire la « critique » de cette falsification, par l'analyse de ses motifs et ses conséquences
Voir plus haut sur votre arrivée dans le bal.
3) Je n'attendais pas de réponses à mes questions, parce que, prennant votre position comme point de départ, je pense que la résolution de la question de ce qu'est la théorie est l'indiscrétion finale dont dépend la survie de ce monde: tous les mystères qui induisent aux pratiques idéologiques du type de l'OT (qui sont le principal obstacle à notre victoire -- la victoire du parti de la vérité pratique) trouvent leur solution rationelle dans la pratique humaine et dans la compréhension de cette pratique, c'est à dire dans la théorie. J'ai cru qu'il fallait quand-même les poser, parce que beaucoup les croient répondues.
4) Contrairement à ce que vous pensez, je ne sous-estime pas les gens de l'OT ni ce qu'ils écrivent; je connais de bien près, dans ma propre histoire et dans celle de mes amis, le pouvoir de la mystification, du mensonge et de la mauvaise foi. Abandonnées à elles-mêmes, sans contestation, les sèctes de leur genre peuvent faire des énormes dégâts par leur apparence de radicalité et leur imitation de pensée. J'étais déjà assez grandie pour me souvenir de la mort et la prison des amis de mon "père", dupés par un autre genre de "radicaux" à Rome à la fin des années 70; j'étais présente quand, à cause de ce que ma mère et lui disaient d'eux, ces "révolutionnaires" sont venus chez nous mitrailler les murs et nous donner 24 heures pour quitter la ville -- et ma mère avait déjà quittée l'Allemagne avec moi trois ans avant pour des raisons similaires. C'est des ennemis à abattre, d'autant plus importants qu'ils sont infiltrés dans nos rangs. Je ne reconnais absolument aucun mérite dans ce que vous appelez "tenter de faire quelque chose dans la théorie" à leur mode -- c'est un exemple criant de théorisme creux et prétentieux. En tant que néo-journalistes ils n'étaient même pas une ICO, qui au moins avait l'excuse d'être apparue dans un moment où l'on pouvait encore avoir des illusions sur le rôle de l'information; comme "théoriciens" dans leur observatoire, ils sont un poste avancé de l'ennemi.
Il faut le redire: le dialogue est impossible avec ce genre de brigata rossa de la théorie. Mais il faut marquer ses distances par rapport à eux, on ne peut pas les laisser passer sous silence: dans cette époque répugnante, il y aura eu au moins deux ou trois justes qui ne sont pas tombés dans leur piège.
5) J'ai raison: on est mal foutus quand on est forcé à definir ce qu'est la vérité pour prouver qu'on ne ment pas. Dans mon dictionnaire, là où il y a extrapolation malveillante systématique, le mensonge s'installe. Effectivement, ils incitent à la réflexion: je me suis posée maintes fois la même question que vous, est-ce possible que je sois moi-même aveuglée à ce point? Mais, heureusement pour moi, ils ne sont même pas subtiles dans leurs machinations, ce qui me rend l'assurance de, au moins dans leur cas, ne pas être dans l'erreur.
6) Je vous ai déjà dit ce que je pense à propos de mon supposé "accord" avec les téléos sur la décadence de Voyer, mais je voudrais y ajouter quelques éclaircissements: je parle de "décadence"; ils parlent d'"impuissance". Comme j'ai déjà dit plus haut, je suis d'accord avec Bueno et Bartolucci (et aussi avec Pallais, mais c'est une autre histoire): les positions qu'il a avancées sur le debordoff répresentent un « recul » par rapport à l'excellente critique de Debord et des situationnistes qu'il avait esquisée à partir de « Reich, mode d'emploi ». À mon avis, il y a eu « décadence », et la critique de l'IS reste à faire; et les écrits de Voyer restent une base solide pour cette critique. Pour les téléos, l'excellent Voyer, qui aurait critiqué l'IS et Debord de fond en comble et est toujours aussi capable qu'il l'était, est « impuissant » devant leur kolossale question, ce qui est toute une autre histoire. Il est important, je suis d'accord avec vous, de montrer que la fameuse "falsification" des téléos par Voyer/von Nichts n'existe que dans leurs petites têtes d'enfants gâtés en quête de répétitions de l'histoire Mais il est aussi important de faire la distinction entre ces deux moments de Voyer. Si on ne la fait pas, les téléos auraient raison contre Voyer, quoiqu'on puisse dire à propos de son droit de ne pas répondre à certaines calomnies -- si il veut se reposer et s'amuser, qu'il aille le faire à la terrasse du Deux Magots. Et, par le même mouvement, on diminue l'importance et la validité des questions posées par Voyer en 1975: si ses positions actuelles sont une suite logique de ce qu'il a écrit à cette époque -- et j'affirme qu'elles ne le sont pas -- non, merci, le monsieur suivant s'il vous plaît.
En bref, essayer de prouver qu'il n'y a pas eu de falsification, sans parler de « qui »aurait falsifié qui, c'est jouer le jeu des calomniateurs. Le « fait » de la falsification ou non par un Voyer tout-puissant avant leur arrivée n'est important que pour les téléos.
7) Pour finir: nous voilà devant un nouveau principe de l'humanité, encore caché, mais déjà annoncé. Desolée, mais cet ultra-hegelianisme post-voyerien m'agace un peu. Dès que j'ai appris à lire, je me souviens de voir des livres de Voyer, Debord, Marx, Hegel, Vaneigem, Sanguinetti sur toutes les étagères des maisons où j'habitais. Parfois ils disparaissaient soudainement avec les étagères et les maisons qui les contenaient, mais peu à peu ils revenaient, en anglais, en allemand, en bulgare, en russe, en français, en portugais, en espagnol, en italien et même en yoruba. Dès que j'ai commencé a penser par moi-même, j'ai eu en Voyer une référence presque constante. Même si aujourd'hui je suis critique de ce que vous appelez les "insuffisances théoriques" de Voyer (vous avez entièrement raison: quelle sorte de théoricien de la publicité n'arrive pas à assurer la publicité de sa théorie? Suivant votre raisonnement, si Voyer n'avait pas été poignardé dans le dos par Debord, ce monde serait peut-être déjà fini? Ou la trahison de Debord était déjà déterminée du fond de l'éternité, comme celle de Judas?), comme je vous ai déjà dit je n'en connais pas de meilleurs. Tant que je ne serai pas capable d'en formuler d'autres, j'emploierai les termes établis par Hegel, Marx, Debord, Voyer, et donc l'imputation de "formulation situ-voyeriste" est creuse parce qu'elle n'a pas de débouchés possibles. Et tant que vous ne serez pas vous-même en mésure de me dire quel serait ce nouveau principe, veuillez m'épargner les observations inutiles.
Je n'aime pas me répéter, mais parfois c'est inévitable: 1) l'échange et la communication et la publicité sont des noms differents pour la même activité essentielle des hommes; 2) l'aliénation est bien celle de l'idée de l'échange dans les choses comme valeur; 3) les choses sont bien des choses sans vie, comme le nôtre est un monde sans âme et comme les hommes vivent la vie et pensent la pensée des choses sans vie et sans pensée; et donc le nôtre est un monde sans vie, et sans pensée; et les choses s'échangent entre elles en pensée sans que l'homme y soit convié. L'activité humaine qui est à l'origine de ces "choses" est une activité automatique, « naturelle », sans pensée, sans publicité, sans communication, et donc n'est pas humaine; elle est le spectacle de l'activité humaine, notre propre puissance aliénée qui défile devant nous, en parade militaire de troupes d'occupation. La seule activité humaine vivante et pensante est l'oeuvre de la volonté, la révolte, eparpillée par-ci par-là en des moments brefs et brillants; c'est à nous d'étendre et d'amplifier ces moments, de résoudre le mystère de l'opération humaine, de chercher l'indiscrétion ultime, d'établir la publicité et le bavardage universel. Et c'est là une oeuvre historique, c'est à dire: aucune époque ne produit des auteurs sans lecteurs.

Kathrin.




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