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Posted by on March 08, 2001 at 07:49:16 AM EST:


Libération, mardi 8 mars


L'accusation de révisionnisme portée contre le livre de Norman Finkelstein, "l'Industrie de l'Holocauste", relève d'un véritable terrorisme intellectuel.


Brouillage sur l'Holocauste


Par ERIC HAZAN

Eric Hazan est éditeur et traducteur. Il a cosigné ce texte avec le collectif éditorial de la Fabrique: Alain Brossat, Stéphanie Grégoire, Olivier Lecour-


Le jeudi 8 mars 2001 Une association jusqu'ici inconnue, Avocats sans frontières, entend porter plainte pour "diffamation raciale" et "incitation à la haine raciale" (1) contre Norman Finkelstein, en sa qualité d'auteur de l'Industrie de l'Holocauste. Réflexions sur l'exploitation de la souffrance des juifs, et contre nous-mêmes, éditeurs du livre en France (2). "Sous couvert de son patronyme, Norman Finkelstein ne fait que reprendre à son compte les thèses révisionnistes de Roger Garaudy, déjà condamné pour révisionnisme et diffamation raciale", disent-ils.


Face à l'évidence de la diffamation, nous avons décidé, en accord avec notre auteur, de porter plainte contre cette association pour dénonciation calomnieuse. Tous les moyens ne sont pas acceptables dans le débat intellectuel et politique.


La calomnie lancée par ces juristes n'est qu'un élément d'une configuration historique inquiétante. Le travail historique et plus généralement la réflexion sur l'histoire sont systématiquement suspendus au risque d'accusation de révisionnisme et négationnisme dès lors qu'ils viennent remettre en question, par la critique, des idées reçues, ou pire, le discours dominant. Ce sont ainsi des pans entiers de notre histoire contemporaine qui sont frappés d'interdit d'analyse, d'autocensure ou in fine, pour les plus courageux qui s'y risquent malgré tout, de censure. Sous couvert d'une mémoire douloureuse et devenue pour certains sacrée, on manipule avec une bonne conscience imperturbable le concept de révisionnisme, indispensable pourtant à l'épistémologie de l'histoire pour qu'on puisse distinguer ce qui relève de la quête de vérité et ce qui relève de son brouillage. Le résultat d'une telle manipulation consiste à faire de l'argument du "révisionnisme" un instrument de terrorisme intellectuel.


Cette campagne de diffamation n'a qu'un seul but: éviter que s'ouvre dans des conditions normales la discussion autour des thèses présentées, argumentées et documentées par Norman Finkelstein selon les règles du métier. Que celles-ci soient donc ici brièvement rappelées :


- La place du génocide des juifs dans le discours public des dirigeants juifs américains est historiquement déterminée non par l'intérêt des victimes survivantes, mais par le loyalisme à l'égard du gouvernement américain. Après avoir refusé d'en parler dans un contexte où les Etats-Unis étaient les alliés d'une Allemagne mal dénazifiée, ils ont fabriqué un discours sur l'Holocauste comme événement catégoriquement unique, lorsque Israël devint après 1967 l'allié essentiel des Etats-Unis au Moyen-Orient.


- Ce discours sur l'Holocauste a donné naissance à une "industrie". Les principales organisations juives américaines et internationales détournent les fonds de réparations matérielles réclamés aux gouvernements européens, aux dépens des survivants. C'est ce que l'auteur appelle la "double extorsion".


- L'exploitation idéologique et politique du souvenir collectif du génocide commis par les nazis, notamment aux Etats-Unis, est ce qui autorise "un pays doté d'une puissance militaire parmi les plus redoutables, présentant un dossier désastreux en matière de droits de l'homme", à s'assigner à soi-même le rôle d'Etat-victime.


Sur chacun de ces points, Finkelstein présente ses sources, argumente, répond aux objections. Son texte est écrit sur un ton souvent véhément. De fait, le détournement "du statut moral du martyre du peuple juif" en affaire lucrative l'indigne et mérite selon lui "l'opprobre public". Mais il ne faudrait pas que la colère de notre auteur serve de prétexte à éluder la question première: a-t-il oui ou non le droit d'exposer ces analyses et ces opinions? Il est évidemment légitime de critiquer ce livre comme tout autre, et d'ailleurs les membres de notre collectif apprécient de façon diverse certaines de ses thèses. Nous jugeons cependant qu'il pose des questions essentielles et son livre constitue l'occasion d'ouvrir un débat indispensable.


Mais le livre de Finkelstein offre des armes aux antisémites et à l'extrême droite: tel est naturellement l'argument de dernier recours de certains de nos contradicteurs, de bonne ou de mauvaise foi. C'est avec ce genre d'arguments que de tout temps on a défendu le mensonge: c'était "faire le jeu des nazis" que de dénoncer la main de Staline dans le massacre de Katyn; le jeu des antisémites, déjà, que de parler de la tuerie de Der Yassine; celui de l'impérialisme que de dénoncer les camps soviétiques.


Nous continuons de penser, plus que jamais dans un tel contexte, que le livre de Norman Finkelstein devait être proposé à un public français suffisamment mûr et informé pour se forger son propre avis. S'il s'agit, une fois encore, de tenter d'imposer des exceptions à la liberté de dire et de critiquer dans ces domaines "sensibles" que sont l'instrumentalisation idéologique du génocide des juifs et la politique de l'Etat d'Israël envers le peuple palestinien, nous ne pouvons en tant que collectif éditorial qu'assumer d'une manière ferme et sans hésitation notre décision d'éditer ce livre.


(1) Voir Libération du 1er mars.


(2) Libération a rendu compte du livre et interviewé son auteur dans son édition du jeudi 15 février.




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