Posted by FDSM on February 06, 2001 at 05:10:46 AM EST:
LES MOUSTACHES DE L’IMPOSTURE
Le développement de la campagne contre les nécrotechnologies aura pour le moins eu comme mérite de faire apparaître la ligne de partage entre une critique radicale de l’ordre existant et ce qu’il faut bien appeler par son nom :une pseudo-critique, réformiste et corporatiste, apologie en réalité de l’économie, contrainte, depuis Millau au moins, d’abattre son jeu. Pour être tout-à-fait clair, José Bové, alias Jésus Bakounine, est son prophète, Le Monde Diplomatique, sa Bible , et Zebda –100% motivés par le contrôle social- son troubadour. Le procès du 8 février à Montpellier nous semble donc être une occasion de clarifier et notre projet*, et inversement, le projet d’intégration à la société industrielle, c’est-à-dire, faut-il le rappeler, à la société capitaliste. Une chose est désormais claire : la société sera révolutionnée quoiqu’il arrive : par les partisans étatiques du meilleur des mondes, ou bien par cet obscur objet de la science de la domination, ces populations qui n’ont aucun pouvoir sur leurs vies (mais qui le savent trop peu encore), et dont les experts médiatiques se font un devoir démocratique de nous rappeler l’ « hystérie » , et les pseudo-sciences de les définir, c’est-à-dire de les réduire, avec les moyens nécrotechnologiques.
Parce que la critique radicale doit considérer toute forme de critique dernier cri non radicale comme son ennemi numéro un, nous allons dire les illusions que celle-ci propage, destinées à égarer le public qu’on a nommé plus haut . La critique bovémaniaque , loin de nuire à l’Etat, vient renforcer tous les contrôles existants (c’est, d’ailleurs, son projet explicite) : son ambition la plus haute est que les « subversifs » mutent en auxiliaires de police. Comme s’il s’agissait encore d’en fournir des preuves, on a vu à Porto-Alegre la fonction policière de ce néo-gauchisme quand il a détourné une manifestation à laquelle prenaient part des paysans du Mouvement des sans-terre.
Le sabotage conduit au CIRAD était la vérification pratique d’une certitude fondée en théorie : la fusion économico-étatique est un des traits fondamentaux de la société industrielle-marchande. On le sait maintenant, les travaux du CIRAD sont à la fois financés par l’Union européenne et par des multinationales comme Hoechst, Rhône Poulenc, Aventis. A travers ces recherches, ce que l’Etat moderne est essentiellement, il le montre visiblement : il joue le rôle de serviteur empressé du développement de l’économie autonome, dont la déclaration de guerre à l’humanité prolétarisée ne saurait plus faire de doute ( sauf pour un consommacteur). Opposer comme le font les bonimenteurs antimondialistes les multinationales et les Etats est parfaitement mystificateur. Leurs déraisons sont les mêmes –et témoignent de leur complicité : aucun Etat ou fragment d’Etat n’essaie seulement de prétendre que nous saurions vivre tôt ou tard sans les bienfaits des nécrotechnologies. Les OGM considérés en bloc ne sont critiqués par personne. On ne veut parler que de principe de précaution, de traçabilité et d’ expertises « indépendantes ».
Il faut tout de même rappeler cette évidence, (qui nous rappelle que le familier n’est pas pour autant connu), que le besoin des experts croît avec le développement de cette société de la dépossession (les experts supposent la dépossession qu’ils renforcent en retour). La division du travail, dont les nécrotechnologies sont la forme la plus raffinée, renforce la perte d’autonomie des individus isolés qui ne peuvent plus rien connaître par eux-mêmes. Chacun dans ce monde ,qui ressemble de plus en plus dans sa « complexité » à un mauvais livre d’Edgar Morin, doit s’en remettre à des spécialistes autonomisés et à leur « savoir » .
Or aujourd’hui il ne saurait plus y avoir d’autre expert « indépendant » qu’étatique,ou pro-étatique ( on a pu voir à l’oeuvre « l"indépendance » de Mme Rivasi) . On peut dire des spécialistes des nécrotechnologies ce que Walter Benjamin écrivait du cinéma : sans accumulation de capital et sans industrie, pas de nécrotechnologie. Il n’y a donc pas d’expert sans maître dans ce domaine. Le « savoir » du nécrotechnicien n’est pas un ensemble de faits :c’est un rapport social, dissimulé sous le voile pudique d’une objectivité hypocrite.
Tout individu sensé ne manquera pas de déduire de ce qui précède l’inutilité qu’il y a à vouloir s’opposer au devenir-artificialisation du monde en s’en remettant , une fois de plus, à l’Etat, fut-ce sous la figure de ces chevaliers-fonctionnaires à la triste figure bourdivine.
On nous dira aussi qu’il s’ensuit qu’on ne peut s’opposer aux OGM sans remettre en cause la logique de la marchandise –dont l’Etat est le palladium. On dira vrai.
Mais, me direz-vous, une telle critique qui ne saurait être moins qu’une critique de la totalité, suppose a contrario, qu’à défaut d’un retour de l’histoire consciente ,ce sont les bases matérielles mêmes de la vie qui s’effondreraient sans retour. A ceux-là nous répondrons froidement que nous l’envisageons . Comme l’écrivait certain esprit libre : « Le plus grand résultat de la décomposition catastrophique de la société de classes, c"est que, pour la première fois dans l"histoire, le vieux problème de savoir si les hommes, dans leur masse, aiment réellement la liberté, se trouve dépassé : car maintenant ils vont être contraints de l"aimer » ou de muter.
La Société des Amis d’Emile Pouget
*Bien que se profile le danger de la constitution d’une orthodoxie qui tranchera qui est « conscient » et qui ne l’est pas, selon des influences qu’elle jugera « caduques » ou non. Aucune proclamation volontariste ne peut en décider sinon le jugement de l’histoire.