Posted by on February 05, 2001 at 01:22:43 PM EST:
In Reply to: La fin justifie les moyens posted by observatoire de téléologie on February 04, 2001 at 01:45:39 PM EST:
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: La vérité pratique est simple, dans son énoncé, pas dans sa réalisation : c'est l'accomplissement, la réalité, la fin de la chose.
: La vérité théorique est plus compliquée à vérifier, parce que la théorie, qui est la préparation de la vérité pratique, est aussi la tentative d'empêcher la vérité pratique.
: La vérité théorique a ainsi une double limite : d'abord la réalité ; ensuite la critique théorique.
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: Nous ne savons pas bien comment le faux de Marx, qui aurait d'ailleurs été rédigé par Bauer, a été reçu par ses contemporains. Si l'objectif était celui qui lui est prêté couramment, à savoir d'indiquer ce qu'il y avait de subversif chez Hegel, nous pensons que c'est un échec : 1. Voyer a montré, en son temps, comment Marx n'a pas su révéler ce qu'il y avait de subversif chez Hegel. 2. Le seul reste de ce texte est la croyance que Hegel était athée, extrapolation partisane et infondée qu'on trouve encore chez Voyer aujourd'hui (récemment, pour illustrer cette croyance en l'athéisme de Hegel, le débris Voyer soutenait un passage cité par le débris Ben Aziz, où Hegel ferait la différence entre Dieu et monde ; rappelons que cette différence est non seulement celle du gros bon sens de la religion, mais celle du christianisme, c'est la différence entre spirituel et terrestre ; ainsi, au moment même où Hegel affirme son allégeance, non seulement à Dieu, mais à la religion dominante de son temps, Voyer y voit de l'athéisme !).
: Le but de Sanguinetti était de mystifier le haut du panier des journacrabes italiens. Il y a en effet réussi. Les spin doctors de la guerre du Kosovo aussi. L'intérêt de mystifier des journalistes nous paraît d'ailleurs plus probant avec les spins doctors qu'avec Sanguinetti. Nous ne pensons pas que mystifier les journalistes italiens, en 1975, était utile au parti dont se réclamait Sanguinetti : personne, alors, ne doutait qu'ils étaient ennemis de ce parti. Pour le reste du faux de Sanguinetti, son contenu a été immédiatement oublié, et même son titre véridique a disparu au profit du « faux de Censor ». Sanguinetti avait voulu montrer que seuls les ennemis du capitalisme italien avaient suffisamment de recul et de cynisme pour comprendre le rapport de force, et que, par conséquent, les dernières chances de le sauver n'en étaient pas. Il faut reconnaître, un quart de siècle plus tard, que ce capitalisme italien avait d'autres ressources que celles invalidées par Sanguinetti, et que le personnage de Censor était plutôt un fantasme de situationnistes vieillissants qu'un défaut du régime.
: Il nous semble donc que la véritable réussite des faux de Marx et de Sanguinetti est dans l'absence, à notre connaissance, de critique de leurs contenus, et dans l'admiration de leurs procédés assez similaires.
: Ces contenus, en effet, sont d'autant plus difficiles à attaquer qu'ils sont protégés par le procédé. Pour atteindre au fond, il faut au préalable s'attaquer au faux, qui peut se transformer en faux faux, et qui a de son côté tous les rieurs, tous les pôooogrôooove. Ceci ajouté à l'intérêt médiocre du contenu semble avoir découragé toutes les critiques.
: Contrairement à l'époque de la Fronde, où les faux libelles circulaient en abondance, le faux de Marx semble avoir été unique en son temps. Par l'outrance du ton et du point de vue défendu, le milieu ciblé n'a probablement pas été trompé, même s'il est patent que Ruge au moins le fut. La 'Trompette du jugement dernier' sortait trop des codes partagés par les hégéliens du quart de siècle après la mort de Hegel : « Parce que jamais quelqu'un qui craint Dieu ne peut être aussi libre et intelligent que l'auteur », ajoutait Stirner en riant. Pour montrer le vrai par le faux, il faut être assuré qu'on ne risque pas de tromper ses alliés.
: Sanguinetti non plus ne semble pas avoir couru ce risque. Quoique en 1975 le procédé du faux n'était pas si rare ou scandaleux qu'en 1841, il était beaucoup moins courant qu'aujourd'hui. Sauf erreur, le pamphlet de Censor n'a été envoyé sans mention de qui était l'auteur qu'aux cibles qu'il cherchait à tromper.
: Nous ne sommes pas, par principe, opposés à ce type de procédé. Nous pensons cependant que l'époque et le contexte y jouent un rôle primordial. Aujourd'hui, dans une période de ressac du négatif dans le monde, les frontières entre partis sont moins nettes, les codes de compréhension sont moins partagés, et l'honnêteté intellectuelle est corrompue, parce qu'on ne sait plus à quoi elle sert. L'Internet, qui est d'abord un véritable défouloir de cette déliquescence de la pensée discursive, s'avère de plus en plus comme un leurre pour ceux qui pensaient y faire entendre un discours qui sort non seulement des croyances ordinaires, mais des intentions seulement récréatives. Si elles n'étaient pas de verbeuses et creuses pimbêches, nous aurions presque de la sympathie pour les Jules G, YBM, Weber au vu du traitement immonde qui leur est réservé sur d'autres forums par de petits margoulins qui, forts d'un minuscule pouvoir, censurent, falsifient, calomnient, mouchardent – bref, tout ce à quoi se sont essayés sur le debord of directors nos adversaires les voyérisateurs, qui ont bénéficié du consentement au moins tacite de ceux qui s'insurgent ailleurs contre ces mêmes crapuleries.
: Il semble que chacune des falsifications – y compris les plus énormes – dont les téléologues ont fait l'objet a réussi à tromper des tiers. Cela tient principalement au fait que ces tiers ont des degrés de connaissance, d'expression et d'engagement fort hétérogènes, au contraire des publics ciblés par la 'Trompette' ou le 'Véridique Rapport', et accessoirement à la haine que nous avons méritée et qui fait que la canaille postsituationniste veut croire que nous sommes bien les auteurs des propos les plus débiles, qui les trompent d'autant mieux qu'ils se laissent tromper. Chaque mystificateur semble pourtant convaincu qu'il est parfaitement transparent, que son procédé est bien connu et innocent ; s'il trompe, il ne peut tromper que des ennemis, par postulat ; et ceux qui sont trompés n'en sont jamais fâchés, mais l'oublient aussi vite qu'ils peuvent, comme toutes les autres humiliations qui en font des pauvres modernes résignés. Mais si, sur le coup, ceux qui suivent ont une chance de n'être pas entubés par ces falsifications, qu'en est-il après plusieurs mois, voire plusieurs années ? Ainsi, le raccourci contenu dans 'Par K.O.' (1973-1975) n'est compréhensible que par ceux qui se souviennent que K.O. avait affirmé être née en 1973 et n'a qu'un faible intérêt en tant qu'introduction au propos de 'Contre K.O.'. C'est pourquoi ce « faux » vient d'abord renforcer le confusionnisme ambiant, la banalisation du faux.
: Sur le debord of directors, le but et le résultat des faux est essentiellement de rendre illisible le discours de l'autre, et en particulier celui de la téléologie moderne ; c'est surtout vouloir le ramener à la petitesse de ceux qui sont assurément fort fâchés de se trouver ainsi interpellés, moins par la téléologie qui est largement hors de leur portée, mais par un « hors de portée » aussi flagrant et aussi durement asséné. Ceux-là mêmes qui ne peuvent pas nous entendre « se pissent dessus » en nous déchiffrant en diagonale, et nous voulons bien les croire : ils sentent en effet l'urine mal maîtrisée, le rire jaune, et l'impuissance haineuse qui voudrait effacer ce qu'elle ne sait pas critiquer. Et pour cause : la vérité n'a pas pour eux de profondeur, elle est putain, elle change au gré de leurs alliances, de leurs affinités, de leur ennui, de leurs lâchetés.
: On voit mieux aujourd'hui qu'aux époques de Marx et de Sanguinetti la faiblesse de ces faux. Empêcher la critique, empêcher de progresser vers le fondement, empêcher la confrontation, le contraire exact du projet de la 'Trompette'. Si Bauer, sans doute, et Sanguinetti, peut-être, avaient quelque chose à dire, là où ils croyaient dénoncer les discours dominants, les faux d'aujourd'hui ne servent plus qu'à ceux qui n'ont rien à dire, pour protéger les discours auxquels ils adhèrent, en suivistes bon teint. Si donc, dans une époque où le faux n'est qu'un périphénomène honteux et caché il peut être intéressant quoique dangereux de l'utiliser pour dire une vérité, c'est de soutenir le vrai contre le faux dans un monde où le faux est officiellement permis qui joue un rôle équivalent, à notre époque. Ils croient que nous sommes puritains, ceux qui nous voient nous battre contre leurs malhonnêtetés, mais non, ce sont bien eux les tenants de la morale dominante ; notre exigence de vérité n'est pas morale, mais nécessaire par logique. Comme les sandinistes en 1979 croyaient être seuls contre le monde alors que le monde entier les soutenait fanatiquement, les falsificateurs de l'Internet et leurs complices se croient subversifs et drôles, là où leurs comportements sont ceux de toute la middle class, depuis l'employé qui prétend tromper son patron en détournant du matériel jusqu'au journaliste qui se permet des petites désinformations. D'ailleurs, la honte de cette permissivité de la triche courante se voit bien ici : les falsificateurs ne revendiquent presque jamais leurs falsifications, au contraire de Bauer et de Sanguinetti.
: Il importe de connaître le niveau de malhonnêteté de son époque. Deux indicateurs seulement permettent de donner des repères : la délinquance des gueux et le niveau de corruption des valets. Nous ne pensons pas, par rapport à d'autres époques du passé (Rome à partir du deuxième siècle, ou les vingt dernières années des anciens régimes de France, de Russie et d'Iran par exemple), que ce niveau soit très élevé ; mais il monte. Et les pauvres, comme ils le prouvent sur l'Internet, font comme si ce niveau était la base de l'honnêteté, ce qui rappelle seulement qu'ils se comportent face à la vérité comme des enfants : tout ce qui est permis est vrai et il n'y a de faux que celui qui est découvert. Les pauvres confondent ce qui est permis et ce qui est honnête. C'est pourquoi, alors que ceux qui deviennent valets deviennent de plus en plus délinquants, ceux qui restent gueux deviennent de plus en plus corrompus. C'est ainsi, principalement, que le niveau de malhonnêteté, à notre époque, monte.
: A la suite du faux de Marx et Bauer, le détournement situationniste, dont le 'Véridique Rapport' relève, a été considéré comme le faux vertueux. Nous pensons que les vertus sont relatives aux buts, mais il faut bien dire que le détournement situationniste a rarement dépassé la valeur de démonstration du faux de Sanguinetti. Le détournement, non dans son principe, mais dans son exécution, et à notre époque, est devenu une complaisance d'initiés de l'art de l'avant-garde entre Lautréamont et Debord, un jeu de société pour postsitus sans imagination, et le plus souvent une forme d'impuissance déguisée et ricanante. Dans son principe, qui nous semble être resté de renverser les armes prises à l'ennemi et de dépasser explicitement les règles du jeu imposées en les dissolvant, il nous paraît toujours aussi difficile et dangereux à pratiquer. A côté de la pratique contre l'information dominante par l'ex-Bibliothèque des Emeutes, nous n'en connaissons que fort peu d'exemples, extrêmement isolés.
: Utiliser les procédés de la mystification, voire du détournement situationniste, au moment où les émeutes de Zanzibar et de Quito n'ont pas encore laissé entendre que l'époque a changé, est une forme de conservatisme, de conformisme, de corruption ordinaire. C'est pourquoi nous les dénonçons.
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: Nous sommes souvent l'objet de l'amalgame moralisateur comme quoi, puisque nous soutenons le projet de tout finir, nous serions des partisans de « la fin justifie les moyens ».
: D'abord, sur le plan de la simple logique formelle, la fin justifie toujours les moyens. Toute fin dit implicitement : les moyens pour m'accomplir ont été les bons, puisque sans eux, je ne serais pas accomplie. Puisque dans cette affirmation le sujet est la fin, c'est dans la perspective de la fin qu'il faut se placer. Et assurément, par sa réalité, c'est ce que fait la fin : elle justifie les moyens.
: Maintenant, dans la perspective morale, la fin est l'objet et les moyens sont le sujet. La question, en particulier chez Lénine, est en vérité : est-ce que tous les moyens sont bons pour parvenir à une fin définie d'avance ? Notre position est très claire : non. Nous pensons en effet que les moyens déterminent la fin. Et que si la fin supprime les moyens, au sens Aufheben, elle ne les contient pas moins. On n'a que la fin des moyens qu'on a utilisés. Comme nous l'avons montré avec le succès limité des faux de Bauer/Marx et de Sanguinetti, et leur échec quant à leur contenu, la vérité n'est pas le résultat du faux, à moins que le faux n'y soit critiqué en tant que tel.
: Nous savons que la ruse, qui est une forme de mensonge, fait partie de l'art de la guerre et que l'un des buts de la guerre est de tromper l'ennemi. Dans le petit chapitre consacré à la ruse (List), Clausewitz tente de subordonner, mais aussi de rendre essentielle cette qualité, faite de souplesse et de mobilité. Nous recommandons bien sûr de mentir à l'ennemi. Là aussi, nous reconnaissons que la difficulté est grande, lorsqu'on transpose la guerre et l'ennemi du monde militaire en uniformes de Clausewitz au monde de l'information dominante et du parti de l'économie et de la communication : comment définir l'ennemi ? A quel ennemi mentir, et dans quelle circonstance ? Et quelles sont les conséquences d'un mensonge à l'ennemi ?
: Nous pensons que tous les mensonges, sous la forme de fausse affirmation délibérée et préméditée, sont envisageables face à une hiérarchie institutionnalisée, sur le terrain de cette hiérarchie. Nous pensons par conséquent que le mensonge est toujours acceptable, souvent recommandé, face à la police, à l'armée, au travail. Nous conseillons là de mentir, à condition que les mensonges ne trompent pas des tiers qui pourraient être nos alliés, c'est-à-dire ceux qui sont en bas ou en dehors de la hiérarchie, qui la combattent de l'extérieur ou de l'intérieur. Ces conseils doivent être fortement relativisés, parce que c'est bien le monde de Kafka, et la variété des situations, des idées et des contextes ne se laisse pas entièrement capter par des injonctions aussi générales.
: De la même manière que se posait il y a quelques années la question du terrorisme, à savoir peut-on risquer de tuer des alliés possibles pour tuer des ennemis, tromper des tiers, qui peuvent être des alliés, nous semble être la question clé du mensonge. Nous pensons que c'est une question extrêmement difficile, parce que nous refusons que l'ennemi soit désigné après coup, pour valider le mensonge, comme le font la plupart des opportunistes – encore faut-il pouvoir désigner l'ennemi en tant que tel au préalable. Le mensonge contre l'ennemi, en effet, est un geste défensif, un palliatif à une infériorité, et n'est souvent que le fait de surprendre l'ennemi.
: Ce mensonge formel ne peut pas être un geste offensif, malgré Clausewitz et la plupart des autres théoriciens de la guerre, pour le parti de la vérité. C'est toujours un expédient, une défense de ce qui est là. Nous pensons donc, en attendant d'être démentis sur cette importante question, que le parti de la vérité ne peut mentir que pour se soutenir, dans des conditions d'adversité extrême ; mais jamais pour l'emporter.
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Confusion entre finitude, finalité, fin .