Posted by on October 27, 2000 at 04:13:23 PM EDT:
Nous avions laissé le grand docteur Weltfaust dans une situation bien pénible : en fuite éperdue et piteuse, sous les rires de quelques ménagères qui lui balançaient sa Substansu à la citrouille, et de quelques badauds qui lui demandaient des comptes sur ses couilles. Incapable de défendre ses gags postthéoriques, le comique charlatan hurlait seulement dans sa fuite qu'il ne reparlerait plus jamais des téléologues sauf kolossale saloperie, qui par définition est équivalente à téléologue, donc infinie, en et pour soi, et réutilisable à tout moment.
Tous ceux qui pensaient que la honte avait fait fuir ce bonimenteur sans finesse n'y sont pas. Il ne connaît pas la honte, surtout pour défendre sa marchandise qui n'a aucune importance pour lui, et dont, du reste, il espère bien fourguer les stocks abîmés en contrebande, juste spéculation sur la crédulité de son temps. Non, s'il courrait si vite, c'est que la journée de travail était finie, comme diraient les téléologues, dans le même moment que la Substansu. Et quoiqu'il exalte fort le travail, après le travail, chez tout VRP grand public, vient le plaisir. Notre héros, en effet, va au match.
Depuis longtemps, ce sympathique personnage suit toutes les rencontres de son club, le sympathique FC Voyer. Rassurez-vous, ce n'est pas un hooligan. Le sympathique FC Voyer n'a pas de hooligans. Notre représentant en gadgets théoriques aime bien simplement, dans une tribune pépère, gueuler toute sa bile et sa frustration, injurier les joueurs adverses, se montrer, se prendre pour quelqu'un. La vanité, explique-t-il, est une passion. C'est la sienne, et il y a droit. C'est vrai, et c'est d'autant plus courageux que dans la galerie des vaniteux de tous les temps, il ne semble pas y en avoir encore eu un seul qui l'ait eu au point de s'en vanter. Un petit tour par Molière suffira pour voir derrière quelle bonne compagnie il trottine.
Pour aller au stade il passe encore plus de temps devant le miroir que pour aller au boulot. Aujourd'hui, il est obligé de changer de nom, parce qu'on commence à savoir que Doktor Weltfaust en allemand veut dire « grosse baudruche de pacotille » et en bon allemand « je n'ai absolument rien à dire ». Il a donc emprunté un autre nom, également trouvé dans les chiottes, destiné à dire exactement « immense modestie de pacotille » et en bon allemand « j'ai des millions de choses très intéressantes à brailler » : Triple Zéro. Il est content de ce Triple Zéro, parce que c'est un de plus que double zéro, et même le triple de zéro. Et l'egogo du miroir lui renvoie son sourire satisfait, ravi de découvrir que son nom adapte de façon très spirituelle le beau chant des supporters : et un, et deux, et trois… zéro. Il ajoute même, en gloussant de fierté, ça c'est rudement bien en… Voyer.
Pour la tenue, Triple Zéro a longtemps hésité à prendre les couleurs du club (le rose qui signifie pré-pédé et le brun qui est la couleur émancipée des anti-anti-anti-anti-antisémites, non par analogie au brun nazi comme le pensent ceux qui ont un anti de moins, mais parce que là aussi ça sort direct des chiottes). Aujourd'hui il a exhumé son vieux costume de Zorro blanc, comme le chevalier blanc, car il va falloir redresser des torts. Le FC Voyer, en effet, n'est pas au mieux. Depuis une vingtaine de rencontres, il a pris autant de roustes contre l'adversaire d'aujourd'hui, l'infâme OT. De plus, le FC Voyer, comme Triple Zéro vient de l'apprendre avec le reste du monde, est une entreprise de falsification massive, la VOYERISATION. Pour les roustes dans le jeu, le loyal Triple Zéro a essayé d'aider son club en croisant deux morceaux de Substansu vers les joueurs de l'OT et en hurlant les insultes les plus insensées qu'il pouvait inventer. Bon, ça n'a pas marché, mais tous les gagnants du Loto ont essayé, non ? Et puis, un peu de superstition et de supercherie, quand c'est pour la bonne cause, y a rien à redire.
C'est pour la VOYERISATION que Triple Zéro se sent utile au destin de son club. Là, gueuler pour gueuler est à la fois dans l'esprit du club, et une ligne de défense plus efficace que le gardien des buts du FC Voyer. D'abord, un peu de falsification, c'est pas la mort, y a des choses plus graves dans le monde, surtout si ça vient du FC Voyer et de son président à vie, Papy Voyer. Il faut vraiment être puritain pour vouloir que tout se passe proprement. D'ailleurs, c'est si facile de se défendre contre les falsifications évidentes et indubitables que la bonne attitude du bon supporter, c'est de prendre l'offensive, d'accuser l'autre de falsification. La vraie falsification, croyez-moi, c'est ceux qui dénoncent la falsification de Papy Voyer pour capitaliser dessus. Les OT, qui ont dénoncé les trucages massifs (pourquoi l'OT n'a-t-il pas besoin de falsifier Voyer pour le critiquer ? Pourquoi Voyer et les voyéristes ont-ils besoin de falsifier massivement l'OT pour le faire taire ?), sont les vrais falsificateurs, parce qu'ils ne comprennent pas Papy Voyer comme il faut. La vraie malhonnêteté, c'est par exemple de prétendre que Papy Voyer aurait dit que l'économie est une religion, alors qu'il ne l'a dit qu'une fois, page 118, mais ça compte pas, parce que depuis il a prétendu que c'est une métaphore. Le vrai malhonnête, ainsi, c'est Adreba Solneman, qui a cru longtemps que la phrase de la page 118 c'était du lard, comme c'était marqué dessus, alors que c'était du cochon, comme Papy Voyer, qui en est tout de même l'auteur, nous l'a appris. Et pour vous montrer jusqu'où va la malhonnêteté : depuis, Adreba Solneman a même reconnu publiquement, avec une magnanimité qui ne sert à rien, qu'il pouvait s'agir d'une métaphore. Grosse ruse évidemment, ça compte pas non plus. Parce que c'est Adreba Solneman.
Sur ce sujet, il est intarissable, Triple Zéro. Avec Papy Voyer, il explique avec toute la dialectique du système solaire, il faut penser large. Papy Voyer, dont le discours n'a aucune contradiction interne, mais qui s'est seulement trompé sur le principe du monde (c'est des riens, ça, c'est pour rire), qui, lorsqu'il est repris sur sa théorie de la division infinie du travail, avoue que le mot travail n'est ici qu'une provocation, et qui, d'une manière générale, est poussé par sa « fougue légendaire » au point qu'il enfile des conneries stupéfiantes même pour un Triple Zéro, eh bien Papy Voyer, il ne faut pas le prendre à la lettre, mais le saluer pour l'ensemble de son œuvre : si le FC Voyer est un petit club, c'est grâce à lui.
Avant le match, Triple Zéro aime bien venir se chauffer avec quelques canettes, à la buvette, devant un auditoire plus guerrier, c'est-à-dire moins hilare que les ménagères de la journée. C'est avec les autres, c'est-à-dire avec l'OT, qu'il faut y aller au mot à mot. Un exemple : en 1995, la Bibliothèque des Emeutes disait qu'il fallait tourner la tête quand on voyait le cul de Papy Voyer se débiner, et plutôt se concentrer sur le jeu. Aujourd'hui, l'OT crache à la gueule de la personne Papy Voyer. C'est pas un mensonge, ça ? N'essayez pas d'expliquer à ce fan que la BE ce n'est pas l'OT, ne pas faire l'amalgame ça ne sert à rien. N'essayez pas non plus de lui expliquer que, justement, l'une des différences les moins importantes entre BE et OT, c'est que la BE n'avait vu que la lâcheté de Papy Voyer, alors que l'OT a appris, en 1998, qu'en plus le planqué avait falsifié. Parce que, quand on est soi-même falsifié, et ça ne risque pas d'arriver à l'insignifiant Triple Zéro, et qu'on voit le falsificateur pérorer la bouche enfarinée, se complaire dans ses petites autocélébrations comme si de rien n'était, eh bien, chaque fois, la bête envie de lui cracher au portrait reprend ses droits avec vigueur et non sans raison. Papy Voyer, qui depuis près de vingt ans en est là avec Papy Debord, connaît très bien ce que son fan pourtant pas puritain feint de trouver scandaleux.
Un autre exemple : en 1995 toujours, la même BE prétendait présenter le véritable contenu de la prochaine insurrection. Aujourd'hui, l'OT prétend ne pas connaître l'essence de ce contenu. C'est pas du mentir vrai, ça ? ou je meurs. Doutons qu'à la buvette du FC Voyer il se trouve quelqu'un pour expliquer qu'entre la présentation du véritable contenu de la prochaine insurrection, qui est la question de la téléologie moderne, et son essence, qui est sa réalisation, il y a autant de différence entre ce qu'on sait et ce qu'on ne sait pas. Et comme cette considération est un préalable, celle qui suit ne sera donc pas accessible au petit peuple du comptoir voyéro-debordiste. C'est que, en effet, une des différences plus importantes entre BE et OT se situe dans l'évaluation de la pensée critique dans le monde. La BE pensait, pour plusieurs raisons, que la prochaine vague de révolte serait proche ; l'OT au contraire constate que l'ennemi a réussi à réinstaller la lenteur dans le monde (la VOYERISATION n'en est qu'un exemple mineur, mais significatif). L'onde des vagues de 1967, 1978, 1988 est encore en train de se diffuser, et l'on ne peut plus se représenter la vague suivante avec l'optimisme, un peu forcé, de la BE en 1995, juste avant de se dissoudre. Le décalage vient en partie de ce que la BE pensait que la prochaine vague d'assaut serait encore dans le présent, dans la même époque, alors que l'OT commence à craindre qu'elle ne se dérobe dans le futur. Cela ne change pas fondamentalement le contenu, qui portera sur le monde et comment le réaliser, mais cela transforme encore davantage en vaine spéculation toute forme d'hypothèse sur sa réalisation. L'OT continue de penser, comme l'ex-BE, que le contenu de la prochaine insurrection sera selon ce que nous avons compris des précédentes ; et il continue d'ignorer, comme l'ex-BE, quels seront ses sujets et ses objets, leurs jeux et leurs mouvements, leurs perspectives et leur portée.
Quand Triple Zéro arrive au stade, sa première fierté c'est de mépriser l'ouvreuse. Il se pose son cul imposant tout seul. Ça lui vient de l'allemand : sich selbst setzen. Puisque l'économie de la religion est la métaphore du FC Voyer, le selbst setzen est la religion de la métaphore de Triple Zéro, le bonimenteur. Il suffit de se poser en soi, et pour soi, pour convaincre les autres. Sich selbst setzen, s'asseoir tout seul, première règle du boniment réussi. Se poser là et se la poser, voilà comment ça marche. Et après, quelques téléos enculés, téléos menteurs, tricheurs, connards, ordure, caca bien gueulés, ça fait le boulot auprès des timorés, des autres lents, des postcanettes.
Dès que Triple Zéro sent que selbst setzen ou pas il commence à passer pour un rigolo, c'est-à-dire avant même le coup d'envoi, il commence à essayer d'impressionner (parce qu'impressionner trois spectateurs est la vraie et unique raison de sa présence au stade) tout ce qui est à portée de postillon par sa culture, un peu comme la concierge Ben Zozo, qui chaque fois qu'elle a englouti un nouveau livre se demande comment elle pourra le faire savoir au monde ébahi. Ah oui : les téléos n'ont pas compris… titre du livre. Mais la culture Triple Zéro est foot. Sich selbst setzen, par exemple, vient de l'avant-centre du FC Voyer, Hegel, qui se retrouve toujours le cul dans le gazon de la surface de vérité, près du but adverse. 1968, l'année où le FC Voyer est monté en première division, devient, chez Triple Zéro, ordre du Weltgeist auquel on ne désobéit pas. 1975, quand le FC Voyer est devenu champion (malgré une élimination cuisante dès le premier tour de coupe d'Europe au Portugal), s'appelle désormais une déflagration théorique. L'histoire du monde n'est pas l'histoire du Paris Saint-Germain, mais l'histoire du FC Voyer.
Dans la vraie vie, Triple Zéro prend bien sûr les choses par le foot. Quand il ne comprend pas une idée de son époque, il affirme que c'est un trois contre trois, c'est Hegel, Marx, Jipi contre Hume, Cieszkowski, Peirce. Comme de nombreuses sommités sous-intellectuelles qui se gargarisent de références de peur de montrer leur ignorance profonde, Triple Zéro ignore d'où viennent les idées, et à quoi servent les citations. Car personne ne peut ignorer, pense-t-il dans son cœur honnête, que la triplette magique du FC Voyer a toujours dribblé l'autre. En accord avec la tactique de l'équipe, en effet, les fans du FC Voyer pensent toujours en triplettes magiques. Et puis, pour couvrir ce genre de références saugrenues, quelques bons rots injurieux, plein d'astuce, font l'affaire : connards, crétins, champions… de la falsification.
Après le match, Triple Zéro, la voix cassée par les fanfaronnades à plein gosier, se traîne jusqu'à la porte des vestiaires. Là il lèche le cul d'absolument tout le monde : Von Nichts le milieu de terrain récupérateur et Aristoutou son remplaçant, Bueno le boute-en-train chef du service d'ordre, Obertopp l'entraîneuse de l'équipe réserve, FC le faux cul dont il loue bruyamment la bonne foi, et même Terrien dont il approuve en soupirant les falsifications, puisqu'elles visent l'infâme OT (et bientôt ce sera le tour de Ben Zozo la concierge du stade, d'YBM le jardinier, et d'Eric K. le ramasseur de balles). Mais surtout il attend monsieur Jipi, ses yeux de chien fidèle mouillés. Ah ! On ne se remémorera jamais suffisamment le jour béni où monsieur Jipi, la star de l'équipe, que Triple Zéro seul a le droit de critiquer… un jour… s'il rate encore un penalty, lui a donné une petite claque sur son bonnet à pompon aux couleurs du club : c'est bien de faire mon panégyrique, comme ça j'aurai pas à le faire moi-même ! Monsieur Jipi est le meilleur footu du monde. Et il faut être un salaud de puritain pour prétendre qu'il a triché, lui, snif, son père Papy Voyer, snif, snif, et leur communication finfinie.
Mais Triple Zéro n'a pas la pêche. Le FC Voyer s'est encore pris une raclée. Et demain, il va falloir retourner au boniment, travailler quoi. En plus, c'est vrai que la Substansu, c'est triple zéro au niveau des ventes. Les géraniums c'est plus la saison. Les infinis de Hegel et Guénon, qu'on a essayé de vendre en pack de deux, sont à la poubelle, et il va falloir encore inventer une nouvelle connerie. Quoique là, notre Triple Zéro a déjà sa petite idée (putain, qu'il est bon !), qui a germé en regardant la pelouse de son club de falsificateurs systématiques : la nature ça n'existe pas. Heil Hegel !