ce ne sont pas les robots qui deviennent plus intelligents, mais les hommes qui deviennent toujours plus cons


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Posted by doctor no on October 17, 2000 at 01:25:54 PM EDT:

In Reply to: 20 Ways the World Could End posted by on October 17, 2000 at 07:01:31 AM EDT:

En Juin 2000 paraissait, dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung, un manifeste de Billy Joy, patron de Sun Microsystems et inventeur du langage informatique Java, exposant les dangers que le progrès technologique en voie d'accomplissement faisaient peser sur l'avenir de l'humanité, et appelant le gouvernement Américain à renoncer, non à ces technologies elles-mêmes, mais à certaines expérimentations nanotechnologiques et d'électronique moléculaire. Peu après, dans une interview accordée au même journal, Ray Kurzweil, également chercheur de haut niveau et conseiller de Clinton, confirmait les risques exposés par Joy, mais ne s'en prononçait pas moins pour la poursuite de ces recherches .
Le texte suivant, publié en Août dans les mêmes colonnes, est la première réaction critique parue en Allemagne contre ce pseudo-déterminisme terroriste. On notera qu'elle émane d'un membre du groupe berlinois des "Chômeurs Heureux": Qu'on s'en réjouisse ou qu'on s'en inquiète, le fait est symptomatique et n'est pas passé inaperçu.


LES HOMMES DEVIENNENT-ILS PLUS STUPIDES QUE LEURS MACHINES?

"L' avenir n'a plus besoin de nous" annonce Billy Joy, qui se fait du souci. "Bientôt les êtres humains seront remplacés par des machines plus intelligentes" déclare Ray Kurzweil qui se réjouit d'avance. De tels messages s'adressent à nous, non-initiés; ils veulent provoquer la fascination ou l'effroi, en tout cas des sentiments impuissants. Mais il s'agit là tout de même de questions trop importantes pour les laisser aux seuls scientifiques. Sans vouloir abuser de notre faculté de juger, osons poser une question naive: En vertu de quoi devrions-nous accepter un futur qui ne veut plus de nous? Ce n'est pas que je doute de la "faisabilité" technique de cette métamorphose de la vie que l'on nous annonce, ni que j'en sous-estime la probabilité. Mais cela est loin de suffire à un argument: Finalement, les chambres à gaz et la bombe atomique se sont aussi avérées "faisables" et pour beaucoup, malheureusement, "incontournables". On nous parle beaucoup de l'avenir, mais bien peu des conditions présentes qui concourent à un tel avenir. Et pourtant, les déclarations de Ray Kurzweil ne transmettent pas seulement des informations, mais aussi un ton et une forme de pensée qui méritent d'être observées de plus près. Il est même loisible de se demander si nous n'avons pas affaire ici à un test d'abrutissement destiné à mesurer le degré d'apathie des contemporains. Et de fait, ces déclarations ont provoqué bien peu de réactions publiques jusqu'à présent. Si bien que l'on peut même se demander, si ce ne sont pas plutôt les êtres humains qui sont en train de devenir plus stupides que leurs machines.

Commençons par le rapport du corps à l'esprit dont on nous annonce la réforme définitive. Depuis la nuit des temps, il existe à ce sujet une pléthore de conceptions. C'est sur la réponse à cette question primordiale que se sont différenciées les différentes cultures, religions et philosophies les unes des autres, et ceci à un tel degré qu'aucune synthèse n'est concevable. Beaucoup de traditions demeurent même incompréhensibles à des rationalistes occidentaux, ceci bien qu'elles puissent faire états de résultats remarquables (entre autre dans le domaine de la médecine, des techniques corporelles etc.). Comment les technomanipulateurs abordent-ils la question? "Notre conception de la vie et de la mort ne doit pas conduire à accepter que les données de notre esprit disparaissent avec notre disque dur. C'est pourquoi il va nous falloir séparer le software du hardware". Un programme à la conception si pauvre permettra peut-être à la philosophie de Bill Gates de survivre à la mise à la casse de son disque dur, en revanche il parait peu probable que la mystique gnostique ou la cosmologie des Papous puissent être téléchargées de la sorte sur le hardware post-humain. Il se peut bien que l'intelligence croisse en valeur relative, mais seulement dans une direction donnée, ce qui équivaudrait en valeur absolue à une perte. Les hommes-machines seront plus performants que leurs programmateurs, ils n'en emploieront pas moins la même syntaxe et se mouvront dans le même cadre restreint de pensée.

Kurzweil juge "irréaliste" l'appel à renoncer à certaines technologies. En même temps, il en loue le résultat comme la production d'un monde où "l'illusion sera parfaite". Dans cette logique mutante, seul peut donc être appelé un réaliste celui qui s'abandonne totalement à l'illusion! Mais peu importe si ce développement est désiré ou non, Kurzweil veut nous convaincre par des arguments philosophiques qu'il est inévitable. Car il s'agirait d'un simple "moment du processus général de l'évolution", lequel suit une loi d'accélération constante. Il nous conte une histoire qui commence avec l'apparition des premières cellules, laquelle nécessita plusieurs milliards d'années. Ensuite, flore et faune ont évolué beaucoup plus vite pour parvenir au mammifère. Quand enfin l'homo sapiens est arrivé au top de sa forme, l'évolution biologique n'a plus suivi le rythme et a été relayée par l'évolution culturelle. On a découvert le feu, taillé la pierre, et la technologie s'est développée toujours plus vite, jusqu'à ce qu'aujourd'hui un nouveau bond qualitatif soit en passe de se réaliser. Nous sommes sur terre pour participer à l'évolution et il serait tout aussi stupide et vain de s'opposer aujourd'hui à la fabrication de robots spirituels qu'il ne l'aurait été voici quelques centaines de millions d'années de vouloir aller contre l'usage de la roue.
Ce raisonnement peut paraître logique et séduisant; il n'en est pas moins totalement faux. Il est, et depuis longtemps, abondamment attesté que les sociétés humaines dans leur complexité, leur diversité et leurs contradictions, ne peuvent aucunement être comparées à l'évolution biologique. Ce sont des millions de personnes qui ont contribué au patrimoine des inventions technologiques, sans pour autant qu'elles poursuivent un but commun. Et il est arrivé souvent que des innovations soient massivement refusées ou bien adaptées à la culture locale. Voilà des différences essentielles avec le développement technologique actuel. Aujourd'hui une clique de chercheurs et surtout la poignée de trusts et d'institutions qui les financent prétendent prendre en charge l'ensemble de l'évolution humaine et biologique. On ne doit voir là qu'une usurpation de caractère totalitaire.

C'est abusivement qu'une telle idéologie est qualifiée de "darwinisme social". Elle est en fait apparue avant Darwin et indépendamment de ses travaux. Elle provient de la vision mécaniste du monde qui régnait au XVIIIème siècle, et avait été systématisée en particulier par Herbert Spencer, un type foncièrement antipathique qui avait pour habitude de se bourrer les oreilles de coton avant de recevoir une visite. Pour Spencer, l'histoire se réduisait à une sélection automatique des meilleurs, à la tête desquels trônait, bien entendu, l'Empire Britannique. Comme on peut s'y attendre, c'était un ardent défenseur du libéralisme économique qui voyait dans le marché une machine autorégulée gouvernant les égoismes humains. Par ailleurs, Spencer ne voyait dans la psychologie que des déterminations génétiques innées. L'individu se trouvait intégralement soumis aux lois de l'évolution. En bref: Spencer haissait la liberté comme la peste. Quoi qu'il en soit, son monument dogmatique tomba vite en décrépitude. D'une part, le regard de l'ethnologie conduisit à relativiser la perspective du développement occidental; d'autre part les guerres mondiales, les crises économiques et surtout le délire nazi ébranlèrent durablement la croyance au progrès. Dans les années cinquante du XXème siècle, Claude Levi-Strauss pouvait parler de l'évolutionnisme Spencérien comme d'un "maquillage faussement philosophique" et d'un "procédé séduisant, mais dangereusement commode" sans soulever d'objections. Vers la même époque, Karl Polanyi décrivait le marché auto-régulateur comme une "idée purement utopique" ne pouvant "exister de façon suivie sans détruire l'homme et transformer son milieu en désert". Il régnait le sentiment de s'être libéré d'une erreur fatale. On pouvait respirer.

Or voici que cette vision du monde que l'on croyait morte et enterrée depuis des lustres a repris le pouvoir; et cette régression de la pensée n'est pas moins formidable que le progrès de la technique. Comme chez Spencer, néolibéralisme, génétique et domination étasunienne forment un système unique de valeurs, honnissant la représentation de l'humain comme être social et sujet souverain. Pour les curés de l'Economie, tout ce qui existe se réduit à l'équivalent général de l'argent; pour les apôtres de la technologie à un monceau d'ADN et de molécules. Dans les deux cas vaut la règle: Le monde est l'ensemble de tout ce qui est manipulable. Nous voici à nouveau soumis à un développement mécanique et irréversible, lequel s'exerce, qui plus est, de façon bien plus radicale et accélérée qu'au XIXème siècle.

A l'époque où il existait encore un débat public, la question de savoir si des facteurs psychiques déterminés ou certaines maladies étaient génétiquement innés ou redevables à l'environnement de l'individu était âprement discutée. Aujourd'hui, il a été mis fin au débat. Car il est plus commode de décoder la séquence génétique responsable du stress et de traiter celui-ci par des drogues médicamenteuses que de s'aviser de s'attaquer aux causes sociales qui le provoquent. Et surtout, ça rapporte plus gros. La fusion du déterminsime biogénétique et de l'intégrisme de marché a une raison très prosaique: Aujourd'hui comme jamais auparavant, la recherche est contrôlée par des lobbys privés ; les chercheurs ont abandonné tout scrupule moral contre un haut salaire et se sont fait les valets et propagandistes de leurs employeurs. Ce sont jusqu'aux règles les plus élémentaires de la recherche scientifique qui se voient peu à peu abandonnées. Il ne reste plus qu'un personnel de techniciens pratiquant de l'engineering.
Les conséquences pratiques sont clairement identifiables dans l'exemple de la nourriture génétiquement manipulée, car là nous n'avons pas affaire à des scénarios futuristes mais à un processus en voie de réalisation. Kurzweil regrettes les "réactions antitechnologiques démesurées" qui s'élèvent en ce moment. "Nous pourrions réduire l'usage des pesticides" dit-il, et "c'est la vie de millions de gens qui est en jeu". Mais ce n'est pas un "nous" qui décide des applications du génie génétique, et pas même le technicien, mais son employeur. On sait que ce sont précisément les firmes productrices de pesticides qui développent en parallèle des plantes résistantes aux dits pesticides. Le but n'est pas de désempoisonner l'environnement, mais de rendre la vie résistante au poison. A cet exemple, on voit déjà ce que nous réserve l'électronique moléculaire. La promesse d'une verte jeunesse de mille ans n'est que l'argument publicitaire destiné à faire passer un projet moins enthousiasmant: celui de remodeler l'humain afin qu'il puisse survivre dans un monde de plus en plus ravagé.
C'est aussi à la technologie génétique que les paysans doivent l'obligation de racheter chaque année des semences rendues autostériles. Monde étrange que celui ou les machines peuvent se reproduire, mais pas les plantes! Le but est de parfaire la dépendance générale, et cela vaudra d'autant plus pour l'homme robotisé du futur. Ce sont les fondements même de la vie qu'il sera contraint d'acheter au prix fort.

Ce n'est pas un développement mécanique qui commande ladite "révolution technologique", mais le pouvoir ; et le bouleversement permanent des conditions d'existence ne sert que la permanence du pouvoir. La question de savoir si cette évolution est encore évitable se résoud à une question de rapport de forces. A ce propos, il ne faut pas méconnaitre le caractère impérialiste de ce nouveau processus.
La chute de l'Union Soviétique avait provoqué une grande dépression dans les cohortes de l`Imperium Americanum. Le prétexte de leur course aux armements s'était volatilisé, et cela juste au moment où ils s'apprêtaient à mettre au point la fameuse Initiative de Défense Stratégique, laquelle leur aurait assuré depuis l'espace la suprématie absolue sur l'ensemble de la planète. C'est pourquoi ils accueillirent l'entrée en scène des apprentis-sorciers de la nanotechnologie comme un présent des dieux. L'Empire s'était retrouvé un but. Du point de vue stratégique, de telles recherches se doivent d'être menées, non pas malgré les risques afférents, mais à cause d'eux. Une saine terreur va pouvoir à nouveau se répandre parmi les populations, et un Saddam Hussein sert une fois de plus à la propagande: "Si nous ne menons pas ces recherches, Saddam les mènera ; il les appliquera contre nous et nous resterons sans défense." Une fois les recherches menées à leur terme, il ne sera même plus besoin d'épouvantail humain, car ce seront alors les robots eux-mêmes qui constitueront un danger permanent et invisible. Et pour prévenir à temps une catastrophe nanotechnologique, laquelle n'est détectable que par le réchauffement subit de l'atmosphère qu'elle provoque, il sera nécessaire de mettre en place un système de défense planétaire, à savoir la bonne vieille Initiative de Défense Stratégique. L'Empire n'ayant plus d'ennemi menaçant, il s'en fabrique un de toute pièce: l'ennemi héréditaire parfait, qui ne sera jamais anéanti, mais devra toujours être contenu. Et pour une éternité qui pourrait bien être de courte durée, la vie sur terre sera dépendante d'un système immunitaire technologique aux mains des Etasuniens.

Les nanoréplicateurs sont des robots microscopiques, construits molécule par molécule, qui possèdent la capacité de se reproduire et de prendre des décisions autonomes. Certes, ils n'existent pas encore, mais on y travaille d'arrache-pied, avec le risque calculé d'avance, et plutôt désagréable, qu'un beau jour l'idée vienne aux nanoréplicateurs de se reproduire aussi vite et extensivement que possible. Par exemple, un robot construit avec des atomes de carbone pourrait décider de s'approprier tout le carbone du monde pour élargir le cercle de ses amis. A la vitesse exponentielle d'un virus informatique, mais cette fois dans l'espace réel, la biomasse se trouverait de la sorte convertie en "nanomasse", ce qui veut dire simplement que le monstre de carbone détruirait tous les organismes vivants sur terre. Les experts nomment cette variante de l'apocalypse (car ils en ont d'autres en stock) l'hypothèse du "gray goo" ou "écophagie globale" Selon leurs calculs minutieux, celle-ci pourrait s'effectuer en 104 secondes.
Imaginons à quoi penserait alors notre nanoréplicateur. Il n'éprouverait certainement pas de mauvaise conscience, mais se dirait: "Je suis le porteur de l'évolution et mon action obéit à la loi de la 'survival of the fittest'. Les autres doivent bien accepter ce progrès, du reste j'ai conservé une trace de leur existence (les atomes de carbone); et de toute façon, ce développement est in-con-tour-nable et il serait irréaliste de vouloir aller contre." En un mot, il raisonnerait comme un Ray Kurzweil aujourd'hui, en utilisant la même logique a-humaine. De ce point de vue, l'hypothèse de l'"écophagie globale" est une parfaite métaphore de la colonisation de la vie en cours d'achèvement.

Aussi jeune que soit le siècle, une chose est déjà certaine: Nous allons connaître un retour de la tragédie. Le développement nanotechnologique est décrit par Billy Joy comme un "marché faustien" et une "nouvelle boîte de Pandore en passe d'être ouverte". Au coeur de la conscience tragique se trouve le conflit irrésolu entre liberté et nécessité, caractère et destin, transgression et soumission. Derrière le masque souriant de l'idéologie américaine perce la volonté de se dégager à jamais d'un tel conflit. Mais dans l'intrigue d'une tragédie digne de ce nom entre aussi en jeu le meurtre du tyran, et la révolte contre l'impossibilité de se rebeller. Pas un jour ne passe sans qu'une de nos impardonnables imperfections ne se trouve génétiquement décodée. L'homosexualité et la propension féminine au ragot, la schizophrénie et la mauvaise humeur, tout cela et le reste est débusqué dans un bout d'ADN. Il reste cependant une chose que les ingénieurs des âmes n'ont pas encore trouvée: la séquence génétique de la révolte. Pourtant, la propension humaine à la révolte s'est trouvée maintes fois avérée. Elle se manifeste d'ailleurs avec prédilection contre celles des lois qui se veulent intangibles. Même la science était née d'une révolte contre les contraintes naturelles et le destin ordonné par Dieu. Si une rébellion venait encore à éclater, elle devrait se diriger contre le nouveau destin technologiquement équipé et contre les usurpateurs et prostitués qui veulent nous le vendre. Certes, les batailles seraient alors paradoxales: Alors que les révoltés du passé inscrivaient sur leurs drapeaux "la révolution ou la mort!", c'est aujourd'hui le pouvoir qui fomente une "révolution sociale de premier ordre" quand nous devrons nous préserver d'une immortalité qui serait encore pire que la mort.


Gullaume Paoli




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