Quand je vois un sémite dans la rue, je change de trottoir


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Posted by Ben Aziz on August 04, 2000 at 04:26:50 PM EDT:

In Reply to: La nature a horreur de Lipovetsky posted by on August 04, 2000 at 09:33:28 AM EDT:

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«Il y a désormais une légitimation sociale du plaisir»


: Entretien avec le sociologue Gilles Lipovetsky.
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: Recueilli par VITTORIO DE FILIPPIS
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: Libéramerde du vendredi 4 août 2000
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: Philosophe et sociologue, Gilles Lipovetsky (1) est professeur à l'université de Grenoble.

: Il explique notamment en quoi le rapport à l'argent a changé. Et comment le triptyque spéculation-Bourse-Internet influe sur les nouveaux modes de consommation.

: Comment s'explique ce fort regain pour le luxe?

: Il y a désormais une légitimation sociale du plaisir qui amène les individus à vouloir ce qu'il y a de mieux et de plus beau pour eux. Hier, il fallait consommer nécessaire. Aujourd'hui, nous sommes dans une société qui vante les bienfaits de l'épanouissement personnel. Alors pourquoi ne pas se payer un restaurant trois étoiles, s'offrir de temps en temps un voyage à l'autre bout du monde? Ce comportement dépasse l'expression d'un accroissement du pouvoir d'achat.

: Reste qu'on apparaît par ce qu'on consomme...

: La dimension démonstrative de la consommation n'a pas disparu. Mais elle n'est plus son moteur primordial. On a aussi un rapport érotique aux choses. Cette métamorphose participe d'une autre métamorphose: celle du rapport à l'argent, avec pour point de départ les années 80. A l'époque, la société française cesse de diaboliser l'entreprise, le dirigeant et le profit. C'est aussi l'époque de la «starification» des figures marquantes de l'entreprise. Le mot golden boy fait fureur et Bernard Tapie devient un modèle. Aujourd'hui, nous assistons à la continuation de ce modèle entrepreneurial. Avec ceci de nouveau: il tend à imprégner le corps social et à restructurer les attitudes de chacun.

: Est-ce le signe que la société française, et plus largement l'Europe, est dans un rapport mimétique avec le modèle américain, où l'argent n'engendre pas un sentiment de culpabilité?

: Cette nouvelle culture exprime bien plus que cela. D'abord, cette diffusion du rapport à l'argent exprime une société désormais sans alternative réelle. Et dans laquelle tout le monde, peu ou prou, s'intègre dans le marché. Il y a donc une intériorisation du libéralisme et du marché comme règle de l'échange. Ensuite, cela concrétise la montée en puissance d'une culture performative. Longtemps, être moderne signifiait rejeter la tradition, être transgressif ou encore être révolutionnaire.

: Etre moderne aujourd'hui, ce serait être riche?

: Oui, mais gagner de l'argent ce n'est pas seulement montrer qu'on est riche ou qu'on a réussi, c'est montrer qu'on est quelqu'un, une individualité, et qu'on sait jouer avec les nouvelles règles du jeu, bref, qu'on est intelligent. Nous sortons du monde des héritiers. Enfin, ce nouveau rapport à l'argent exprime une société dans laquelle l'argent a un rôle manifestement de plus en plus important. Les satisfactions marchandes se démultiplient. Du coup, les grands systèmes idéologiques s'épuisent (la révolution, le nationalisme, le catholicisme...). Bref, plus rien ne s'oppose à la spirale de l'argent. Un boulevard s'ouvre, seulement limité par les principes éthiques qui réclament, par exemple, l'honnêteté ou encore la condamnation de la corruption.

: Ces comportements n'existeraient pas sans la nouvelle économie, les start-up, la Bourse...

: C'est vrai, les possibilités de gain sont plus rapides aujourd'hui. Le rapport de l'argent au temps a changé. Avant, nous étions dans une logique entièrement salariale. Il fallait épargner pour avoir de l'argent, ce qui n'était pas propice aux comportements flambeurs. Aujourd'hui, dès lors que l'on gagne de l'argent par la spéculation et rapidement, il est probable que cela favorise une consommation plus impulsive. Le temps spéculation-Bourse-Internet s'accélère. D'un côté, il y a l'hédonisme et une culture de la consommation qui jouent comme instrument de l'éradication de l'esprit sacrificiel. De l'autre, la diffusion de l'esprit économique, de l'Internet, de la Bourse, qui contribuent à renforcer la prééminence du présent. La combinaison des deux peut sans doute expliquer le phénomène de la consommation plaisir auquel nous assistons. Jusqu'à présent, le principe de réalité du chômage venait contrecarrer les principes de plaisir du présent. Il semble que ce verrou soit en train de sauter. D'un point de vue strictement économique il devrait s'ensuivre une baisse du taux d'épargne des ménages.

: (1) Gilles Lipovetsky a notamment écrit sur la mode et l'individualisme. L'Ere du vide. Essai sur l'individualisme contemporain (Folio Essai). L'Empire de l'éphémère: la mode et son destin dans les sociétés modernes (Folio Essai).




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