Un peu d'air frais !


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Posted by Ben Tramp on July 21, 2000 at 01:00:13 PM EDT:

In Reply to: Du mode de vie posted by Kathrin Obertopp on July 21, 2000 at 02:25:01 AM EDT:

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Du mode de vie


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La contestation globale commence avec la critique en actes du travail salarié, selon un principe premier hors de discussion : "Ne travaillez jamais". Les qualités d'aventure absolument nécessaires pour une telle entreprise sont exclusives du caractère. Le caractère est la ruine de ces qualités. Le problème de la contestation de la société entière est donc aussi le problème de la dissolution du caractère.


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J.-P. Voyer, Reich, mode d'emploi


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Même dans une époque aussi méconnaissante de la pensée négative que la nôtre, il y a toujours des individus, parmi lesquels j'ai l'honneur d'être reçue en amie, qui sont des éléments de perturbation partout où ils vont. Ils travaillent, mais ils ne font de ce qu'ils promètent à ceux qui les embauchent que le strict nécessaire pour maintenir les expéctatives à propos de leurs capacités. Quand les circonstances les obligent à travailler comme main-d'oeuvre non-qualifiée, ils sont toujours des saboteurs et des grévistes. Ils n'ont pas de compte en banque, ils n'ont pas de carte de crédit, ils ne payent pas leurs dettes -- mais ils essayent d'en faire autant que possible. Ils ne sont jamais trop longtemps à un même endroit, non parce qu'ils ont la prétention de voyageotter, mais parce que leurs sources de révenus sèchent les unes après les autres et il faut en chercher des nouvelles, toujours ailleurs, et aussi parce que, n'ayant pas trop de respect pour la propriété, ils sont parfois recherchés par la police. Ils ne ménagent pas les goûts de l'époque, ils n'accumulent rien, ils refont leur vie à chaque pas. Parfois ils s'associent, ils cohabitent et ils font même des enfants, dont je suis.


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Chez eux, rien n'est jamais permanent. La seule chronicité dans leur vie est leur tendance à ne faire jamais ce qu'on attend d'eux. Ils sont impulsifs, ils sont irresponsables, ils ne sont pas fiables.


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La vaste majorité des ces individus ne mène pas ce genre de vie parce qu'il serait supérieur aux autres d'un point de vue moral ou "théorique", mais parce qu'au fond ils sont incapables de faire autrement, à cause d'un défaut quelconque dans la formation de leur caractère; ceux qui le font pour des raisons idéologiques sont toujours les premiers à accepter passivement les rôles que le spectacle est toujours prêt à leur offrir -- ils deviennent des artistes, des écrivains, des "théoriciens". La plupart de ceux qui le font par manque de caractère finit par sombrer dans l'ivrognerie ou dans la folie, accablés par ce qu'ils ressentent comme une incapacité à vivre "normalement".


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Certains d'eux arrivent à la théorie. C'est ainsi que l'esprit vient aux hommes (et aux filles). Et quand il vient par cette voie, ou par une rupture du tissu homogène du spectacle qui conduit à une situation où tous les hommes (et toutes les femmes) sont confrontés à leur propre vie d'esclaves(1), c'est toujours de leur vie dont la théorie parle. D'où l'impossibilité d'arriver théoriquement à la pensée négative.


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La pensée négative est la pensée de la négation, et la théorie ne l'est que de sa propre pratique. L'excellente collection des Éditions Allia sur les origines des situationnistes, que certains voient comme un exemple de plus de la tendance à présenter l'IS comme une simple avant-garde artistique en tout séparée de l'IS "politique" à partir de 1962, montre, par des témoignages directs et des documents inédits, dans quelles conditions est née la pensée de l'époque précédente. Pour savoir, à notre époque construite contre nous sur la défaite de notre dernier assaut contre la marchandise, "ce qu'est la théorie, comment on l'acquiert, comment on la perd", une condition nécessaire mais pas suffisante est penser ce qu'on fait. Pour avoir la capacité de critiquer la pensée de cette défaite, l'exigeance d'un minimum de cohérence entre ce qu'on dit et ce qu'on fait, dont l'éfficacité a été largement démontrée, s'éttend à tous les aspects de la vie, y compris et surtout à ceux des modes de survie. Tous les arguments en contraire ne sont que des excuses pour éviter le risque, pour ne pas avoir à renoncer aux petits conforts de l'abondance marchande, au loyer garanti, à l'assurance médicale, à la sécurité de l'argent de poche pour le café-calva.


: Tout a un prix
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Pour répondre plus directement à mes correspondants, je n'ai jamais dit qu'il serait possible de vivre à l'extérieur du monde unifié de la marchandise. L'esclavage marchand est bien sûr une condition de tous, sans exception. Ce que j'ai nié, absolument, est la possibilité de penser la révolte contre cet esclavage sans être soi-même en révolte, dans la mésure du possible(2). Cette révolte n'est pas une exigeance de la théorie -- c'est justement le contraire. J'ai nié la possibilité de vivre en agent double, d'être un esclave secrètement insatisfait de son sort, un héros de la résistance vivant le jour en tout conforme aux ordres du maître ou des troupes d'occupation et conspirant la fin du monde le soir chez soi, parce que les ordres du maître ne sont pas innocentes. Tout se paye. On est toujours, jusqu'à preuve pratique du contraire, ce qu'on fait. L'esprit n'est pas un mana.


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La confusion vient peut-être de mon usage du mot "exemple", qui a fait qu'on me dise, par exemple, que "Ce que vous pouvez penser et faire de «subversif» n'a strictement aucune importance ni impact dans le cours des choses. Le message que vous délivrerez ou l'impact pratique de votre «mode de vie» subversif sera noyé dans un océan de communication et d'indifférence, et sera donc quasiment nul", ou alors que "Rien, dans le seul mode de vie d'un individu ou d'un groupe isolé d'individus, ne peut avoir raison de la puissance unifiée du spectacle". Je m'excuse de ne pas avoir été plus précise. Il est évident que le «mode de vie» n'est en soi rien. Il est évident que ce que je peux faire dans ma vie personnelle n'a d'importance que pour ce que je pense et fait moi-même -- mais, là, cette importance est absolue. Quand j'ai parlé de "l'exemple de l'IS", je n'ai pas voulu dire que le mode de vie des individus qui la composaient serait en quelque sorte un exemple subversif pour les autres, mais que leur pensée, et celle de tous ceux qui veulent penser la fin du monde, dépend de ce qu'ils font dans ce monde, et que cela devrait servir comme indication des conditions dans lesquelles la théorie est faite. Voyez l'exemple de Riesel. Voyez l'exemple de Debord et de Voyer. Le premier a été chassé de l'IS justement à cause de son mode de vie minable, et il est resté un minable jusqu'à nos jours, même si aujourd'hui il prétend donner la raison à ceux qui lui ont donné un coup de pied crotté au cul. Debord et Voyer sont dévenus des minables dès qu'ils ont été coupés du mouvement sur la base duquel ils avaient batie leur pensée, et à l'époque ils ont contribué, en toute minuscule mesure, surtout Debord, à la défaite de ce mouvement; tout comme ils contribuent aujourd'hui en toute petite mesure, surtout Voyer, à empêcher la naissance de la pensée de notre époque et en grande mesure à la prolifération des excroissances théoristes.


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(1) Ce qu'on avait l'habitude d'appeler une "situation insurrectionelle", où l'ordre règne mais ne gouverne pas, comme celle crée par les conseils de fabrique et les comités de soldats au Portugal en 1974-75, dont la défaite est appelée par certains idéologues ignorants de l'histoire de "défaite du gauchisme", tout comme on pourrait appeler mai 68 de "défaite du gaullisme".


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(2) Et ce possible est bien sûr dicté non seulement par les capacités et les dispositions de chacun mais aussi par des conditions extérieures qui ne dépendent pas de l'individu, comme, par exemple, la quantité de plomb en mouvement dans l'atmosphère de la région où il est.


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Chère Kathrin Obertopp

Si j'ai bien lu votre texte, Voyer empêche, en toute petite mesure, la naissance de la théorie de notre époque comme le fût Debord en son temps pour la défaite du mouvementen toute minuscule mesure. Ce que vous dites est fantastique!
Pourriez-vous me prêter votre instrument de mesure si précis pour mesurer l'air du temps .
En signe de reconnaissance,Je vous accorde mon hospitalité chez moi, sous le Pont Neuf à Paris comme amie.



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