Misère du théorisme II


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Posted by Kathrin Obertopp on May 22, 2000 at 04:09:10 PM EDT:




Misère du théorisme

Misère du théorisme

II


 









Pour que l'échange, ce moment essentiel de l'humanité, puisse se réaliser en pensée partout en toute liberté sans que l'homme y soit convié, il faut que celui-ci soit forcé à palabrer partout ailleurs que dans l'échange lui-même. Le spectacle est tout ce que se dit et se fait ailleurs et autrement que dans l'échange, et pas seulement ce qui cause dans le poste. Ce qui cause dans le poste est en réalité le spectacle du spectacle, ce qui s'offre à la fausse critique pour que les pleurnicheurs puissent en parler, dans le poste ou dans l'oueb.

(D'une lettre à P., janvier de 1998)


 









Toute l'histoire de l'idée du spectacle, de la pensée contre le spectacle, est contenue dans l'histoire de l'IS. Sa naissance, son dévéloppement et son emprise sur les consciences correspondent exactement à l'évolution du groupe situationniste. Son destin a été le même que celui de l'IS : la défaite. Pour une idée qui n'a pas été suffisament forte pour battre ses énnemis qui sont les nôtres, ça veut dire : abstraction, réduction, récupération.


  1. Abstraction : isolée de ses bases dans la réalité, eloignée de l'histoire, l'idée perd son efficacité subversive, devient un concept figé.

  2. Réduction : ce concept affaibli, qui ne peut plus se défendre tout seul, qui ne porte plus sur ses épaules tout le poids de l'histoire humaine, est alors réduit à ses aspects plus assimilables, plus facilement réconnaissables. Cette oeuvre d'édulcoration est menée à bout par tous ceux qui, parce que leur vie est vide d'histoire et donc de sens, n'auraient que faire d'une idée subversive, mais peuvent très bien se servir d'un concept vide. Debord, lui-même eloigné de l'histoire par ses propres limitations, affaibli et incapable de se défendre tout seul, a participé volontiers à cette tâche d'abstraction et réduction. De son observatoire je ne sais pas où dans la campagne ou du fond d'une bouteille, isolé du mouvement réel, il a pris l'accéptation soudaine des "idées situationnistes" par le grand monde pour un signe de victoire et a contribué à la divulgation de ce mensonge par tous les moyens dont il disposait, qui étaient encore formidables. L'assimilation du spectacle aux mass media par les journaputes (que Voyer n'a fait que réprendre) et à la conspiration (de qui? Pour qui?) par Debord et ses minets résume la réduction.

  3. Récupération : est récupéré qui veut bien. Et le Debord isolé, du haut de son authorité bien réelle de "théoricien radical", l'a voulu avec une force que le Debord artiste malgré lui et ceux qui faisaient la manche avec lui vingt ans avant n'auraient pas cru possible. Au lieu d'être dans toutes les têtes, l'idée du spectacle est un cadavre qui fréquente toutes les bouches, l'IS a été la cause ou au moins le moteur de Mai 68 et Debord a été la cause ou au moins le moteur de l'IS, il faut être théoricien, l'avant-garde est possible.

***


Le spectacle n'est pas une conspiration. Le spectacle n'est pas une pensée : il y a pensée contre le spectacle, qui est la nôtre et qui est infinie et infiniment changéante, et il y a idéologie spectaculaire figée, qui trouve son niche ou périt. L'isolement de l'individu face à la toute-puissance du marché et la conquête de la communication par les marchandises ne dépendent pas de la volonté isolée d'un homme ou d'un groupe, ni de la volonté collective d'une classe. Il révient à Darwin le mérite de nous avoir prouvé que l'animal le plus fort ne survit pas parce qu'il est le plus fort, mais qu'il est le plus fort parce qu'il survit, qu'il s'est adapté aux conditions qui lui sont faites, et que le bourgeois exploitant serait un animal bien adapté s'il existait. Il révient à Voyer, un peu malgré lui et malgré ce que pensait son maître Debord, le mérite de nous avoir prouvé que l'échange est le moment essentiel de l'humanité et que le spectacle se réalise dans l'absence d'échange, que ces conditions qui nous sont faites semblent être une loi naturelle mais ne le sont pas, de nous avoir montré l'extension de la mainmise de la marchandise sur l'activité humaine essentielle de l'échange, et toute la profondeur de notre déroute.


***


La révolte contre les conditions existantes n'est pas la conséquence naturelle d'une essence humaine improbable, parce que l'homme naturel, tout comme les vaches et les bourgeois inexistants, peut très bien survivre et même prospérer dans ces conditions. Elle dépend donc de la volonté. La pensée de cette révolte, la négation du spectacle, la fondation de la communication, n'est pas non plus un mouvement naturel. Elle ne peut avoir son origine que dans la lutte historique des hommes pour réprendre la parole confisquée par les marchandises, ne peut être conçue qu'en vue de l'énemi - et pour l'avoir en vue, il faut vivre en énnemi. Tout essai de penser l'histoire en dehors des mouvements réels qui la composent, de l'étudier comme qui examine le comportement des grands singes de l'Afrique orientale ou des grands cons de la rive gauche, est voué au théorisme plus ou moins idéologique selon la capacité de ceux qui le font.


***


Dans la longue marche de l'esprit vers sa réalisation, le plus fort sera celui qui soit capable de nier, historiquement (c'est à dire, en pensée), les conditions qui lui sont faites.


 


Tübingen, le 17 avril, 2000






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