Posted by FC on April 11, 2000 at 12:23:14 PM EDT:
03 09 99
Mon cher José,
Dehors, je ne peux avoir la même appréciation de la situation que toi dedans. Mais nous avons je crois, indépendamment de nos différences, un accord de fond suffisant sur le sens de ce qui est entrepris depuis deux ans, en particulier sur le peu de cas que nous ferions pour nous mêmes d'une incarcération que nous avons assez constamment recherchée, pour n'avoir pas besoin de plus de précautions oratoires avant de te donner très brièvement mon sentiment et mon analyse de la situation, que chaque nouveau rebondissement de ton «affaire» renforce.
- Nous sommes en train de perdre totalement l'initiative. Devenue cette fois effectivement médiatique, l'affaire nous échappe. Partant, c'est toute possibilité de lui redonner du sens et de poursuivre dans ce que tu appelles la pédagogie de l'action qui s'éloigne. Plus ou moins confusément, chacun, proche de nos positions ou assez hostile, le sent bien et y apporte assez maladroitement les réponses qu'il a l'habitude d'apporter à toutes choses sans se dissimuler qu'une occasion est en train d'être perdue.
- Mais c'est surtout nous qui sommes en train de perdre l'occasion de pousser plus loin : cette fois, la quantité ne s'est pas faite qualité, en tout cas pas comme nous le voulions.
- Je crois que dans ce cas, où cela paraissait pourtant aller de soi, le recours tactique au parapluie Conf (motifs corporatistes – «professionnels», gardarem lou roquefort, etc.) était une première erreur stratégique. Pas pour la Conf, qui en retire le plus grand bénéfice possible ; mais pour les buts que nous poursuivions (même en comptant au nombre de ceux-ci celui de «radicaliser» la Conf en y faisant évoluer les rapports de force). Je ne mentionne que pour mémoire le confusionnisme sur la liberté syndicale (au minimum il faudrait savoir de quel syndicalisme il s'agit ; sans compter que cela inférerait qu'un non-syndiqué serait ipso facto condamné à croupir en taule ou à payer).
- La seconde erreur globale d'appréciation a sûrement été de ne pas mesurer le risque d'un tel objectif dans le parcours sans faute de montée en puissance réussi depuis deux ans (au sens où il aurait fallu pouvoir prévoir que l'énervement cumulatif de la magistrature aveyronnaise et «l'indépendance judiciaire», si ils jouent objectivement un tour de cochon inattendu à l'Etat, nous jouent, à nous, un tour de con, car ce n'était sans doute pas là-dessus que résidait l'occasion la plus «explicitante» de t'exposer à te faire embastiller).
- L'essentiel va maintenant se jouer sur la capacité à resaisir les fils, et d'abord par la parole maîtrisée ou par l'écrit. J'essaie de faire ce que je peux dans un certain isolement, donc plutôt de façon souterraine, avec les limites que cela comporte. Tout va reposer sur toi à ta sortie. Prépare donc toi bien, ça va être lourd. Mais l'occasion est trop belle de parler clair, sur les liens véritables entre les actions menées, sur l'action directe, sur les o.g.m. et les empoisonneurs eugénistes, contre les illusions réformistes type Tobin, et sur l'État évidemment !
Alors, rhizome (c'est comme ça que t'appelle cette canaille de Mermet), bon courage.
Je t'embrasse.
René
(Transmise à José Bové trois jours avant sa sortie de prison, cette lettre comportait, à la fin, une brève mention manuscrite indiquant en substance que lui seul était en position de mettre un terme à la «bovémania» qui s'installait.)